La
sortie en salle d'Une
femme dans la tourmente
est une bonne nouvelle, tant les films de Mikio Naruse sont rares et
précieux. Veuve de guerre, Reiko (Hideko Takamine), pas encore
quarante ans tient une épicerie dans la banlieue de Tokyo. Elle vie
avec sa belle-mère Shizu (Aiko Mimasu), elle aussi veuve et son
beau-frère Koji (Yūzō Kayama), âgé de 25 ans. Toute sa vie va
changer avec l’arrivée d’un supermarché dans le quartier. Ce
magasin d’un nouveau genre à l’époque propose des produits bien
moins chers que dans l’épicerie de Reiko, l’œuf est à 5 yens
au lieu de 11, mais aussi fait de la publicité dans les rues avec un
camion équipé de hauts parleurs. A tel point que la musique que le
camion diffuse devient presque angoissante tant ce supermarché
incarne pour tous les commerçants du voisinage leur propre fin.
Le
premier souci de Une
femme dans la tourmente
est donc la perte de clients ce qui signifie une éventuelle
fermeture. Koji, qui aime boire du saké et mène une vie de patachon
depuis qu’il est chômeur, ne supporte pas la morgue de ses
concurrents. Dans un bar, il se bat contre le gérant qui s’amuse à
manger des tas d’œufs si bon marché. Koji, fou de rage, lui lance
que le Japon compte trop de pauvres pour gaspiller ainsi la
nourriture. L’un des voisins se suicide, laissant une femme et une
fille, devant la perte de sa clientèle. Le garçon livreur décide
de partir sous d’autres cieux et c’est Koji qui le remplace,
trimballant sur le porte bagage de son vélo les bouteilles de saké
et les boites de conserve.
L’autre
tourment est la place de Reiko au sein même de cette famille. Veuve
depuis la guerre (elle garde un portrait de son époux dans la
chambre), sa belle-mère ne sait pas si un jour elle va se remarier.
Que pourra-t-il se passer quand Koji va se marier et qu’il
reprendra le magasin avec son épouse ? Les deux autres filles
de la belle-mère, mariée et bien établies, suggèrent de
transformer l’épicerie en supermarché. Là aussi des questions se
posent sur la place de Reiko. Les deux sœurs ne sont pas montrées
très à leur avantage, elles font tout pour convaincre leur mère de
pousser vers la porte de sortie leur belle-sœur, bien que celle-ci
se soit occupé toute sa vie du magasin. Les deux belles-sœurs, bien
coiffées et bien vêtues, sont deux arrivistes pour lesquelles le
cinéaste n’a aucune sympathie. Elles font semblant de se soucier
de Reiko mais veulent s’en débarrasser.
Koji
aurait pu devenir le manager de ce supermarché s’il n’avait pas
totalement changé de comportement. D’oisif, il est devenu très
actif, aidant constamment Rieko et commence enfin à sourire. Une
femme dans la tourmente,
avec une grande subtilité, montre que le jeune homme est amoureux de
sa belle-sœur et qu’il ne sait pas comment lui dire. Ce tournant
dans le récit provoque des réactions opposées et des discussions
franches entre Rieko et Koji avec ce style incomparable de Mikio
Naruse : la discussion en marchant. Mais c’est dans une
sublime scène de train quand elle décide de quitter Tokyo que le
film devient émouvant. Koji a décidé de la suivre mais n’a pas
de place. Le voyage est long, il est debout puis petit à petit,
tandis que le wagon se vide, il se rapproche de Reiko, ne dit rien,
leurs deux regards se confrontent, enfin, ils sont assis l’un à
côté de l’autre. Cette longue séquence à la fois poignante et
drôle montre toute la maîtrise du cinéaste dans l’un de ses
derniers films.
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