Affichage des articles dont le libellé est Christopher Nolan. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Christopher Nolan. Afficher tous les articles

vendredi 4 septembre 2020

Tenet (Christopher Nolan, 2020)


Le palindrome « sator » est composé de cinq mots de cinq lettres (SATOR AREPO TENET OPERA RATOS) où Tenet se lit de bas en haut, de haut en bas, de droite à gauche et de gauche à droite. Sator est le personnage d'oligarque russe que joue Kenneth Barnagh sans aucune retenue, Arepo le nom d'un personnage qui n’apparaîtra jamais dans le film, Tenet est le mot MacGuffin du film, un mot un peu fourre-tout qui explique – très laborieusement – l'inversion en œuvre dans le récit et Rotas le nom d'une compagnie de surveillance.

Quant à l'opéra, c'est le lieu de la première séquence. L'orchestre ajuste ses instruments, stridences et couacs des notes, sans avoir le temps de se lancer dans le début de la représentation quand le chef d'orchestre est abattu par des hommes armés. La musique de Goran Löwansson se met en branle, une musique aussi tonitruante que celle d'Hans Zimmer mais plus solide. Ce qui s'ouvre devant mes yeux est du cinéma d'action de grande qualité, c'est-à-dire à la fois précis (les gestes sont au centre de l'image) et épuisant (ça n'arrête jamais).

L'immersion totale dans Dunkirk passait par le son omniprésent. Dans Tenet, Christopher Nolan choisit l'hypnose. Dans cet opéra tous les spectateurs sont anesthésiés par un gaz utilisé par les « terroristes ». Ils s'évanouissent dans une effet domino. Le spectateur du film doit subir la même illusion, il doit se laisser porter par ce récit où il ne faut surtout pas prendre garde aux incohérences, au retournements de situations et aux longues explications données par Susan (Dimple Kapadia), équivalent de l'Oracle dans Matrix des Wachowski.

La réalité est donnée uniquement au personnage de John David Washington, magnifique de bout en bout, à la fois spectateur de ce qui lui arrive (il n'en sait pas plus que le public dans la salle, lui aussi est pris par l'hypnose du scénario) et acteur principal des longues et jouissives scènes d'action, toutes plus amusantes et inventives les unes que les autres. Ce sont ces séquences d'action qui rythment le film, comme les chansons dans une comédie musicale. Il n'y a que cela à regarder, que cela qui soit de qualité, que cela qui fait que l'on tient ces 2h30 de Tenet.

L'ennemi du protagoniste (car on ne saura jamais son nom) est Sator, la femme à sauver est Kat (Elizabeth Debicki) des griffes de ce Sator, son mari qui, contrairement au protagoniste, sait toujours tout en avance. Le voilà le scénariste omnipotent du film. Avec chaque fois un coup d'avance, il crée les pièges temporels au centre de la longue aventure qui va de Bombay à Pompei, d'Oslo en Ukraine, ça ne s'arrête jamais et ce présent est redondant, dans une impossible forme de palindrome visuel (Raoul Ruiz en a tourné un en 1980, Un couple).

Le partenaire du protagoniste est Neil (Robert Pattinson), agent secret britannique qui vient à la rescousse de l'agent secret américain. Chacune des arrivées de Neil se produit comme par magie. Le protagoniste a besoin de son aide après avoir durement bataillé dans une séquence d'action, le voilà qui cause en marchant à ses côtés. C'est presque à se demander si Neil existe vraiment, s'il n'est pas tout simplement le fruit de son imagination, ce qui pourrait tout à fait être le cas dans la partition de son personnage de spectateur sujet à l'hypnose générale du public.

Paradoxalement, le film est assez faible en séquences marquantes, en scènes d'anthologie que les spectateurs du film peuvent se raconter. Il est relativement fade dans l'aspect visuel, tout est un peu sur la même tonalité, un gris parsemé de boue pas très engageant. C'est peut-être finalement pas si mal de passer de cinéaste culte (je me rappelle le délire des fans lors de la sortie d'Inception) à réalisateur d'un film où le spectacle est total, bine que régulièrement poussif. Il faudrait que pour son prochain film, il devienne un peu moins coincé dans les rets de son récit.

lundi 24 juillet 2017

Dunkerque (Christopher Nolan, 2017)

Dans Dunkerque, Christopher Nolan répond à une question essentielle et rarement abordée dans un film de guerre : comment un troufion fait-il pour chier ? Prenons notre jeune héros, un soldat anglais qui déboule, avec quelques autres soldats, dans une rue de la ville du Nord. Des tracts nazis tombent du ciel, il s'en saisit de plusieurs, le lit en vitesse, va s'isoler dans un coin et commence à défaire sa ceinture. Soudain, des snipers commencent à tirer. Les balles atteignent tous les autres, lui s'en sort mais sans avoir accompli son besoin pressant. Des soldats français l'accueillent derrière leur barricade, il poursuit son chemin vers la plage, s'isole derrière une dune et recommence à défaire son pantalon, s'accroupit et se soulage.

Cette ouverture n'a l'air de rien mais elle enclenche la méthode de Christopher Nolan et qu'on ne lui connaissait guère. Il filme le réalisme le plus cru, donc ici pour bien faire comprendre, un soldat anonyme qui veut chier et qui va en chier pendant 100 minutes pour ne pas mourir et rentrer en Angleterre, si possible sain et sauf. Une méthode toute simple, le minimum de dialogues et une caméra portée à l'épaule qui suit notre guide entre les obstacles qui se dresseront constamment devant lui. Derrière ce réalisme cru, Christopher Nolan accomplit aussi un nouvel hommage à l'un de ses cinéastes de prédilection, il fait encore mieux que Stanley Kubrick quand il ouvrait Eyes wide shut avec Nicole Kidman sur ses toilettes.

L'exégète enthousiaste (et Nolan en compte beaucoup) clamera que Dunkerque plonge en immersion son spectateur. Il a raison. D'abord le son qui frappe comme les premières balles qui sont tirées, un son poussé au maximum, étourdissant, complété par une partition de Hans Zimmer toute en boucle répétitive enveloppante, en crescendo, histoire de créer une ambiance sourde et malsaine. Effectivement, le spectateur que je suis est sorti lessivé de ce bruit constant. J'ai eu l'impression que la musique ne s'arrêtait jamais, sauf lors de l'épilogue pour une musique d'une grande mièvrerie. L'image est également à son maximum, tournage en pellicule 70mm, mais peu de salles peuvent projeter dans ce format, Warner Bros a envoyé aux exploitants de salle la méthode à suivre pour une projection optimale : un rognage de l'écran.

Le récit se déploie sur trois temporalités. Les soldats anglais (une semaine), le père de famille (Mark Rylance), son fils et un autre jeune sur un rafiot (un jour) et trois pilotes (une heure). Les temporalités se croisent, les récits reviennent dans le temps à chaque nouveau point de vue (le pilote que joue Tom Hardy – portant encore une fois un masque obstruant son visage – voit une scène que le père de famille observera plus tard de son bateau). Chaque point de vue est filmé différemment, plans d'ensemble caméra à l'épaule pour les soldats et en travelling pour l'officier (Kenneth Branagh), gros plans pour les pilotes alternant vision subjective et objective, soit un simple champ contre-champ. Là est évidemment le problème de ces boucles narratives, elles sont répétitives (un pilote abattu, puis un deuxième, sauvés par le même père de famille sur son bateau).

Le film multiplie donc les boucles mais aussi les personnages, un fonctionnement par trio, trois soldats qui s'unissent pour fuit Dunkerque, trois pilotes anglais qui chassent les bombardiers nazis, trois hommes sur un bateau. Hélas pour moi, j'ai assez vite confondu les personnages (surtout les soldats, tant ils se ressemblent, c'est peut-être voulu, il faut dire que je ne connais presque aucun de ces acteurs britanniques). Bref, presque aucun personnage n'existe en dehors de sa fonction narrative. Christopher Nolan aime aussi les scènes de foule, des milliers de figurants, et on repère immédiatement que ce n'est pas de l'image de synthèse, cela crée là aussi un fort réalisme. Mais dans l'une des scènes, Christopher Nolan cède au sensationnalisme, l'avion d'un pilote n'a plus une goutte de gasoil, ce qui n'empêche pas l'avion de s'enflammer abondamment. Rien n'est plus difficile que filmer un feu.