mardi 28 février 2017

J'ai aussi regardé ces films en février

Split (M. Night Shyamalan, 2017)
J'avais déjà bien aimé The Visit, projet modeste sur des ogres, le cinéaste poursuit sur ce thème. Kevin (James McAvoy), crâne rasé, grosses lunettes, chemise grise, kidnappe Casey (Anna Taylor Joy) une jeune fille qui sort d'un anniversaire. Les regards caméra des deux personnages qui se jaugent sont étonnants, si l'on est pris par ce jeu de confrontation dès le début, tout fonctionne, sinon... Deux enjeux sont à l'œuvre. Raconter un kidnapping à l'ancienne, avec tentative d'évasion, angoisse des enlevées, ce film-là est joué par les deux filles kidnappées avec Casey, une vision banale du genre. Et à côté, Casey et Kevin développent une autre partition. On sait dès l'affiche que Kevin est dinguos. James McAvoy joue seulement quatre personnages, Barry le styliste gay, Hedwig le gamin zozotant, deux compositions plutôt comiques, et aussi Dennis le kidnappeur et sa mère Patricia, dans une variation hitchcockienne où vient s'ajouter la psychiatre (et un plan « hommage » d'un escalier en plongée).

Loving (Jeff Nichols, 2016)
Décidément, je n'arrive pas à aimer un film de Jeff Nichols, ni à m'intéresser à son histoire, son sujet, ses thèmes, sa mise en scène. Le cinéaste prend le parti pris rivettien de la lenteur, de la langueur, de l'étirement, sans que je ne sache si cela est volontaire ou non. La scène d'ouverture « je suis enceinte », longue pause, contre-champ « très bien », longue pause, champ, est exemplaire de la méthode, voire du système de Jeff Nichols, de rendre tout anti-spectaculaire. Le film de vengeance (Shotgun stories), le film catastrophe (Take shelter), la SF (Midnight special) passent à la moulinette de cette déstructuration et paradoxalement, tout se ressemble, comme si le cinéaste cherchait à tout prix à clamer haut et fort qu'il est un auteur avec un univers et une esthétique. Cela dit, cette méthode est radicalement moderne comparée à la pléthore de pathos des films récents qui accablent avec leur récit édifiant.

Alibi.com (Philippe Lacheau, 2017)
Il faudra un jour que je comprenne cet engouement de la comédie française actuelle pour les années 1980. Ici, le personnage de Philippe Lacheau a comme film préféré Bloodsport avec Jean-Claude Van Damme et comme chanson favorite Partenaires particuliers. (Brice de Nice 3 jouait sur le même tableau, et d'autres films également, voir la Fuego de Kad & Olivier). Il doit y avoir une sorte d'innocence perdue là-dessous à retrouver, une madeleine enfouie dans cette médiocrité des années 1980. Et le film la trouve, la retourne comme une crêpe avec des gags dignes d'une comédie de boulevard d'Anémone, de Lhermitte, de Balasko des années 1980, vous vous rappelez Nuit d'vresse, Le Mariage du siècle, Les Hommes préférèrent les grosses, Ma femme s'appelle reviens ? Alibi.com cherche son comique dans cette direction et souvent, c'est hilarant et oublié dès la sortie du cinéma.

Rock 'n roll (Guillaume Canet, 2017)
Un soupçon de Grosse fatigue (l'acteur qui déprime et qui décide d'un exil intérieur), un zeste de Les Acteurs (le Blier bourré de caméo qui jouent leur propre rôle avec second degré) et bonne dose de monstruosité dans le dernière demi-heure (mais il paraît qu'il ne faut pas raconter). Tout n'est pas réussi dans Rock 'n roll, mais quand c'est réussi, c'est très drôle, souvent caustique et parfois mélancolique. Je sais bien que beaucoup de gens détestent Guillaume Canet et que son narcissisme affiché et proclamé dans son dernier film ne va pas les réconcilier, mais c'est très rare un tel masochisme au cinéma, c'est devenu rare de parler du corps de l'acteur, de sa fonction, de son prix et d'en faire le sujet d'un film. Guillaume Canet ne parle que de son corps minable qu'il déteste quand tous les autres acteurs ne lui parlent que de rôle, de box office, de césar (qui servent à faire tenir la table basse chez Marion Cotillard). Je l'aime bien Guillaume Canet.

lundi 27 février 2017

Elle et lui (Leo McCarey, 1939)

Toutes les radios l'annoncent, à New York, à Paris, à Londres. Le célibataire le plus prisé du moment va se marier. Il s'appelle Michel Marnay (Charles Boyer, j'indique les noms tels qu'ils sont écrits dans les sous-titres). C'est un tel événement que la presse se rend au navire que le playboy prend à Naples pour se rendre à New York. Il va épouser Lois Clark (Astrid Allwyn), jeune femme fortunée. Des groupies demandent à Michel des autographes et il s'exécute sans bonne grâce.

Sur ce même navire, embarque Terry McKay (Irene Dunne), chanteuse de cabaret, elle aussi célibataire qui est attendue à New York par Ken Bradley (Lee Bowman). Bien évidemment, ils vont se rencontrer sur le pont. Michel lit un télégramme d'une de ses nombreuses maîtresses, le papier s'envole et Terry le rattrape. Malicieuse, elle demande s'il est le propriétaire de ce télégramme et d'en donner le contenu. Dès le départ, elle sait à qui elle a affaire.

Ils ont huit jours à passer ensemble. Ils vont au bar boire leur breuvage favori : du champagne rosé. Ils prennent leur dîner à la même table, mais se rendent vite compte que les regards des autres passagers sont remplis de soupçon. Sont-ils déjà amants alors que leurs conjoints les attendent à l'autre bout de l'océan ? Pour faire taire ces vilaines rumeurs, pour être tranquilles sans être constamment observés, ils choisissent de ne plus se croiser.

Mais le destin en a décidé autrement. Lors d'une escale à Madère, Michel va voir sa vieille grand-mère (Maria Ouspenskaya), elle vit seule dans une maison sur une colline depuis qu'elle est veuve. Michel suggère à Terry de l'accompagner et elle trouve la demeure de la grand-mère paradisiaque. La vieille dame a du flair, elle perçoit que Terry serait la compagne parfaite pour Michel. Terry apprend des éléments intimes de la vie de Michel et notamment qu'il est peintre.

Cela constitue la partie la plus mièvre de Elle et lui. La musique doucereuse ne s'interrompt jamais dans cette séquence entre la grand-mère et les deux tourtereaux. Mais c'est le pêché mignon de Leo McCarey qui me gêne le plus : sa bondieuserie. Terry va se recueillir dans la chapelle de la grand-mère et se rend compte, dans ce lieu, que sa vie précédente ne valait rien. Elle décide de se repentir. Pêché mignon, car le cinéaste accentuera encore plus dans ses films suivants ses diatribes religieuses.

Terry et Michel se font une promesse le dernier jour du voyage. Se retrouver le 1er juillet à 17 heures au 102ème étage de l'Empire State Building. Ainsi, s'ils sont seuls, ils se marieront. Pour l'instant, quand ils débarquent à New York, chacun croise le fiancé de l'autre, Leo McCarey fait passer Terry entre Michel et Lois et Michel entre Terry et Ken, comme un signe des croisements amoureux qui vont se produire dans leur vie.

Ce rendez-vous sur l'Empire State Building, haut symbole du romantisme qui sera repris en 1957 dans le remake de Elle et lui par Leo McCarey lui-même n'aura jamais lieu. Après avoir travaillé six mois comme chanteuse de cabaret à Philadelphie, Terry a un accident de voiture au moment précis où elle aurait dû se trouver tout là-haut. Pendant ce temps, Michel attendra jusqu'à minuit l'arrivée de sa belle.

Tout cela commençait en belle comédie et se termine en mélodrame. C'était ainsi en 1939, une personne handicapée avait honte d'elle et se considérée comme un poids. Leo McCarey passe les 20 dernières minutes à tendre des cercles où Terry et Michel puissent enfin à nouveau se rencontrer et à nouveau s'aimer. Lui peint des toiles et des panneaux publicitaires, elle est soutenue par Ken. Dans un dernier geste, Michel accomplit le destin promis par sa grand-mère et offre le châle de cette dernière à Terry.




















samedi 25 février 2017

Zigoto chez les pirates - Bears and bad men (Larry Semon, 1918)

Le titre français de Bears and bad men (des ours et des mauvais gars) est Zigoto chez les pirates. Mais aucun pirate en vue dans ce court-métrage. Larry Semon joue un plouc (le terme « hillbilly » est employé dans les intertitres des cartons) qui vit dans une modeste maison de bois tenue par une mégère qui martyrise son fiston et lui assigne toutes les corvées du ménage. Le film se déroule dans une contrée reculée de l'Amérique.

Pendant ce temps, Zigoto roupille tranquillement. Jusqu'à ce que son réveil s'enclenche. Pas de sonnerie (puisqu'on est dans un muet) mais une plume qui chatouille le pied de Zigoto. Levé, le visage tout blanc (il est maquillé comme un clown triste dans ses films), il retire son pyjama et son pantalon large apparaît. Il était déjà tout habillé. Il fait tout cela face caméra, lance un clin d’œil au spectateur. Puis, il lance sa pipe en l'air qui finit dans la bouche allumée.

Il est question de poisson. Stan Laurel joue un pécheur malchanceux quand Zigoto parvient à attraper des poissons avec un simple bâton. Il est question d'une chèvre que Zigoto caresse tout en évitant les balles tirées par ses voisins (ce sont eux les bad men du titre), encore plus bouseux que la famille de Zigoto. Mais aucune balle ne l'atteint. Il est question d'ours qui envahissent la maison de Zigoto et celle des voisins sans qu'on leur ait rien demandé. Ces ours occupent une très large partie du film.

Le film est bourré d'effets spéciaux qui sont autant de petits gags. Le voisin irascible et ses fils tirent sur le fiston, la balle dessinée lui atterrit dans les fesses. Quant aux ours qui s'invitent dans le scénario, ils sont filmés en accéléré quand ils poursuivent Zigoto et les autres personnages. Un acteur s'équipe parfois d'une peau de bête parce que c'est plus facile de jouer avec un homme. Stan Laurel et Larry Semon entament une course poursuite pour échapper aux voisins comme aux ours, dans une cheminée, dans la forêt et sur le toit d'une grange.














Zigoto vicomte par amour / Huns and hyphens (Larry Semon, 1918)

Zigoto, en voilà un nom rigolo. L'acteur et réalisateur Larry Semon n'est plus très connu aujourd'hui, mais Lobster avait édité quelques une de ses courts métrages dans des coffrets Laurel et Hardy avant qu'ils ne soient en duo. Huns and hyphens (les boches et les traits-d'union) est titré en français Zigoto vicomte par amour. En effet, Zigoto se fait passer auprès de Vera Bright (Madge Kirby) une jeune femme pour un vicomte, bien habillé, digne et qui lui fait la cour.

Il n'est absolument pas aristocrate comme la scène suivante le démontre. Il file dans une minuscule automobile (enfin, une carriole pour enfants tractée par d'autres voitures grâce à une corde), il rentre dans un restaurant. Tous les serveurs s'approchent, retirent les vêtements de Zigoto qui enfile son tablier et devient lui aussi serveur. Un de ses collègues pose sur sa main un plateau, il ne lui reste plus qu'à aller en salle.

Vicomte ou serveur, Zigoto garde le même regard quand il se change mais s'énerve tout rouge quand un client du restaurant ne se lève pas pour l'hymne national. Faut dire que les traîtres sont légion. Ces traîtres ont prêté allégeance au Kaiser (on est donc dans les derniers mois de la première guerre mondiale) et ces gredins veulent voler les plans élaborés par Vera Bright, elle a construit un masque à gaz.

Parmi tous ces renégats, on trouve le valet de Vera qui alerte ses complices, tout simplement le patron du restaurant, mais aussi tous les autres serveurs et un client qui est interprété par Stan Laurel. Stan fait semblant d'être un simple client, mais il vole des œufs, Zigoto lui donne un coup de pied au cul. Les œufs se cassent et il en sort des poussins aux pieds de Stan. Le comique de Larry Semon est aussi empreint de poésie.

Passé le splastick facile à la mode dans le comique de l'époque (coups de pied, baffes, chutes, envoi d'objets, un serveur qui se déplace à quatre pattes), Larry Semon règle admirablement les entrées et sorties de ses personnages dans la grande scène des portes qui claquent. Pour pimenter le tout, il détruit tout le décor en balançant les traîtres sur les murs qui s'effondrent, telle une métaphore de la fin de l'Empire allemand.