Affichage des articles dont le libellé est Maurice Pialat. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Maurice Pialat. Afficher tous les articles

mardi 10 mars 2020

Janine (Maurice Pialat, 1962)

Pour plaisanter, il m'arrive de nommer Maurice Pialat « le beau-frère de Claude Berri », Maurice a longtemps vécu avec Arlette Langmann, la petite sœur de Claude qui a été sa monteuse et sa scénariste pendant une bonne décennie. Claude Berri a quant à lui écrit Janine et en a l'un des rôles principaux, celui d'un jeune romantique qui tombe amoureux de chaque femme qu'il rencontre. Ici, c'est Janine (Evelyne Kerr), une « putain » comme il est dit dans les dialogues.

Janine est une femme qui aime chanter des airs de cha cha cha dans son petit appartement quand elle s’apprête avant d'aller faire le trottoir. Elle porte une petite robe noire et se pare de colliers de perle. Elle laisse sa fillette chez elle avec une amie qui la garde pour la nuit. C'est dans une porte dérobée d'un immeuble du quartier de Strasbourg Saint-Denis, le quartier chaud de Paris, qu'elle a pour client Claude. La passe est rapide, Claude la quitte avec un sourire ravi.

Dans cette même entrée, Hubert (Hubert Deschamps) remarque Janine et lui jette un regard noir. On comprendra plus tard la raison de ce regard. Il sort dans la rue et aperçoit Claude. Ils vont tous les deux entamer une balade nocturne. Ils font un billard, ils discutent, ils passent devant les grands magasins qui brillent de mille guirlandes (c'est bientôt Noël). Ils parlent surtout des femmes et Hubert n'a pas le cœur tendre comme Claude. Bien au contraire.


Le film fait tout juste 17 minutes tout en déambulations. Avec un sens du contraste, Maurice Pialat les filme comme deux fantômes errant dans un no man's land. Il accentue le côté sombre (ils portent des costumes noirs) au milieu des lumières de la ville en les filmant parfois de dos ou sans éclairage. Ce sont deux ombres qui traversent les rues jusqu'à ce que le scénario de Claude Berri reprenne le dessus avec une chute attendue et amusante.

















mardi 29 mai 2018

L'Enfance nue (Maurice Pialat, 1968)

L'enfant s'appelle François, il a dix ans, il vit à Lens. Il ressemble comme deux gouttes d'eau à Antoine Doinel d'autant que le prénom choisi pour le personnage de Michel Terrazon (qui jouera un petit rôle dans La Maison des bois la série ORTF de Maurice Pialat) est celui de Truffaut qui produit ce premier film (avec Claude Berri entre autres). François est un gamin de l'assistance publique, comme un disait à l'époque, sa mère ne peut pas l'élever, il vit en famille d'accueil.

Mais cela, le spectateur n'est pas encore censé le savoir quand commence L'Enfance nue. Maurice Pialat filme d'abord une manifestation syndicale (on doit être le Premier Mai) puis bifurque dans une boutique de vêtements. « Qu'est-ce qu'on dit ? » « Merci » « Merci qui ? » « Merci maman ». La maman en question est celle de la famille d'accueil de François. Elle vient de lui acheter une veste bleue, un cadeau utile pour lequel l'enfant doit la remercier.

Josette, la fille naturelle de la maman, balance à son frère d'adoption « qu'est-ce que t'es moche ». Il lui rétorque « tu t'es pas vu ». Comme dans Les 400 coups, le ton est vif, direct. Il le demeurera tout au long du récit qui s'étale sur quelques mois jusqu'à Noël. François, contrairement à Josette une gamine gâtée, n'a pas sa propre chambre, il vit sur le palier, comme le remarque avec déception le directeur de l'assistance publique venu faire le point avec les parents.

Il a une bonne tête d'ange le François mais la maman veut s'en débarrasser. Dans la cuisine (Maurice Pialat a aussi l'art de trouver des décors dans leur jus), elle déballe tout ce qui ne va pas, laissant peu la parole à son Roby, son mari interprété par Raoul Billerey, un bon gars mais épuisé par le travail. François, histoire de la faire culpabiliser, ira acheter un foulard chic dans une boutique pour l'offrir à cette mère éphémère, œil pour œil, cadeau pour cadeau.

Avant de se retrouver chez Pépère et Mémère (Monsieur et Madame Thierry, un couple d'acteurs non professionnels, parfaits) nouveaux parents nourriciers, Maurice Pialat filme le convoi des enfants en train puis en voiture. C'est un bloc documentaire puissant et cruel en même temps où est décrit le destin de ces enfants abandonnés ou orphelins en recherche de famille dans un montage qui laisse apparaître plusieurs plans séquences entremêlés.

C'est ainsi que fonctionne la mise en scène dans L'Enfance nue, le documentaire brut alterne avec la fiction de François dans cette famille entre les deux vieux, le grand « frère » Raoul (à l'accent à couper au couteau) et « mémère la vieille », la grand-mère maternelle que François affectionne particulièrement. Pour les scènes documentaires, on découvre comment on ventile les enfants, comment une maman ne « veut pas d'un petit Noir, comment le directeur fait ses rapports.

Dans la nouvelle famille, François continue d'être bien gentil, poli, d'avoir une bonne tête d'ange et pépère et mémère lui rendent bien cette gentillesse. C'est très beau de voir ce couple rejouer certaines scènes de leur vie, raconter leur passé à François, elle sur les genoux de lui « tu vois on s'aime bien », la douceur derrière leurs grosses lunettes est là, la petite blouse, le gentil sourire. On les suit en famille, à un mariage, pendant les repas.

Dans une scène, Maurice Pialat saisit toutes les contradictions de cet enfant solitaire. Dans une salle de cinéma, il traîne avec quelques jeunes plus grands que lui, il est fasciné par le bagout de l'un d'eux qui se taillade la peau pour faire un tatouage. Il rêve de devenir comme ces grands. Mais dès la salle éteinte et le western lancé, plus rien d'autre ne l'intéresse que ce qui se passe sur l'écran.


Plus on l'aime, plus François fait des conneries. Il vole tout et n'importe quoi, il pisse au lit, il ne travaille pas à l'école, il se dispute avec Raoul, jusqu'à l'incident fatal, il jette de la ferraille trouvée au bord d'une voie ferrée sur une voiture. Je suis encore sidéré de voir la violence de ce premier long-métrage et pourtant malgré tout ce qui arrive à François, Maurice Pialat retient cette émotion primaire que ce genre de sujet appelait, c'est sa plus grande force.
























samedi 13 mai 2017

Les Veuves de 15 ans (Jean Rouch, 1966)

Jean Rouch disait ne pas aimer Les Veuves de quinze ans, peut-être parce qu'il aurait préféré ne pas avoir à diriger les deux actrices principales de son court-métrage. Marie-France (cheveux mi-longs)et Véronique (cheveux longs), deux filles à papa vivant confortablement dans la petite bourgeoisie parisienne, ou sa banlieue chic, passent pas mal de temps ensemble. La France est conquise par les idoles, comme autant de fétiches païens, les chanteurs de yéyé. Elles se promènent devant les boutiques où les 33 tours de Johnny, Enrico Macias ou Sheila sont en tête de gondole, les affiches géantes exposent le visage de Claude Nougaro. Mais une fois chez elles, elles écoutent du jazz, dans leur milieu naturel, elles ne sont pas obligées de suivre les goûts des autres.

Elles sont bien sages chez elles. Marie-France habite dans une grande maison entourée d'un vaste jardin. Sa mère reçoit deux amis (deux hommes), ils sont assis dans le salon, la mère envoie rapidement sa fille dans sa chambre faire les devoirs. Véronique vit avec son père, apparemment pas de maman en vue, une bonne a préparé le dîner pour deux mais le papa doit partir en réunion. Pas de problèmes, Véronique lui soutire 10.000 francs pour s'acheter une robe. Elles vont dans le kiosque à journaux acheter des journaux (Le Monde, Elle, Picsou ou Lui). Elles regardent les photos de mode, rêvent de cette « blouse » et passent vite à autre chose. Le langage de l'époque dit avec application par les deux adolescentes fleure bon l'époque et paraît aujourd'hui terriblement désuet.

Les deux demoiselles en rencontrent une troisième (Nadine Ballot), un peu plus délurée et elle croisent deux jeunes hommes, des bons bourgeois eux aussi, en costume cravate, pull posé sur les épaules. Ils sont un peu morveux, envoient des piques aux deux filles mais ils ne cessent jamais de chercher à les revoir, des les inviter aux « surprise party » et de vouloir coucher avec eux. Justement Jean Rouch filme cette boum en images arrêtées, à la Chris Marker de La Jetée, notamment la scène de la coucherie, quasi un viol. Véronique, en descendant les escaliers du Trocadéro, ne se rappelle rien, elle était complètement soûle. Dans la dernière séquence, Maurice Pialat vient jouer un photographe qui sermonne gentiment Véronique sur son avenir. Mais comme le dit bien le titre, elles sont déjà veuves du futur.