mardi 31 mars 2020

Crazy family (Sogo Ishii, 1984)

En quelques rapides plans, le déménagement de la famille Kobayashi dans sa nouvelle maison en banlieue est fait. Une nouvelle vie de confort va démarrer. Le père (Katsuya Kobayashi), salaryman prend le temps de faire quelques roulades sur le tapis du salon, histoire de bien se rendre compte du grand espace dont il va pouvoir profiter. Puis, le train-train prend le dessus. Il part en vélo avec sa fille sur le porte-bagage. Puis, c’est le métro, coincé contre la vitre, au milieu de la foule de fourmis qui part travailler, un trajet que Sōgo Ishii croque en quelques plans ironiques. Mais, c’est la belle vie, celle dont ce père de famille a toujours rêvée.

Madame Kobayashi (Mitsuko Baishô) est une femme au foyer qui s’occupe de la maison et des deux enfants. Le fils ainé Masaki (Yoshiki Arizono) s’apprête à passer ses examens pour entrer à l’université. Plutôt réservé, il étudie en silence dans sa chambre. Un soir, il découvre un chiot abandonné sous le porche de la maison. Il convainc son père de le garder et déclare qu’il s’en occupera. Cela satisfait finalement les parents qui voient ainsi que Masaki s’ouvrent aux autres. Erika, la fille collégienne (Youki Kudoh) est très expansive au contraire de son frère. Elle hésite à faire carrière dans le catch (elle s’entraine avec ses peluches géantes) ou chanteuse de pop (elle s’exerce devant sa maman et son grand-père).

Justement le grand-père (Hitoshi Ueki). Il leur rend visite un jour mais très vite, la famille comprend qu’il est bien parti pour s’installer. Le papi déborde d’énergie. Il promène le chien mais va jusqu’à l’épuiser. Il invite des amis à venir boire le saké et à faire un karaoké mais ils se couchent à point d’heure. Bref, le grand-père dérange tout le monde et en plus se permet de donner des leçons à son fils. Ils étaient venus s’installer dans une grande maison, mais le père doit dormir avec son père et la mère partage la chambre de sa fille. Déjà, l’unité de la famille craquelle sous le poids de la tradition familiale qui veut que les grands-parents soient accueillis avec respect par les enfants. Cette tradition, Crazy family la brocarde et en montre les limites que le grand-père franchit allégrement.

La tension entre les membres de la famille Kobayashi est déjà mise à rude épreuve sur un rythme trépidant. La mise en scène est portée par le rock sec du groupe 1984 garde la distance entre critique acerbe et ironie comique. Mais tout va se dégrader avec la découverte de termites dans les fondations de la maison. Le père pour mieux accueillir le grand-père décide de construire une chambre dans le sous-sol. C’est bien entendu une idée complètement loufoque qui fait hurler la mère et criser le fils (qui demande le silence). Mais le père perd toute contenance et toute raison quand il voit ces termites. Chasser ces insectes tourne à l’obsession et il va jusqu’à mettre le feu dans le salon. Oppressé par une situation qu’il ne peut contrôler, le père décide de supprimer toute la famille et poursuit avec le marteau-piqueur.


Le film se lance dans un huis-clos familial où chacun devra tenter d’échapper au père et de survivre. Sur un ton comique plus que tragique, Crazy family pointe cependant tous les dysfonctionnements de la famille japonaise. Le père stressé par le boulot et la pression familiale. La mère réduite par la société à un rôle minimal de femme au foyer obéissante. Le fils qui se mutile la jambe gauche devient obsédé par le silence et subit la pression de la réussite à tout prix. Il ne dort plus, s’enferme dans une pyramide lumineuse et se transforme en zombie, au sens figuré. La fille entre chanson pop et catch est esclave de la mode et de cette tendance à vouloir devenir célèbre. Quant au grand-père, il a des renvois du passé guerrier du Japon et menace de tuer tout le monde avec son sabre. Ainsi, sous des apparences de pétages de plomb rigolos, le film se transforme en slasher sociologique avec une double fin surprenante proche de l’onirisme. Car finalement, ce que veut exprimer Sōgo Ishii, c’est qu’il faut tout détruire pour partir sur de nouvelle bases.






















lundi 30 mars 2020

L'Imposteur (Julien Duvivier, 1944)

C'est la première fois que j'entendais Jean Gabin parler anglais. Certes, il a fait peu de films aux USA pendant son exil hors de la France de Pétain. L'Imposteur commence cependant en France, à Tours précisément où tout le monde parle anglais. Clément, le personnage de Gabin, est en prison. Ce jour-là est son dernier jour, il est condamné à mort et on l'emmène à la guillotine. Il a tué un policier lors d'une bagarre.

C'est le début de la guerre et les avions allemands bombardent Tours. Il parvient à s'échapper de prison qui est totalement détruite. Il fuit vers le sud de la France. Il monte dans un camion où se trouvent des soldats. Un deuxième bombardement. La plupart des soldats sont touchés, à terre, certains sont morts. D'un geste fou, il décide de prendre les papiers de l'un d'eux. Il était près de mourir, il renaît sous un nouveau nom.

Le périple avec sa nouvelle identité ne fait que commencer. Il s'appelle désormais Maurice Lafarge. Il embarque dans un bateau à destination de l'Afrique. Il se lie immédiatement d'amitié avec Monge (John Qualen), un ancien fermier normand, il se trouve sur le quai au moment où Lafarge s'apprête à embarquer. Lafarge et Monge deviennent des soldats au Congo Brazzaville alors colonie française. Ils deviennent partisans de De Gaulle.

Sur le navire, on découvre les autres personnages. Ils sont moins dessinés que Monge, ils existent avec un simple trait de caractère. Hafner (Peter Van Eyck) ne rêve que de se battre (il sera le premier à mourir au combat plus tard). Bouteau (Allyn Joslyn) est un fermier, Cochery (Eddie Quillan) employé de banque. Ils sont sous le commandement de Varenne (Richard Whorf). Le ton est celui d'une comédie dans ces premiers temps.

Les voilà ainsi au cœur de la forêt tropicale pour construire un aérodrome destiné à servir de relais pour la Résistance. Comme dans tous les films qui se déroulent en Afrique, les Africains n'existent que comme force de travail. Pendant qu'ils coupent la forêt, transportent les arbres, creusent, les Blancs surveillent, dirigent. Puis, une fois que les Africains ont bien bossé, les soldats se font servir le repas (toujours le même, ils en rigolent même).

Alors comme Jean Gabin n'est pas le meilleur anglophone possible, il joue essentiellement avec son corps, avec ses yeux surtout. Il ne doit pas se trahir, donner sa vraie identité. Mais son visage exprime autre chose, il est présent autour de ses camarades mais on sent bien qu'il refuse de s'attacher à eux. En tout cas dans un premier temps. Pourtant il subit un grand bouleversement dans sa vie d'homme.

En revanche, Julien Duvivier ne cherche pas à jouer sur le suspense qui consisterait à ce qu'on découvre l'identité de Lafarge Clément. Car peu lui importe qu'il soit découvert et confondu. C'est pour cela qu'il accepte d'aller se battre, un peu casse-cou, un peu leader, en tête de son escouade. Bref, il se rachète dans une idée consensuelle de l'héroïsme qu'on peut facilement qualifier de typiquement hollywoodienne.


C'est un tout petit film de Julien Duvivier presque sans femme. Seule la fiancée de Lafarge Yvonne (Elle Drew) est présente. Après des mois sans nouvelle, elle le retrouve. Il s'en suit un procès, un acte héroïque et une scène sur un cimetière militaire où ce bon vieux Monge vient se recueillir sur ses camarades tombés sur le champ de bataille. La caméra finit son travelling sur une tombe où aucun nom n'est indiqué, celle de Clément.





















dimanche 29 mars 2020

Le Cinéma de papa (Claude Berri, 1971) + La Première fois (Claude Berri, 1976)

En six films sur 10 ans, Claude Berri explore en long, en large et en travers ses jeunesses. Années de guerre dans Le Vieil homme et l'enfant (1966), 1946 dans les premières minutes du Cinéma de papa (1971), 1952 dans La Première fois (1976), 1956 à 1958 dans Le Pistonné (1968), Janine (1962) de Maurice Pialat s'inclut par ici, 1961 dans Le Cinéma de papa, milieu des années 1960 dans Mazel Tov ou le mariage (1970). Ce désordre chronologique a permis à Claude Berri de revenir sur ses souvenirs,d e les préciser. Dans son livre « Autobiographie » écrit dans les années 2000, il doutait de sa mémoire, il pensait qu'il ne faisait que paraphraser les scénarios de ses films.

Trois interprètes, Alain Cohen pour l'enfance, Guy Bedos, Claude Berri pour un seul personnage de Claude Langmann. Dans ces premières minutes du Cinéma de papa, Claude commence à sécher les cours. Il ment à son père Roger (Yves Robert) quand il proclame avoir été reçu au certificat d'études. Il fera la même chose dans La Première fois pour sa réussite au Brevet des collèges (cette fois, son père est joué par Charles Denner). Cancre, il passe sa vie dans les salles de billard au lieu d'aller à l'apprentissage pour devenir fourreur comme son père. Il drague aussi beaucoup les jeunes femmes.

Alain Cohen était encore un peu jeune pour jouer l'adolescent de 17 ans dans Le Cinéma de papa. C'est pourquoi le récit de son adolescence est si court, il est mal façonné, c'est pourquoi il sera repris dans La Première fois. Claude Berri développe ce que la première partie, ce prologue du Cinéma de papa décrit, tout en omettant la partie apprentissage. Certes dans les deux films le père rêve que son fils prenne la relève mais les ambitions divergent : les filles dans La Première fois et le cinéma dans Le Cinéma de papa. Claude Berri joue cet apprenti acteur qu'il était au début de sa vie d'adulte, un acteur pas très bon mais persuadé d'avoir du talent.

Paresseux, le Claude de 20 ans habite encore chez papa maman où il rend folle de jalousie sa sœur Arlette qui n'a pas autant de liberté que lui. Il va de casting en casting, chaque fois, il pense avoir convaincu avec son petit sourire et sa voix fluette. Au moins, on ne peut pas dire que Claude Berri se donne le beau rôle, c'est même une constante dans ses films de se déprécier en appuyant encore plus avec une voix off. Le plus ratage de sa « carrière » de comédie est le tournage de ce film américain où il n'est pas foutu de sortir ses trois répliques comme il faut. Mais il tombe amoureux de sa partenaire à l'écran.

Là encore c'est un leitmotiv ce cœur d'artichaut qui dirige toutes ses actions. Chaque fois, il tombe amoureux, souvent d'étrangères (la prof d'anglais dans Mazel Tov, une actrice américaine dans Le Cinéma de papa, une québecoise dans La Première fois), chaque fois il se prend un gros bide mais retourne inlassablement à la charge, devient balourd avant de se faire larguer définitivement, le déprimant un peu plus avant de retomber amoureux au premier regard. Sans cette ironie, pas franchement mordante faut quand même le reconnaître – elle est même plutôt molle, les films seraient franchement déplaisants.

Dans La Première fois, Claude Berri raconte surtout l'histoire d'un petit vantard qui fait croire à ses trois meilleurs amis qu'il est une bête de sexe. Il se fait dépuceler par une prostituée, ça dure 7 secondes mais il racontera qu'il l'a fait deux fois en une heure. Il passe de la consternations quand il est seul à la fierté totale devant ses amis. Le film raconte aussi des choses plus scabreuses de sa vie intime, notamment ce cousin Léon, plus âgé, qui lui achète des livres de Vernon Sullivan le jour pour frimer et les louer à ses camarades de classe, et qui vient la nuit dans la chambre de Claude pour une branlette que Léon prodigue à son cousin, ça, ça reste le secret de l'adolescent qui ne le raconte pas à ses amis.


Plus que dans tous les autres films, c'est le père qui régit la vie de Claude. Celui joué par Charles Denner joue un sale tour au fils en allant chez sa première petite amie et convenir avec le grand frère (Roland Blanche) de faire fuir Claude. Celui joué par Yves Robert croit en son fils, il fait des allers retours au bar où chaque fois il annonce à ses amis que son fils va enfin devenir une vedette avant que tout ne soit contredit par la réalité. À la toute fin de cette jeunesse en autoportrait, Claude Berri rend hommage à son père qui serait devenu acteur dans un film où joue également son fils dans une réconciliation fictive et apaisée.