dimanche 31 janvier 2016

J'ai aussi regardé ces films en janvier

Parfois, je n'ai pas envie d'écrire sur les films que je viens de voir, soit parce que je les trouve trop navrants et franchement pas rigolos, soit par paresse, soit parce que je n'ai pas grand chose à dire. Voici les films que j'ai vu ce mois de janvier parmi ceux sortis en salles sur lesquels je vais me contenter d'écrire quelques lignes.

Joy (David O. Russell, 2015)
Le scénario de Joy me fait penser à ceux que Scott Alexander et Larry Karaszewki avaient écrit pour Tim Burton et Milos Forman (Ed Wood, Larry Flynt et Man on the moon). Des hommes qui luttent contre le système qui cherche à les broyer. Le personnage de Jennifer Lawrence a aussi un rêve, fabriquer un balai qui permettra aux femmes de faire le ménage plus vite. Et ceux qui l'empêchent de mener son projet sont, pêle-mêle, sa famille envahissante qui vit tous sous le même toit (disputes entre le père – Robert de Niro – et l'ex-mari – Edgar Ramirez), les investisseurs (Isabelle Rossellini), les fournisseurs qui veulent l'arnaquer et la télévision où elle fera du télé-achat. Mais contrairement aux films cités ci-dessus, Joy ne fait que valider le bonheur du capitalisme libéral et le rêve américain parce que le système, in fine, protège les rêveurs.

Creed, l’héritage de Rocky Balboa (Ryan Coogler, 2015)
C'est assez rare pour le signaler, Ryan Coogler est né dix ans après le premier Rocky, tout comme Michael B. Jordan (très bon, j'espère qu'il trouvera d'autres bons rôles) qui joue ici Adonis Creed, alias Donnie Johnson pour préserver son anonymat. Après une adolescence délinquante, Adonis est adopté par la veuve de son père (Phylicia Rashad, Clair Huxtable dans la série Cosby Show). Il devient un brillant homme d'affaire et quitte cette vie bien rangée pour devenir boxeur. Direction Philadelphie et le restaurant Adrian's tenu par Rocky (Sylvester Stallone) qui vit dans les souvenirs des anciens films. Tout Creed sera donc un moyen de ses rappeler ce passé glorieux. Ainsi les combats de boxe et les entraînements sont soignés mais la romance entre Adonis et sa voisine du dessous est cucul la praline.

Spotlight (Tom McCarthy, 2015)
Avec un sujet pareil, je craignais le pire. Le sujet : des journalistes d'investigation qui enquêtent sur un prêtre pédophile à Boston, ville la plus catholique des Etats-Unis. Tout se passe en 2001 et cette poignée de reporters a bien du mal à trouver des éléments tant la censure à la fois de la Justice, de la Police et de l'Eglise leur met des bâtons dans les roues. La minutie du scénario qui met le spectateur à la place que Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel MacAdams et Brian D'Arcy James, quarteron mené par un nouveau rédacteur en chef (Liev Schreiber, d'une sobriété redoutable), est remarquable. Le film est passionnant, précis et d'une clarté appréciable. Je crois que la réussite de Spotlight tient à un seul détail, essentiel mais rarement utilisé : ces journalistes sont tous célibataires, pas d'atermoiements familiaux pour poursuivre leur travail. Ces problème conjugaux, c'était ce qui plombait L'Enquète de Vincent Garecq sur l'affaire Clearstream.

Made in France (Nicolas Boukhrief, 2014)
Les rebondissements autour de la sortie de Made in France ont été tellement nombreux qu'ils ont occultés que ce sujet, une cellule djihadiste qui s'apprête à commettre un attentat a déjà fait l'objet de plusieurs films, bien meilleurs, ces dernières années. Hadjewich de Bruno Dumont (2009), We are four lions de Christopher Morris (2010), La Désintégration de Philippe Faucon (2001) et Les Chevaux de Dieu de Nabil Ayouch (2012). On retrouve dans Made in France certaines scènes similaires à La Désintégration : le nouveau prénom du jeune converti, l'entraînement aux armes ou le rasage de la barbe pour passer inaperçu. L'une des tentations du film est de jouer sur le thriller, mais les dialogues sont toujours démonstratifs, explicatifs et plats (les répliques entre Sam le journaliste et le flic qui lui fait du chantage), chaque scène semble contredire la précédente (après avoir demandé à tout le monde de passer inaperçus, le gang décide de voler de quoi faire une bombe et tue un policier alerté par l'alarme), les personnages sont des archétypes et oublient leur but dès qu'ils se disputent (la scène où Christophe alias Youssef ne veut pas qu'on jette sa télé). En vérité, Made in France est tellement hors sujet qu'on se rend compte que les personnages pourraient être basques, coiffeurs ou fans de foot que le film serait pareil.

samedi 30 janvier 2016

Le Courrier de l'or (Budd Boetticher, 1958)

Je continue ma découverte du cinéma de Budd Boetticher. J'ai regardé la semaine dernière Le Traître du Texas (Horizons West, 1952) sans grand enthousiasme. Sans doute, les deux têtes d'affiche Robert Ryan et Rock Hudson dont je ne suis pas très fan, y sont pour quelque chose. Le scénario du Traître du Texas et celui du Courrier de l'or sont proches. Des soldats démobilisés rentrent chez eux. Dans leur ville natale, tout a changé, le calme a disparu depuis l'apparition d'un seigneur local dont les ambitions dépassent l'entendement. Il terrorise la population et s'accaparent leurs biens. Seul un redresseur de torts pourra rétablir la justice.

Dans Le Courrier de l'or, ce redresseur de torts est le capitaine Hayes (Randolph Scott, bien évidemment). Le film se déroule la dernière année de la Guerre de sécession. Il est un soldat gradé Nordiste. Ses supérieurs hiérarchiques l'engagent, bien malgré lui, pour une nouvelle mission. Permettre que des diligences puissent circuler sans encombre en plein territoire du Colorado, alors sous contrôle des Sudistes. Ces diligences transportent non seulement des civils mais aussi de l'or, nerf de la guerre. Il troque son uniforme pour un costume d'homme d'affaires de 1864 et s'embarque pour la bourgade de Julesberg.

Dans ses bagages, il emmène un soldat Rod Miller (Michael Dante), jeune gars au large sourire qui rentre retrouver sa Jeannie (Karen Steele) et sa ferme. Rod a été démobilisé pour une raison très simple. Il est un blessé de guerre, suite à un gangrène son bras gauche a été amputé. Quand il rentre à la ferme, Jeannie, en pantalon jean's, est en train de labourer. Budd Boetticher met en scène avec une grande pudeur ses retrouvailles enflammées et la découverte par l'épouse du handicap de son mari quand elle l'embrasse puis quand elle veut lui tenir le bras pour aller au foyer. Le capitaine Hayes va engager le couple pour faire de leur ferme un relais de la diligence.

Le conflit ne va tarder à arriver. Hayes quand il se rend à Julesberg sent l'hostilité à son égard. Le nouveau potentat local est une de ses vieilles connaissances, Putnam (Andrew Duggan). Il a éjecté le relais de la compagnie de diligences. Avec son homme de main Mace (Michael Pate), au costume noir comme la mort et au sourire de hyène, il fait régner la terreur. Mace manie le revolver avec dextérité, Hayes en fait les frais sous les moqueries de la bande de bandits que dirige Mace. Chargé des basses œuvres, il vole les chevaux et incendie les fermes de ceux qui soutiennent Hayes. Quand il abat froidement Rod Miller, la vengeance de Hayes va se mettre en branle.

Comme dans Le Traître du Texas, l'épouse du tyran du Courrier de l'or est un ancien flirt du redresseur de torts. Norma Putnam (Virginia Mayo) a choisi de ne pas attendre Hayes, mais à son retour, elle va tout faire pour calmer Putnam qui est vite dépassé par le furie meurtrière de Mace. En tout juste 65 minutes, Budd Boetticher commence son film comme une comédie, le poursuit comme un thriller et le finit avec un beau règlement de compte nocturne. Parenthèse : le jeu de Randolph Scott me fait penser à celui de Mark Harmon dans NCIS. Gibbs a le même sourire, fait la même tête contrite et redresse les torts avec le même sens de la justice.












vendredi 29 janvier 2016

Jacques Rivette (1928-2016)

J'habite à Grenoble depuis 25 ans. L'une des salles que j'ai le plus fréquentée depuis que je vais voir des films est la Salle Juliet Berto occupée à la fois par la Cinémathèque de Grenoble et le Ciné-club de Grenoble dont j'ai été pendant dix ans un animateur. Après toute une année de travaux (nécessaires, les sièges étaient en plastic et cassaient le dos), une inauguration a eu lieu en avril 1998. Tous les films projetés étaient avec l'actrice Juliet Berto, grenobloise de naissance. Pour la première fois, je voyais des films de Jacques Rivette avec qui elle avait beaucoup tourné. Duelle (1976) et Céline et Julie vont en bateau (1974) étaient au programme. Pour faire la réclame autour de ce dernier film, je disais qu'il faisait la même durée que Titanic (3h12) qui venait juste de sortir. Si le film de James Cameron avait passionné 21 millions de spectateurs français, Céline et Julie vont en bateau pouvait remplir notre salle de 200 places. Le film était très drôle, très vif, bourré d'action. On y contait l'histoire de deux filles un peu barrées qui avalaient des petites pilules qui les emmenaient dans des mondes parallèles. Quand les frères Wachowski ont sorti Matrix un an plus tard, nous étions quelques happy few à savoir que le film de Jacques Rivette était l'une de leurs influences principales.

Si j'ai mis tant de temps à regarder des films de Jacques Rivette, c'est sans doute à cause de leur réputation. Quelle réputation ? D'abord celle de leur durée. Jeune étudiant, j'avais un ami très proche qui était amoureux d'Emmanuelle Béart. « Quatre heures avec elle nue, tu te rends compte, Jean ? » La Belle noiseuse (1991) a sans doute été le plus grand succès public du cinéaste, avec La Religieuse (1966). Le film a même été nommé pour le César du meilleur film. Pas franchement une consécration pour Jacques Rivette qui devait ne pas trop s'intéresser à l'Académie des Césars, ne serait-ce que parce que cela s'appelle l'académie. Sa deuxième réputation est justement de ne pas faire de films académiques, c'est-à-dire qu'il se moquait bien que chaque bouton de guêtre soit sur les costumes de ses interprètes. Parmi ses films en costumes, Jeanne la pucelle (1994) d'une durée totale de 6 heures cherchait à être fidèle à une époque grise et poisseuse aussi éloignée que possible de celles de Robert Bresson que de celle que fera trois ans plus tard Luc Besson. Il procédait de la même manière avec Hurlevent (1985), son adaptation du roman d'Emily Brontë où le romantisme est mis à plat. Comme je l'expliquais au sujet de Out 1 Noli me tangere, ce qui passionne Jacques Rivette, ce sont les moments de creux plutôt que les climax.

L'influence de Jacques Rivette sur le cinéma contemporain est énorme, plus que celles de Godard, Truffaut, Rohmer ou Chabrol réunis. Moins pour les sujets qu'il a abordé dans ses quelque vingt films ou pour son style, mais pour son mode de production. Les films de Rivette étaient bons marché, il tournait avec une équipe réduite, il était fidèle à ses techniciens et ses actrices. En ce sens, on peut dire que les frères Larrieu, Bruno Dumont, Arnaud des Pallières, Alain Guiraudie sont des cinéastes rivettiens. L'influence de Jacques Rivette sur la critique française a aussi été fondamentale. Il commence à écrire aux Cahiers du cinéma dès 1952. Il est l'auteur de peu de textes. L'un des plus marquants en 1962 était titré De l'abjection et parlait de Kapo de Gillo Pontecorvo. Ce texte où il dénigrait qu'un travelling filme joliment une femme qui mourait électrifiée en tentant de s'échapper d'un camp de concentration est fondateur de toute une chapelle critique qui va de Serge Daney (Cahiers du cinéma puis Libération), à Les Inrockuptibles, Libération, Le Monde et bien-entendu les Cahiers du cinéma jusqu'à aujourd'hui (il suffit de relire ce que ces publications disaient sur La Liste de Schindler et Le Fils de Saul). L'un des tous premiers textes de Jacques Rivette dans les Cahiers (N°23, mai 1953) sur Howard Hawks commençait ainsi : « L’évidence est la marque du génie de Hawks. » Rien que pour ça, il fallait lui rendre un hommage.

Les Délices de Tokyo (Naomi Kawase, 2015)

Sans doute faut-il commencer par dire ce que n'est pas Les Délices de Tokyo. Si l'on s'en tient à la bande-annonce malicieuse et alléchante (que j'ai été obligé de regarder juste avant Le Garçon et la bête), elle parle de la transmission du savoir entre générations (un peu comme dans Le Festin chinois de Tsui Hark) et elle évoque le passage au succès d'une pâtisserie qui n'a guère de clients (lorgnant vers Tampopo de Juzo Itami), elle suggère aussi une comédie légère (ce bon feel good movie). Le film de Naomi Kawase est un peu tout seulement, mais seulement dans ses vingt première minutes avant de bifurquer ailleurs.

Sen (Masatoshi Nagase) tient une petite échoppe où il fabrique des dorayakis, des pâtisseries composées d'une pancake à base de farine de riz tranché dans lequel il insère du an, de la pâte de haricot rouge sucrée (miam). Ses très rares clients sont des lycéennes. Les trois premières se moquent un peu de Sen, ses dorayakis ne sont pas très goûteux, elles lui demandent de sourire, ce qu'il ne fait pas. Quand elles sont parties, Wakana (Kyara Uchida) une autre lycéenne, plus timide mais plus gentille, arrive. Sen lui offre ses pancakes ratés, sans doute doit-elle être pauvre. Puis, une vieille dame, par l'odeur alléchée vient proposer son aide.

Cette vieille dame s'appelle Tokue (Kirin Kiki). Le sourire aux lèvres, elle annonce qu'elle a 76 ans. Elle fait quelques petits gestes avec ses mains que Naomi Kawase commence à filmer avec insistance, surtout les difformités aux poignées. Tokue veut travailler pour Sen. Il refuse. Elle revient le lendemain pour offrir à nouveau ses services, pour salaire de misère. Il refuse, mais accepte de goûter ses haricots rouges qui sont délicieux. Bref, je suis en train de raconter ce que l'on voit dans la bande annonce. Sen et Tokue commencent à faire de délicieux dorayakis. Ils se vendent et les gens, alertés par l'écho de si bons mets, affluent.

Naomi Kawase filme ce petit miracle de comédie tambour battant. Elle observe en gros plan, caméra au plus près des visages, des marmites et des haricots la fabrication de la recette de Tokue. On sera tout des deux cuissons à l'eau puis de la cuisson au sucre et finalement de l'ajout de sirop de glucose. Elle réussit à fictionnaliser ce qui, dans ses films précédents, n'était montré que comme une expérience de la nature. Cette nature qui entoure l'échoppe, des beaux cerisiers en fleurs que Tokue regarde avec tout autant d'amour que ses haricots rouges.

Mais les clients vont un jour cesser de venir. La faute aux mains de Tokue qui inquiètent certains clients. Ce sont des méchantes rumeurs, affirme Sen à Tokue qui reste évasive sur le sujet. Ce sujet, c'est tout à la fois la paranoïa des Japonais concernant une maladie rare (la lèpre) dont a souffert Tokue, que cette passion pour les produits aseptisés (emballage pour chaque dorayaki). Un jour que Sen ne peut pas se lever, Tokue sert les clients. Ce sera la dernière fois car le lendemain, plus personne ne vient. L'amitié entre les trois solitaires ne s'en trouve que plus renforcée, seuls contre tous.

Le film tente de se relancer très mécaniquement avec l'arrivée de la propriétaire de l'échoppe (elle se plaint de Tokue, elle veut que Sen travaille avec son neveu neuneu), pure concession scénaristique. Mais Naomi Kawase préfère parler de ses trois marginaux et sonder leur cœur. Sen est alcoolique, il a une grosse dette d'argent, Tokue commence à vivre et à découvrir le monde à 76 ans et cette lycéenne a comme seul ami un canari. Ce sont trois solitudes qui vont s'unir, discuter de la nature avec cet esprit new age que la cinéaste aime tant. Le film est agréable, mais tout ce faisait la saveur du cinéma de Naomi Kawase, son secret, sa pâte de haricots rouges à elle, semble s'être dissous.

mercredi 27 janvier 2016

45 ans (Andrew Haigh, 2014)

A priori, 45 ans est totalement différent de Weekend, le précédent film d'Andrew Haigh. Jouons au jeu des différences. Dans Weekend, deux hommes, jeunes trentenaires, se rencontraient dans un bar, passaient la nuit ensemble à faire l'amour. Tout se passait à Londres et ils étaient confinés dans un petit appartement ou dans des cafés. Dans 45 ans, Geoff (Tom Courtenay) et Kate (Charlotte Rampling) sont mariés depuis 45 ans. Ils vivent dans une immense maison au beau milieu de la campagne de Norfolk.

Mais comme disait l'autre (Serge Daney), c'est la même chose, sauf que c'est l'inverse. Dans les deux films, Andrew Haigh met un compte à rebours, les deux amants de Weekend savent que leur aventure amoureuse va se terminer quelques jours plus tard. L'un des deux est Américain et doit rentrer chez lui. Dans 45 ans, la semaine va s'égrainer du lundi au samedi, c'est ce dernier soir que Kate et Geoff doivent fêter leur anniversaire de mariage, en grande pompe et avec tous leurs amis et connaissances.

La journée se déroule toujours de la même manière. Le matin Kate va promener le berger allemand nommé Max. Puis, elle prend le courrier tandis que Geoff lit tranquillement en l'attendant. Et ce jour-là, une lettre est adressée à Geoff. Elle est en allemand, elle vient de Suisse, sa mémoire de la langue de Goethe est un peu défaillante mais il comprend que Katya, qu'il a connu en 1962, juste avant son mariage avec Kate, est morte. Plus précisément, son corps a été enfin découvert, drainé depuis des années par un glacier des Alpes suisses.

Le petit grain qui va mettre à mal le couple, est que Kate n'a jamais entendu parler de cette femme. Elle a bien compris que le prénom est très proche, trop proche pour elle. C'est tout un pan de l'histoire de son mari qu'elle découvre. Il n'ose pas dire qui elle est. Quand son comportement change et qu'il se remet à fumer, elle comprend qu'elle était la fiancée de Geoff. Les révélations sont emmenées délicatement par le cinéaste, sans engueulade monumentale. C'est là qu'on voit la différence avec certains films sur les secrets familiaux enfouis.

Tout le film repose sur le talent de Charlotte Rampling, et plus encore sur son regard pénétrant et inquiet sur l'avenir de son couple. Cet avenir qui doit être célébré ce week-end pourra-t-il résister à ce fantôme du passé ? Comme dans Weekend, ou dans sa formidable série Looking sur HBO, les dialogues sont très soignées et d'un naturel confondant. Mais la volonté du cinéaste de sortir de la fiction gay semble, dans certaines scènes, avoir pétrifié et anesthésié son cinéma.

mardi 26 janvier 2016

La Garçon et la bête (Mamoru Hosoda, 2015)

Je ne sais pas pourquoi j'ai tant attendu pour aller voir Le Garçon et la bête, pourtant, j'aime bien les autres films de Mamoru Hosoda. C'est en tout cas le meilleur film d'animation japonaise que j'ai vu depuis un bon bout de temps (largement meilleur que les derniers Ghibli). Et en plus, il prend comme schéma de base celui de Le Fils du désert de John Ford ou Tokyo godfathers de Satoshi Kon, un enfant pris en charge par trois marginaux.

Ce garçon s'appelle Ren. Il a neuf ans, sa mère vient de mourir et son père avait quitté le foyer familial depuis des années. Plutôt que d'aller dans une famille d'accueil (dont on verra jamais les visages de ses membres quand ils lui parlent de sa future vie chez eux), Ren préfère s'enfuir dans les rues bondées de Tokyo. En short et en t-shirt, le gamin erre, hurlant son désespoir au milieu des passants « je vous déteste tous ».

Alors qu'il se réfugie dans une impasse pour grignoter, il rencontre une créature minuscule, une petite boule blanche qu'il adopte et appelle Chico. C'est sa première étape vers le Merveilleux. Pourchassé par des policiers, Ren se cache mais il remarqué par la bête, une sorte de loup au pelage rouge qui a décidé de trouver un disciple parmi les humains. Ce loup s'appelle Kumatetsu, il est accompagné d'une autre bête, un singe nommé Tatara.

Il leur suffit désormais de passer de notre monde, ce Tokyo contemporain à celui des bêtes, tout aussi grouillant mais peuple uniquement d'animaux qui ont le don de la parole. Et à propos de langage, celui de Kumatetsu est des plus fleuris. Un caractère de feu, comme son pelage. La bête n'est pas commode, c'est au contraire un gueulard à la mauvaise réputation. Son ambition est de devenir le seigneur de sa contrée, Jutengai.

Son adversaire principal est un sanglier nommé Iozen, aussi calme que Kumatetsu est excité. Ce dernier défie le premier, mais il est rapidement défait dans ce combat où le loup géant se laisse dominer par son manque de concentration. Le seigneur de Jutengai, un lapin aux longues moustaches exige que Kumatetsu forme un disciple. Ce sera donc Ren, qui refuse dans un premier temps, et qui se fait renommer Kyuta.

La formation de Kyuta par ce gros patapouf incompétent de Kumatetsu procure de joyeux moments de comédie. La bête aidée du singe et d'un bonze à l’apparence de cochon (ces trois marginaux dont je parlais plus haut) vont aider, chacun à leur manière, Kumatetsu à faire de Kyuta un disciple. Qui est le plus immature des deux, voilà la question qu'on peut se poser tant le garçon comme la bête sont terriblement têtus et infantiles.

L'humour cède la place à un film plus sombre après un périple où le trio et le garçon rencontrent d'autres seigneurs. Kyuta grandit, devient adulte et ressent le besoin de revenir au Japon. C'est un nouvel apprentissage qui commence avec la rencontre d'une lycéenne, Kaede, qui lui apprend à lire (le film est un éloge de la lecture, notamment Moby Dick) et à vivre parmi les humains. Kyuta redevient Ren et tente de rencontrer son père.

Comme dans les films précédents de Mamoru Hosoda, La Traversée du temps, Summer wars ou Les Enfants loups, les deux univers s'interpénètrent, se répondent et se complètent. Cette fois, le cinéaste harmonise mieux les passages entre les deux mondes, tout comme les registres, comédies, aventures et action, rêverie et réalité. Et ce qui est extraordinaire dans ce film épatant et sans mièvrerie, c'est qu'on ne sent jamais les deux heures passer.

lundi 25 janvier 2016

Les Chevaliers blancs (Joachim Lafosse, 2015)

On connaît tous, au moins dans ses grandes lignes, cette aventure menée en pleine présidence Sarkozy par un groupe de soi-disant humanitaires partis en Afrique aller chercher des enfants pour des familles d'accueil françaises. Vincent Lindon incarne Jacques, le chef de ce groupe. Il est en mission avec une demi-douzaine de personnes qu'il dirige avec énergie, assignant chacun à un poste. Toi tu monteras les tentes, toi tu installes le dortoir, toi tu déballes les valises. Tout le monde est enthousiaste, car la mission est vitale pour ces orphelins dans un pays en proie à une guerre civile.

Pourtant dès la séquence d'ouverture le plan que Jacques croyait bien huilé voit son premier déraillement. Entre l'aéroport et la maison qui va servir au groupe de quartier général, les 4X4 sont attaqués par des miliciens. Les Chevaliers blancs ne va jamais cesser de montrer toutes les embûches qui se mettent au travers de la mission de Jacques et ses comparses. Les réactions à ces obstacles sont diverses au sein du groupe, certains sont toujours partant pour atteindre leur but, d'autres perdent rapidement l'espoir que cela fonctionne convenablement.

Premier pépin, l'avion qu'a loué Xavier (Reda Kateb) est en panne. Impossible de traverser le pays pour rejoindre un village contacté par Xavier, présent sur place avant l'arrivée de Jacques, pour recueillir des orphelins. Jacques fait pression pour emprunter l'avion de secours (engueulade par le chef des pompiers à leur retour) et, parce que la pièce du moteur n'est pas encore arrivée, pour partir en Jeep à travers le désert et se faire canarder par les rebelles. Là, Jacques, toujours inconséquent, se fera engueuler par un militaire de l'ONU.

Pas d'enfants, donc pas de travail pour les bénévoles. Une infirmière désœuvrée en profite pour troquer sa blouse pour un boubou mieux adapté au climat local. Celui lui vaudra le courroux de Laura (Louise Bourgouin), la compagne de Jacques. Le couple est toujours prompt à faire la morale aux membres de l'équipe, à leur faire un chantage où, chacun l'un après l'autre, va voir la personne qui commence à douter en lui affirmant qu'elle ne pense qu'à elle et pas aux enfants. Joachim Lafosse filme ces conversations comme autant de lavage de cerveaux.

Voyant les risques pris pour se déplacer, puis quand les premiers enfants arrivent au camp, que certains ne sont pas orphelins, une violente dispute se déclenche lors d'un déjeuner. Les premiers à partir sont deux infirmières et le médecin (Yannick Renier), malgré les chantages de Jacques et Laura. Les clans se forment, et au milieu deux femmes. Bintou (Bintou Rimtobaye) sert d'interprète et Françoise (Valérie Donzelli) fait un reportage sur l'épopée. Même si on connaît l'issue du film tout comme les vraies ambitions de Jacques, ce sont Bintou et Françoise qui révèlent au spectateur ce qui se passe vraiment.

Joachim Lafosse a le tact pour ne pas créer un suspense racoleur, et, plus grand exploit, de ne pas enfoncer ses personnages dans une vision unidimensionnelle. Vincent Lindon en gourou narcissique dépassé par les événements mais incapable de se remettre en question est comme Jonathan Zaccaï dans Elève libre (le meilleur film de Joachim Lafosse) ou Niels Arestrup dans A perdre la raison. Oui, c'est cela, ces humanitaires ont perdu la raison et le film montre, non sans un humour glaçant, les fondations de cette prison mentale.

The Crimson kimono (Samuel Fuller, 1959)

Avec The Crimson kimono, Samuel Fuller s'intéresse à la communauté asiatique qui vit aux Etats-Unis et filme son polar dans un beau noir et blanc au format cinémascope. Il a aussi changé de studio, quitté la Fox et travaille désormais pour la Columbia. Charlie (Glenn Corbett) et Joe (James Shigeta) sont deux policiers de Los Angeles. Ils se sont rencontrés lors de la guerre de Corée. Ils vivent désormais ensemble dans un coquet appartement, dont ils disent eux-mêmes, pour lequel ils dépensent tout leur salaire en décoration et meubles pour en faire un nid douillet. Joe et Charlie sont un couple tranquille qui va être perturbé par l’arrivée de Chris (Victoria Shaw) dans leur vie. Charlie croyait que c’était un homme et est très étonné de comprendre que ce peintre est une femme. Chris pourrait aider à retrouver l’assassin. Charlie reçoit aussi les conseils de Mac (Anna Lee), qui boit du whisky à la bouteille et se comporte comme un homme.

Dans The Crimson kimono, Samuel Fuller prend un malin plaisir à filmer un triangle amoureux en le cryptant à la fois de notions sur la race (Joe le Japonais est persuadé qu’une Américaine blanche ne peut pas l’aimer) et de notions sur l’homosexualité des deux flics, bien plus précises et amusantes que dans La Maison de bambou. Chris est le personnage qui va séparer les deux flics qui vivent une vie de couple bien rangée. La manière dont ils sont filmés au saut du lit, se battant au kendo – le bâton symbole phallique – puis, tout en sueur, tenter de s’expliquer en se regardant les yeux dans les yeux avec des dialogues à double sens, procurent des moments très savoureux. En filmant cette ambiguïté sexuelle pourtant évidente, le film met aussi le doigt sur les discriminations raciales aux Etats-Unis à la fin des années 1950. Le film de Samuel Fuller est tout à la fois un flm criminel où les deux limiers résolvent une enquête qu'un pamphlet politique en brisant les recommandations du code Hays de la censure hollywoodienne.











dimanche 24 janvier 2016

Persona (Ingmar Bergman, 1966), 2/2

« A l'origine, le mot persona, c'est le masque porté par les acteurs dans la tragédie classique. Persona peut aussi caractériser les différents personnages de la pièce. », dit Torsten Manns à Ingmar Bergman dans son livre d'entretiens (Le cinéma selon Bergman, 1970, Editions Seghers). Elisabet Vogler (Liv Ullmann) est une actrice de tragédie. Elle joue Electre au théâtre. Mais un jour, elle ne peut plus sortir un seul mot. Le regard angoissé, elle tourne la tête du public vers les coulisses. Elisabet doit se reposer, quitter le monde, déclare le médecin de l'hôpital à Alma (Bibi Anderson), la jeune infirmière qui va s'occuper d'elle.

Si en début de film (lire le texte sur la séquence pré-générique), seul le visage d'Elisabet est montré, Alma apparaît de plein pied à l'image, elle ouvre cette porte de la chambre d'hôpital où la patiente est allongée. Une chambre glaciale, sans décor, clinique. Elles se saluent poliment. Elles partent ensuite toutes les deux dans une belle maison au bord de la mer. Que faire pour briser le silence, pour ne pas se sentir seule, est l'interrogation d'Alma. Elle va parler d'elle, dans un flot ininterrompu de monologues qu'Elisabet écoute. Alma parle d'elle, de sa vie d'infirmière, de son couple bancal, de son désir (ou non) d'enfant. Alma a une vie banale. Les mots se succèdent comme les images de la séquence pré-générique se suivaient. Les deux femmes se promènent, font quelques activités, mangent, bronzent, dorment, lisent, écrivent.

Alma veut percer le secret de l'actrice. Lors d'un passage en ville, Alma ouvre et lit les lettres qu'Elisabet a écrit. L'infirmière y est décrite avec un certain mépris, un mépris de classe. Elisabet l'étudie pour un éventuel rôle, elle étudie la vulgarité d'Alma, qui la fascine autant qu'elle la dégoûte. Elle veut passer d'Electre à la masse laborieuse. Tout cela décontenance Alma qui, de retour à la maison, veut des explications. Elle se heurte à un mur de silence. Un verre se brise, Elisabet marche sur les bris de verre et se coupe le pied. Le film se brise dans le même temps, l'image de la pellicule se fragmente, la bobine se met à brûler, comme cela arrivait parfois dans les projection en 35mm.

Ce qui va pousser enfin Elisabet a sortir son premier mot (un non angoissé), c'est une violente dispute où Alma, après lui avoir reproché d'avoir nié avoir parlé plus tôt, poursuit Elisabet dans la maison et la menace avec de l'eau bouillante. Avant qu'elle ne puisse révéler le mal qui la ronge depuis des années, Elisabet ouvre un livre où une photo sert de marque page. Cette photo est celle d'enfants juifs arrêtés par le nazis. Comme pour la guerre du Viet Nam illustrée par l'extrait de film de ce moine qui s'immole à Hanoï, Elisabet se sent impuissante face aux désastres de l'humanité. Que peut Electre face à la guerre ? Rien, autant se taire.

Une fois les masques tombés, le processus d'identification entre Elisabet et Alma va se prolonger. Ingmar Bergman introduit dans Persona des scènes de rêve. Ce sont toutes ces séquences où les deux personnages sont côte à côte et s'assimilent l'une l'autre. Elisabet caresse les cheveux d'Alma. L'époux d'Elisabet (Gunnar Björnstrand) parle à Alma comme si elle était sa femme. Sans doute l'image la plus célèbre de Persona, avec les visages de Liv Ullmann et de Bibi Anderson de face et de profil. Le visage des deux femmes en surimpression renvoyant à ceux de la séquence pré-générique caressés par le garçon. L'un des derniers plans du film montre une caméra sur une grue, tout cela était le film cerveau d'Ingmar Bergman.


















samedi 23 janvier 2016

Persona (Ingmar Bergman, 1966), 1/2

J'ai toujours été fasciné par les six premières minutes de Persona. Une séquence d'ouverture composée de plan multiples parfois très courts (la verge en érection, les amorces de la bobine qui se lance, le moine qui s'immole à Hanoï). Ces plans si courts dans un film en 35mm où chaque seconde comporte vingt-quatre images n'excèdent pour certains dix images par seconde, ils apparaissent de façon subliminale à l’œil, une excitation pour l'esprit. J'ai récemment revu Persona dans une salle de cinéma, projeté en DCP, certes on retrouvait les images, mais ce format écrase les images minuscules et fugaces, elles sont presque anéanties par le scannage du film.

Ingmar Bergman, qui était très malade pendant l'écriture du scénario puis pendant son tournage, considère cette ouverture comme un poème, à la fois détaché du reste de l'action, où Liv Ullmann et Bibi Anderson s'affrontent, et totalement en raccord avec elle. Au fil des images : un carré blanc au milieu d'un noir total, puis un autre plus petit qui s'agrandit, c'est la lampe du projecteur qui se met en marche et qui va déverser son flot d'images. Ce projecteur était celui de Bergman. Le Start de la bobine, le décompte de l'amorce puis, ce sexe subliminal. Un blanc, un noir, la bobine se lance au sens propre et enfin, ce qui se trouve dans la pellicule, un dessin animé pour enfants dont l'image se bloque.

Deux mains qui se touchent et se frôlent, celles des deux actrices. Un film incunable projeté en 8mm, un squelette qui sort d'une malle et effraye un homme. Les plans se rallongent. Dans un halo blanc, une araignée velue, un agneau sacrifié puis ses viscères, un clou planté dans une paume de main. Des images de mort mêlées à celle de religion, les deux obsessions du moment d'Ingmar Bergman. Les plans suivants, selon le cinéaste dans un livre d'entretien (Le cinéma selon Bergman, 1970, éditions Seghers) évoquent son séjour à l'hôpital, un mur, les quatre arbres qu'ils voyaient de sa fenêtre. Puis, des corps, des visages en gros plans, de personnes que l'on imagine décédée.

C'est ainsi que la transition peut se faire avec cet enfant allongé qui semble recouvert d'un linceul. On l'imagine mort et il va remuer la tête, regarder le spectateur qui l'observe. L'enfant chausse ses lunettes, se met à lire un livre, puis fixe à nouveau l'objectif. Toujours torse nu, avec un pantalon de pyjama blanc, il se lève et effleure les images floues puis nettes d'Elisabet (Liv Ullmann), sa mère, images qui se confondent avec celles d'Alma (Bibi Anderson). La musique, relativement atonale, lance le générique, cartons très rapides entrecoupés de plans tout aussi fugaces issus du film qui va arriver et de ce moine qui s'immole.