lundi 31 août 2020

J'ai aussi regardé ces films en août


Effacer l'historique (Benoît Delépine & Gustavec Kervern, 2019)
La vie privée, ce douloureux problème. C'est l'argument de nos trois petits cochons qui se trimballent dans leur lotissement morne comme dans une fable à La Fontaine – tout est dans la morale finale : consommer c'est mal – dans une catalogue à la Bouvard et Pécuchet de tous les errements de ce trio d'anciens Gilets Jaunes (« le rond-point où on s'est connus alors qu'on savait pas qu'on était voisins » dit Corinne Masiero) dans leur vie merdique. A un certain point du film, une fois qu'on sait que Corinne Masiero est une teigne, que Blanche Gardin une alcoolo irresponsable et Denis Podalydès un béni-oui-oui persuadé d'être anticonformiste, il est difficile de dire si le film déteste ses personnages ou s'il les en a en pitié. Certes le duo imagine fait un portrait miroir des trois ans de la politique Macron sur nos anti-héros mais l'humour se voudrait caustique quand il ne pratique que l'ironie (« le numéro vert gratuit surtaxé », « j'ai pris un antivirus gratuit à 14,99€ par mois »). Tout le film ne fonctionne que sur ces dialogues un peu absurdes dans une volonté très voyante de devenir les nouveaux Mocky de la France d'aujourd'hui. Pour pimenter l'ensemble, Delépine et Kervern ont invité pas mal de leurs anciens acteurs pour une scène, une apparition diverse mais à cause d'un rythme nonchalant, des gags répétés (ce qui est différente de récurrents), ça ne suffit pas à vraiment soulever plus que quelques vagues sourires.

Yakari, la grande aventure (Xavier Giacometti & Tobi Genkel, 2019)
C'est plutôt convenable comme film pour les enfants malgré quelques animaux pas très bien dessinés. Il y a une dose d'aventure (Yakari traverse tout une contrée seul puis avec son cheval Petit Tonnerre), de la magie (Yakari cause aux animaux et le film déploie tout un bestiaire d'animaux sauvages), de la comédie (le castor paresseux, les deux autres papooses), du suspense proche de l'angoisse (c'est qu'il est livré à lui-même et que de vilains adversaires sont à la poursuite du petit Indien, cela s'ajoute au climat – option écologie garantie), de la tendresse (papa et maman cherchent leur fils). Bref, le film se regarde tout à fait, en plus il est relativement court.

T'as pécho ? (Adeline Picault, 2019)
Ça commence pas très bien avec ce genre de dialogues qu'on donne à dire à des ados et où tout sonne faux. Des dialogues écrits par des adultes plaqués dans la bouche des enfants. Mais petit à petit, ces dialogues s'avèrent n'être que les clichés que les jeunes collégiens semblent forcés de sortir à leurs camarades : ils doivent reproduire ce qu'ils pensent être nécessaire pour être populaire ou pour exister tout simplement. Les clichés sont les fringues et le film déshabille ses jeunes acteurs pour révéler leur petite vie. Le tout dans un vestiaire de piscine qui leur sert de confessionnal autant que salle d'éducation à la vie. Là, le film se met enfin à devenir vraiment bon, à la fois drôle et bien senti. C'est rare d'arriver à cet équilibre en douceur. Certes le film lorgne vers Les Beaux gosses avec 10 ans de plus dans la cruauté du milieu scolaire mais la réussite rappelle Le Nouveau de Rudi Rosenberg et parfois Rattrapage de Tristan Séguéla, deux films passés un peu inaperçus mais qui méritaient le détour. Dommage que le titre choisi soit si nul car T'as pécho ? est la bonne comédie surprise estivale.

dimanche 30 août 2020

Ga, ga gloire aux héros (Piotr Szulkin, 1986)

« Ga ga, c'est le langage des enfants » explique le héros cosmonaute Scope (Daniel Olbrychski) à son avocat ou à celui qui est censé le défendre dans ce simulacre de Justice dans lequel il est, bien malgré lui, plongé. C'est un monde apocalyptique, dans un XXIè siècle où on envoie des prisonniers explorer des planètes intersidérales. Scope est longuement malmené par les gardes-chiourmes polonais, on lui demande de se désaper, de revêtir la combinaison et de sourire pour une photographie polaroid. Puis, il parade devant les autres prisonniers.

La navette spatiale est faite de bric et de broc, une habitude de Piotr Szulkin qui ne s'embarrasse pas des décors pour imaginer son futur, la Pologne de 1986 était suffisamment déglinguée, au sens propre comme au sens figuré, pour illustrer ce futur sinistre. Dans la carlingue, Scope a le choix entre quatre voix, justement ceux qui le « torturaient » dans la séquence d'ouverture, le chef des matons, un prêtre, l'inspecteur. Finalement il choisit une femme au caractère peu commode. Le but ultime, plus qu'explorer la planète, est de planter le drapeau.

Pas plus que la navette, le cinéaste ne filme le voyage. Il atterrit sur Australia 458. il est accueilli, à peine les pieds posés, par un type qui sort d'une limousine. C'est la nuit (il fera nuit pendant tout le film), la neige est partout (mais une neige sale, pleine de gadoue). Ce type Chudy (Jerzy Stuhr), une sorte d'animateur portant costume cravate est très enjoué par l'arrivée du héros. À l'arrière de la voiture, il présente la récompense, une toute jeune femme fort peu vêtue. Elle s'appelle Once (Katarzyna Figura), elle doit coucher avec le cosmonaute.

Et l'aventure continue avec des personnages tous plus surréalistes les uns que les autres. Scope doit résider dans un hôtel qui ne comporte que trois chambres. Chaque clé est accrochée à une grenade explosive.La patronne de l'établissement est peu amène, elle lui cause comme à un demeuré. Il voulait prendre la clé du milieu, elle refuse tout en espérant qu'un jour quelqu'un prenne cette clé. Elle vit avec son mari et leur fille atteinte de cataracte, ils aimeraient qu'elle puisse se faire opérer mais ils n'ont pas d'argent. La chambre est là aussi chaotique.

Justement en parlant de grenade, Chudy arrive les bras chargés de cadeaux dans les bras. Il est ravi d'apporter tout un paquet d'armes à son invité, une bombe, un revolver, une mitraillette. Puis vient l'explication de tout cela. Sur cette planète, devenir un héros passe par un périple : crime, récompense, châtiment. Pour faire du spectacle, Scope doit commettre un crime épouvantable, il sera ensuite récompensé en couchant avec des femmes puis sera puni par le supplice du pal. On lui fait visiter en place publique le poteau qui doit l'empaler.

Seulement voilà, Scope est rétif à ce programme. Contrairement au voisin dans l'hôtel qui porte un costume pailleté, ce voisin a accepté le programme, Scope tire la tronche, ce qui avec son grand corps, son allure athlétique (on dirait un mélange entre Schwarzenegger et Dolph Lundgren), sa mâchoire carrée, ne plaît pas aux habitants d'Australia 458 qui attendent et espèrent un grand spectacle. Scope va à l'encontre des demandes, il est en quelque sorte un résistant dans sa passivité, il fait la grève du spectacle. On va tout faire pour le faire accepter de se faire ampaler.


Ce qu'il cherche, c'est sauver Once. La jeune fille est malmenée par tous, elle est remplacé par une vieille prostituée, elle est brimée par son patron. Il ne reste qu'une solution, fuir ce pays, cette planète Australia 458, faire un bras d'honneur à cette civilisation qui méprise ceux qui sortent du rang. Mon petit voyage en apocalypse dans le cinéma bizarre, politique et malsain de Piotr Szulkin, pas très éloigné des films d'Aleksei Guerman se termine avec ce film, pour l'instant aucun des films du cinéaste n'est sorti en France, ça arrivera peut-être un jour.
































samedi 29 août 2020

4 aventures de Reinette et Mirabelle (Eric Rohmer, 1986)


En vacances à Hambourg toute la semaine, je suis allé voir 4 aventures de Reinette et Mirabelle dans un cinéma art et essai, le Metropolis Kino (une salle d'environ 200 places sur deux niveaux, un orchestre et un balcon). Ce cinéma propose en août et septembre une rétrospective Eric Rohmer pour le centième anniversaire de sa naissance. Il est même proposé certains films doublés en allemand (ainsi L'Ami de mon amie), 4 aventures de Reinette et Mirabelle était sous-titré en allemand. C'est une expérience inédite en soi.

Il faut d'abord se coltiner sur un grand écran un format inhabituel (le film a été tourné en Super 16), le tout sans aucune restauration avec les scotchs de changement de bobines, des rayures toutes les 20 minutes mais je crois tout de même que la projection était numérique. Cela dit, ça faisait une projection à l'ancienne. La vingtaine d'Allemands présents dans la salle riaient au même moment que moi car « le sous-titrage épure beaucoup les choses, il perd en nuances mais il gagne en efficacité » expliquait Eric Rohmer à la sortie du film.

Car oui, le film est drôle. Pas tout de suite, il prend son temps. Eric Rohmer présente d'abord longuement ses deux demoiselles, Reinette (Joëlle Miquel) et Mirabelle (Jessica Forde), la brune et la blonde, la campagnarde et la citadine. Avec ces deux prénoms, une pomme acide et une prune douce, il est possible d'identifier facilement les deux filles, tout autant qu'avec leur tenue en début de film, Mirabelle est en patalon noir et Reinette est en robe blanche. La première aventure peut commencer, « L'Heure bleue ».

Mirabelle se promène en vélo, l'un des pneus à crevé. Arrive du fond du cadre, sortie d'on ne sait où, Reinette avec son panier rempli de victuailles. Avenante, Reinette propose de l'aider à réparer le pneu avec une bassine d'eau, un peu de colle et une rustine. Il y a peu de fiction dans cette amorce du film et beaucoup de documentaire, dont une visite chez des voisins paysans (six ans avant la vie à la campagne de L'Arbre le maire et la médiathèque), mais ce sont deux vies qui s'opposent tandis que petit à petit Eric Rohmer pose ses pions narratifs.

Reinette est incroyablement bavarde, une vraie pie qui cause de son passé (elle est autodidacte, elle a fait l'école à la maison), de son présent (cette grange devenue sa maison faite de bric et de broc) et son futur (elle peint et rêve d'en vivre). Seulement voilà, elle ne sait pas comment trouver de l'argent pour s'installer à Paris pour assister aux cours des beaux-arts où elle est inscrite. Mirabelle lui donne la solution, elle pourra habiter avec elle, elle aura sa propre chambre, elles partageront tout « fifty fifty » clame Mirabelle avec joie.

L'argent est ainsi le nerf de la fiction du film dans les trois aventures suivantes. Tout tourne autour dans une galerie de portraits aussi naïfs et symboliques que les toiles peintes par Reinette. Elle les montre à Mirabelle, comme dirait le directeur d'une galerie que joue Fabrice Lucchini avec son bagout habituel « c'est intéressant », la phrase que tout le monde sort quand ils ne savent pas quoi vraiment dire. Le ton devient alternativement comique (Le Garçon de café avec Philippe Laudenbach) et dramatique (Le Mendiant, la kleptomane et l'arnaqueuse).

Vouloir boire un café à 4,30 francs quand on a seulement un billet de 200 francs, tel est le dilemme posé. Le garçon de café est persuadé que sa cliente va filer sans payer et refuse le billet (« je vous surveille »). il met en doute la moralité de Reinette, elle qui ne vit que de cela. Elle le montre plus tard à Mirabelle en donnant à chaque mendiant qu'elle croise dans la rue une petite pièce. Elle espère améliorer la vie des gens puis fait la morale à une mendiante (Marie Rivière) en se sentant abusée d'avoir été gentille avec elle.

Mais quand Mirabelle débarque à l'appartement avec du saumon fumé, du canard et du champagne, Reinette s'emporte après avoir appris comment son amie s'est procuré tout cela. La dispute est forte mais Reinette na pas encore compris que les rôles s'inversent. Ainsi dans la dernière aventure, La Vente du tableau, Reinette reste muette devant le galeriste, seule Mirabelle le convainc d'acheter la toile. On remarque surtout leur complémentarité, elles sont toutes deux en rouge comme si leur morale ne faisait désormais plus qu'une pour s'en sortir dans la vie.

vendredi 28 août 2020

Germinal (Claude Berri, 1993)

Toute une génération a subi Germinal, ces élèves de lycée nés trois quatre ans après moi ont dû aller voir le film de Claude Berri en Première avec leur professeur de français. J'ai échappé à ça et je découvrais le film non sans un certain ennui, d'autant qu'il est très long (cela dit la version muette de 1913 réalisée par Albert Capellani dure également 2h30). C'était parfait pour les enseignants de 1933 le Germinal de Claude Berri, le film est suffisamment académique pour les inspecteurs académiques.

C'est par Etienne Lantier (Renaud), le prolo sans attache que l'aspect documentaire du film s'enclenche. Découvrir le travail à la mine, les ouvriers qui habitent les lieux, les rudes conditions, tout passe par les yeux écarquillés du chanteur devenu comédien. C'est aussi, dans cette atmosphère nocturne, le bruit des machines. Le patriarche de la famille Maheu (Jean Carmet) est le premier qu'il voit, tout mâchuré de suie. Le vieux Maheu travaille là depuis 50 ans, il déglutit le charbon qui a infesté ses poumons.

Il va trouver du travail, ça tombe bien l'une des mineuses est morte. Il va prendre sa place. C'est la descente dans la mine avec des hommes et des femmes de tout âge. La première descente est la plus impressionnante du film puisque Claude Berri travaille encore dans son récit l'aspect documentaire, il le fait avec l'immersion totale du spectateur dans un monde qui n'existe plus. Quelques minutes plus tard, les acteurs sortent le visage noirci, on les aura vus travailler le temps de quelques coups de pioche sur le charbon.

La famille Maheu recueille Lantier. D'abord les stars du cinéma français, Gérard Depardieu et Miou-Miou en parents, deux grands fils et une fille Judith Henry, ancienne espoir de l'Académie des César, aujourd'hui un peu oubliée. La famille est encore plus nombreuses dans une toute petite maison, avec un tout petit salaire qui vient d'être remis à chacun suivant leur travail respectif. On prend dans la cour un bain salvateur pour se nettoyer. On s'amuse, le ton est finalement très joyeux même si la vie est rude.

En contre-plan des Maheu, le film s'attache aussi aux patrons mais sur un ton différent. L'opposition la plus remarquable est moins dans le grand patron Monsieur Hennebeau (Jacques Dacqmine) que son épouse (Anny Dupérey) qui doit débiter des dialogues comme si elle était la reine de France qui voyant que les pauvres réclament du pain se demande pourquoi ils ne mangent pas de la brioche. On sent dans le film une volonté de ridiculiser les patrons (c'est bien compréhensible) qui ne comprennent rien à la situation et sont cupides sont peu subtiles.

Leur amis bourgeois ne sont pas en reste. Les quelques scènes chez les Grégoire quand la Maheude vient chercher des vêtements et mendier dignement sont un peu mieux. Madame Gérgoire (Annick Alane) est plus généreuse que Madame Hennebeau mais tout cela passe encore une fois par des dialogues. Mais de façon générale, les gens de bien, bourgeois, patrons, commerçants, sont des ordures, des vendus, mieux ils se prétendent irresponsables des malheurs des mineurs. Le grand patron leur dit toujours qu'il n'est que le directeur.

Je regrette vraiment la charge permanente et de tous les côtés. Le personnage de syndicaliste communiste que joue Laurent Terzieff, grimé en Lénine, frise le ridicule. Les gueulantes de Miou-Miou contre tout le monde et notamment sa fille qui « trahit » sa condition sociale ne sont guère mieux. A vrai dire, seul le personnage de Jean-Roger Milo, Chaval le contremaître, celui qui navigue entre les patrons rapaces et les ouvriers oiseaux de proie, m'apparaît le plus construit dans ses tiraillements perpétuels.

De tous ces points de vue, Germinal n'est pas si différent d'Uranus, Claude Berri renvoie chacun dos à dos. Mais ce qui étonne dans cette super-production est l'absence assez critique d'émotion quand un des mineurs meurt, se blesse, se voit stigmatisé. Les mouvements de grève manquent d'ampleur malgré les majestueux mouvements de grue et la partie finale, celle du coup de grisou ne parvient pas à accéder au suspense qu'il promet à grands coups de la musique de Jean-Louis Rocques. Non définitivement, je n'aime pas du tout Germinal.