mardi 30 juin 2020

J'ai aussi regardé ces films en juin


Si c'était de l'amour (Patric Chiha, 2019)
Le premier plan séquence est mystérieux, en fond sonore de la techno, à l'image un défilé de jeunes gens, tous beaux, tous souriants, viennent se faire asperger à la sulfateuse (c'est bien sûr de l'eau pour simuler la transpiration. Leurs gestes sont lents, ils bougent en saccadé, c'est ainsi que la chorégraphe Gisèle Vienne les met en scène. Sa parole se fait entendre avec un slogan « plonge dans le sol ». Sur la scène du théâtre où la représentation est répétée de la terre, voilà le sol en question. Et toujours ces déplacements lents, c'est très beau d'autant que la caméra de Patric Chiha scrute les gestes, les visages, les peaux, l'extase qui est en train d'arriver chez tous ces jeunes filles et garçons. Pour ainsi dire, Si c'était de l'amour est l'extrême inverse de Climax de Gaspar Noé, ça commence par de la danse. Gaspar Noé pensait pouvoir filmer de l'énergie mais il ne filmait que les vent entre la gestuelle emphatique de ses danseurs, puis il faisait dialoguer deux par deux ses personnages, les pauvres se contentaient de débiter une somme de clichés. Patric Chiha fait la même chose. Ce qui se passe dans les dialogues de Si c'était de l'amour est la construction des personnages sans qu'on sache si les danseurs parlent d'eux ou des personnages que Gisèle Vienne a inventé pour cette soirée techno. La polyphonie (anglais, allemand, français, suédois), comme dans Brothers of the night est là, les corps se désirent, ils se dénudent, ils se touchent, ils se repoussent, ils se trouvent. Mieux que ça, un peu d'humour est distillé ici et là. Mieux que Gaspar Noé, Patric Chiha abat encore une fois la frontière entre documentaire et fiction jusqu'à une abstraction presque vertigineuse.

Nous, les chiens (Ho Sung-yoon & Lee Chon-baek, 2018)
Ce film d'animation coréen (denrée rare, je n'ai vu que Mari Yiagi, Oseam, Aachi & Ssipak et King of pigs) parle d'un sujet que, je crois, je n'ai jamais vu au cinéma : les fermes à chien. Des chiens sont élevés soit pour leur fourrure (comme le bébé chien capricieux et espiègle), soit comme mère porteuse (comme la chienne « sauvage »), soit comme aliment (eh oui, en Corée on mange du chien). On n'en parle peu – je me rappelle que certains athlètes au JO de 2018 s'était fait l'écho de cette exploitation scandaleuse). Les chiens de ce film qui se sont échappés sont donc constamment traqués par le tenancier de la ferme, un type au visage particulièrement soigné, un tronche patibulaire, mal rasé, hurlant, les yeux cruels. Bref, pas un rigolo. Il va à la chasse avec sa voiture polluante, il fonce dans la forêt et la montagne et se fait de capturer les fuyards une mission personnelle. Dans ce film les chiens parlent, l'anthropomorphisme joue à fond, ce qui crée le souci majeur du récit, ils agissent autant avec des sentiments humains qu'avec des réactions canines. On reste le cul entre deux chaises.

Un fils (Mehdi M. Barsaoui, 2019)
Mehdi M. Barsaoui a été à bonne école, il a été l'assistant de la cinéaste tunisienne Kaouter Ben Hania (Le Challat de Tunis, La Belle et la meute), un peu logiquement, il prend dans son premier film des sujets brûlants qui ont traversé la Tunisie juste après la chute de Ben Ali : la place de la femme dans la société (ici on ne lui laisse rien faire pour aider son fils qui a reçu une balle perdue sans l'accord de son mari), la vague terroriste (la chute de la Libye n'est pas loin, merci Sarkozy), l'infidélité (la raison du drame vécu), la bourgeoisie insouciante des villes (la famille part en week-end à Tataouine, mal lui en prend), le don d'organes et sa conséquence le trafic de jeune enfants, sans doute les deux sujets les mieux traités dans le film où le père passe d'un hôpital à bout de souffle à une clinique privée où la corruption règne. Le film cherche à frôler le thriller psychologique et effectivement on parle beaucoup, les personnages s'interrogent longtemps sur leur passé et leurs actes. Ça fait beaucoup de sujets et si le film retombe sur ses pattes, c'est vraiment parce que le cinéaste fonce, ne prend pas de gants pour dépeindre l'enfer que vivent ces deux parents. Ce qu'on appelle un film coup de poing.

Jumbo (Zoé Wittock, 2019)
Régulièrement le cinéma français frôle le cinéma de genre, ici le fantastique domestique. Une jeune femme mal dans sa peau tombe amoureuse d'une attraction foraine, un peu comme si Megan Fox était éprise d'un Transformer, en vérité la cinéaste cherchait à talonner vers le Crash de David Cronenberg, le maître des sexualités déviantes. Le jeu de Noémie Merlant est tout en douceur avec des scènes où elle discute avec le manège de manière naturelle. Hommage à Under the skin de Jonathan Glazer (une des inspirations du film) quand elle se trouve enduite de cambouis comme si elle venait de se prendre une éjaculation faciale de l'attraction mécanique. En revanche, les deux autres personnages sont plus pénibles. Emmanuelle Bercot joue la mère et elle ne semble toujours pas être remise de son rôle dans les films de Maïwenn (c'est très pénible). Thomas Bouillon, l'acteur le plus insipide depuis Raphaël Personnaz devrait un type dur, arrogant qui harcèle la jeune femme, mais il en est loin. J'ai parfois eu l'impression de voir un court-métrage étiré jusqu'à plus soif, on reste loin des énigmes de Crash et Under the skin, très loin. Peut-être pour son deuxième film.

lundi 29 juin 2020

Jean de Florette + Manon des sources (Claude Berri, 1986)

« Le destin ça n'existe pas ». répond avec colère César Soubeyrandit le Papet (Yves Montand) au tout début de Manon des sources. C'est la faute du destin penses son neveu Ugolin (Daniel Auteuil) s'il ne s'est jamais marié. Dans la famille Soubeyran pour ne pas dilapider leur or, leur fortune dont ils sont si fiers, ils se sont mariés entre cousins. « Deux folles et trois suicidés, voilà ce que ça a donné ». Et dans le genre un peu mal fini, le Galinette, comme l'appelle son oncle est pas mal.

Dans la première séquence de Jean de Florette, Ugolin revient au village en car. C'est la quille, qu'il porte autour du cou, il a fini son service militaire. Daniel Auteuil s'est fait un visage de brave couillon, une prothèse dentaire qui le rend laid, des cheveux roux qui lui donnent un air hirsute, des haillons qu'il semble porter toute l'année. Il monte dans ce qui lui sert de logis, une cabane en flanc de collines à quelques pas plus haut de la grande ferme du Papet.

Cette ferme c'est le dernier bastion des Soubeyran, la famille la plus riche des Bastides Blanches, comme tout le monde se répète à le dire. Le Papet est resté vieux garçon, on comprendra vite qu'il est resté amoureux toute sa vie de cette Florette, une fille du village qui aurait trahi la communauté en épousant un gars de Crespin. Querelle de clocher ! Le Papet a gardé depuis 30 ans le peigne de Florette, son seul souvenir d'elle qu'il fétichise en secret.

Yves Montand lui pour incarner ce César, totalement différent du César de la trilogie de Marseille, s'éloigne autant que possible de la truculence de Raimu. Il porte toujours son chapeau de feutre, une sorte de couronne pour bien montrer aux autres du village son statut. Des beaux habits aussi et souvent un cravate ce qui dans la garrigue provençale doit donner drôlement chaud. Mais il faut garder son rang de notable.

Ugolin est revenu de l'armée avec des boutures d’œillets. Voilà son projet, cultiver des œillets qu'il compte vendre très chers au fleuriste de Manosque (joué par Francisned le petit frère de Fernandel). Avant de dévoiler son projet, il le tien secret à son oncle. Seulement voilà, sa terre est bien pauvre (ça pousse surtout des cailloux) alors il vise la ferme des romarins que tient le frère de Florette un certain Pique-Bouffigue au caractère bien trempé.

Notre homme du haut de ses oliviers centenaires refuse l'offre d'achat du Papet. Tout colère, il veut les chasser du terrain mais tombe de son olivier, le Papet le fait tournoyer par les pieds et le Pique-Bouffigue meurt. Quelle aubaine en fin de compte. Pas d'héritiers, les Soubeyran vont vite pouvoir acheter la ferme qui sera probablement mise aux enchères. C'est évidemment sans compter sur le destin car voici, quelques jours plus tard, que Ugolin voit arriver un trio tout endimanché.

Le voilà enfin ce Jean de Florette, ce bossu sans l'accent que joue Gérard Depardieu mais avec un beau costume cravate. On apprendra en toute fin du diptyque d'où vient sa bosse qui il est, fermant la boucle de ce destin funeste, de la fatalité qui s'abat sur la famille Soubeyran. Jean Cadoret est marié à Aimée (Elisabeth Depardieu), une cantatrice à la retraite et ils ont une fille Manon (Ernestine Mazurowna), que jouera Emmanuelle Béart dans la deuxième partie.

Le complot du Papet se met en place petit à petit. Ugolin va jouer au gentil voisin, un peu couillon, affable, serviable mais il est l'espion de son oncle qui improvise un plan pour nuire à Jean de Florette. Ils ont bouché la source de la ferme des romarins, ce qui est un crime en soi. Tout le monde le sait au village, mais personne ne dira rien. Comme on l'entend plus tard, ça n'est pas l'affaire des villageois, chacun se mêle de ce qui les regarde.

Sans eau, il est difficile de cultiver de « l'authentique » comme se moque le Papet. J'ai toujours aimé cet accent que Yves Montand et Daniel Auteuil prennent pour ces discussions dans la cuisine pendant les repas servis par la domestique muette du Papet. Cet authenticité dont ils rient sous cape, alors que Jean a étudié dans des livres l'agriculture, il ne parle que chiffres, rendements, lapin, coucourde et citerne d'eau. Et les deux attendent l'échec du bossu.

Puisque le destin se met lentement en place avec ce faux-jeton de Galinette qui a ensorcelé Jean de Florette malgré les réserves de sa femme et les remarques de Manon (« il est laid »), il faut qu'il s'accomplisse avec la fin tragique de l'apprenti fermier qui voit ses récoltes de maïs sécher, ses courges pourrir sur pied et ses lapins crever de soif. Et pendant ce temps, Ugolin l'observe, les yeux baissés de honte, se crever à porter de l'eau à dos d'annesse.

Ce qui est très fort dans la mise en scène de Claude Berri, ce qui est rappelé à la fin de Manon des sources, c'est que César n'a jamais adressé la parole à Jean, qu'il ne l'a jamais regardé dans les yeux, qu'il n'a jamais entendu le son de sa voix. Il l'observe de loin, l'espionne, satisfait de son échec. La seule fois où les deux hommes se font face, c'est au terrain de pétanque quand une boule manque de percuter les Cadoret, mais Jean ne dit pas un mot.

Manon des sources commence 10 ans plus tard, après la mort accidentelle de Jean de Florette. La ferme des romarins est exploitée par Ugolin. Ils ne le savaient pas mais Manon l'avait vu déboucher la source, elle s'était enfui en hurlant. Depuis, c'est une bergère. Emmanuelle Béart gambade sur les collines, loin du village, elle ne sait pas encore qu'elle va parvenir à se venger de la mort de son père causée, avec tant de cruauté, par les Soubeyran.

C'est le nouvel instituteur (Hyppolite Girardot) qui va tout enclencher, qui va, sans le savoir, fournir le mode opératoire du destin. Il s'intéresse à la nature, il s'intéresse à la fontaine qui alimente le village en eau. Alors bien-sûr, cette deuxième partie que j'aime moins que la première, est celle des amours, la jeune bergère est attirée irrésistiblement par le jeune instituteur, ils se comprennent, ils s'aident, ils partagent des secrets.

Mais ce qui est de plus beau c'est la fatum que se coltine Ugolin, ses cris dans les collines « Manon, Manon, je t'aime d'amour », ce ruban qui appartient à Manon et qu'il se coud sur le poitrail, ses maladresses qui confinent à la bêtise crasse quand il continue encore et encore de suivre les conseils de son oncle. Sa gueule, au fur et à mesure qu'il souffre de cet amour en sens unique, part de plus en plus de traviole. La tragédie s'accomplit.


J'ai vu Jean de Florette au cinéma quand j'avais 14 ans et demi, j'allais peu au cinéma quand j'étais adolescent. C'était d'autant plus rare que mon père détestait Yves Montand et tout ce qu'il représentait pour lui. Là encore, le film de Claude Berri m'a toujours impressionné, je le connais par cœur, je peux faire de chouettes imitations d'Ugolin et du Papet et j'ai toujours dans un coin de ma mémoire l'air d'harmonica de Toots Thielemans titré « la force du destin ».