mardi 8 décembre 2015

Une femme dans la tourmente (Mikio Naruse, 1964)

 
La sortie en salle d'Une femme dans la tourmente est une bonne nouvelle, tant les films de Mikio Naruse sont rares et précieux. Veuve de guerre, Reiko (Hideko Takamine), pas encore quarante ans tient une épicerie dans la banlieue de Tokyo. Elle vie avec sa belle-mère Shizu (Aiko Mimasu), elle aussi veuve et son beau-frère Koji (Yūzō Kayama), âgé de 25 ans. Toute sa vie va changer avec l’arrivée d’un supermarché dans le quartier. Ce magasin d’un nouveau genre à l’époque propose des produits bien moins chers que dans l’épicerie de Reiko, l’œuf est à 5 yens au lieu de 11, mais aussi fait de la publicité dans les rues avec un camion équipé de hauts parleurs. A tel point que la musique que le camion diffuse devient presque angoissante tant ce supermarché incarne pour tous les commerçants du voisinage leur propre fin.

Le premier souci de Une femme dans la tourmente est donc la perte de clients ce qui signifie une éventuelle fermeture. Koji, qui aime boire du saké et mène une vie de patachon depuis qu’il est chômeur, ne supporte pas la morgue de ses concurrents. Dans un bar, il se bat contre le gérant qui s’amuse à manger des tas d’œufs si bon marché. Koji, fou de rage, lui lance que le Japon compte trop de pauvres pour gaspiller ainsi la nourriture. L’un des voisins se suicide, laissant une femme et une fille, devant la perte de sa clientèle. Le garçon livreur décide de partir sous d’autres cieux et c’est Koji qui le remplace, trimballant sur le porte bagage de son vélo les bouteilles de saké et les boites de conserve.

L’autre tourment est la place de Reiko au sein même de cette famille. Veuve depuis la guerre (elle garde un portrait de son époux dans la chambre), sa belle-mère ne sait pas si un jour elle va se remarier. Que pourra-t-il se passer quand Koji va se marier et qu’il reprendra le magasin avec son épouse ? Les deux autres filles de la belle-mère, mariée et bien établies, suggèrent de transformer l’épicerie en supermarché. Là aussi des questions se posent sur la place de Reiko. Les deux sœurs ne sont pas montrées très à leur avantage, elles font tout pour convaincre leur mère de pousser vers la porte de sortie leur belle-sœur, bien que celle-ci se soit occupé toute sa vie du magasin. Les deux belles-sœurs, bien coiffées et bien vêtues, sont deux arrivistes pour lesquelles le cinéaste n’a aucune sympathie. Elles font semblant de se soucier de Reiko mais veulent s’en débarrasser.

Koji aurait pu devenir le manager de ce supermarché s’il n’avait pas totalement changé de comportement. D’oisif, il est devenu très actif, aidant constamment Rieko et commence enfin à sourire. Une femme dans la tourmente, avec une grande subtilité, montre que le jeune homme est amoureux de sa belle-sœur et qu’il ne sait pas comment lui dire. Ce tournant dans le récit provoque des réactions opposées et des discussions franches entre Rieko et Koji avec ce style incomparable de Mikio Naruse : la discussion en marchant. Mais c’est dans une sublime scène de train quand elle décide de quitter Tokyo que le film devient émouvant. Koji a décidé de la suivre mais n’a pas de place. Le voyage est long, il est debout puis petit à petit, tandis que le wagon se vide, il se rapproche de Reiko, ne dit rien, leurs deux regards se confrontent, enfin, ils sont assis l’un à côté de l’autre. Cette longue séquence à la fois poignante et drôle montre toute la maîtrise du cinéaste dans l’un de ses derniers films.









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