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mardi 26 novembre 2019

La Dame du vendredi (Howard Hawks, 1939)

Il faudra 10 bonnes minutes à Hildy Johnson (Rosalind Russell) pour dire à Walter Burns (Cary Grant), son ancien patron et son ancien mari qu'elle va épouser Bruce Baldwin (Ralph Bellamy, Walter trouve d'ailleurs dans une réplique que Bruce ressemble à Ralph Bellamy) son nouveau fiancé. 10 minutes où dans le bureau de Walter, au sein de la rédaction du Morning Star (le même nom de journal que dans La Joyeuse suicidée également écrit par Ben Hecht), Hildy et Walter vont discuter à bâton rompu sur ce qu'il pense être son retour au journal. Elle vient au contraire dire adieu et le gentil Bruce l'attend dans la salle d'attente.

Les coups de téléphone s'enchaînent. Walter appelle son plus fidèle assistant Duffy (Frank Orth) pour avoir des nouvelles du condamné à mort qui doit être exécuté à la prison de New York. Ça va vite, il cherche à convaincre Hildy de rester à la rédaction avec une arrière pensée qu'il dissimule mal à son ancienne épouse qu'il va tout faire pour l'empêcher de partir à Albany, capitale de l'Etat de New York (où Walter n'est allé qu'une fois) pour épouser ce vendeur d'assurances. Oh, Hildy n'est pas dupe, elle a bien compris le manège de son divorcé de directeur. Elle met son haut chapeau, prend sa valise et son manteau et rejoint Bruce.

Deux c'est un couple, trois c'est une foule. Hildy va revenir au Morning Post, abandonner Bruce et épouser Walter mais elle ne le sait pas encore. C'est que Walter ne va pas lâcher son ancienne femme. Il s'incruste au restaurant et se met entre Hildy et Bruce pendant ce déjeuner. Il ne renonce pas d'autant que le l'horloge tourne. Le couple doit prendre le train à 16 heures. L'une des idées de ces 20 premières minutes de La Dame du vendredi donnent la sensation d'un film en temps réel, ce qui est l'inverse du théâtre filmé. C'est une course contre la montre dans laquelle s'engage Walter et entraînant avec lui Hildy puis tous les autres personnages, et ils sont nombreux et tous franchement excités et hystériques.

Les répliques ne sont pas forcément données à toute vitesse, contrairement à la réputation qu'à souvent le film, mais les répliques se chevauchent et se superposent d'autant que Howard Hawks pratique un sens du montage différent selon les scènes. Dans le bureau de Walter, ce dernier et Hildy sont filmés tous les deux la plupart du temps en plan d'ensemble et debout. Au restaurant, ils sont assis et le couple Bruce et Hildy est découpé dans un affrontement irrémédiable, il annonce déjà ce qui va arriver. Petit à petit, elle écoute le bagout de Walter, ses boniments, d'autant que lui, au contraire, n'écoute pas Hildy. Quant à Bruce, il est vite débordé par les événements, il obéit à sa fiancée qui reporte le départ pour Albany.

Walter a réussi à se débarrasser provisoirement de ce nouveau fiancé, lui-même va quitter le cadre du film quand Hildy se rend dans le mess de presse attenant à la prison où l'exécution doit avoir lieu. Elle n'est pas seule, une demi-douzaine de journalistes sont là aussi pour suivre cette exécution. Le condamné a fait appel et doit être expertisé par un psychologue. C'est déjà le soir. On remarque deux choses, elle est la seule femme mais aussi chaque journaliste a sa version de l'histoire de Williams (John Qualen). Howard Hawks prend un plaisir non feint pour ironiser sur leur incompétence, on rit de ces hommes qui se contredisent les uns les autres comme s'ils inventaient l'actualité et les faits. Personne ne sait ce qui s'est passé.

Le téléphone est l'objet le plus présent dans le film. Tout passe par le téléphone et plutôt que discuter directement (Walter avec Duffy end ébut de film par exemple, en se déplaçant) passe par le coup de fil. Quand Walter veut éloigner Hildy de Bruce, il appelle Louie (Abner Biberman), un truand – il en la gueule – qui va piéger le pauvre fiancé avec les manigances de Walter. Le téléphone est utilisé avec frénésie dans les scènes qu QG des journalistes, ça sonne, ça appelle, ça donne des scoops, des fausses infos, des mensonges. Tout le film devient un vaste défoulement de la parole fausse dès que le téléphone est saisi. L'objet est le sujet de moquerie de la part du cinéaste, l'objet de la vérité comme du mensonge.

Le spectateur riait jusqu'à présent mais Howard Hawks change brusquement de ton avec l'arrivée de Mollie Malloy (Helen Mack) dans la salle de presse. Elle se plaint que les journalistes ont menti et eux se moquent d'elle avec une violence troublante que le cinéaste a rarement utilisé. Il se moquait gentiment de la presse, de sa recherche du scoop, de ses arrangements avec la réalité. Mais il poursuit dans un plan d'ensemble impressionnant où tous ces hommes semblent n'être que des prédateurs devant une proie facile. Il continue avec les magouilles des politiciens car le maire (Clarence Kolb) brigue un nouveau mandat et une exécution serait bon pour sa réélection (je n'ai compris pourquoi, mais c'est une récurrence dans le cinéma américain).


Il existe ainsi au sein de La Dame du vendredi, film court à peine 1h28', tout une florilège de registres. La comédie pure qui consiste à une situation matrimoniale compliquée qui se mâtine parfois de film de pègre avec l'ami Louie, impossible de ne pas penser à Scarface en le voyant régulièrement piéger le pauvre Bruce. Un film de journalistes où Howard Hawks montre leur légèreté. Un film politique féroce et un suspense haletant puisque les personnages s'affrontent sur le destin de Williams qui finit par s'évader. La grandeur du film tient dans l’imbrication de tous ses éléments, tout paraît si simple de filmer tant de monde, tant de situations, tant de rebondissements. Le cinéma total.



























jeudi 8 novembre 2018

Le Port de l'angoisse (Howard Hawks, 1944)

Selon Todd McCarthy dans sa monographie sur Hawks, Le Port de l'angoisse devait à l'origine se dérouler à Cuba, Bogart devait être confronté à des trafiquants et coucher avec Bacall. Mais la censure en a décidé autrement et Howard Hawks en engageant William Faulkner pour contrer la censure décide de déplacer le film en Martinique, colonie française sous la férule de Pétain (dont on voit un portrait sur une affiche murale) mais où Harry Morgan (Humphrey Bogart) évoque De Gaulle.

Le tournage, toujours selon McCarthy, est improvisé, les scènes et dialogues écrits deux ou trois jours avant les prises de vue (qui eurent lieu en janvier et février 1944 avant la Libération) et Howard Hawks met en scène dans la continuité de l'histoire ce qui est permis par la concentration du récit sur quelques jours et situe l'action dans l'hôtel que tient Frenchy (Marcel Dalio). Harry Morgan vit dans une chambre, il loue son bateau aux derniers touristes américains venus chasser l'espadon dans la mer des Caraïbes.

Des Américains résident encore ici, Vichy vient tout juste d'être mis en place et Harry Morgan ne fait pas de politique. Quand le chef de la police Renard (Dan Seymour), obèse coiffé d'un béret, les yeux très largement cernés, toujours suivi par deux agents de la police, dont l'un le plus mystérieux ne dit jamais un mot (Morgan à chaque fois lui demande s'il sait parler) mais condamne d'un simple regard, vient interroger Harry, il l'accuse de dénigrer Vichy et se verra confisquer son passeport et l'argent qu'on lui doit.

Harry Morgan est ainsi condamné à rester en Martinique, dans cet hôtel et dans cette chambre. La chambre d'hôtel, spacieuse, avec en son centre un bureau et dans le bureau une boîte d'allumette. Une nouvelle venue dans l'hôtel, une certaine Marie (Lauren Bacall) qui loge, ô hasard qui fait bien les choses, juste en face de Harry Morgan, a besoin d'une allumette pour allumer sa cigarette. Harry lui jette la boîte, elle lui renvoie quand elle fume enfin. Marie dans l'angle de la porte n'aura pas bougé mais fixé Morgan en levant les yeux et baissant le menton, the look.

Dans cette chambre, elle prononce le célèbre conseil pour lui apprendre à siffler s'il a besoin de la voir. Ce sifflement, c'est le retour du passé de Marie que Harry Morgan appellera Slim, elle nommera l'homme Steven (Slim était le surnom de l'épouse d'Howard Hawks). Ce passé est celui d'une femme sans bagages, c'est-à-dire une prostituée, même s'il est impossible de le dire si crûment dans le film, censure oblige. Slim est une femme qui a du répondant et les dialogues et répliques entre Slim et Steven sont, comme leur surnom, cryptés de références sexuelles.

Car dans le tiroir de ce bureau, il n'y a pas seulement une boîte d'allumettes, il s'y trouve aussi un revolver, le symbole phallique par excellence, pas encore aussi développé que dans Le Grand sommeil que le couple Bogart Bacall tournera après Le Port de l'angoisse. C'est ça qui est beau, cette histoire d'amour qui naît entre les deux acteurs, ces regards qu'ils se lancent à chaque détour de plans, on peut passer tout le film, surtout dans les scènes où ils ne sont que tous les deux, à observer comment les corps s'approchent et les yeux se fixent.

S'il en est un qui n'est jamais fixé sur ses deux pieds, c'est Eddy le personnage de soûlard invétéré de Walter Brennan à la démarches incertaine. Il a une histoire de piqûres d'abeille morte à raconter, ce sera la seule histoire qu'il peut raconter, sobre ou ivre. Il n'a aucune mémoire de ce qu'il a fait avec Harry Morgan, ce qui arrange bien ses affaires. Ainsi quand Renard cherche à l'interroger, il perd son temps à être immergé dans des fausses histoires, comme si ce que faisait Harry Morgan n'existait pas, l'homme disparaissant derrière la figure créée par Slim, ce personnage de Steven.


La chambre à l'étage où Steven et Slim s'aiment (film d'amour), la cave au sous-sol où la résistance est blessée et soignée (film de guerre). Entre les deux, le salon de l'hôtel et le piano de Crickett (Hoagy Carmichael), cure-dents à la bouche, comme George Raft jouait avec sa pièce. On a là des séquences totalement déconnectées du reste du récit, des moments de comédie musicale (Am I Blue, Hong Kong Blues et Limehouse Blues, composition qui deviendra le thème principal de Alice de Woody Allen), Lauren Bacall chante une chanson, How little we know.