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samedi 22 août 2020

Le Syndicat du crime (John Woo, 1986)

A force de regarder le film, je me suis dit que le vrai sujet du Syndicat du crime, c’est le sourire de Chow Yun-fat. D’ailleurs, quand on regarde Just heroes, également avec Ti Lung, dans lequel l’acteur est « remplacé » par Stephen Chow, John Woo demande à ce dernier d'imiter le sourire de Chow Yun-fat. Le cinéma de John Woo c'est filmer des sourires enfantins d'hommes faisant des choses répréhensibles.

Faire sourire Chow Yun-fat dès le début du film est l’idée maîtresse. Le scénario va ensuite consister à lui enlever sa bonne humeur et ce sourire qui contraste avec la profession qu’il exerce. Il va s’agir de durcir sa vie, de détruire son corps et sa belle gueule d’ange. A l’époque où Le Syndicat du crime est tourné, Chow Yun-fat est l’acteur le plus sexy de Hong Kong. C'est rien de la dire.

Sa popularité, il la doit à ses rôles dramatiques à la télévision dans les années 1970. Popularité qui ne s’est jamais démentie lors de son passage au cinéma malgré la somme de navets qu’il a tourné avant sa rencontre avec John Woo et Tsui Hark (j'en ai vu quelques uns). Les deux hommes ont comme ambition de détruire son image de belle gueule et cela va propulser l’acteur au firmament de la gloire.

Chow Yun-fat est Mark. Il travaille avec Ho (Ti Lung, acteur de la Show Brothers), ils fabriquent des faux dollars américains. Shing (Waise Lee) est le troisième compère de la bande. Pour l’instant, il est le chauffeur de Ho. Ce qui est génial avec les faux billets, c'est qu'ils peuvent aussi servir à allumer les cigares, créant l'une des images les plus célèbres de Chow Yun-fat et du cinéma de John Woo.

Le prologue du film, pratiquement silencieux, presque sans dialogue, est un court-métrage en lui-même. Le trio en grande tenue de truands, c'est-à-dire lunettes noires, pardessus, cravate sombre, costume croisé. Ils traversent le cadre, d'un pas décidé sur la musique intemporelle du film qui sera déclinée sur tous les styles suivant le ton que veut adopter John Woo pour chaque séquence (tension, drame, romance).

Ho a un petit frère, Kit (Leslie Cheung) est la joie de vivre incarné. Seulement voilà, il est à l'école de police. Par un tour de force scénaristique que j'ai toujours jugé improbable, Kit ignore tout des activités de son frère. Quand bien même le film sous-entend qu'il a plus ou moins pris la relève de leur père (Tien Feng). Ce secret – ou ce mensonge – va bouleverser la vie de Kit.

La police de Hong Kong cherche à mettre fin au trafic de faux billets. C’est une des raisons pour laquelle la bande va à Taïwan vendre les faux dollars. Là-bas, Ho se fait prendre et passe trois ans en prison. De retour à Hong Kong, il va tenter de refaire sa vie comme chauffeur de taxi avant que son passé ne le rattrape. Mark est devenu estropié (toujours cette idée de l'enlaidir), Shing est devenu le grand boss.

Le Syndicat du crime est un film d’amour et de haine. La trame criminelle sert à faire et défaire les couples. Il n’y a qu’une seule femme dans tout le film : Jackie (Emily Chu) la fiancée de Kit. Ce couple est bancal. Cela passe d'abord par du burlesque pur (la scène de violoncelle avec Tsui Hark) puis par la métaphore de deux forces opposées : rester fidèle à ses engagements de policier et l'amour pour son grand frère.

Le vrai couple du Syndicat du crime est composé de Mark et Ho. Ce sont plus que des frères d’armes, John Woo les filme vraiment comme des amoureux comme dans ce moment où ils se retrouvent une fois la peine de prison de Ho purgée. Ho aperçoit Mark sur le trottoir d’en face dans un sale état, vêtu de haillons, boitillant. Il n’est plus qu’un larbin depuis que Shing a pris le pouvoir. Ce dernier lui jette quelques dollars par terre après que Mark lui ouvre la portière de sa voiture.

Le regard que Ho jette à Mark n’est pas celui de la pitié, mais celui de l’amour retrouvé trois ans plus tard. Ho va rejoindre Mark dans le sous-sol de l’immeuble et là leurs retrouvailles sont celles de deux amants éperdus d’amour l’un pour l’autre. Malgré la déchéance de Mark, malgré son sourire perdu. Ils ne cesseront de se toucher, de se frôler et de se regarder dans les yeux pendant tout le reste du film.

Kit rejette son grand frère de toutes ses forces alors même que celui-ci s’est rangé, qu’il tente de refaire sa vie. A priori, en tant que policier il devrait être satisfait du changement de Ho, mais Kit ne peut pas admettre que Mark et Ho pérennisent ainsi leur couple. Jackie, la gentille fiancée, n’y pourra rien. Il n’y aura que la mort de Mark qui fera revenir Kit dans la vie de Ho dans un gunfight dont John Woo a le secret.

Ce secret est de jouer sur l'épuisement de ses personnages. La dernière séquence consiste à un règlement de comptes entre Kit, Shing, Ho et Mark. Ça dure à peu près dix minutes où les corps sont mis à l'épreuve pendant une nuit où il faut éviter les coups de feu ennemis, suer comme un bœuf, courir d'un abri à un autre, recevoir des giclées de sang et se faire blesser. A ce rythme, peu s'en sortiront pour le N°2.


C'est ainsi John Woo se démarquait de l’influence que Tsui Hark. Il transforme un banal film d’action en drame romantique. Le sous texte érotique n’est jamais présent dans le cinéma de Tsui Hark qui, au contraire, fait des films sensuels mais prudes. Ce que produit John Woo dans Le Syndicat du crime va au-delà de qui était présent dans le cinéma de Chang Cheh, dont on clame qu'il est son inspiration majeure.

































mardi 29 mars 2016

A toute épreuve (John Woo, 1992)

Je ne sais pas si quelqu’un s’est un jour lancé dans le recensement de tous les morts que compte A toute épreuve. Il faut dire que John Woo n’y est pas allé de main morte pour son dernier film à Hong Kong avant de partir aux Etats-Unis pour la carrière et le résultat que l’on connait. Comme s’il savait que ce serait sans doute son dernier film libre et qu’il fallait qu’il offre le spectacle le plus fou possible, avec un final à l’hôpital de près de trois quarts d’heures où tout les décors seraient détruits dans des explosions, où les personnages abondent, où l’humour côtoierait l’extrême violence. Bref, A toute épreuve est un film très copieux.

Chow Yun-fat en est le centre, le personnage autour duquel tout va tourner. Dès la scène d’introduction, on le voit boire quelques verres de tequila dans un bar. Cela lui donnera son surnom. Tequila joue de la flute dans un orchestre de jazz. On le suit ensuite dans un salon de thé avec à son bras une cage et un pinson. L’atmosphère se fait de plus en plus lourde dans la salon de thé. John Woo joue sur la multiplicité des regards, sur des panoramiques de la caméra qui observent toute la pièce, on ne sait pas qui observe qui et surtout vraiment pourquoi. Tequila semble agir comme un gangster dans ce lancement du film mais c’est un flic. Il est impulsif et se lance sans réfléchir dans l’action. En l’occurrence, il va empêcher la vente de trois revolvers. Dès les dix premières minutes, A toute épreuve plonge le spectateur dans un gunfight où Tequila tire avec un revolver dans chaque main.

Cette attitude impulsive n’est pas du goût de son supérieur, le chef Pang (Philip Chan) qui n’en peut plus de devoir le contrôler. Il est furieux que Tequila aie gâché la filature qu’il avait mis en place pour coincer un trafic d’armes. Il est viré de l’affaire et, après l’enterrement d’un de ses collègues, va dans son jazz club où le patron (John Woo) lui donne quelques conseils. Le cinéaste apparaît dans un rôle très secondaire mais son personnage est pour lui un moyen de signer son film. Il est aussi dans les quelques scènes qu’il a avec Chow Yun-fat, l’homme qui donnera quelques leçons de mise en place du récit. Il annoncera ce qui va arriver dans le reste du film et lui donnera des indices sur d’autres personnages.

Pendant ce temps-là, les triades veulent faire entrer des armes à feu à Hong Kong. La possession d’armes, à l’exception de la police, est interdite. Un meurtre dans une bibliothèque va les lancer dans une nouvelle enquête. Le meurtre est filmé dans son intégralité. Un jeune homme bien sapé, Tony (Tony Leung Chiu-wai) déboule dans sa belle Ferrari rouge. Il entre dans la librairie, se dirige dans les rayons, effleure de son index les livres, en choisit un et se dirige vers un homme assis à une table. Calmement, il ouvre le livre qui contient un revolver silencieux et abat l’homme. Tony vit dans un bateau et, entre deux bouffées de cigarette, construit des oiseaux de papier qu’il accroche au plafond. Il y a désormais une douzaine d’oiseaux de papier. Ce sont les hommes qu’il a tués.

Tony travaille pour Monsieur Hoi (Kwan Hoi-san), un parrain qui aimerait, à l’approche de la vieillesse, se retirer. Johnny (Anthony Wong) aimerait reprendre les affaires de Hoi et rencontre Tony qui n’a que la paix à lui proposer. Après cette rencontre, Johnny tombe sur Tequila. Les deux hommes se battent et Tony intervient pour que Johnny n’abatte pas le flic. Tequila portera un sparadrap sur le front pendant tout le reste du film. Tony accepte de bosser pour Johnny et de tuer Hoi. Johnny va voler toute sa cargaison d’armes. La séquence offre le deuxième gunfight dans l’entrepôt. La lassitude et le calme de Tony contrastent avec l’excitation de Johnny qui veut être le seul à diriger les triades. Mais la police va intervenir et quand Tony a au bout de son flingue Tequila, il ne tirera pas, au grand étonnement de ce dernier.

Ce qu’ignore Tequila est que Tony est un flic infiltré dans la mafia. Tony communique avec le chef Pang d’une manière originale. Il envoie des bouquets de fleurs à la commissaire Teresa Chang (Teresa Mo), ancien flirt de Tequila qui en est encore amoureux. Dans chaque bouquet, qui titille la jalousie de Tequila, un message codé est glissé sur les avancées de la bande à Johnny. Ces séquences d’arrivée des bouquets et de décryptage sont les seuls moments de comédie d’A toute épreuve. Teresa et Tequila flirtent gentiment, même si le personnage de Teresa est creux prouvant, encore une fois, que le cinéma de John Woo est essentiellement masculin. Tony essaie de mettre en garde Pang sur le danger de l’impulsivité de Tequila. Cela pourrait menacer l’enquête. Les deux hommes vont devoir travailler ensemble.

Le final grandiose et apocalyptique se déroule dans un hôpital. En l’occurrence un hôpital que possède Johnny et où Tony est envoyé pour être soigné après une altercation. C’est là que sera aussi soigné un indic que le borgne (Philip Kwok) a torturé. Assez vite, Tony et Tequila comprendront que les armes sont cachées dans cet hôpital et il va falloir les trouver. Bien sûr, qui dit grand nombre d’armes à feu, dit grosses fusillades. D’un côté, Tequila et Tony, qui seront rejoints par Teresa, Pang et des flics. Et de l’autre Johnny et le borgne ainsi qu’un grand nombre d’hommes de main. Au milieu les patients et la pédiatrie où toute une ribambelle de bébés viennent de naître.

John Woo fait monter lentement le suspense sur près d’une heure, comme en temps réel. Il isole d’abord les deux protagonistes dans la morgue où ils cherchent les armes ce qui leur permet de mieux se connaître et de finalement s’apprécier. Puis, il fait rentrer le personnage du borgne, homme mutique mais impitoyable. Il faut dire que les méchants sont gratinés. Johnny n’hésitera pas à tirer à l’arme lourde sur les patients pour tenter de supprimer Tequila. Le nombre de flics qui va mourir est aussi impressionnant que celui des gangsters. Mais il reste encore une once d’humanité au borgne, il voulait que Johnny épargne les malades. Et puis il y a la longue évacuation des bébés qui donne un soupçon de sensibilité dans ce monde de brutalité.

A toute épreuve condense tout le savoir-faire de John Woo en matière de polar d’action avec des fusillades et des explosions. C’est son cadeau de départ au public de Hong Kong bien plus qu’une preuve aux studios hollywoodiens qui vont le mépriser en lui offrant Jean-Claude Van Damme. A ce titre, le bébé que sauve Chow Yun-fat en le mettant dans son blouson est le symbole de ce cadeau, il sauve ce qu’il reste du cinéma de Hong Kong qui angoissait de la rétrocession et du départ de ses cinéastes phares. Le public a réservé au film un très grand succès malgré ses défauts et son absence totale de réalisme. C’était le dernier film de John Woo. Le dernier.