lundi 14 décembre 2015

Hitler, un film d'Allemagne (Hans Jürgen Syberberg, 1978)

C'est l'un des films les plus étranges qu'il m'ait été donné de voir. Pas seulement à cause de sa durée de près de 7 heures, un film certes divisé en quatre parties, ce qui permet de faire des pauses pour comprendre ce que je venais de voir, que par sa manière d'aborder son sujet. Hitler, un film d'Allemagne n'est pas un documentaire sur Hitler, et je ne suis même pas sûr que ce soit un documentaire, c'est un film qui fait le procès d'Hitler, pour reprendre l'expression de Serge Daney. Pour Hans Jürgen Syberberg, il est impossible de faire jouer Hitler par un comédien, Hitler, en tant qu'incarnation du mal suprême du 20ème siècle ne peut pas être interprété (mal ou bien interprété, tout comme son idéologie ne prête pas vraiment à l'interprétation). On entend parfois sa voix dans des extraits de ses discours. Ce n'est pas un question de ressemblance, de vraisemblance, mais une question de dignité. Dans la première heure du film, on aperçoit une figure qui évoque Hinkel, le personnage de Chaplin dans Le Dictateur, Chaplin premier cinéaste au monde à juger Hitler par le cinéma, Chaplin à qui le dictateur nazi a volé la moustache. Alors Syberberg décide de le figurer en tant que marionnette qui sera manipulé par un marionnettiste.

Le grand cirque de l'histoire d'Hitler peut commencer. Un Monsieur Loyal, sorte de procureur, raconte cette histoire pleine de l'amour de la mort, de la guerre et de la haine. Sur l'écran se déploie un décor de cirque pour narrer l'histoire ce « clown » qu'était Hitler, de ce raté qui n'a jamais été accepté aux Beaux-Arts, contrairement à Fritz Lang qu'il jalousait, de ce végétarien qui avait une horreur du sang, de cet ami des animaux qui se faisait photographier avec un berger allemand pour faire viril mais qui avait un petit Médor à la maison. Derrière le décor du cirque, Syberberg projette des images de nazis, des extraits de films d'époque, des photos des camps. Le tout est filmé dans un hangar immense, et donne un effet de visuel surprenant entre les très grandes images du fond et les petits hommes devant elles, comme si les hommes étaient écrasés par l'Histoire. Ce kitsch, constant à l'écran, est partie prenante du film, c'est une volonté de faire de Hitler, un film d'Allemagne un film kitsch car Hitler aimait le kitsch, ce mauvais goût que certains considèrent comme du bon goût. Hitler aimait ces défilés grandiloquents donc ridicules, Hitler aimait ces costumes militaires blancs, Hitler s'aimait lui-même.

Un acteur incarne Krause, le majordome du tyran. Krause pendant une bonne demi-heure parle de son maître, il raconte combien il était terriblement banal et minable. Hitler mettait 22 minutes chrono pour sortir de son pyjama et mettre son uniforme, Hitler lisait les journaux le matin, Hitler avait des colères noires. Un autre acteur joue un gros général nazi qui, pendant qu'il mange une saucisse, raconte que gamin, le petit Adolf se faisait fouetter par son papa. Dans ce procès à Hitler, ces témoins à la décharge sont toujours contredits par les images projetées. Mais la vie personnelle d'Hitler n'est qu'une suite d'anecdotes insipides. C'est le ratage de sa vie qui le pousse à se venger. Hitler passait ses soirées à regarder des films (on apprend qu'il a fait modifier la fin du film Le Juif Süss, censurant la vengeance des Juifs sur leurs tortionnaires). Hitler se voyait comme un artiste, l'équivalent de Wagner et Lang. Il se voyait comme le plus grand artiste de la mort et de la terreur. La mort et la terreur, remontant régulièrement comme une nausée, intéressent beaucoup plus les gens que la gentillesse. Sept heures pour faire le procès d'Hitler, c'est beaucoup et c'est peu à la fois, mais il devait être fait, quitte à le faire à un sinistre pantin et non à Hitler en personne.

Les captures qui illustrent ce texte sont issues du DVD (en 4 disques) édité en 2012 par Floris Films. Le film, en format 1:37 garde son grain d'époque. Les quatre parties ont pour titre Le Graal (1 h 31 min) Un rêve allemand (2 h 08 min) La Fin du conte d'hiver (1 h 33 min) Nous, les enfants de l'Enfer (1 h 40 min). Hitler, un film d'Allemagne est un coproduction entre l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne.

















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