vendredi 11 décembre 2015

Un + une (Claude Lelouch, 2015)

J'aimerais parfois être une petite souris pour savoir comment Claude Lelouch présente ses films aux interprètes qu'il choisit. « Un + une sera l'histoire d'un homme et d'une femme aux caractères bien opposés qui vont faire un long voyage ensemble. » J'imagine la réponse de Jean Dujardin qui serait, en substance, « mais comme dans vos précédents films, cher Claude ». Et ce serait bien de la mauvaise foi de ma part de reprocher sa constance au cinéaste. Il a un sujet, le couple, et il s'y tient depuis son tout premier film.

Depuis 55 ans, les titres de ses films supposent une addition. Un homme et une femme, Les Uns et les autres, Le Chat et la souris, Il y a des jours et des lunes, Les Bons et les méchants, Hasards et coïncidences, Edith et Marcel. Toujours pour être de bonne foi, certains de ses titres ne sont pas des additions. Mais dans sa candeur extrême (parfois très plaisante), il reste persuadé qu'additionner deux idées, deux prénoms, deux antonymes suffit à enclencher le moteur de la fiction, une fiction forcément positive. + et + = +, CQFD.

Si l'on compare avec ses collègues de la Nouvelle Vague (eux, parce que Lelouch a commencé en même temps qu'eux, eux, parce qu'il a une obsession pour la Nouvelle Vague dans Un + une), les titres font appel à la division, la soustraction, la multiplication (Une femme est une femme de Godard – soustraction des deux hommes, Jules et Jim de Truffaut – soustraction de Jeanne Moreau, Quatre aventures de Reinette et Mirabelle de Rohmer – multiplication de l'action, Céline et Julie vont en bateau de Rivette – division de l'action par deux). Des titres proches mais totalement opposés dans le fond.

Dans Un + une, Jean Dujardin incarne un compositeur de musique de films. Il doit s'atteler à celle d'un cinéaste de la Nouvelle Vague indienne qui tourne Juliette et Roméo (décidément, on n'en sort pas). Il est joyeusement accueilli dans un Mumbai coloré et animé par l'ambassadeur de France (Christophe Lambert) et Anna, son épouse (Elsa Zylberstein). Dujardin s'appelle Antoine Abeilard, nom qui m'évoque La Belle histoire avec ses histoires d'abeilles qui, de Jésus à Gérard Lanvin, étaient racontées par Paul Préboist.

C'est sans doute à La Belle histoire, ce sublime film choral de 1992, que Un + une ressemble le plus, mais avec une plus grande modestie. Antoine et Anna partent en train dans l'Inde profonde à la conquête de leur destin, ce fatum de la réincarnation qui va coloniser les dialogues des deux personnages. Le cinéaste n'a plus besoin de 2000 ans d'histoire, de vingt personnages pour aborder son sujet fétiche, les couples qui se forment parce qu'ils n'avaient pas d'autre destinée. La démonstration se fait avec moins de grandiloquence qu'avant.

En abandonnant la choralité de ses films précédents, Claude Lelouch permet à Jean Dujardin de se lover totalement et avec aisance dans son univers. Son bagout, son sens de la répartie et ses mimiques écrasent totalement Elsa Zylberstein, un peu perdue dans toutes les digressions et les improvisations sur lesquelles repose le cinéma de Claude Lelouch depuis 25 ans. Les meilleures scènes du film sont celles entre Jean Dujardin et Venantino Venantini, revenant du cinéma de papa, qui joue son père. PS : le générique de fin commence par le nom de l'auteur des « aphorismes » (sic).

3 commentaires:

Jacques Boudinot a dit…

Oaah, Jean, tu connais super bien Claude Lelouch.
J'aurai jamais imaginé.
Je n'irai quand même pas le voir, faut pas pousser.
Le PS est très énigmatique ...(c'est de circonstance)

Jean Dorel a dit…

Je n'ai fait qu'une liste de titre (l'âne à listes). Mais cette constance thématique prouve que Lelouch est un auteur, non ?

Jacques Boudinot a dit…

Oui, il n'y a pas de doute. Lelouch nous parle toujours de
la même chose, avec la même ivresse et la même naiveté.
Par-contre, s'il y a bien un truc sur lequel il est inconstant,
c'est sur la qualité de ses films.