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lundi 23 décembre 2019

The Lighthouse (Robert Eggers, 2019)


J'en reviens toujours pas de voir Robert Pattinson. Quand il a commencé à jouer Edward Cullen dans les Twilight en 2009, il était, encore plus que Taylor Lautner – le loup-garou de la franchise – et Kristen Stewart – la nécrophile, puisqu'elle couchait avec un vampire, devenue depuis l'égérie d'Olivier Assayas, la risée du monde entier. Je suis plutôt ravi de voir que tout revient dans l'ordre. David Cronenberg avait parfaitement capté dans Cosmopolis l'effet miroir qu'il exerce sur le spectateur.

Robert Pattinson fait la couverture des Cahiers du cinéma (pour Good time des frères Safdie), joue dans le meilleur film de James Grey (Lost city of Z), part dans l'espace pour Claire Denis (High life) et file désormais sur un phare sur un îlot de la Nouvelle Ecosse en compagnie de Willem Dafoe, barbu comme jamais, rugueux à souhait, délivrant quelques pets dans l'espace exiguë qui va leur servir quelques mois de domicile et de lieu de travail. Le tout est filmé dans un noir et blanc ultra contrasté.

Ces pets qu'on entend ne sont pas là pour faire rire, pas uniquement. Cette trivialité permet au film de ne pas se prendre trop au sérieux, de rester proches de ces personnages, surtout de celui de Willem Dafoe qui débite des lignes entières de Herman Melville avant chaque repas (de la morue et un légume, ça doit être ça qui le fait péter) et d'avaler des litres d'alcool blanc. Ce que refuse pour l'instant de faire son jeune apprenti qui se contente d'eau. À voir le goût de l'eau, on comprend pour l'ancien boit de l'eau de vie.

N'entendre que les pets serait de mauvaise foi. Ce que le film de Robert Eggers propose comme dispositif sonore est une sorte de corne de brume, un haut parleur qui rugit jusqu'à en faire vibrer les fauteuils du cinéma. C'est un avertisseur pour les bateaux tout autant que la lumière du phare. Le son, court et sourd, est relayé par la musique sinistre elle aussi. Tout à fait en adéquation avec l'image. Il s'agit d'être cerné par un son dont on ne peut pas s'échapper, auquel s'ajoute le ressac de la mer, les vagues qui s'échouent et l'écume de l'eau.

L'îlot est inhospitalier et l'aîné mène la vie dure à son cadet. Il est toujours sur son dos, il lui donne des ordres, il le réprimande. Il faudra un bon moment pour qu'on sache comment ces deux-là s'appellent (ça change des dialogues où les noms et prénoms sont donnés à chaque fin de phrase). Pour l'instant, le jeune est appelé « young lad », « mon petit gars » par l'ancien. Ce qui a le chic pour l'énerver. « Je m'appelle Ephraïm Winbslow », lui dit Robert Pattinson de plus en plus agacé. L'autre continue de la traiter comme un chien.

Un chien, voilà ce qu'il est, rien de plus. Un chien avec des envies profondes de sexe, un chien qui imagine voir sur les rochers une sirène, il en rêve la nuit, hurle jusqu'à se réveiller. Un chien qui se branlera devant l'image d'une autre sirène, en ivoire celle-là, révélant la nudité de l'acteur dans des images érotiques (oui, ça change des ridicules chromo de Twilight, ça change d'Edward Cullen) dignes à la fois des magazines beefcake, de Pierre & Gilles et un peu de Querelle. C'est cette charge érotique que l'acteur apporte et qui va troubler la vie.

Voir la lumière est interdit à Ephraïm, son Maître, Thomas Wake (enfin on connaît le nom de Willem Dafoe), lui interdit. Tous les stratagèmes sont bons pour amadouer Thomas. Ephraïm commence à picoler avec lui, à chanter avec lui, ils dansent ensemble, dans un étrange ballet. Rien n'y fait, il reste un chien, un petit gars. C'est ce refus qui provoque la folie du jeune homme décrite organiquement dans la confusion des plans qui s'entrechoquent. C'est un film cerveau tout autant qu'un film phallus.

L'un des personnages les plus importants du film est une mouette. L'oiseau – bonjour Alfred Hitchcock – nargue Ephraïm. La mouette provoque la malédiction qui s'abat sur lui dans un surgissement de violence inouï. Tout bascule, la réalité comme le rêve. Et soudain, une question survient, et si les deux hommes n'en étaient qu'un ? Et si Thomas Wake n'était que Ephraïm Winslow vieux, dégénéré, sénile qui s'invente un jeune compagnon comme l'autre s'imaginait baiser la sirène pour masquer sa solitude. C'est la vision que j'ai aujourd'hui de The Lighthouse. Demain ce sera peut-être une autre.

samedi 19 octobre 2019

Matthias et Maxime (Xavier Dolan, 2019)


En québécois, se frencher veut dire se rouler une pelle et dans les sous-titres se galocher. Quand Rivette (Pier-Luc Funk), non sans un petit sourire satisfait de son bon coup annonce à Matthias (Gabriel d'Almeida Freitas) et Maxime (Xavier Dolan) que le petit rôle qu'ils ont dans le court-métrage de sa petite sœur Erika consiste à se qu'ils se frenchent, les deux amis ne savent plus quoi dire. Ils ont accepté, ils vont devant la caméra, l'un en t-shirt bleu, l'autre rouge. Voilà comment commence Matthias et Maxime, sur une promesse de baiser de cinéma.

Alors ce baiser ne sera pas vu. Quand les deux garçons s'embrassent, un peu contraint, sans enthousiasme, la caméra d'Erika Rivette fait écran, on ne voit rien. Et immédiatement, c'est un cut au noir. Hop, rien à voir. Plus tard quand Erika montre le film à sa tout le monde, un très court-métrage, 1 minute et 6 secondes dit-elle, Xavier Dolan fait la netteté sur ceux qui regardent et le flou sur le film qu'ils regardent. Mais ce baiser reste dans la mémoire des deux garçons et aussi de tous leurs amis d'enfance avec qui ils traînent pendant tout le film.

C'est au bord d'un lac, dans la maison de Rivette, le plus bourgeois d'entre eux, que les amis se retrouvent. Avec eux, Frank (Samuel Gauthier), le beau gosse aux cheveux longs qui s'appelle en vérité Francis, mais Frank ça fait mieux. Et aussi Brass (Antoine Pilon) diminutif de Brassard, le couillon de service. Et enfin Shariff (Adib Alkhalidey), le rebelle, qui arrive en retard. Ce qui frappe dans leurs scènes où ils sont tous, c'est l'aisance de la mise en scène de Xavier Dolan pour filmer la complicité entre eux, c'est devenu tellement rare que cette complicité ne paraisse pas factice.

Le spectateur est plongé dans ce groupe où ça n'arrête pas de parler, avec les voix qui se chevauchent, qui s'entrechoquent. Ça travaille beaucoup dans le montage son et ça va vite. Par chance il y a les sous-titres qui tentent de transcrire ce langage québécois, une vraie traduction des mots incompréhensibles. La petite sœur ajoute des mots anglais à chaque phrase, ce qui lui vaut des moqueries (et des rires). Quant à Maxime, il parle anglais avec difficulté, ce qui ne l'empêche de décider d'aller en Australie pour trouver du travail. Comme pour fuir cette vie qu'il na pas choisie.

C'est dans un compte à rebours jusqu'au départ en Australie que les rapports entre Matthias et Maxime sont scrutés. Ce baiser va entraîner des conséquences. La première est d'ordre physique. Matthias, ce grand gaillard en pleine forme, ce jeune adulte qui a une petite amie, se sent obligé de s'épuiser. Il traverse le lac de la maison de campagne de Rivette jusqu'à l'épuisement. Il va boire beaucoup jusqu'à perdre contrôle de son corps, il va tout à la fois rejeter Maxime (il lui lance un violent « ta gueule la tache », comme insulte par rapport à sa tache de vin sur sa joue droite) et à nouveau l'embrasser lors d'une soirée.

Matthias cherche à toute force le conformisme, il est avocat et doit reprendre le cabinet familial. L'une des séquences les plus éprouvantes le montre avec un jeune avocat McAfee (Harris Dickinson) d'une arrogance et d'une vulgarité incroyables. Matthias, tout à sa naïveté, pense se guérir du trouble amoureux qu'il éprouve pour Maxime en passant du temps avec cet hétéro primaire. Les jeux de regards de ses acteurs, leur silence après tout ce flot de paroles et les corps qui se replient sur eux-mêmes, montrent les changements de Matthias, ce questionnement sur sa vie amoureuse et ses rapports aux autres.

Matthias joue au connard (l'anniversaire de Maxime) et Maxime encaisse comme il peut les désagréments et les frustrations. Il a le soutien de ses amis (ce sont eux qui ont créé ce choc initial grâce au baiser). Le problème ce sont les mères, celle de Maxime (Anne Dorval) junkie culpabilisante comme la mère des Rivette (Micheline Bernard), libérale et libérée. Elle sont à la fois un poids et un soulagement, elles permettent à Maxime de penser un peu à autre chose qu'à Matthias. Les deux garçons pratiquent un slalom ininterrompu, pas foutus qu'ils sont de se dire qu'ils sont amoureux l'un de l'autre.

lundi 8 juillet 2019

Pauvre Georges ! (Claire Devers, 2019)


En observant cette maison de forêt (comme on dit une maison de campagne) habité par Georges (Grégory Gadebois) et Emma (Monia Chokri), j'ai pensé à celle de Border, à cet isolement volontaire que vivait ce couple suédois si particulier qui allait petit à petit plonger dans le thriller fantastique. Dans Pauvre Georges, Claire Devers – dans une coïncidence que seul le cinéma peut proposer – s'aventure sur des terres pas si éloignées que ça de Border sauf qu'elle filme son couple dans la forêt québécoise.

Ils ne sont pas si isolés que ça Georges et Emma, plutôt le contraire, ils sont au milieu d'une petite communauté bien connue : des bourgeois égoïstes et narcissiques. Le subterfuge scénaristique pour découvrir tous les autres couples, tous ces autres voisins vient avec un jeune gars franchement antipathique, un certain Zack (Noah Parker, il a un court rôle dans La Femme de mon frère, le type infect qui vire Sophia de son boulot alimentaire), petite gueule d'ange mais caractère de cochon. Il est dans le sous-sol de la maison de Georges.

Zack espionne, il surveille tout le monde, connaît les habitudes de chaque couple, leur particularité intime et il les raconte à Georges, pas désintéressé par ce déballage même s'il n'en demandait pas tant. Cette complicité forcée entre l'ado presque adulte et le bon gros professeur démarre sur cette base salace, sur ces ragots écoutés. C'est une boîte de Pandore qui s'ouvre comme dans Border quand le couple accueille dans leur foyer ce type aussi antipathique que Zack. Mais Zack est aussi un beau gosse comme un dit, arborant sa casquette sur sa tête.

Georges trouve un prétexte pour garder ce jeune auprès de lui : devenir son précepteur. La relation est toxique d'autant que Zack est franchement pas doué pour apprendre, enfin c'est ce qu'il décide de faire croire. Comme dans tous les films qui prennent pour base Théorème, le vers contamine tous ceux qu'il touche et les dérèglements peuvent s'amorcer, mention spéciale à Mimi (Elise Guilbaut, elle jouait Britany Jenkins, la 72ème meilleur détective de St-Andrews dans la série québécoise Le Cœur a ses raisons).

Une volonté de montrer la folie qui se répand est au cœur du projet de Claire Devers (je n'avais vu aucun de ses films et sa Caméra d'or pour Noir et blanc remonte à 1986), elle filme ce mouvement discret à l'ancienne, sans effet, en appuyant sur les opposés qui s'attirent, en tout premier lieu Georges et Zack, mais aussi la description des rapports entre deux enseignants du lycée de Georges qui se confrontent sur chaque sujet sans parvenir à être raisonnables. Stéphane de Groodt joue l'un d'eux, presque un monstre d'incompréhension.

La dislocation de la petite communauté arrive lentement (il faut quand presque deux heures, tout n'est pas toujours rempli, certaines choses se répètent) mais sûrement et vraiment c'est une belle idée d'avoir placé tous ces atermoiements dans une forêt, le lieu des peurs enfantines qui devient le lieu des secrets enfouis et des haines enfermés. Ça fait beaucoup de films québécois pas mal et bizarres que je regarde en ce moment (Genèse, La Chute de l'empire américain, Charlotte a 17 ans, La Femme de mon frère), il me tarde de voir le prochain Xavier Dolan.

jeudi 27 juin 2019

La Femme de mon frère (Monia Chokri, 2019)


Deux gamins, voilà ce que sont Sophia (Anne-Elisabeth Bossé) et Karim (Ptrick Hivon), pourtant adultes quand le spectateur est confronté à eux. Une sœur et un frère, deux gamins dans un Montréal d'aujourd'hui. Ils se chamaillent, ils se lancent des défis stupides en se posant des questions insolubles (tu préférerais avoir un cancer ou nager dans ton vomi pendant une journée), ils se coupent pendant les discussions. Mais ils sont inséparables.

Les gamineries sont amusantes et divertissantes mais elles ne seraient rien sans ce montage virevoltant que pratique Monia Chokri pendant presque toute la durée de son film. Il consiste à éliminer les secondes inutiles ce qui provoque là aussi un étonnement visuel, des petits trous dans les scènes qui ne sont pas sans rappeler les conversations de chambre de Jean-Luc Godard, à ses débuts, mais aussi ces vidéos youtube actuelles toute hachées.

Tout est donc question de rythme dans La Femme de mon frère jusqu'à l'ivresse des personnages qui semblent ne jamais s'interrompre d'être actif. Mais le frère et la sœur ont de qui tenir, le premier clou du film est ce repas familial complètement dingue avec une mère soixantenaire (Micheline Bernard) qui débarque d'une manifestation de gauche (pléonasme) et un père (Sasson Gabai) qui se proclamera plus tard révolutionnaire même s'il vit comme un bourgeois.

Il n'y a presque pas d'histoire dans La Femme de mon frère si ce n'est celle de ce titre, cette femme qui va rencontrer Karim puis commencer à sortir avec lui. Elle s'appelle Eloïse (Evelyne Brochu) et les circonstances de leur rencontre vaut son pesant de cacahuètes mais ne doit rien au hasard, car même si l'histoire est minimaliste, une logique claire et distincte appelle chaque scène. Le hasard ne rime pas chez la cinéaste canadienne avec l'incohérence.

En toute cohérence, vu ce que l'on a vu depuis le début du film, cette liaison si forte entre Sophia et Karim quasi incestueuse va se cogner à cette aventure amoureuse qu'a ce dernier va mettre Sophia dans un état pas possible. Pour résumer la situation, elle reste une gamine, lui passe du jour au lendemain à l'état d'adulte. Le burlesque délirant (aussi brillant que chez Antonin Peretjaltko) dérive vers une forme plus apaisée visuellement mais c'est la tempête sous un crâne.

Sans aucun doute, le film parle de la vie au Québec, au hasard du chômage chez les thésards, hilarante première scène « d'embauche » de Sophia par quatre vieillards universitaires, de l'embourgeoisement des anciens gauchistes, de l'avortement et de la contraception (là-haut, ce n'est pas un problème), de l'ennui qu'on trompe en lisant du Edika (excellente idée), alors que l'excitation sexuelle peut être entendue avec du free jazz.

La liberté de ton ne va pas sans un certain ennui au bout d'une heure, comme une sorte d'épuisement des idées de Monia Chokri, c'est parfois le problème de films en forme de chronique, cela s'accentue quand Karim s'extrait provisoirement du film lorsqu'il devient sage. La forme prend le relais, tel ces « fondus » colorés pour passer d'un chapitre à l'autre. Mais ce qui est le plus important est cet humour jovial et communicatif.

samedi 15 juin 2019

J'ai aussi regardé ces films en juin


90's (Jonah Hill, 2018)
Teen Movie 1. Ça fait un certain temps que Jonah Hill n'a pas été dans un film, c'est peut-être une simple impression ou tout simplement il était occupé à tourner son premier film. Il a fait le choix de l'extrême simplicité, le genre de film qui demande le plus de travail. Ce qui frappe dans 90's est l'authenticité qui s'en dégage, tout autant que dans The Smell of us de Larry Clark mais sur un mode totalement opposé. Jonah Hill fait le pari de la douceur ce qui n'exclut pas les disputes, les jalousies (entre les deux plus jeunes de la bande), les colères, les accidents plus ou moins graves. L'authenticité au cinéma c'est ce sentiment du spectateur qui surgit alors qu'on ne connaît rien au sujet (ici le skateboard par une bande d'ados boutonneux au milieu des années 1990 à Los Angeles) et que le film me parle quand même. Un peu comme Les Beaux gosses. Jonah Hill fait une beau travail sur les chansons et musiques qui illustrent les séquences (une séquence = une chanson) sans systématisme, cela donne une tonalité à chaque morceau.

Charlotte a 17 ans (Sophie Lorain, 2018)
Teen Movie 2. Loin des parcs à skate Los Angeles, un magasin de jouets du Québec. La cinéaste choisit de filmer ces ados en noir et blanc et pour nous Français, leurs dialogues sont sous-titrés en prenant bien soin d'enlever toutes les expressions locales ainsi que les très nombreux anglicismes. Cela produit un effet de distanciation important d'autant que si le parler est cru (l'effet d'authenticité) et les actes directes (on couche beaucoup, on travaille un peu), le film se dirige vers le réalisme poétique. La jeune Charlotte du film vient de comprendre que l'unique petit ami qu'elle n'a jamais eu est gay. Alors elle se cherche. D'abord dans une sexualité débordante puis dans l'abstinence, soit l'Amérique libre (celle du Canada) et l'Amérique pudibonde (celle des USA). Il faut ainsi voir le film comme une analyse clinique des rapports entre des mineurs observés de manière anthropologique et du point de vue cinématographique une comparaison entre le teen movie hollywoodien et l'authentique vie des ados, soit un abyme, un gap comme diraient les personnages.

Rocketman (Dexter Fletcher, 2019)
l'alliance entre l'histrion Taron Egerton et le tâcheron Dexter Fletcher avait donné en 2016 l'un des films les plus pénibles du cinéma britannique Eddie the eagle. Le duo remet ça et le résultat est à l' hauteur. Rocketman est encore plus nul que Bohemian Rhapsody. Taron en Elton John en fait des tonnes, je crois qu'il n'y a pas un plan où il ne torde pas la bouche dans tous les sens, où il ne roule pas les yeux. Ce biopic partiel (les 15 premières années du chanteur) cherche pourtant à faire original, non pas en proposant simplement des chansons connues mais en les transformant en comédie musicale illustrant la vie d'Elton John (mettons comme dans Mamma mia avec les chansons d'Abba) et là on se rend compte combien les chansons de Bernie Taupin et Elton John sont cucul la praline. Autant dire que j'attends sans aucune impatience les futurs films sur d'autres chanteurs anglais, Boy George, George Michael, Phil Collins ou qui sais-je Syd Barrett.

Godzilla II roi des monstres (Michael Dougherty, 2019)
En 2014, Godzilla était gentil, Hollywood en avait décidé ainsi. Cinq ans plus tard, ils en font le roi des monstres et c'est toute la ménagerie de la Toho qui revient un peu partout sur la Terre réveillée par des ondes créées par une savante folle (il n'y a pas que des savants fous). A vrai dire, ce film joué par tous les acteurs d'une égale médiocrité où personne ne semble une seconde croire à ce qu'il dit, d'une laideur absolue, filmée dans une couleur maronnasse qu'on croirait tiré d'une chiasse de producteurs sans âmes, plonge dans la religiosité la plus couillonne qu'il m'aie été donnée de voir depuis longtemps. Inoshiro Honda avait fait un Godzilla en 1954 qui était l’œuvre de l'homme, de sa folie destructrice, maintenant Godzilla est représenté comme le premier Dieu apparu sur notre planète et oublié depuis. Il ne s'agit pas d'hérésie mais de révisionnisme cinématographique. C'est horrible, honte à ceux qui ont fait ça, sans doute des partisans de Donald Trump.

lundi 15 avril 2019

J'ai aussi regardé ces films en avril


Dumbo (Tim Burton, 2019)
Disons pour faire simple que Dumbo ressemble plus à The Greatest showman, cet hideux biopic du cirque Barnum agrémentée de chansons atroces, qu'à Batman returns. Par chance Disney n'impose pas des chansons et on voit Michael Keaton et Danny DeVito s'affronter de nouveau comme à la belle époque. Depuis 20 ans, l'étincelle du cinéma de Tim Burton s'est éteinte car il a fait disparaître tout le mystère qui composait ses personnages d'animaux humains (Pingouin et ses parapluies en était l'exemple le plus parfait). En lieu et place on a droit à un éléphanteau en images de synthèse, à deux gamins qui savent tout et à Colin Farrell, soit une certaine idée du cinéma d'horreur. Certes parfois le cinéaste trousse merveilleusement ses scènes, surtout dans la dernière demie-heure, mais pas assez pour tromper la routine, contrairement à ce que je lis dans une certaine presse à la sortie du film.

Le Vent de la liberté (Michael Bully Herbig, 2018)
J'imagine que des profs d'allemand vont amener voir ce navet sur la seule foi du résumé. Une famille d'Allemands de l'est qui embarquent dans une montgolfière pour fuir à l'ouest, le tout avec la caution « tiré d'une histoire vraie ». Mais ils vont se retrouver devant un thriller qui cherche avec tous les moyens les plus racoleurs de créer du suspense : vont-ils réussir à passer ou vont-ils se faire prendre à la mitraillette ? Le jeu des acteurs, avec des regards fuyants qui clament haut et fort leur caractère suspect, est tellement outré qu'on croirait parfois qu'il s'agit d'une parodie, on s'attend à voir débarquer le groupe Scorpions au coin d'un plan et se mettre à changer Wind of Change. Palme du ridicule, les scènes à Berlin devant l'ambassade américaine. J'avoue j'ai ri à ce moment, c'est pourtant l'inverse que ce cinéaste allemand, qui est dans son pays connu comme acteur comique, a cherché à faire. Peine perdue.

Erased boy (Joel Edgerton, 2018)
Bien entendu qu'on est ému par le destin de ce jeune gay envoyé dans un « camp de concentration » pour subir des traitements de choc, d'autant plus que ce centre s'appelle Le Refuge. Or en France, l'association Le Refuge aide les jeunes homos virés de chez eux par leurs parents. Les méthodes décrites à grand renfort d'effets larmoyants sont censés convaincre que tout cela est atroce. Mais le film bute sur un détail important qui n'est jamais creusé : l'argent dépensé par ces parents bigots pour prétendument guérir leur rejeton de l'homosexualité. En scrutant l'aspect économique, capitaliste de ces centres, en démontrant qu'en tablant sur la crédulité de parents mal informés des escrocs les volent, le film aurait eu un impact plus grand au moins pour ceux qui ne cèdent pas au chantage du visage en gros plan plein de larmes pour être émus.

Genèse (Philippe Lesage, 2018)
Ni d'Eve ni d'Adam dans ce film québécois mais deux adolescents qui découvrent enfin leur Moi amoureux : Guillaume aime Alexis et le clame devant toute la classe. Charlotte préfère quitter son fade petit copain Maxime pour un mec plus âgé qu'elle et totalement inconséquent. Le tout se déroule un peu au lycée dans un pensionnat qu'on dirait d'un autre âge. Un peu à la fac. Un prof désobligeant fait la morale. On comprend pas tout si ce n'est l'envie du cinéaste de donner un aspect ultra formaliste à l'ensemble : chaque séquence montrant les rapports entres les jeunes sont coupés par une scène où l'on entend une chanson en mode intra-diégétique. On entend deux fois une chanson paillarde chantée par les personnages. Elle semble le seul lien entre le récit principal et la fin du film dans un camp scout où le jeune Félix tombe amoureux. Le film ressemble à tous ces cinémas formalistes récents (Yorgos Lantimas, Lynne Ramsay) alors qu'il espère devenir le nouveau Gus Van Sant. Calice, c'est raté.

Chamboultout (Eric Lavaine, 2019)
L'ambition depuis quelques films d'Eric Lavaine est de tourner le nouveau Mes meilleurs copains, le très agréable film de Jean-Marie Poiré. Il avait déjà tenté le coup avec Barbecue, sorte de sous Petits mouchoirs, il recommence ici avec José Garcia aveugle et amnésique, tout ce que le spectateur rêve d'être devant le film.

mardi 12 mars 2019

Ma vie avec John F. Donovan (Xavier Dolan, 2018)


Imaginons un instant que Xavier Dolan n'aie jamais tourné de film, la filmographie de Kit Harington se serait limité à Pompeï ce nanar fulgurant de Paul W. S Anderson, l'homme pour qui rien n'est impossible au cinéma. Le jeune acteur est essentiellement connu et moqué pour être John Snow dans Games of thrones (je ne suis jamais parvenu à regarder plus de deux épisodes) mais désormais il a enfin un rôle à la mesure de ses tablettes abdominales.

La lecture du titre original marque la mort avant la vie (The Death and life of John F. Donovan). Ce n'est pas une facétie de plus de Xavier Dolan mais bien un proposition de cinéma : le travail sur le flash-back, lui qui n'aime rien tant que travailler le temps présent. Jusqu'à présent, le flash-back le plus marquant dans ses films était celui de Mommy quand l'écran réduit à la taille humaine s'ouvrait plus largement pour revenir sur le père (joué par Dolan) du jeune héros.

Ainsi c'est la mort de John F. Donovan le personnage de Kit Harington qui ouvre le film. Une mort qui doit tout à Sunset Boulevard mais raconté à distance, non pas par le mort lui-même, quoiqu'il ne soit pas impossible que ce soit le cas. Cette distance est multiple, lieu : New York et Londres, temps : un acteur à la mode et un jeune qui aimerait l'être, action : deux récits situés à une décennie de distance. Xavier Dolan cherche à s'éloigner de son habituel théâtre.

Ce qui lie ses deux personnages Donovan et le jeune Rupert (Jacob Tremblay) est un secret que ce dernier garde enfoui : des lettres. Pendant des années, l'acteur a écrit au gamin parce que le gamin lui avait envoyé une lettre de fan absolu. Quand ce secret est révélé, cela crée une onde de choc, c'est la partie queer du film, une idée d'histoire d'amour entre l'adulte et l'adolescent, remarquablement bien traitée par Xavier Dolan et sans l'once de fausse pudeur ni esprit scabreux.

Doubles vies et deux mères. Les mères ont toujours été présentes dans le cinéma de Xavier Dolan, Anne Dorval dans son premier film Comment j'ai tué ma mère et Mommy, Nathalie Baye dans Juste la fin du monde sont des mères monstrueuses, envahissantes dans tous les sens du terme, dans la vie de leur fils (toujours des fils chez Dolan) et à l'écran (le gros plan). Dans Ma Vie avec John F. Donovan il atténue la monstruosité de la mère mais il double la figure maternelle.

Une mère naturelle et une mère spirituelle. Susan Sarandon joue celle de John Donovan, jalouse de son fils, Kathy Bates joue l'impresario flamboyante, celle qui fabrique la vie publique, cache la vie sexuelle de son client, sa vie amoureuse avec Will (Chris Zylka). Natalie Portman joue la mère de Rupert et Thandie Newton son institutrice, cette dernière comprend que l'enfant est plus sensible, plus intelligent, plus romanesque que ses camarades. Elle va aider à ce qu'il s'accomplisse.

Cette matière qui compose Ma Vie avec John F. Donovan trouve sa source dans ce que la fiction a de moins noble : le soap opéra. John est une star de la téloche. Pour Xavier Dolan, il s'agit de lui donner des lettres de noblesse, transformer le plomb du romanesque vulgaire en or scénaristique. Il ne sera pas impossible de déceler ici des tournures romanesques faciles, là une fascination pour le corps de Kit Harington, plus loin de l'émotion en cadrant sur le joli visage de Jacob Tremblay.

Mais c'est justement ce qui tombe juste dans ce film, Xavier Dolan se débarrasse de la grande forme (ses précédents hommages à Wong Kar-wai, son romantisme échevelé), il n'adapte pas un auteur à la mode et ne joue plus avec le format de son film. Comme dans Tom à la ferme, il travaille une forme plus modeste, un environnement plus trivial (la série télé, là où sont désormais les acteurs les plus populaires). Résultat des courses, ça vibre avec des tonalités qu'on ne lui connaissait pas, il s'est assagi et ça lui va bien.

dimanche 10 mars 2019

Candy Mountain (Robert Frank & Rudy Wurlitzer, 1987)

Candy Mountain est l'histoire d'un mec en colère. Et comment il va être forcé d'apprendre le calme. Ce mec est musicien mais il faut bien gagner sa vie alors Julius (Kevin J. O'Connor) fait l'ouvrier dans un appartement de Manhattan, il est censé faire l'électricité pour un couple de propriétaires bien bourgeois. Il préfère observer les gratte-ciels et flâner. Il se fait immédiatement virer par le contremaître et le voilà à traverser New York, sans savoir qu'il va se lancer dans un voyage à travers le continent.

Les dents de traviole, la moquerie au bout de l'index et l'arrogance du jeune gars qui pense tout savoir à 25 ans, Julius provoque le destin dans un studio d'enregistrement où Keith (David Johansen, des New York Dolls) répète un morceau de rock (forcément). On en trouvera pas mal des vrais rockeurs dans Candy Moutain, Joe Strummer portant casquette, Tom Waits portant un peignoir coloré et jouant du piano. Et peut-être d'autres que je ne connais pas que Julius rencontre au long de son périple.

Le voyage a un but : trouver Emore Silk. Joli nom plein de douceur (silk veut dire soie) mais personnage a priori rugueux d'après Keith, son avocat et son manager. Elmore Silk fabrique des guitares, il en est le Stradivarius d'Amérique du nord. Mais il a disparu depuis des lustres. Pour se refaire financièrement, pour se faire mousser et par pure morgue, il propose de retrouver Elmore Silk. Il part immédiatement avec sa copine en banlieue de New York retrouver le Silk avant de se faire larguer comme une merde à une station service.

Cette unique fiction du duo du photographe Robert Frank et de l'écrivain Rudy Wurlitzer cherche dans la mesure du possible de ne pas tourner un road movie traditionnel américain. Cela passe par une absence de dramaturgie du début à la fin. Il n'est pas important de créer du suspense pour savoir si Julius va rencontrer cet olibrius d'Elmore Silk. D'autant que le portrait que chacun fait de lui, de son frère businessman (Tom Waits), à sa fille et son gendre n'est pas des plus flatteurs. Il se produit un petit effet comique dans la description monstrueuse d'Elmore.

Autre effet relativement amusant, la guigne de Julius à chaque étape. Après s'être fait largué, il fait du stop, achète la voiture de Tom Waits mais il doit chaque fois troquer son nouveau véhicule pour un autre plus pourri et capricieux. L'ambition est simple, faire changer ce personnage, le faire évoluer de l'arrogance à la sympathie. Tout n'est pas fait dans la finesse mais certaines rencontres sont incongrues : les deux hommes de loi croisée de Nouvelle Ecosse sont par exemple de sacrés farceurs.


Plus il monte vers le nord, de New York jusqu'à la pointe de la Nouvelle Ecosse, plus le désert est palpable. Un désert de neige, sans arbre, sans habitant ou presque. Ce jeu de piste change donc Julius et Cornelia (Bulle Ogier) n'est sans doute pas pour rien dans ce changement, elle l'ancienne maîtresse d'Elmore couche avec Julius. Elmore (Harris Yulin) n'est pas le monstre décrit mais un doux dingue qui veut vivre loin de l'agitation de la vie. Alors se dégage une atmosphère apaisée et enfin Julius commence à devenir sympathique.

























jeudi 29 mars 2018

J'ai aussi regardé ces films en mars


La Prière (Cédric Kahn, 2018)
Je ne sais pas si on peut parler de vague de films sur la foi (Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois, L'Apparition de Xavier Giannoli, Jeannette de Bruno Dumont, les deux derniers films de Arnaud Desplechin où la judaïté de ses personnages est forte sans compter les récents films sur le djihadisme) mais on peut tout autant parler de film sur le Vercors comme refuge, La Prière serait le contrepoint à La Tête haute d'Emmanuelle Bercot. Contrepoint parce que Cédric Kahn ne cède pas aux tentations de la scène forte, aux dialogues explicatifs (la plus belle séquence du film est la venue d'Hanna Schygulla qui ne doit pas dire plus de dix mots mais qui hypnotise par son regard), aux colères de son jeune personnage de drogué qui part se refaire une santé dans la montagne. Ce que ne cesse de filmer Cédric Kahn depuis quelques films est l'échec par des personnages qui pensent réussir hors du monde. La Prière malgré quelques défauts (oui c'est trop long, un peu répétitif) c'est l'anti film « dossier de l'écran ».

Ready player one (Steven Spielberg, 2018)
Dès les premières notes de Jump de Van Halen, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à la bande sonore des Gardiens de la galaxie avec ses musiques des années 1980, ce qui était justifié. Dans Ready player one, la musique de mon adolescence est partout mais aussi toute la pop culture (tiens le personnage principal – insipide acteur par ailleurs – conduit une DeLorean comme Marty McFly – j'ai d'ailleurs cru à la toute fin du film que Michael J. Fox venait faire un caméo mais c'est Simon Pegg atrocement maquillé en vieux). La présentation du jeu vidéo, de la réalité virtuelle dans laquelle vie nos personnages, ressemble à celle de Valérian, voice over pour une description de ce qui doit être merveilleux : l'univers n'est pas très débridé, en tout cas pas futuriste. En 2045, personne n'est sorti des années 1980, finalement c'est une manière pour Steven Spielberg de rappeler, peut-être, que le divertissement de son époque glorieuse était largement supérieur à celui des Marvel DC Comics d'aujourd'hui. Les « Easter eggs » dont cause le récit (un scénario très premier degré sans aucun McGuffin) sont ces références plus ou moins visibles. Etrangement, l'univers Star Wars est totalement absent de la culture des personnages de Ready player one. La parodie de Shining est fort réussie. Ce qui est plus raté est l'idée des avatars qui ne correspondent au personnes réels, c'était déjà l'un des leitmotive du remake de Jumanji (où c'était bien plus palpitant). Parfois, Steven Spielberg se laisse aller à la facilité, là il tente de nous refaire le coup de Hook, sa version moderne de Peter Pan, l'éternel retour vers l'innocence de l'enfance. Bullshit !

Ghostland (Pascal Laugier, 2017)
C'est la première fois que je vois Mylène Farmer dans un film, pas dans une courte scène, non elle est l'un des cinq personnages principaux de ce sympathique film qui fait peur (tendance, on sursaute sur son siège). La panoplie du film de psychopathe est déclinée sans finesse. L'une des filles de Mylène fait un doigt d'honneur au conducteur d'un véhicule qui veut les doubler en klaxonnant (quelle erreur fatale). La maison où Mylène et ses deux filles aménagent est isolée, de style ancien (on est en Nouvelle Angleterre) et peuplée de bibelots et poupées que Pascal Laugier s'amuse à filmer comme dans n'importe quel film américain de ces dix dernières années. Enfin, la famille se fait attaquer par le conducteur du véhicule et son fils, un colosse qui grogne. Tout ça dans le premier quart d'heure. Vu et revu 100 fois. Et soudain, petit miracle, le scénario développe une piste originale et maîtrisée. Pascal Laugier joue sur nos nerfs et ça marche, Ghostland fait flipper parce qu'on ne sait plus où on en est. J'en dis pas plus.

samedi 21 octobre 2017

Le Suicide du dernier Juif du monde dans le dernier cinéma du monde (David Cronenberg, 2007)

J'avais commencé ma rétrospective David Cronenberg par un court-métrage Caméra, je la termine par un autre court-métrage Le Suicide du Dernier Juif du monde dans le dernier cinéma du monde, un titre très long pour un film très bref conçu pour le 60ème Festival de Cannes (la compilation Chacun son cinéma). David Cronenberg, veste noire sur la peau, est devant la caméra, son buste occupe tout l'espace, tout juste aperçoit-on derrière lui des toilettes recouvertes d'éléments disparates. Plan unique et fixe sur le cinéaste à l'air fatigué, les yeux hagards, il ne dira pas un seul mot pendant les à peine 4 minutes du film.

Ce qui sature la bande son, ce sont les voix de deux commentateurs de la télévision (Jesse Collins et Gina Clayton), leur ton est franchement réjoui à l'idée que cet homme, qui manipule d'abord des balles puis un revolver, va se suicider en direct. En anglais, to shoot a deux sens, se tirer une balle et filmer, le court-métrage joue sur cette confusion des sens. Il joue aussi sur la fin des salles de cinéma (celle où il se trouve sert de dépotoir) et de l'emprise de la télévision (on remarque le logo en bas) qui vendra du spectaculaire bon marché, tel le suicide d'un homme. Le film s'achève, par un fondu au noir, juste avant le geste fatal.


C'est la première fois dans un film de David Cronenberg qu'un personnage (lui-même qui plus est) est présenté comme un Juif et le dernier en l'occurrence. La commentatrice demande « le cinéma a été inventé par les Juifs ? », son collègue répond « Pas le cinéma, Hollywood, mais c'est la même chose ». Et ce cinéma dans lequel il a choisi de mourir aurait été un cinéma résistant, camouflé en garage (déjà l'idée de Cosmopolis semblait lui traîner dans la tête) et son propriétaire a été dénoncé. La démolition de cette salle de cinéma sera diffusée en prime time, comme les explosions finales dans le cinéma d'action actuel est le clou du « scénario ». 








mardi 17 octobre 2017

Crash (David Cronenberg, 1996)

Avant de s'engouffrer dans Crash, il faut jeter un œil à sa bande-annonce pour bien se rendre compte à quoi ne ressemblera pas le film de David Cronenberg. C'était la mode du thriller érotique (Basic Instinct, Sliver, Body of evidence, Proposition indécente), ceux qui ont conçu cette bande-annonce ont tenté de faire croire que Crash serait de cette veine, montage ultra haché, plans uniquement sur les scènes de cul et musique techno très éloignée de celle de Howard Shore, l’une des plus sobres composées pour un film de David Cronenberg. Ces riffs de guitare électrique lancinants et aigus ne sont pas sans rappeler les bruits de tôles de deux voitures qui s’entrechoquent. À défaut du montage rapide de la bande annonce, le premier plan de Crash est, au contraire, totalement aérien, un lent mouvement de caméra entre les carlingues d’avions dans un hangar.

Une femme blonde, Catherine (Deborah Kara Unger) se frotte contre le métal de l’avion, elle ouvre son soutien-gorge, laisse dépasser un sein et l’applique sur le nez de l’avion. Un homme s’approche d’elle, on ne voit que son pantalon,autant elle est filmée plan poitrine, autant il apparaît plan braguette. Il commence à retirer sa chemise et son visage n’est visible que lorsqu'il se baisse pour poser ses lèvres sur les fesses et le sexe de la femme. Ailleurs, James Ballard (James Spader porte le nom de l'auteur du récit écrit par le romancier, une manière plus directe que dans Le Festin nu) est attendu sur le plateau d’un tournage, dans les loges, il est affairé lui aussi à embrasser le cul d'une femme. Le soir, dans leur appartement au bord d’une autoroute, Catherine et James, mari et femme, parlent de leur baise respective sur un ton naturel voire détaché.

Dans le mot crash, il y a cars, c'est un peu bête à dire mais le film de David Cronenberg fonctionne ainsi. Deux voitures se rentrent dedans, se percutent, s’emboutissent et ensuite les conducteurs baisent ensemble. James Ballard sort du boulot et tient sur son volant les pages du scénario sur lequel il travaille. Lire ou conduire, il faut choisir. Il perd le contrôle de son véhicule, déboule dans une voie contraire et rentre dans la voiture d’Helen (Holly Hunter), le mari de cette dernière, qui conduisait, traverse le pare-brise et est éjecté dans la voiture de James. Hébétée, Helen détache sa ceinture, le geste laisse apparaître son sein gauche. Cette scène, l’accident, la stupéfaction, la poitrine, les visages sont l'amorce d’un dérèglement généralisé de tous les personnages.

« C'est étonnant qu’ils nous laissent venir voir notre voiture » dit Catherine à son mari. Toute cabossée comme le corps de James. Il a passé plusieurs semaines à l'hôpital. La jambe de James est filmée dans un lent travelling comme un paysage inconnu, les broches, le métal, les cicatrices, rien n’est oublié. C'est le nouveau monde de James. Dans un couloir, il croise Helen. Elle est avec un infirmier. En tout cas, James le croit. Vaughan (Elias Koteas) s’approche de lui. Il le sent, l'effleure des doigts, le regarde droit dans les yeux comme il regardait avec passion la jambe embrochée de James. Dès sa première apparition, Vaughan apporte une sensualité qui manquait jusque là, terriblement plus érotique que les deux scènes de cul, glaciales et cliniques, de Catherine puis James. D’un simple regard, Vaughan semble faire l’amour avec James et déclenche chez lui, une irrépressible volonté d'assouvir son désir.

Vaughan n’est pas infirmier, d’ailleurs on ne saura pas bien ce qu’il est. On sait ce qu'il aime : les accidents de voitures. Dans son culte du crash, il a une petite cour, Helen en fait partie, elle initie James au sexe dans une carcasse, qu'il faut voir comme les métamorphoses dans les autres films de David Cronenberg. Seule cette transformation du corps entraîne la plénitude sexuelle et l’orgasme. Vaughan veut reconstituer l’accident de James Dean, il le met en scène devant son public, micro à la main. Dans cette même idée de mise en scène, l'une des séquences les plus troublantes est celle où Catherine et James couchent ensemble. Elle le met à l'épreuve, lui propose d'imaginer comment Vaughan le sodomiserait, comment James le sucerait, elle le force à imaginer les odeurs, les gestes, les sécrétions, elle aiguise son désir et tout le reste du film n’aura d’autre enjeu que de parvenir à mettre en réalité ce fantasme, à réussir à le mettre en scène.

Encore plus que dans Faux semblants, Le Festin nu et M. Butterfly (que je n’ai pas revu depuis longtemps), la sensualité, le sexe et le désir sont décrochés de la question du genre et de la sexualité, hétéro ou homo. Le corps est le seul intérêt du cinéaste, comment il fait éclater le cadre, la scène la plus emblématique est celle où Gabrielle (Rosanna Arquette) veut entrer dans une voiture chez un concessionnaire. Gabrielle a les deux jambes immobiles, enfermées dans une minerve (ces jambes étaient en couverture des Cahiers du cinéma lors de la sortie de Crash). Le film essaie toutes les combinaisons entre James, Helen, Gabrielle et Vaughan, excluant Catherine la seule sans accident. Vaughan veut remédier à cela, en bon gourou, il veut l’inclure dans son culte du corps cicatrisé et de la chair difforme. Il fait aussi éclater la manière de filmer les voitures qui roulent, décalant sa caméra, cela crée un sentiment d'inconfort, d'instabilité.


La dernière partie de Crash est consacrée à cet accident promis que Catherine espère, attend et craint, il ne s'agit de rien d'autre qu'un dépucelage, le crash de bagnole est limpidement un coït, David Cronenberg n'a même pas besoin de le métaphoriser. En attendant cet ultime accident de voiture, Vaughan et James ne sont devenus qu’un (David Cronenberg les filmera dans un cadre similaire, l'un après l'autre, dans leur tentative de crasher Catherine en voiture). Ils arborent un tatouage commun et baisent dans la voiture. Les mains écartées du premier se posent sur le corps du second, les lèvres embrassent les cicatrices fraîches des tatouages, les langues découvrent ces corps en lambeaux. La prophétie de Catherine s'accomplit au crépuscule. Crash est pour moi le meilleur film de David Cronenberg, il achève mon long marathon des œuvres du cinéaste.