jeudi 31 août 2017

J'ai aussi regardé ces films en août

Les Proies (Sofia Coppola, 2017)
Je n'ai pas vu Les Proies de Don Siegel, je serai donc dans l'incapacité de le comparer avec le film de cette chère Sofia Coppola, jadis enfant chérie de la critique (pour ses trois premiers films) et aujourd'hui complètement passée à l'as (pour ses trois derniers films). D'abord, passer de Clint Eastwood à Colin Farrell, c'est comme se faire servir pour un repas de Noël une salade d'endive. Cela dit, Sofia Coppola a toujours aimé les acteurs sans charisme (Josh Hartnett, Stephen Dorff, et tout le casting de Bling ring). Mais ce qu'elle aime par dessus tout, c'est les défilés de robes. L'occupation favorite de ce groupes de femmes et de filles est de coudre (seule Kristen Dunst enseigne le français) et quand le soldat confédéré est enfin invité à dîner, elles portent de superbes robes de 1863. Le film est évidemment crépusculaire dans un cadre restreint, la musique est rare. Voilà tout.

Upstream color (Shane Caruth, 2013)
C'est le film de science fiction le plus ambitieux du moment, un récit qui prend son temps, tout son temps, avare de dialogues et d'explications pour arriver à ses fins. D'abord la culture des larves de vers par un homme peu loquace et qui va envoûter une femme avec une mixture secrète. Elle perd alors toute sa mémoire récente et l'homme peut la manipuler et voler tous ses biens. Plus tard, le film poursuit dans la mystère avec un élevage de cochons, on comprend lentement mais sûrement, toujours avec une économie d'indices, que l'âme de la femme est dans le cerveau du cochon. Seulement voilà, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. Comme tout film estampillé Sundance, Shane Caruth – qui joue aussi le rôle masculin principal avec une absence de charisme lassante – multiplie les effets chichiteux et superficiels (musique aérienne, plans flous, montage abrupt) qui balaient la simplicité du récit. Sans doute imagine-t-il que c'est cela qu'être auteur. David Cronenberg le contredit à chaque film. Mais tout de même quelle jolie bizarrerie a sorti la petite société ED Distribution.

Hitman & bodyguard (Patrick Hughes, 2017)
Au début de The Other guys d'Adam McKay, Samuel L. Jackson jouait au côté de Dwayne Johnson un flic particulièrement intrépide mais terriblement stupide. Une séquence courte mais tellement jubilante. Hitman & bodyguard reprend ce genre de parodie en le flanquant de Ryan Reynolds qui se débrouille de mieux en mieux dans la comédie. Inutile de parler du scénario car, comme tout film parodique, il n'a aucun sens mais puise son inspiration dans le débridement des années 1990, le modèle serait Le Dernier samaritain de Tony Scott, chef d’œuvre burlesque et surréaliste. Exemple typique, le tueur à gages et son garde du corps parviennent, par miracle, à esquiver toutes les balles de leur ennemi – ou presque. Et cet ennemi est le président de la Biélorussie que joue avec un sérieux pompier donc parodique Gary Oldman. Patrick Hughes n'a pas la charge politique d'Adam McKay ni ses réflexions sur la puissance du cinéma mais il offre à Salma Hayek un rôle puissamment comique. C'est déjà pas mal, c'est déjà beaucoup.

Moi moche et méchant 3 (Pierre Coffin, Kyle Balda & Eric Guillon, 2017)
Je suis allé voir Moi moche et méchant 3 parce que c'est, pour l'instant, le film qui a engrangé le plus grand nombre de spectateurs français dans les salles. Je n'ai pas été déçu. Tout est horrible et à commencer par la VF des frères Elmaleh. Je n'ai pas l'habitude d'utiliser l'adjectif hystérique, mais là je n'ai pas d'autres mots. Ils hurlent tous leurs dialogues tellement fort et fiers d'eux que même Audrey Lamy paraît sobre à côté. L'image est atroce comme dans tous les films d'animation de ce genre avec des couleurs identiques à celles du vomi des pochtrons du samedi soir. Le scénario est également pris de hoquet, chaque scène est à peine commencée qu'on passe ailleurs. Plein d'enfants dans la salle, comment pourront-ils aimer le cinéma d'animation, celui qui est gracieux, avec une telle purge ?

mercredi 30 août 2017

Taekwondo (Marco Berger, 2016)

Neuf mecs autour d'une piscine en plein été, combien de possibilités ? Pour Fernando dit Fer (Lucas Papa), le propriétaire des lieux (enfin ses parents partis en vacances et qui laissent la maison au grand fiston), c'est l'occasion d'inviter un de ses collègues de l'équipe de taekwondo où il s’entraîne à Buenos-Aeres, le prénommé German (Gabriel Epstein). Ce dernier parcourt, son sac sur le dos, les derniers mètres qui séparent la station de bus de la maison accompagné de Fer, en short, torse nu.

Il s'agit de présenter maintenant les sept amis de Fernando et c'est un défi pour Marco Berger qui s'était habitué jusque là à se concentrer sur uniquement deux personnages. Pour cela, il s'est associé avec Martin Farina, jeune réalisateur argentin qui avait filmé, pour un documentaire, son frère aîné et ses potes d'une équipe de football. Finalement, c'est à ça que j'ai pensé (à cause du titre aussi), une bande de sportifs au repos entre vestiaires et repos.

Les deux cinéastes commencent tout simplement par faire visiter la maison à German, sous son regard étonné de voir la plupart des gars sont encore endormis, deux ou trois par chambre, avachis en slip et caleçon sur les matelas. L'extraverti Lucho vient prendre son petit déjeuner dans la cuisine la queue en l'air. German, plus tard, appellera un de ses amis en expliquant qu'il n'en croyait pas ses yeux tout en se demandant, et espérant, que Fer soit gay.

Car bien entendu, comme dans ses films précédents, Marco Berger entre ce premier plan où Fernando et German ne sont qu'un duo parmi tous les autres et le dernier plan (que l'on espère et attend) où Fer dit enfin à German « Je peux t'embrasser ? » et qu'ils s'embrassent tandis que la nuit tombe, il se passe plusieurs jours où German ne sait pas vraiment comment agir, comment faire pour enfin arriver à sortir avec Fernando, dont il ne sait même pas s'il est, lui aussi, gay.

Les amis de Fernando, ces sept potes accueillent avec bienveillance German, mais ils ne feront rien pour lui faciliter la tâche. C'est même un peu le contraire. German observe la troupe avec attention, analyse chaque comportement et il remarque la grande liberté établie entre eux, surtout la décontraction avec laquelle ils laissent vivre leur corps. Pas une once de fausse pudeur chez eux, d'ailleurs Marco Berger n'avait jamais autant filmé ainsi les corps totalement nus, et il ne s'en prive pas, bien au contraire.

Comme à son habitude, le récit ne subit pas de crescendo qui ferait avancer la narration. Les activités sont réduites : piscine, manger, dormir, sortir le soir, parler des filles, de leurs conquêtes. German écoute sans n'avoir rien à raconter, Fernando ne dit pas grand chose non plus, mais il compte quand même sur ses potes pour lancer des perches à German, qui se trouve un peu dans la position du spectateur passif, il avance à vue et se réfugie souvent dans la salle de bains.

Avec un si grand nombre de personnages, des vitelloni argentins, il se crée souvent quelques tensions, des jalousies jaillissent (l'un d'eux semble deviner ce qui se trame et cherche à écarter Ger de Fer). Mais en substance, ce que dit Taekwondo est que rien ne ressemble plus un mec nu qu'un autre mec nu et que le désir, c'est exactement la même chose et il suffit que les obstacles devant Fer rentrent chez eux pour que Ger tombe dans ses bras.


















mardi 29 août 2017

Faux semblants (David Cronenberg, 1988)


Le héros cronenbergien a toujours été grand, au menton carré, les yeux clairs et les cheveux abondants, mais dans Faux semblants, c'est la première fois qu'il porte une paire de lunettes qui est exactement comme celle du cinéaste. Sur les photos de tournage, David Cronenberg à côté de Jeremy Irons semble jouer le deuxième frère Mantle. Ça n'a l'air de rien mais cela indique la place qu'occupait alors le cinéaste, un pied totalement au Canada et dans le cinéma d'auteur, un pied à Hollywood où il devait composer avec ses producteurs effrayés par son imaginaire débordant.

En guise de paire, il s'agit de deux paires de lunettes puisque Elliot et Beverly Mantle sont jumeaux. Dans la première séquence, ils sont enfants à Toronto en 1954, ils sont observés bizarrement par les autres enfants. Déjà, ils s'enferment dans leur chambre pour observer la « beauté intérieure » des corps. Extra-terrestres aux yeux des autres (aucun autre personnage ne portera de lunettes), c'est sans doute pour cela que l'un d'eux s'appelle Elliot, comme l'enfant dans le film de Steven Spielberg (et dans Elliot, il y a les lettres ET comme disait un critique).

Une seule séquence se déroule aux USA, à l'université du Massachusetts en 1967 quand les Mantle reçoivent leur diplôme pour revenir en 1988 à Toronto où ils sont devenus gynécologistes. Ils travaillent et vivent ensemble mais désormais Elliot ne porte plus de lunettes, sauf lorsqu'il doit remplacer Beverly, plus timide, moins à l'aise avec les gens de l'extérieur. Ainsi quand les deux frères donnent une conférence, c'est Elliot qui monte à la tribune et donne un discours à ses confrères médecins.

« Beverly, c'est un prénom de fille » dira Claire Niveau (Geneviève Bujold), « Non, l'orthographe est différente ». Claire, actrice célèbre, consulte chez les célèbres gynécologistes Mantle pour évaluer son infertilité. Elle ignore qu'ils sont jumeaux. Elliot couche avec elle (en portant les lunettes) puis incite Beverly à faire de même. Un jour, une amie de Claire lui annonce qu'elle a couché avec les deux frères et que tout le monde est au courant. Elle les confronte dans un restaurant où elle balance un verre à la tronche d'Elliot.

La transformation des jumeaux passe par les médicaments de Claire que Beverly, qui devient son amant officiel, ingurgite jusqu'à plus soif. Cette transformation est invisible, en tout cas elle ne passe pas par une métamorphose du corps (Videodrome, La Mouche), des pouvoirs surnaturels (Scanners, Dead zone). Certes, Jeremy Irons joue l'addiction aux médicaments avec fébrilité, avec des regards tendus, des crises d'angoisse, des tremblements de main mais c'est sa vision du monde qui se modifie radicalement.

Il espérait un concours de « beauté intérieure » comme il existe des concours de Miss. Cet intérieur du corps, il est finalement rarement directement visible dans Faux semblants. Lors d'une opération de démonstration, quand Beverly et ses assistants revêtent ces blouses rouge sang, David Cronenberg ne filme pas frontalement les entrailles mais l'écran sur laquelle la vidéo de l'opération est diffusée, comme une performance artistique, de l'art contemporain auquel le public, des scientifiques, ne comprennent rien.

Beverly voit les vagins des femmes, leur intérieur, comme mutants. Quand germe l'idée délirante de créer des instruments de gynécologie, montrés dès le générique d'ouverture, Beverly part engager un artiste contemporain, pas un laboratoire. L'artiste déclare qu'il trouve les plans très beaux, ces instruments aux formes arrondies, en ovale, avec des crocs doivent servir à opérer les femmes mutantes. C'est que Beverly explique au sculpteur qui s'emparera de ces objets pour en faire des objets d'art, provoquant une colère sourde du médecin qui veut opérer avec.

Il se réfugie dans un monde clos, circonscrit par les murs de l'appartement qu'il ne quitte plus et dans lequel il va attirer Elliot. J'aime beaucoup comment David Cronenberg filme la transformation de ce vaste appartement, d'abord du palier sans ne rien laisser soupçonner (le livreur qui passe), puis de l'intérieur avec un fourbi délirant, un désordre similaire à leur état d'esprit, enfin les deux frères désormais à nouveau raccords déambulent en caleçon à l'intérieur d'eux-mêmes, devenus des mutants inadaptés au monde extérieur qu'ils ne peuvent plus visiter.
























lundi 28 août 2017

Mireille Darc (1938 - 2017)

Il y a tout juste 50 ans, Jean-Luc Godard s’apprêtait à commencer le tournage de Week-end, le couple vedette était tenu par Jean Yanne et Mireille Darc. Elle racontait dans son livre de souvenirs (les propos sont rapportés dans la biographie d'Antoine de Baecque consacrée à JLG) que c'est elle qui était allée rencontrer le cinéaste pour changer de registre, puis que le tournage fut fort difficile, que Godard l'humiliait sans cesse, la faisait lambiner avant de lancer « moteur », qu'il l'avait fagotée dans des tenues étriquées. Week-end est une bizarrerie godardienne, coincée entre La Chinoise et Le Gai savoir, eux filmés avec sa garde rapprochée (Jean-Pierre Léaud, Juliet Berto et son épouse Anne Wiazemski) et amorçant son virage gauchiste.

Mireille Darc est souvent filmée de loin dans Week-end, en plans très larges. Jean-Luc Godard la mettait en scène à contre-emploi de tout ce qu'elle a fait jusqu'alors, c'est-à-dire essentiellement des rôles de femmes de tête. Mes deux films préférés de Georges Lautner, son cinéaste de prédilection, sont Les Barbouzes et Ne nous fâchons pas. Entourée de Lino Ventura, Francis Blanche, Bernard Blier et Charles Millot, ainsi que des visites rutilantes de Jess Hahn, elle joue dans le premier une veuve soi-disant éplorée. Elle fait tourner chèvre tous ces espions venus s'emparer de brevets. Comme dans tout film du duo Lautner Audiard, ce sont les répliques qui valent plus que les situations et surtout les numéros de cabotinage, comme dans Ne nous fâchons où elle est censée être l'épouse de Jean Lefebvre.

L'image la plus célèbre de Mireille Darc vient du Grand blond avec une chaussure noire, encore un film d'espionnage mais moins parodiques que ceux de Georges Lautner. Elle apparaît face à Pierre Richard dans une longue ronde terriblement échancrée où tout son dos est découvert jusqu'au bas des reins. Elle s'appelait Christine et elle allait ensuite mettre quelque chose de plus confortable. L'idée du film, contrairement aux personnages de Georges Lautner, était de mettre un élément perturbateur mais calme dans l'univers bourré de quiproquos de Pierre Richard, le chien fou incapable de séduire l'une des rares actrices blondes du cinéma français. Elle avait ne coiffure et un nez incomparables, une diction et une voix lente un peu hésitante, un jeu à la limite du faux. Elle avait arrêté le cinéma en 1986.

Dans l'ordre : Le Grand blond avec une chaussure noire (Yves Robert, 1972), Week-end (Jean-Luc Godard, 1967), Les Barbouzes (Georges Lautner, 1964), Ne nous fâchons pas (Georges Lautner, 1966)