vendredi 30 août 2019

J'ai aussi regardé ces films en août


Give me liberty (Kirill Mikhanovsky, 2019)
Voici le film indépendant US tendance Sundance le plus enthousiasmant vu depuis des lustres. Le plus étonnant est qu'il prend la forme d'une variation de Speed version Milwaukee en hiver. Keanu Reeves serait remplacé par un jeune chauffeur de minibus transportant des handicapés, il est russe et s'appelle Vic (Chris Galust). Sandra Bullock serait une handicapée afro-américaine, Tracy Holmes (Lauren Spencer). Au l'autre bout du fil, non pas un poseur de bombes qui impose de tenir une certaine vitesse, mais le patron de Vic qui n'arrête pas de l'appeler pour qu'il emmène à l'heure ses clients. Pour le plus grand bonheur du spectateur, rien ne se passera comme prévu et il viendra s'incruster dans le bus une horde d'octogénaires russes qui veulent aller à l'enterrement d'une amie, un gars Dima velu comme un ours et quelques autres. Le bus et ses passagers fait quelques pauses, on picole, on mange, on parle russe, on chante, on fait de l'opéra, on transporte un matelas ou un canapé, on cherche de l'argent. Le tout se passe sur quelques heures, le temps s'allonge, ralentit, s'accélère. Les amitiés naissent, les amours éclosent, les langues se délient. Tout le monde n'est pas forcément très sympathique, bien au contraire, ces gens-là sont épuisant, parfois pénible, mais on apprend à les connaître. C'est un paysage de maisons de banlieue presque un désert tant on dirait que personne n'habite plus là, c'est une population pauvre, c'est les Etats-Unis profonds, l'état du Winsconsin rarement filmé. Le finale, presque en noir et blanc, frôle avec merveille l'abstraction. Voilà un beau petit film. Le réalisateur a participé à l'écriture de Gabriel et la montagne.

La Vie scolaire (Grand Corps Malade & Mehdi Idir, 2019)
La Vie scolaire rappelle les belles heures des années 1980, ces films que l'on a découvert à la télé quand on était ado, Le Maître d'école de Claude Berri, sympathique film d'un horsain qui découvre un univers dont il ne connaissait rien (idéal pour le spectateur avide d'exotisme sans avoir à aller jusqu'en banlieue), PROFS de Patrick Schulman avec ces enseignants distants présents, comme ce prof de sport qui invente des disciplines qui rappelle celle de Laurent Gamelon. Ce deuxième film est aussi agréable à regarder que Patients, superbement bien joué par l'ensemble des acteurs, adultes comme collégiens. C'est déjà ça de pris. Sauf à deux reprises où la musique dégouline pour nous rappeler que cette comédie parle de situations dramatiques, les deux réalisateurs choisissent de laisser écouter les vannes et les répliques composées comme de la musique. Narrativement, ce sont deux personnages en miroir qui sont au centre du film, un collégien (Liam Pierron) et une CPE venue d'Ardèche (Zita Hanrot), c'est une astuce scénaristique qui fonctionne mais au détriment de nombreux autres personnages tout juste esquissés, souvent sacrifiés comme le prof que joue Antoine Reinartz (il vaut mieux aller Roubaix, une lumière pour mieux le voir). Mais en vérité le film est très bien et j'ai souvent beaucoup ri. La grande absente du film, c'est la religion qui était au cœur d'un film au sujet proche, La Lutte des classes de Michel Leclerc. Personne n'en parle dans La Vie scolaire, elle semble ne jamais avoir la moindre influence sur leur vie privée, sur leur rapport aux autres. Cela pour d'évidentes raisons commerciales, au moins le film n'est pas clivant.

Thalasso (Guillaume Nicloux, 2019)
Tout le monde a parlé de Laurel et Hardy pour le duo Houellebecq et Depardieu, ouais pourquoi pas. Le maigrichon et le gros sont en thalasso et entendent bien ne jamais respecter les règles. En revanche, Guillaume Nicloux ne sort que très rarement de son univers largement construit avec ces deux zigotos. Il joue gentiment sur les clichés, ici on prend l'écrivain pour Queffélec, là on admire la prestation de l'acteur dans Obélix. L'ensemble est un peu mou même quand une bande de truands sympathiques débarque à Cabourg. Tous les quarts d'heure la machinerie essaie d'être relancée (tiens, si on convoquait Sylvester Stallone). Ça ressemble à une Kervern Delépine en petite forme. Ça devrait durer 45 minutes, pas plus.

Frankie (Ira Sachs, 2019)
Les cinéastes devraient se méfier quand Isabelle Huppert les appelle pour leur exprimer son admiration et proposer de travailler avec elle, chaque fois le film du cinéaste est édulcoré, trop respectueux d'elle et fichtrement ennuyeux. Ce qui est le plus pénible dans Frankie c'est cette forme chorale d'un autre âge, mal fichue avec tout le monde qui se réunit dans le dernier pour admirer un coucher de soleil sur l'Atlantique. Mais rien n'accroche, aucun personnage ne semble comprendre ce qui le lie aux autres personnages, c'est terrible. Il faut qu'Ira Sachs retourne à New York, le Portugal embrumé, c'est pas pour lui.

jeudi 29 août 2019

Palais royal (Valérie Lemercier, 2005)

René-Guy, c'était le nom du personnage de Michel Aumont dans Palais royal. En apprenant la mort de l'acteur ce soir, j'ai immédiatement pensé au film de Valérie Lemercier et à ce conseiller de la Reine Eugénia que joue Catherine Deneuve avec un aplomb et un sarcasme sans faille, l'un des personnages les plus drôles de l'actrice qui s'amuse à faire de la calligraphie pour se détendre de son stress de reine.

Michel Aumont n'est qu'un personnage secondaire dans Palais royal mais il est au centre de cette famille. Il arbore un calme constant en toute logique puisqu'il est le chef du protocole et l'acteur sait parfaitement avec quelques simples mouvements du visage incarner tout le poids de cette monarchie inventée pour le film, plus vraie que nature qui rappelle les déboires de Diana avec sa belle-mère.

René-Guy a un petit tic quand le protocole s'enraie. Il passe son annulaire sur son sourcil gauche, c'est un moyen pour ne pas montré son énervement devant les avanies subies au palais royal. Il fait partie de ces acteurs venus dans les années 1970 qui incarnaient une idée de la bourgeoisie coincée, du pouvoir en place, des gens inamovibles, des types un peu lâches, bref la France de Pompidou dans toute sa splendeur.

Valérie Lermercier le prend ainsi, il est moins cassant et plus rond que Jean-François Balmer, plus vif que Bruno Crémer et surtout il a un visage sympathique mais peut faire des choses horribles, comme dans Le Jouet de Pierre Richard vendre son employé à un enfant comme jouet, je me rappelle aussi son rôle de cuisinier dans Au petit Marguery, un film très oublié mais qui avait un peu marqué son temps.

René-Guy et Eugénia complotent pour leur royaume de pacotille. L'un des plus beaux ressorts narratifs est l'adultère qu'ils ont toujours entretenu entre eux. Ils vont tout faire pour déshériter Alban (Michel Vuillermoz) le fils aîné quand Eugénia se retrouve veuve pour le fils cadet Arnaud (Lambert Wilson), fils de l'amour comme le dit avec mépris Armelle (Valérie Lemercier) l'épouse d'Arnaud.

Pas de quiproquos ni de porte qui claque, Valérie Lemercier avait déjà fait ça dans Quadrille son remake de Sacha Guitry. Pour Palais royal, elle multiplie les complots, les coups bas et tordus, les mensonges et les tromperies. Elle rend la monnaie de leur pièce à cette affreuse famille qui lui pourrit la vie, le tout en trois actes. 15 ans après, c'est encore fort divertissant, souvent marrant, plein de gags qui font mouche.

Dans le premier acte, elle est constamment rabaissée, humilié, elle est une potiche dont se moquent ses amis (Denis Podalydès et Mathilde Seigner). En voyage à l'étranger, en Inde, elle fait des faux pas (embrasser tout le monde), en visite dans une maison de retraite, elle se fait entartée par Noël Godin qui visait le ministre que jouait Franck de la Personne. L'actrice excelle dans ce rôle de godiche.

Dans le deuxième acte, l'heure de la vengeance mesquine sonne. Le gag filé du slip est le meilleur exemple de l'amplitude de son comique, comme le banquet en honneur de l'empereur du Japon qui boit le rince-doigt. Pour humilier Eugénia et les autres, elle va dans le sens des Japonais et trinque avec eux, obligeant à boire elle aussi le rince-doigt. « C'est rafraîchissant » clame la reine mère (Gisèle Casadesus).


Thèse, antithèse, synthèse, le dernier acte est celui des règlements de compte. Le jeu de Valérie Lemercier, puisque c'est elle la vedette tout de même, s'est transformé. Rarement, elle n'aura joué une telle peste, dépassant les horreurs qu'on lui a fait subir. Elle aime créer ce malaise irrémédiable et enfiler le mauvais rôle, jouer l'hypocrite joyeuse comme on dit veuve joyeuse. Elle a fait là son meilleur film à ce jour.



























mercredi 28 août 2019

Roubaix, une lumière (Arnaud Desplechin, 2019)


Deux chats noirs viennent se coller dans les jambes du commissaire Daoud (Roshdy Zem) dès qu'il a ouvert la porte fenêtre de son logis. Ce sera la seule fois où Arnaud Desplechin traîne chez Daoud pour montrer où il vit, un appartement où la caméra glisse dans les pièces, frôle les murs où l'on découvre de vieilles photos, de vieilles peintures illustrant l'Algérie. On imagine que Daoud vit seul, qu'il n'a que ces deux chats de gouttière pour amis le soir quand il rentre du commissariat. Effectivement, au détour de quelques dialogues on comprend que toute sa famille est rentrée au pays, au bled. Presque toute, il ne reste que ce neveu en prison qui refuse de voir son oncle quand il lui rend visite.

Le commissaire Daoud est donc un solitaire et il le restera jusqu'au bout de Roubaix, une lumière. Solitaire et taciturne, non pas vraiment qu'il ne parle pas mais plutôt qu'il donne le moins de mots possibles aux policiers qu'il a sous ses ordres. Le film est très dialogué et une grand part de l'intrigue repose sur les dialogues, les joutes verbales, les interrogatoires. On se vouvoie beaucoup dans Roubaix, une lumière, on n'est plus habitué dans le cinéma français à se vouvoyer, on est même de moins en moins habitué à parler cette langue soutenue, en tout cas entre les policiers, comme s'ils formaient une communauté à part entière, mais d'ailleurs débarrassée de tout le jargon habituel.

J'ai beaucoup lu un mot sur le film, « réalisme ». Roubaix, une lumière montre de manière réaliste un commissariat. D'ailleurs quelle est cette réalité que la critique voit notamment dans cette première partie où l'on découvre le cadre, le lieu et les personnages. Comme dit plus haut, les dialogues ne veulent pas faire authentique, le douloureux problème du film réaliste (voir Polisse de Maïwenn dans un combat perdu d'avance). Ce qui est souvent vu comme du réalisme est l'aspect documenté, la part documentaire de la fiction, ici une plongée avec une caméra portée à l'épaule fait l'affaire dans des plans longs et englobe quelques affaires sans intérêt pour partir plus tard vers la fiction principale.

Ce qu'on remarque surtout dans ces images c'est le choix délibéré de noircir le trait, en l'occurrence de faire l'inverse de ce qui se voit habituellement à la télévision où l'image doit être claire. La photographie est sombre pour au moins deux raisons, le récit se déroule autour de Noël où la nuit tombe tôt et l'atmosphère sera vite poisseuse avec un crime crapuleux que Daoud et ses hommes doivent résoudre. Avant cela, on ne sait pas encore vers quel histoire va se diriger, un viol dans le métro, une voiture brûlée, la fugue d'une jeune femme qui va se réfugier chez son oncle un ami de Daoud, un incendie criminel. Arnaud Desplechin choisit la méthode Psychose (on remarque ce trajet en voiture regard caméra sous la pluie) au bout de 40 minutes, on fuit toutes les pistes narratives aperçues jusque là et on part vers le meurtre d'une vieille dame.

Difficile de dire vraiment quand se déroule Roubaix, une lumière. Il indique clairement dans le générique de fin qu'il est inspiré du documentaire de Mosco Bouscault Roubaix, commissariat central (que je n'ai pas vu) diffusé en 2008 mais jamais depuis sur les deux meurtrières. Arnaud Desplechin choisit de ne pas dater les faits, si ce n'est Noël. Il construit un film d'époque en prenant un soin extrême à ce que cela ne se voit pas trop dans cette reconstitution mais en y pensant un peu plus, on note qu'aucun téléphone portable n'apparaît dans le film. C'est un détail mais qui compte qui place ce Roubaix que l'on voit dans le film dans le passé, le grand sujet des films d'Arnaud Desplechin tous construits sur une figure du passé, des fantômes (d'Ismaël) ou des souvenirs de jeunesse qui vont par trois.

Arnaud Desplechin s'amuse avec les détails cocasses, il fait de Daoud un amateur de courses hippiques exactement comme Philippe Noiret dans Les Ripoux de Claude Zidi, Roshdy Zem a commencé au cinéma aux côtés de Noiret dans J'embrasse pas d'André Téchiné. Les rapports que Daoud entretient avec son nouvel inspecteur (Antoine Reinartz) des rapports courtois mais distants. Cet inspecteur est l’énigme du film, on en sait peu sur lui, il vient du séminaire, il prie encore le soir, il tient un journal et il croise dans le café de standing où il se rend Daoud. Les deux hommes semblent totalement différents, d'origines opposés prolétaire pour Daoud, bourgeoisie pour l'inspecteur. Ce qui les lie est leur solitude, ce langage châtié et le hippisme. Arnaud Desplechin gomme tout le superflu surtout une confrontation qui pourrait de temps en temps relancer le récit, esquisser des coups de théâtre.

Prendre son temps, ne pas se précipiter, là encore tout ce rythme alangui, pétrifié, glacé par Noël rappelle que malgré les champs contrechamps des confrontations entre les suspectes et la police, on n'est pas dans un téléfilm. Je n'ai pas encore parlé de Claude et Marie, Léa Seydoux et Sara Forestier, d'abord victimes, puis suspectes et enfin coupables. Ici le mobile n'a aucune intérêt scénaristique, Daoud dans une double partie de questions demande une seule chose, comment cela s'est passé. C'est la question souvent bâclée, donnée à la toute fin sans aucun détail, Arnaud Desplechin va jusqu'à l'épuisement des deux jeunes femmes, il veut connaître tous les secrets de leur « mise en scène », le mot est de Daoud. Dans toutes les autres affaires, la mise en scène a été facilement analysée (celle de la voiture brûlée en début de film), il ne manquait que celle de Claude et Marie.

mardi 27 août 2019

Charlot et la somnambule (Charles Chaplin, 1914)

Rétrospectivement, on décèle toute l'ironie de Charlie Chaplin dans un film comme Caught in the rain (Charlot et la somnambule), officiellement d'après les copyrights de MPAA le premier film écrit et réalisé par l'acteur. Je me fais une joie de penser que ce scénario tellement dans la ligne éditoriale de Mack Senett et de la Keystone a pour but de donner entière satisfaction au patron mais aussi de lui montrer qu'il sait aussi bien faire que les tâcherons habituellement embauchés pour tourner ces bobines burlesques. Plus que savoir aussi bien faire, Chaplin sait mieux faire que Henry Lehrman, Ford Sterling ou Mabel Normand. Il veut son indépendance et pour ça, il doit convaincre qu'on lui la donne avec ce film, pot-pourri de burlesque.

Le programme de Caught in the rain était connu de chaque spectateur, il aura tout ce qui fait la renommée du splastick Keystone. Un parc où se situe l'action, toujours le même avec à droite la boutique de sodas et à gauche le lac où Charlot va faire plonger ceux qui se mettent en travers de son coup de pied. Entre les deux bancs, une dame (Alice Davenport) à draguer avec force circonvolutions. Ici, la dame est harcelée par un Charlot taquin qui roucoule à ses côtés, il ne cesse jamais de modifier sa position sur le banc, il va jusqu'à s'étaler sur elle pendant que le mari, le fameux Mack Swain avec sa forte corpulence et sa grosse moustache est allé acheter une boisson. Il revient plus furieux que jamais.


Quelques baffes plus tard, Charlot s'est enquillé de nombreux verres d'alcool. Le film sait comment faire plaisir au spectateur et Charlot mimait l'ivresse, titubant dans le hall d'un hôtel puis glissant dans les escaliers, c'est le rire garanti, c'est le rythme qui frappe le plus dans ces 12 minutes même si le final reprend les quiproquos des chambres voisines de Mabel's strange predicament (cette fois la femme est somnambule et se glisse dans la chambre de Charlot). Tout se termine avec les policemen que Charlot et Mack Swain se font un plaisir de renverser comme des quilles de bowling. Maintenant que Chaplin a montré sa maîtrise des codes à son patron, il va pouvoir changer de braquet et créer son propre cinéma.













lundi 26 août 2019

Big brother (Jackie Chan, 1989)

Quand on débarque du fin fonds de la Chine à Hong Kong sans le sou et qu'on est naïf, la vie n'est pas simple, elle est au contraire difficile. C'est le cas de Kwok Chen-wah (Jackie Chan), tout sourire avec sa petite valise à la main et observant le chômeurs à la recherche d'un boulot journalier. Chen-wah est prêt à faire confiance à n'importe qui. Il se fait escroquer par un bonimenteur qui lui demande son argent pour l’inscrire pour l’embauche. Mais le lendemain, tous ceux qui avaient payé une avance se voient refuser l’entrée dans l’usine.

Chen-wah s’en va dépité et tombe sur Madame Rose (Gua Ah-leh) qui veut lui vendre une rose qui lui portera bonheur. Il en a bien besoin mais n’a guère d’argent. Une voiture arrive, à toute vitesse, d’un parrain des triades. Il est poursuivi par les hommes de Duan. Tout se termine dans une ruelle où la voiture s’engouffre. Le parrain meurt dans les bras de Chen-wah venu porter secours. Le parrain aura pris soin de le montrer du doigt ce qui pour l’oncle Hai (Wu Ma) et Fei (Lo Lieh) le successeur désigné, suffit à le désigner comme le nouveau chef du clan.

Une toute nouvelle vie va commencer pour notre jeune et candide héros qui lors de sa premier discours au clan demande d’être honnête et de respecter la loi. Ce qui a pour effet de tous les faire rire. Il va devoir leur prouver sa force et il fait un bras de fer avec l’un des gars les plus costauds. Pour que son poulain passe l’épreuve, Hai est toujours derrière Chen-wah et brûle la main du costaud avec son cigare. Hai, portant l'habit traditionnel chinois, alors que les autres hommes sont en costumes occidentaux, est le conseiller du clan.

En tant que discrète éminence grise, homme de judicieux conseils et fin diplomate, il veille à ce que tout se passe comme il faut et parfois il manipule son nouveau patron. Au début, Chen-wah ne sait pas quelles décisions prendre mais petit à petit il prend ses marques. Puis, quand le récit commence à partir dans des quiproquos échevelés, Hai reste stoïque à observer les incroyables cascades, combats à mains nues où Jackie Chan utilise tous les éléments des décors pour mettre à l'amende ceux qui entravent ses aventures.

Les décors du cabaret sont somptueux, filmés avec une grande fluidité par Jackie Chan. Il multiplie les plans séquences où la caméra se déplace dans tous les recoins de cet immense lieu, grimpe les escaliers pour passer d'une action à une autre avec une élégance inégalée dans son cinéma. Décor oblique (la rue en escalier dévalée en pousse-pousse), décor horizontal (le cabaret), décor vertical (l'usine de cordes pour le grand finale), chaque lieu établit sa topographie et Jackie Chan entraîne une succession de cascades variées et différentes.

C'est le moment de présenter Yang Lu-ming (Anita Mui). Elle arrive dans la vie de Chen-wah quand celui-ci a décidé de faire du grand hôtel un cabaret. Lu-ming est la fille d’un homme qui devait de l’argent au parrain décédé. Elle vient régler les dettes de son père mais n’a pas d’argent. En revanche, elle sait chanter et danser. Elle deviendra la star du cabaret. Il n’y a qu’une scène de cabaret chantée et dansée, mais elle est tournée avec beaucoup de soin, d'élégance et de luxe, c'est la chanson Rose Rose I Love You qu'Anita Mui chantera souvent à ses concerts.

On s'en doute, une romance entre Lu-ming et Chen-wah va s'épanouir. Cette histoire d’amour est décrite comme naturelle sans embûche. Pourtant Lu-ming est une forte tête face à la faiblesse relative de Chen-wah. C'est elle qui va aider Madame Rose quand elle tombe malade. Chen-wah exige de lui acheter une rose chaque matin pour lui porter chance avant chaque rendez-vous d’affaires. Un matin, elle est introuvable. Chen-wah va chez elle dans un quartier pauvre. Elle est malade parce qu’elle fait croire à sa fille, restée en Chine, qu’elle est une dame du monde et qu’elle vit dans un grand hôtel.

Or, Madame Rose vient d’apprendre que sa fille venait à Hong Kong avec son fiancé et son futur beau-père. Lu-ming décide d’installer Madame Rose dans un palace et de lui trouver un mari. Ce sera Bill Tung, justement l’homme qui avait escroqué Chen-wah au début du film. C’est alors qu’un déluge de quiproquos commence tous plus mal gérés les uns que les autres par le couple vedette. Pour notre plus grand plaisir. Il faut cacher à la fille de Madame Rose qu’elle est très pauvre et que Bill Tung n’est pas son vrai mari.

Mais, il faut surtout empêcher l’inspecteur Ho (Richard Ng) de découvrir la chose. L’inspecteur Ho cherche à faire affaire avec le futur beau-père, un riche homme chinois. Or Ho est constamment en chasse contre Chen-wah et son clan. C’est un Richard Ng burlesque qui incarne ce pauvre inspecteur qui va en voir de toutes les couleurs d’autant qu’il est aidé par un assistant (Mars) des plus incompétents. Les portes et les couloirs vont se remplir de mensonges, de personnes qui se font passer pour d’autres et tout va se compliquer dans l’imbrication des différentes pistes narratives.

Big brother ne manque jamais d’humour. Quelques personnages secondaires sont très drôles comme Tang (Billy Lau), l’assistant de l’oncle Hai, un gros à lunettes, qui se voit toujours rabroué par son patron et qui réplique, quand il a fait une bêtise, qu’il doit aller laver la voiture. Ce comique de répétition est croustillant. La scène de répétition des rôles des notables pour donner une fausse réception est hilarante. Tous les employés et les porte-flingues doivent faire croire qu’ils sont des hommes du monde mais tous se disputent entre eux, se jalousent et parlent avec un vocabulaire de charretier. Un grand moment de comédie.

Jackie Chan n’oublie pas non plus l’action avec la scène finale dans un entrepôt de cordes qui appartient à Duan. Trahi par Fei, Jackie Chan se retrouve avec une trentaine d’adversaires contre lesquels se battre. La scène commence dans la rue où Jackie Chan utilise chaque objet d’un marché de légumes comme arme (aïe avec le durian) puis est emmené dans l’entrepôt où les acrobaties durent un bon quart d’heure. Pour l'amateur que je suis des acrobaties de Jackie Chan, c'est un moment délicieux.

Il saute d’un niveau à l’autre, se casse la figure, donne de nombreux coups de pied et poing, dans un montage d’une grande précision et sans effets spéciaux, il va s’en dire. La chorégraphie des combats est d’une grande beauté. C’est la limpidité de Big brother qui frappe le plus et qui laisse à chaque vision bouche bée. L’aisance de la narration c'est aussi le grand art du montage qui donne le bon rythme à chaque scène. Entre les gimmicks (le chapeau de Chen-wah) et le récit au long cours, Jackie Chan a tenu son film jusqu’au bout. La comédie, l’action et la romance n’ont jamais fait aussi bon ménage.

Longtemps Big brother a été mutilé dans ses éditions françaises, il a été emputé de 45 minutes lors de l'édition de la VHS par René Château. Qui plus est, il était uniquement disponible en version française doublée avec des dialogues stupides. En 2009, le film que l'on doit considérer comme le chef d’œuvre de Jackie Chan, sortit enfin dans sa version intégrale de deux heures et trois minutes. Metropolitan Films a choisi de conserver le titre d’exploitation de l’époque Big Brother alors qu'il serait plus joli de lui redonner son titre chinois Mr. Canton and Lady Rose.


A l'époque de la sortie en France, seules les scènes d’action et l’histoire avec Anita Mui avaient été conservées, ce qui lui permettait de conserver pourtant une relative armature scénaristique. Tout ce qui concernait la réception des fiançailles de Madame Rose avaient été supprimées, trop mièvres sans doute pour le fan primaire de kung-fu. C’est dire si le film de Jackie Chan a été solide malgré les charcutages. Le récit de Big brother est à la fois foisonnant et d’une rigueur extrême. La limpidité et la fluidité mêmes.