dimanche 31 mai 2020

Bronco Billy (Clint Eastwood, 1980)

Il y a tout juste 40 ans sortait Bronco Billy sur les écrans américains (en ce temps-là, les films mettaient ensuite plusieurs mois à sortir en France) et aujourd'hui Clint Eastwood a 90 ans. Bon anniversaire à lui. Au train où ça va, il va continuer à réaliser des films encore longtemps. Bronco Billy n'est pas le film le plus connu de Clint Eastwood coincé entre quelques projets peu personnels que je n'aime pas beaucoup. C'était avant que tout le monde ne découvre Honky Tonk Man en 1982.

« Everybody loves cow-boys and clowns » dit la chanson qui illustre le générique d'ouverture où la caméra s'approche lentement du chapiteau du cirque de Bronco Billy, le Wild West Show. Peu de monde dans le parking, peu de monde pour assister au spectacle dans cette contrée perdue du Montana dans les couleurs de l'automne qui arrive. Mais le spectacle commence et c'est l'occasion pour Clint Eastwood de présenter ses partenaires à l'écran.

Le Monsieur Loyal est Doc (Scatman Scrothers), tout sourire qui encourage à applaudir les rares spectateurs. Sur la piste se suivent, le chef Indien Big Eagle (Dan Vadis) le dompteur de serpents et sa femme Petite Source (Sierra Pecheur), l'homme au lasso Leonard Jones (Sam Bottoms). Les numéros ne sont pas terribles et sont lancés sur des ressorts comiques avec l'Indien qui se fait mordre par l'un de ses crotales. Mais le clou du spectacle arrive.

Bronco Billy (Clint Eastwood) fait enfin son entrée, vanté par Monsieur Loyal d'être la plus fine gâchette de tout l'ouest, d'être un tireur d'élite. Sa jeune assistante jette des assiettes, il les tire comme des pigeons avec ses revolvers. Les enfants adorent. Puis, il ligote l'assistante sur une roue que Leonard et Main Gauche (Bill McKinney) font tourner. Au grand effroi de le jeune femme qu'il a recrutée quelques heures auparavant comme il le fait chaque fois.

Une ville suit une autre, mais les recettes sont maigres et la petite troupe se plaint à Doc de ne pas avoir été payée depuis six mois. Sous la pluie, Bronco Billy klaxonne trois fois, arrête le convoi et vient faire la morale à toute le monde. A vrai dire, il les culpabilise. Il leur rappelle qu'il les a tous aidés jadis quand ils en avaient. Ah, il les a sauvés et eux, ces ingrats, voudraient maintenant partir ? Penauds, ils s'excusent et tout le monde repart.

C'est que Bronco Billy aime bien faire ses petits discours paternalistes. Ce sont des discours que Clint Eastwood professe sous le signe de l'humour. Il n'hésite pas à se ridiculiser lui-même en les tenant. Avec les enfants dans les gradins, c'est pareil. Il les appelle « mes petits crapauds » (pardners en anglais), dans ces sous-titres qui savent bien dénoter le ton ironique de tout le film – l'expression m'a toujours amusé. Puis, il leur demande d'être bien sage, d'obéir aux parents et de faire leur prière.

L'une qui n'est pas franchement sage, c'est Antoinette Lily (Sondra Bullock). Elle n'est pas encore dans la troupe de Bronco Billy. Pour l'instant en ce début de film, elle n'est qu'une héritière partie se marier en cachette dans l'Idaho avec un coureur de dot, John Arlington (Geoffrey Lewis). Elle compte échapper à sa belle-mère Irene (Beverly McKinsey) qui vit à New York. Pour tout dire, Antoinette est une peste et sa nuit de noce le montre clairement.

Seulement voilà, ce mari délaissé se fait la malle le lendemain. Antoinette lui avait dit, recouverte d'un masque de beauté en argile vert « Si vous me touchez encore sans ma permission, j'annule la procuration sur mon compte ». Il pique ses affaires, ses bijoux et la laisse sans une pièce pour téléphoner à cette belle-mère qu'elle déteste. Il ne reste que Bronco Billy pour lui prêter les 10 cents pour appeler en PCV. Ça sera retiré de son salaire.

Vêtue d'une pauvre robe grise qu'elle a piqué dans une station service, Miss Lily, comme tout le monde va désormais l'appeler, se trouve bien penaude. Bronco Billy l'a déjà embauchée pour devenir sa cible sur la piste du cirque. Mais elle ne l'entend pas comme ça. Elle se montre vite revêche et rebelle. Pire que ça, elle montre à son patron qu'elle sait aussi bien tirer au revolver que lui. Clint Eastwood fronce les sourcils comme il sait si bien le faire.

Il faut voir dans ses premières scènes à côté de Clint Eastwood, Sondra Locke courir comme un petite chatte insolente derrière ce géant. Ces deux corps si différents, ces deux personnalités pourvues de mentalités si opposés, sont ce que je préfère dans le film. Le film trouve le parfait tempo dans sa première demi-heure pour ce comique un peu caustique que Clin Eastwood élabore. Il aurait pu tourner plus de comédies.

Tout dans Bronco Billy énerve Miss Lily et c'est cela qui est drôle dans tout le film. La comédie se déroule parfaitement bien dès qu'elle est, contrainte et forcée, de rester dans la troupe, toujours avec cette pauvre robe. Elle doit subir la radinerie de son patron, son goût pour la country, les bagarres dans les saloons, les représentations dans les orphelinats. Et un jour, elle lit dans le journal que John Alington est accusé de l'avoir assassinée. Elle décide donc de rester.

Les spectateur l'a compris à l'avance, Miss Lily et Bronco Billy sont amoureux l'un de l'autre. Les chamailleries perpétuelles en témoignent. Il faudra évidemment du temps pour qu'ils s'en rendent compte réciproquement. Le film fonctionne ainsi, un road movie où chaque étape, chaque show donné est l'occasion de mieux connaître chacun. Car ce que disait Monsieur Loyal en début de film n'est qu'une image, pour tout dire un cliché du far-west.


Les coups durs permettent à Clint Eastwood de creuser les personnalités de chacun. Antoinette découvre petit à petit ce qui a réuni la petite troupe et ce qui les fait tenir ensemble depuis une dizaine d'années. L'humour potache du début se transforme petit à petit en tendresse jusqu'au finale faussement démagogique mais vraiment émouvant, droit dans les yeux du spectateur, où Clint Eastwood remercie d'être venu assister à ce joli spectacle qu'est le petit cirque de Bronco Billy.


































samedi 30 mai 2020

L'Hérétique (John Boorman, 1977)

Un de mes amis m'a prêté son DVD de L'Hérétique en me prévenant que le film a une sale réputation. Ce que j'ignorais parce que le film avait fait la couverture de Positif avec un solide entretien avec Michel Ciment et qu'il avait fait l'objet d'un numéro de l'Avant-Scène Cinéma à sa sortie en salles en France en février 1978. Ça date. Je suis assez neutre sur John Boorman, je connais à peine plus son cinéma que celui de William Friedkin.

Linda Blair rempile dans cette fausse vraie suite. Elle porte le même nom de personnage, elle est Regan, c'est la même actrice mais elle n'est plus la même Regan ni la même actrice. Elle a grandi, elle s'est adoucie et John Boorman la filme en ange blanc entourée de colombes au sommet d'un immeuble, elle est vaporeuse, éthérée, elle s'apprête à s'envoler dans les airs, au bord de la terrasse, avant de revenir sur terre.

Elle évolue dans un univers parallèle à L'Exorciste. Dans L'Hérétique les décors sont tout sauf réalistes. Regan passe une bonne partie de ses journées dans le cabinet du Dr. Gene Tuskin (Louise Fletcher, c'est étonnant de la voir après Vol au dessus d'un nid de coucou, chaque fois dans un rôle de psychiatre). C'est un cabinet transparent où les patients circulent, se croisent, se rencontrent, tout est ouvert, glissant, lumineux bien que sous-terrain.

Finalement ce décor moderne mais daté évoque ceux de Zardoz où le futur est coincé dans le passé. C'était des bulles de plastic au milieu de fermes typiquement irlandaises dans Zardoz, c'est une terrasse d'immeuble pleine de miroirs, des bureaux transparents et une Afrique fantasmée avec un village aux rues étroites (la ligne horizontale) et un monastère accessible entre deux rochers (la ligne verticale). On est presque chez Pasolini.

L'Afrique vient en vision au curé du film, le père Philip Lamont (Richard Burton). Il ouvre le film avec justement un couloir étroit photographié en clair-obscur où une jeune femme est possédée. A peine le prêtre est-il arrivé qu'elle est prise de spasmes bien que tenue par les villageoises. Puis, elle s'immole devant le curé qui n'en supporte pas la vision. Il est terrifié, mais il le sait, il doit prendre la relève du père Merrin (Max Von Sydow).

Là est sans doute le moment de parler de Richard Burton et de son jeu, comment dire, halluciné. Il semble jouer comme dans une autre époque, il est dans les années 1960, dans une adaptation de Tennesse Williams. C'est parfois à la limite du supportable de la voir hébété, avec une lenteur toute théâtrale, mais ça va plutôt bien avec ce que John Boorman a envie de faire avec son film, là encore comme une prolongement à Zardoz, une réflexion sur l'hypnose.

Dans l'Afrique visitée par Merrin puis par le père Lamont, les fléaux sont dirigés par une grande sauterelle filmée en gros plan et chassée par un être étrange, le dénommé Kokumo (Joey Green jeune et James Earl Jones âgé). John Boorman essaie à placer du mystère dans ce personnage poursuivi par le démon et que Merrin a soigné. Lamont pense qu'il possède les clés pour tuer le démon qui possède encore Regan.

Evidemment, les spectateurs d'alors et d'aujourd'hui qui attendaient un volet qui ressemble au film de William Friedkin en sont pour leur frais. John Boorman prend l'exact contre-pied. La religiosité de L'Exorciste est ici remplacé par un paganisme anarchisant (là encore, c'est un prolongement de Zardoz). L'Afrique profonde, le monastère éthiopien visité par Merrin (dans une version jeune de son personnage) deviennent des souvenirs de Regan et Lamont.

Cette hypnose inventée par le Dr. Tuskin, c'est une simple machine lumineuse qui plonge dans les souvenirs. Je n'ai pas bien compris comment le père Lamont arrive dans le cabinet de la psychiatre. Mais il faut lancer le film sans précaution, sans lourdeur historique. Lamont se met immédiatement au travail et se va chercher le démon qui habitait jadis Regan. Le voilà dans une transparence de l'image à côté de Regan en train de chercher à voler le cœur du Dr. Tuskin.

Entre les deux films, les deux récits, Regan a acquis un pouvoir, celui de lire dans les esprits. J'aime beaucoup cette scène où elle parle, avec un grand sourire, à une jeune fillette autiste. Et l'enfant se met pour la première fois de sa vie à parler avec des mots, pour la première fois, elle peut être entendue. Regan dira au médecin « elle parlait à l'intérieur, elle parle maintenant à l'extérieur ». Elle ne savait pas qu'elle avait ce pouvoir.

Peut-être parce que c'est une « suite », L'Hérétique double tout. Les voyages se font d'abord dans l'esprit puis en réel, dans le passé puis le présent, le film récrit même L'Exorciste en supprimant l'existence même du père Karras, seul Merrin a défait le démon, de la même manière Chris la mère de Regan est absente (un tournage éloigné sans doute) et est remplacé par Sharon (Kitty Winn) qui revient dans la maison maudite à Washington avec le père Lamont.


J'avoue que tout n'est pas clair dans L'Hérétique, le récit se chevauche, se plie, se défait, mais il va plus loin dans la tension sexuelle que Regan désormais adulte crée. Le père Lamont en rupture de ban avec le Vatican est soudain pris d'une étrange attirance pour cette sainte. John Boorman cherche à détruire le mythe créé par L'Exorciste avec un finale grandiloquent et furieux, baroque et paradoxalement très calme.