C'est
l'un des films les plus étranges qu'il m'ait été donné de voir.
Pas seulement à cause de sa durée de près de 7 heures, un film
certes divisé en quatre parties, ce qui permet de faire des pauses
pour comprendre ce que je venais de voir, que par sa manière
d'aborder son sujet. Hitler, un
film d'Allemagne n'est pas un
documentaire sur Hitler, et je ne suis même pas sûr que ce soit un
documentaire, c'est un film qui fait le procès d'Hitler, pour
reprendre l'expression de Serge Daney. Pour Hans Jürgen Syberberg,
il est impossible de faire jouer Hitler par un comédien, Hitler, en
tant qu'incarnation du mal suprême du 20ème siècle ne peut pas
être interprété (mal ou bien interprété, tout comme son
idéologie ne prête pas vraiment à l'interprétation). On entend
parfois sa voix dans des extraits de ses discours. Ce n'est pas un
question de ressemblance, de vraisemblance, mais une question de
dignité. Dans la première heure du film, on aperçoit une figure
qui évoque Hinkel, le personnage de Chaplin dans Le
Dictateur, Chaplin premier
cinéaste au monde à juger Hitler par le cinéma, Chaplin à qui le
dictateur nazi a volé la moustache. Alors Syberberg décide de le
figurer en tant que marionnette qui sera manipulé par un
marionnettiste.
Le
grand cirque de l'histoire d'Hitler peut commencer. Un Monsieur
Loyal, sorte de procureur, raconte cette histoire pleine de l'amour
de la mort, de la guerre et de la haine. Sur l'écran se déploie un
décor de cirque pour narrer l'histoire ce « clown »
qu'était Hitler, de ce raté qui n'a jamais été accepté aux
Beaux-Arts, contrairement à Fritz Lang qu'il jalousait, de ce
végétarien qui avait une horreur du sang, de cet ami des animaux
qui se faisait photographier avec un berger allemand pour faire viril
mais qui avait un petit Médor à la maison. Derrière le décor du
cirque, Syberberg projette des images de nazis, des extraits de films
d'époque, des photos des camps. Le tout est filmé dans un hangar
immense, et donne un effet de visuel surprenant entre les très
grandes images du fond et les petits hommes devant elles, comme si
les hommes étaient écrasés par l'Histoire. Ce kitsch, constant à
l'écran, est partie prenante du film, c'est une volonté de faire de
Hitler, un film d'Allemagne
un film kitsch car Hitler aimait le kitsch, ce mauvais goût que
certains considèrent comme du bon goût. Hitler aimait ces défilés
grandiloquents donc ridicules, Hitler aimait ces costumes militaires
blancs, Hitler s'aimait lui-même.
Un
acteur incarne Krause, le majordome du tyran. Krause pendant une
bonne demi-heure parle de son maître, il raconte combien il était
terriblement banal et minable. Hitler mettait 22 minutes chrono pour
sortir de son pyjama et mettre son uniforme, Hitler lisait les
journaux le matin, Hitler avait des colères noires. Un autre acteur
joue un gros général nazi qui, pendant qu'il mange une saucisse,
raconte que gamin, le petit Adolf se faisait fouetter par son papa.
Dans ce procès à Hitler, ces témoins à la décharge sont toujours
contredits par les images projetées. Mais la vie personnelle
d'Hitler n'est qu'une suite d'anecdotes insipides. C'est le ratage de
sa vie qui le pousse à se venger. Hitler passait ses soirées à
regarder des films (on apprend qu'il a fait modifier la fin du film
Le Juif Süss,
censurant la vengeance des Juifs sur leurs tortionnaires). Hitler se
voyait comme un artiste, l'équivalent de Wagner et Lang. Il se
voyait comme le plus grand artiste de la mort et de la terreur. La
mort et la terreur, remontant régulièrement comme une nausée,
intéressent beaucoup plus les gens que la gentillesse. Sept heures
pour faire le procès d'Hitler, c'est beaucoup et c'est peu à la
fois, mais il devait être fait, quitte à le faire à un sinistre
pantin et non à Hitler en personne.
Les
captures qui illustrent ce texte sont issues du DVD (en 4 disques)
édité en 2012 par Floris Films. Le film, en format 1:37 garde son
grain d'époque. Les quatre parties ont pour titre Le
Graal (1 h 31 min) Un
rêve allemand (2 h 08 min) La
Fin du conte d'hiver (1 h 33
min) Nous, les enfants de
l'Enfer (1 h 40 min). Hitler,
un film d'Allemagne est un
coproduction entre l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne.
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