mardi 30 avril 2019

J'ai aussi regardé ces films en avril

Coming out (Dennis Parrot, 2019)
Le film ne sort que le 1er mai, j'ai pu le voir à l'occasion d'une avant-première. Le concept est simple, c'est un montage de vidéo youtube de jeunes gens qui font leur coming-out et qui se filment pour ensuite diffuser ces images comme autant de témoignages. Il est indiqué leur prénom, leur ville et quand cela a été enregistré. La grande majorité de ces témoins vient des USA, d'autres du Japon, de France, d'Australie (le premier adolescent qui parle à sa mère qui savait déjà tout et au petit frère pour qui un nouveau monde s'ouvre avec tout un tas de questions). En un peu plus d'une heure, on passe des jeunes gays et lesbiennes, aux transgenres, on passe d'un coming-out calme à l'horreur absolue quand un ado se fait virer du jour au lendemain par ses deux parents qui l'insultent, tout ça à cause de leur prétendue foi. Petit à petit, c'est effectivement la religion qui est donnée comme grande responsable de la peur de faire son coming-out. On le savait déjà mais c'est bien normal de le rappeler.

Alpha the right to kill (Brillante Ma Mendoza, 2018)
Je connais mal le cinéma du cinéaste stakhanoviste, mais moins fécond que Hong Sang-soo tout de même, depuis John John je n'avais vu aucun de ses films. D'abord, on est en droit de s'étonner de l'affiche. Le titre fait référence à l'indic, surnommé l'alpha par le flic corrompu qui a droit à apparaître sur l'affiche, avec son sympathique village. Le film situé sur quelques heures montre l'étau qui se resserre sur ce flic qui a piqué un sac de drogues lors d'un raid particulièrement meurtrier. Comme on le sait, sous l'ère Duarte, le droit de flinguer a cours. Alors on flingue et Mendoza ne se prive pas pour enregistrer tout ça en mode « je fais un film réaliste » qui se trouve plutôt être un peu racoleur donc dégueulasse. Passé le raid, on suit le jeune Alpha qui tente de passer la drogue au travers des mailles des milices de quartier. L'inventivité pour trouver des subterfuges et manigances pour passer la drogue et la chose la plus intéressante de ce polar grossier.

Victor et Célia (Pierre Jolivet, 2018)
Quoi qu'on pense de Guillaume Canet et Leïla Beikhti, ils étaient tellement plus intenses par rapport à Arthur Dupont et Alice Belaïdi. La comparaison n'est possible que parce que le scénario de ce Victor et Célia ressemble beaucoup à celui de Cédric Kahn, Une vie meilleure. Pierre Jolivet refuse la voie du grand drame qu'adoptait Cédric Kahn pour une comédie bon enfant où tout est bien qui finit bien. Par les temps qui courent, c'est rare, comme les spectateurs dans la salle ; j'étais seul.

Royal corgi (Vincent Kesteloot & Ben Stassen, 2019)
Le film tourné par deux animateurs belges est terriblement laid, sans aucune nouveauté narrative se contentant de reproduire les pitchs Pixar (on se perd, on cherche à toute force à revenir à ses maîtres sans tenter de découvrir le monde alentour forcément cruel). Mais il est le premier film d'animation à mettre en scène Donald Trump et son épouse Melania. Leur arrivée à Buckingham Palace à l'invitation de la Reine fournit les meilleures minutes. Je ne sais pas si Trump a balancé un tweet rageur pour se plaindre d'être ainsi moqué.

Ne coupez pas (Sinichiro Ueda, 2017)
Attention mise en abyme extrême. La première partie (sur trois) du film est filmée en plan séquence pour immerger le spectateur (au Japon le film a été parait-il un immense succès, je ne suis pas allé vérifier sur place) au milieu de zombies, évidemment tous plus jeunes les uns que les autres, comme toujours dans les films de zombies (c'en est l'un des apanages) où tout est pris au second degré, comme de bien entendu, un humour rigolard qui ne m'a pas dessillé une seule fois. Rien de bien neuf pendant un bonne demi-heure puis le film se retourne une première fois et une deuxième comme des plis d'origami qui offre à partir d'une simple feuille une forme radicalement différente. Le film est malin, modeste et parfois d'une grande ambition. Le titre « One cut of the dead » rend hommage à George A. Romero, évidemment.

lundi 29 avril 2019

Au bonheur des dames (Julien Duvivier, 1930)

La gageure de Julien Duvivier est de montrer le changement d'époque dans ce Paris inspiré d'Emile Zola mais qui prend des atours contemporains, les années 1920. Dita Parlo incarne ainsi cette jeune Denise Baudu qui débarque de sa province (la campagne ou la petite ville, le film ne le précise) pour arriver à Paris. Sa bonne bouille, son visage rond et ses yeux toujours étonnés sont parfaits, la jeune femme observe ce mouvement perpétuel de la vie urbaine, les voitures, les tramways, les passants, personne ne s'arrête jamais sauf elle avec ses valises sous les bras, encombrée comme personne, ne sachant pas vraiment quoi faire.

Sa fascination pour la vie moderne passe par les grands magasins. L'enseigne d'Au bonheur des dames lui en met plein la vue. Mais avant de rentrer dans l'antre de la consommation, Julie Duvivier, comme toujours, explore la limite qu'elle devra franchir, la frontière à traverser, la rue qui sépare le grand magasin où ça grouille de la boutique de tissus de son oncle où presque plus aucun client ne vient acheter quoi que ce soit. Une seule rue sépare ces deux mondes. Certes Julien Duvivier en fait beaucoup, appuie sur les différences avec emphase, manière de donner un message clair sur les grands qui écrasent les petits.

La première réflexion de Denise est de suggérer qu'elle se fasse embaucher par le grand magasin. L'oncle n'est pas ravi, mais elle traverse la rue. La découverte de l'intérieur du magasin est exceptionnelle, une plongée dans une ruche, une traversée en caméra subjective dans un plan séquence, très impressionnante. Cela a été filmé en décor naturel, aux Galeries Lafayette. Cela augmente d'autant le réalisme du film qui consiste à montrer les rapports entre employés, contremaîtres et employeurs. Car Denise est d'abord embauchée pour devenir une éventuelle mannequin, on découvre d'ailleurs comment les modèles présentent les vêtements.

Denise est fort mal accueillie, c'est le moins qu'on puisse dire par l'un des contremaîtres, un moustachu, un type plutôt costaud à l’œil mauvais qui fait tout pour la brimer, il décide même de la virer. L'homme a créé une alliance avec une autre mannequin, ils se font des clins d’œil pour humilier Denise, pour la rabaisser, pour la faire craquer. Seulement voilà, Mouret (Pierre de Guingand) le patron tombe sous le charme de la jeune femme. Il ne lui révèle pas tout de suite son statut, elle croit qu'il est un client. Le film montre la violence des rapports sociaux, chacun lutte contre l'autre dans une guerre larvée et sournoise.


Mouret cherche à agrandir son magasin et pour ça il doit virer l'oncle de Denise. Il se fait aider par un mécène, un certain Hartmann (Adolphe Candé), nom qui déguise mal Haussman qui a tant modifié Paris. Le film est muet mais ce qui est mis en avant est le son terrible des travaux autour de la boutique des Baudu avec ses murs, briques et charpentes qui s'effondrent. Au spectateur d'imaginer ce vacarme tandis que l'oncle Baudu souffre le martyr de voir sa vie détruite si vite. Quelque chose de quasi expérimental est façonné par le cinéaste suivi ensuite par la confusion mentale quand le monde de Denise s'effondre.


























jeudi 25 avril 2019

La Valise (Georges Lautner, 1973)

Rendre un court hommage à Jean-Pierre Marielle en regardant La Valise peut paraître étonnant vu que ce n'est pas son meilleur film. Depuis la mort de l'acteur, les réseaux sociaux que je fréquente, les sujets radio que j'entends, donnent une réalité de ce que Jean-Pierre Marielle a réalisé en 40 ans de carrière au cinéma. Ils sont finalement peu nombreux à pouvoir se targuer d'apparaître presque toujours avec un visage unique et d'avoir joué des rôles si différents. Cette moustache au milieu de son visage, bien plus imposante que celle de son acolyte Jean Rochefort, était somme toute le centre du génie de son jeu.

On a beaucoup cité son personnage de musicien janséniste dans Tous les matins du monde d'Alain Corneau, beaucoup moins celui de gros beauf libidineux d'Un moment d'égarement de Claude Berri, on a beaucoup entendu des répliques merveilleuses des films de Joël Séria avec lequel il a fait plusieurs films dont l'émouvant et anarchiste Les Galettes de Pont-Aven. Ce qui ressort chaque fois est l'émotion de sa voix caverneuse dans les drames où il prêtait son corps et la délicatesse avec laquelle il parvenait à sortir les pires horreurs. On a entendu de nombreuses de ses répliques, quelques dialogues cocasses depuis deux jours.

Les deux touchent au sublime dans Tenue de soirée de Bertrand Blier. La scène mérite d'être décrite par le menu tant ce qu'il produit autour de Gérard Depardieu, Miou Miou, Michel Blanc et Caroline Silhol est digne des plus grands. Depardieu et sa bande ont cambriolé chez Marielle, un type dépressif. Ce dernier leur offre le couvert. Puis le trio veut partir mais Marielle, avec regret, sort son flingue car il veut avec sa femme une partie fine. Tous refusent mais Jean-Pierre Marielle sort à Depardieu avec un vouvoiement et un naturel que seuls les films de Blier produisent ceci : « Moi j'veux vous voir baiser ma femme, un par devant, un par derrière, Pendant ce temps-là, j'vous enculerai. »

L'acteur avait alors 54 ans et une ribambelle de succès parmi eux La Valise. Rien à voir avec le jeu de RTL mais c'est un film d'espion comme seule la France en concevait, en parodie romantique. Trois espions, trois pays, trois cultures et une seule femme, Françoise (Mireille Darc) artiste de cabaret que le commandant Bloch (Jean-Pierre Marielle), des services secrets israéliens rencontre à Tripoli. Or les Libyens ne sont pas franchement amis avec les israéliens, ou les israélites ou les juifs comme le dit le capitaine Augier (Michel Constantin). Ce dernier travaille pour la France et doit sortir Bloch de son pétrin : il s'est réfugié dans l'ambassade de France et il sera exfiltré par la valise diplomatique. Soit une vraie valise, une énorme valise qu'il va trimballer pendant tout le film.

Seulement voilà, rien ne se passe comme prévu, sans quoi le film n'aurait qu'une courte durée et serait un simple reportage sur l'espionnage. La première galère vient d'une grève à l'aéroport. Retour à l'hôtel où Bloch a rencontré Françoise. Il commence à raconter à Augier dans plusieurs flash-backs comment il l'a rencontrée, comment il l'a séduite, comment il en est tombé amoureux. La jalousie gangrène sa tranquillité voilà la nouvelle galère. Il demande à Augier d'aller la surveiller et ce qui devait se passer se passe, Augier tombe lui aussi amoureux de Françoise. Comme plus tard le milliardaire grec Baby (Michel Galabru) puis le lieutenant de l'armée égyptienne Abdul (Amidou), le tout à travers la Libye, la Tunisie et l'Egypte.


Ce qui compte dans les rapports entre les hommes et la femme ce sont les disputes continuelles qui entraînent des quiproquos, des retards dans leur itinéraire. On se déplace en voiture, en jeep, en avion, en chaloupe. Chaque fois, ce pauvre Bloch est obligé de se réfugier dans sa valise, coincé comme un couillon, engoncé et chaque fois, il peste comme un beau diable en sortant un complainte sonore particulièrement douloureuse, un « oïe yoïe yoïe yoïe » que seuls la voix et le ton de Jean-Pierre Marielle a pu créer. Ce son est hilarant, il apporte une drôlerie irrésistible à une histoire particulièrement cocasse surtout quand le cinéaste et son scénariste Francis Veber lorgnent un peu trop du côté du burlesque franchouillard facile. Logiquement ce plus qu'apporte Jean-Pierre Marielle méritait qu'il reçoive le dernier plan du film.