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mercredi 15 juillet 2020

J'ai aussi regardé ces films en juillet


Chained + Beloved (Yaron Shani, 2019)
Ce que promet ce double film (près de 4 heures en tout) est un double point de vue, dans Chained celui du mari policier Rashi (Eran Naim), dans Beloved celui de l'épouse infirmière Avigail (Stav Amalgor). Le tout se passe à Tel Aviv chez ce couple de la classe moyenne sans l'once d'un exotisme (pas d'ultra-orthodoxe, aucune ombre du conflit israélo-palestinien). Elle est plus jeune que lui, elle a une fille de 14 ans, ils essaient – en vain – d'avoir un enfant. Dans Chained, on suit le travail quotidien du flic, un type un peu brut de décoffrage qui pensant confondre des jeunes qui pourraient cacher du shit dans leur caleçon, les fait se déshabiller pour une fouille approfondie. Pas de chance pour Rashi, il ne les a pas impressionnés. Deux des jeunes a porté plainte. C'est le début de la chute du policier qui décide de placer son impitoyable pouvoir sur la fille d'Avigail, fille qui ne supporte pas la surveillance de son beau-père. Dans Beloved, Avigail est toujours à l'image, le film n'est pas le simple contrepoint de Chained, il se déroule quand elle décide de quitter Rashi pour avoir quelques moments de calme. Autant Chained est violent, chaotique, autant Beloved est doux, reposant (sauf pour le personnage de Na'ama), deux images contradictoires mais réelles de la vie de ces Israéliens travaillés par l'autoritarisme et la liberté. Il faut préciser que comme pour les 5 Senses de Rysuke Hamaguchi, Chained et Beloved sont largement improvisés dans leur dialogues (souvent de sourd) sur un canevas écrit à l'avance.

Eté 85 (François Ozon, 2020)
Pour comprendre le projet un peu fou de François Ozon, il faut imaginer qu'il fait un film qui n'aurait jamais pu exister en 1985, une histoire d'amour entre deux adolescents homos. Mieux que ça, il tourne ce film qu'André Téchiné aurait pu tourner s'il l'avait pu (mettons tout ce que Rendez-vous ne raconte pas). Il faut imaginer que ce jeune homme un peu Bohème, très sûr de lui, de son corps, de son charme aurait pu être joué par Simon De La Brosse, que cet adolescent timide et complexé (la preuve il ne veut pas se déshabiller) aurait pu être incarné par Wadeck Stanzack, Juliette Binoche aurait été la jeune fille au pair anglaise et enfin la mère du premier garçon aurait été parfaite jouée par Catherine Deneuve. André Téchiné n'a jamais pu le tourner ce film gay en 1985 et François Ozon le fait avec tous les clichés propres à son aîné. Le jeu légèrement théâtral, les dialogues trop écrits, les situations romanesques à l'extrême (la promesse un peu stupide de danser sur la tombe de l'autre), le romantisme sombre, à peu près nous est épargné mais tout est sensiblement décalé pour que l'hommage ne soit pas trop visible. Pourtant, tout est lourd, appuyé, fastidieux. A cela, François Ozon ajoute deux temps, celui du présent et celui du souvenir pour créer un semblant de suspense. Logiquement, le film ne dit rien sur 1985 ni sur aujourd'hui.

L'Amour à la ville (Carlo Lizzani, Michelangelo Antonioni, Francesco Maselli, Federico Fellini, Dino Risi & Alberto Larruada, 1953)
C'est le seul cas de film à sketches conçu par le théoricien du néo-réalisme, Cesare Zavattini. Autant dire que le film a terriblement vieilli. Il prend l'aspect d'un journal, donc un rapport documentaire à la réalité. Entièrement dédié à la condition féminine dans l'Italie de 1953, certaines choses semblent ne pas avoir changé (le tout dernier sketch « Les Italiens se retournent » sur la drague de rue, c'est-à-dire le harcèlement de rue). Le film montre l'état patriarcal, il développe quelques sujets (le suicide par Antonioni, la prostitution par Lizzani, la place de la fille-mère par Lizzani), mais ce sont les deux parties de Fellini (proche de son approche kafkaïenne de 8 ½) et de Dino Risi sur les bals du samedi soir où les jeunes gens se séduisent (c'était son premier film de cinéma) qui restent les meilleurs. Federico Fellini avait déjà ce sens de l'image quand il filme ces longs couloirs où un journaliste est guidé par des enfants espiègles. Dino Risi a le sens de la caricature, du gag immédiat, du portrait immédiatement reconnaissable. Quant à l'ensemble, il cherche tant à faire du journalisme qu'il en oublie toute objectivité.

Exit (Rasmus Kloster Bro, 2018)
Nostalgiques du confinement, vous allez adorer Exit, ses lieux exigus, son atmosphère suffocante, ses lumières blafardes. Les claustrophobes vont avoir très peur pour les mêmes raisons. Deux films se trouvent dans Exit, le premier est un film d'angoisse sourde qui prouve qu'il n'y a pas besoin de l'artifice d'un monstre méchant et visqueux pour créer un thriller. Le film joue sur la dépressurisation de l'espace, notamment avec le son qui se déforme, qui risque de faire mourir nos trois prisonniers, sur l'absence irrévocable d'oxygène et sur l'accident qui les met dans cette situation. Certes, ça se répète un peu parfois. Le deuxième film parle du conflit entre les grands projets, ici la construction d'un métro au Danemark, sujet de la journaliste très enthousiaste et un pu naïve et ceux qui construisent ce métro, des travailleurs venus des quatre coins du monde (d'où l'anglais du film), un Croate et un Érythréen, dans des conditions atroces. Le tout est une immense métaphore du grand capitalisme. Vaguement démonstratif mais résolument déprimant.

lundi 21 octobre 2019

Domino, la guerre silencieuse (Brian De Palma, 2018)


C'est franchement par hasard que j'ai appris que le nouveau film de Brian De Palma était sorti. Sur les plate-formes VOD. Je ne sais pas vraiment si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Mais c'est ainsi que les films sont visibles aujourd'hui. Ceci dit, et sans avoir vu la plupart des films uniquement disponibles sur Amazon Prime ou Netflix (le prochain Scorsese, les derniers films de Soderbergh, des frères Coen, d'Alfonso Cuaron) considérés comme visuellement splendides ou très cinématographiques (ça doit bien être de la merde en home cinéma grâce à une diffusion Internet), ce qu'on constate vite avec Domino est la pauvreté de la matière.

Dans les premières scènes, il est indiqué que le film se passe dans notre futur proche, il débute le 10 juin 2020. Ça me rappelle un peu Femme fatale qui commençait quelques mois après la sortie du film. Et d'une certaine manière, les deux films sont proches puisqu'ils sont tournés en Europe. Après la France, c'est Copenhague (le film est une co-production entre plusieurs pays européens) qui est le premier lieu d'action, avant de se déplacer à Amsterdam, à Bruxelles puis à l'extrême sud de l'Espagne. Mais la langue reste l'anglais bien qu'il se passe au Danemark, c'est sans doute que Brian De Palma se place dans une lignée de films où la langue n'est pas un problème de réalisme.

Les premières minutes sont peu appétissantes. Au contraire, je me suis demandé où était le cinéaste dans ces scènes entre deux flics. Lars (Soren Malling) et Christian (Nikolaj Coster-Waldau), sont collègues, deux flics de génération différentes. Lars le plus âgé paterne son cadet et ils passent souvent du temps chez le premier. Hanne (Paprika Toft), l'épouse de Lars leur prépare des petits plats pour le soir. On discerne tout de même un peu leur personnalité dans ces scènes banales, Christian est un coureur de jupons un peu inconséquent. Evidemment, cela va avoir de l'importance car le 11 juin 2020, les deux flics doivent commencer leur service à 4 heures du matin.

Le titre a un sens, c'est l'effet domino qui lance enfin (il était temps) le récit. Christian oublie son revolver chez lui. Avec Lars, il se rende pour un conflit conjugal. Un homme, Ezra Tarzi (Eriq Ebouaney), un grand type avec une barbe bien fournie et aux yeux de sang, est menotté. Pendant que Christian va inspecter l'appartement, Lars surveille Tarzi. Mais ce dernier se défend et parce que Christian avait pris le flingue de Lars, ce dernier ne peut pas se défendre. Tout s'enclenche assez vite et l'enquête en forme de course poursuite va commencer. Christian, pour rendre justice à Lars, va partir à la rechercher de Tarzi qui s'est enfui.

On navigue dans la mouvance terroriste tendance Daech (ISIS en VO bien entendu) avec un affreux (qui cause en français) qui organise des attentats. Il laisse ses moutons se faire exploser à sa place. Le premier de ces attentats a lieu lors d'un festival de cinéma à Amsterdam. Deux idées là-dedans. La première est de revenir sur la menace de création que subit le cinéma où la censure comme l'auto-censure est dangereuse. La deuxième est de proposer un split-screen étonnant. Le point de vue de la terroriste qui filme en direct son visage et les personnes qu'elle assassine, le tout passe aussi à la télé, finalement il reprend ce qu'il disait dans Redacted.

A vrai dire, je me demandais pendant un bon moment où était Brian De Palma. Certes l'armature est un peu putassière (faire du suspense avec du terrorisme) mais petit à petit il parvient à créer une tension digne de Snake eyes. Sans être aussi puissant, c'est à ce film que Domino ressemble le plus avec l'arrivée d'Alex (Carice Van Houten), une policière impliquée dans l'enquête, celle d'un agent de la CIA (Guy Pearce) qui doivent vite faire face à de faux-semblants, de doubles jeux et de caméra sur drone. C'est un petit film de Brian De Palma, pas toujours bien confectionné sauf dans ce finale dans une arène avec un boléro composé par Pino Donaggio, comme au bon vieux temps.

jeudi 10 janvier 2019

Border (Ali Abbasi, 2018)


L'odorat est l'un des sens les plus difficiles à filmer au cinéma – et ce n'est pas John Waters et Polyester qui vont démentir – cela passe par un élément visuel de dégoût (quand l'odeur est mauvaise) et de plan rapproché (du nez qui s'active). Tina (Eva Melander) travaille aux douanes suédoises et les premiers plans font découvrir son visage ingrat, la peau boursouflée, les yeux rapprochés, les cheveux rêches. L'odorat est aussi une astuce scénaristique pour montrer ce visage hors du commun, rugueux totalement hors des canons que l'on se fait d'une femme suédoise.

Tina décèle, grâce à son nez qu'elle remonte légèrement, montrant ses dents, ceux qui triche aux douanes. Un ado qui transporte de l'alcool est le premier cas pour montrer comment fonctionne Tina, on se rend compte qu'on est vraiment dans un film suédois, pas du tout à Hollywood, le calme et la délicatesse avant tout. Mais le deuxième cas est un col blanc, un type bien propre sur lui (l'inverse de Tina). Dans son portable, elle décèle des vidéos porno impliquant des bébés. Voilà Border lancé sur une enquête et un polar poisseux.

Cette enquête policière occupera tout le récit du film, mais avec une certaine nonchalance, sans avoir l'air de trop s'y pencher alors que les éléments prennent régulièrement une tournure atroce. Comme dans tout film délicat, rien n'est montré, pas même suggéré. Cette enquête, elle commence dans un « appartement Ikéa » où seraient tournés ces scènes de pédopornographie. La manière qu'a Tina de prononcer ces mots en dit beaucoup de son mépris pour ces gens à l'apparence normale mais qui cache une pourriture ineffable.

Tina n'habite sûrement pas dans ce genre de logement, elle réside dans un chalet au milieu de la forêt, elle vit avec un drôle de type, Roland (Jörgen Thorsson) qui semble inactif sauf lorsqu'il s'agit de s'occuper de ses deux clébards. Tina a encore son père (Sten Ljunggren), un type qui perd un peu la mémoire et qui vit dans un hospice. Elle va lui rendre souvent visite et ce père lui pose des questions embarrassantes sur son intimité avec Roland. Il regrette que sa fille soit stérile, il déplore qu'elle ne vive pas pleinement sa vie de femme.

Les deux molosses de Roland aboient dès que Tina pointe le bout de son nez au retour du boulot ou quand elle part en promenade, toujours pieds nus dans cette forêt de lichen et de mousse. Tina rencontre un renard, un élan, des chevreuils, chaque fois, elle les entend et les sent. Les animaux de la forêt constituent un élément essentiel de Border, ils placent le film dans une forme d'esprit païen et mythologique revigorant mais pour l'instant Tina, comme le spectateur, ne peut pas comprendre ce qui attire ces animaux vers elle.

Il faut pour cela l'arrivée de Vore (Eero Milenoff) devant le poste de douanes, devant les yeux et le nez de Tina. Elle sent chez lui quelque chose. Vore possède la même ingratitude corporelle et faciale. Tina ne comprend pas ce qu'elle a senti chez Vore mais elle va le découvrir quand elle le revoit, d'abord dans l'auberge de jeunesse puis à nouveau aux douanes. Il va s'installer dans la chambre d'hôte à côté de son chalet, au grand dam de Roland qui voit un rival pour son lit gratos en celui qu'elle nomme un vieil ami.

Et cette enquête alors ? Elle prend une tournure terrifiante avec l'arrivée de nouveaux éléments, terrifiant est le mot puisque le film tourne vers le fantastique horrifique après avoir exploité le fantastique domestique. L'horreur ce n'est pas le visage et le corps de Tina et Vore mais ce qui se trame autour d'eux, l'horreur de l'histoire de la Suède des années 1970 et de son eugénisme institutionnel, l'horreur de la vengeance qui disséminent lentement mais sûrement un malaise tenace qui doit plus à James Whale qu'à James Wan.

mardi 31 juillet 2018

J'ai aussi regardé ces films en juillet


Une pluie sans fin (Dong Yue, 2018)
Comme dans Sev7en, il pleut tout le temps, comme dans Memories of murder, des jeunes femmes sont assassinées et retrouvées dans un champ. La comparaison s'arrête là, ce film noir part vers d'autres pistes pas toujours abouties. Hong Kong par exemple, puisque le film se déroule pour l'essentiel en 1997 année de la rétrocession, n'est évoqué que lointainement, la protégée du personnage principal rêve d'y partir pour vivre une vie meilleure. L'arrivée du capitalisme est plus précisément décrit, la célébration du travail collectif en début de film cède la place à la destruction de l'usine. Censure oblige, contrairement au film de Bong Joon-ho, l'incompétence de la police à retrouver l'assassin n'est jamais appuyé. Ce qui donne cet épilogue tarabiscoté qui donne une explication comme résolution de l'enquête. Ce qui convainc est ce personnage de vigile, l'air ahuri, le regard halluciné, qui se rêve policier. Tout le monde le méprise sauf un autre gars, plus jeune, qui le considère comme son maître spirituel. Tout le récit est vu comme le long flash-back de ce vigile et il ne se donne pas toujours le beau rôle. Mais un deuxième épilogue tendrait à montrer que le vigile a peut-être fantasmé et imaginé toute cette enquête sans fin. C'est cette tension entre le réel noir et le fantasme qui importe dans ce premier film.

The Guilty (Gustav Möller, 2018)
Jadis on a eu Ryan Reynolds enfermé dans un cercueil (Buried), Tom Hardy dans une voiture (Locke), maintenant Jakob Cedergren dans un centre d'appel de secours danois. Le numéro pour avoir ces policiers est le 512. Unité d'action, de temps et de lieu, du théâtre filmé sur grand écran. Pendant 84 minutes, il est tout seul (ou presque) à composer le récit de ce qui se passe à l'autre bout du fil, à remettre en place les pièces du puzzle. Ça marche un moment, les twists s'enchaînent et le film s'effondre dans ses dernières minutes quand notre héros considère ce cas qu'il a à traiter comme un moyen de rédemption car lui-même est dans la situation décrite.

Paul Sanchez est revenu ! (Patricia Mazuy, 2018)
Que dire de gentil sur ce nouveau film de Patricia Mazuy, encore un polar de l'été (il ne semble y avoir que ça cet mois de juillet) ? Pas grand chose. Le récit se lance avec une voix extérieure, celle d'un journaliste qui raconte cette histoire lors d'une interview télé lors de la sortie de son roman. Dès le départ, tout sonne très faux, je ne comprend pas vraiment ce narration qui se veut, j'imagine, objective face aux deux subjectivités, celle de la jeune policière qui rêve de résoudre seule l'enquête et celle de ce Paul Sanchez joué par Laurent Lafitte engoncé dans son regard pas content. Entre les deux, quelques flics aux caractères variés (le vieux sage, le chien fou) et ce journaliste à la recherche de scoop pour partir bosser à BFM (la chaîne info des faits divers crapuleux). Le film semble dater des années 1980 même la grande révélation finale ne soulève plus le moindre intérêt.

Roulez jeunesse (Julien Guetta, 2018)
J'aime beaucoup Eric Judor. Roulez jeunesse n'est pas aussi croustillant que Problemos, pas aussi drôle, pas aussi bien écrit, mais il recèle quelques moments non seulement cocasses mais également d'une rare justesse dans le milieu de la comédie française. Le rythme du film est proche de celui du Doudou, un road movie (en voiture de dépannage) en mode minimaliste pour trouver la maman de trois enfants particulièrement pénibles. Ça serait épatant si Malik Bentalah faisait un duo avec Eric Judor dans un bon film.

vendredi 14 juillet 2017

Le Caire confidentiel (Tarik Saleh, 2017)

Trois mondes se superposent dans Le Caire confidentiel, se côtoient sans se rencontrer ni parvenir à s'entendre. Tout en haut, l'aristocratie égyptienne, les riches amis du Président Moubarak qui vivent dans l'impunité la plus totale représentée par un homme d'affaires, Shafiq (Ahmed Hefny) dont la maîtresse est assassinée dans un hôtel de luxe. Dans cet hôtel, une femme soudanaise, clandestine, est témoin indirecte (elle n'a rien vraiment vu, mais tout entendu) de la mort, Salwa (Mari Malek) vit dans un quartier insalubre du Caire, elle uincarne le prolétariat malléable à merci par les riches (Shafiq habite en bord de mer, dans une luxueuse villa, arrosant son golf privé tandis qu'elle dort sur un matelas avec une de ses compatriotes). Et au milieu le commissaire Nourredine Mostafa (Fares Fares), classe moyenne, veuf, solitaire, fumant clope sur clope (on n'arrête pas de tirer sur les cigarettes dans le film) qui va mener l'enquête.

En passant d'un monde à l'autre à bord de sa voiture, menant ses investigations avec un ton nonchalant (scène hallucinante de découverte du corps où le médecin légiste fume sur le lit à côté de la victime en attendant son petit déjeuner), Nour croise l'Egypte de la rue qui le fait vivre grâce aux pots de vin qu'il récolte des commerçants. C'est la corruption qui gangrène tout le pays, à tous ses niveaux. On voit passer des liasses de billet autant que des cigarettes qui s'allument. L'oncle de Nour, le placide Kamal Mostafa (Yasser Ali Maher) qui avait placé son neveu à ce poste, à ces responsabilités, à ces récoltes d'argent, ne tient pas à ce que l'enquête fasse de vague. D'autant que la sûreté de l'Etat a classé l'affaire en suicide. Logiquement, pour garantir ses petites affaires, il décharge le neveu de l'enquête.

Petit à petit ces trois mondes vont s'effondrer. Tarik Saleh filme cet effondrement dont on sait qu'il va arriver en égrainant le compte à rebours de la chute de Hosni Moubarak. Le cinéaste suédois clame l'aspect politique à chaque scène, mais force parfois en vain à faire coïncider son histoire avec la grande Histoire. C'est Fares Fares, star du cinéma suédois (oui, le film est suédois en co-production avec l'Allemagne et le Danemark et tourné au Maroc) avec son grand corps fatigué, son visage las, son regard grave qui emporte le morceau surtout quand Tarik Saleh le fait sortir des sentiers battus du film policier, qu'il filme son quotidien (je crois que la référence ultime est Le Privé de Robert Altman) et son obstination à révéler des choses qui vont l'entraîner dans sa chute irrémédiable.

mercredi 1 mars 2017

Les Oubliés (Martin Zandvliet, 2015)

Quand j'ai vu Les Oubliés, le film s'appelait encore Land of mine et il n'avait pas encore nominé à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère (en l'occurrence, du danois, de l'allemand et quelques phrases en anglais). Certes, le film a raté l'Oscar mais il sort aujourd'hui, soit tout de même 9 mois après son passage à Ecrans Juniors, une sélection de films mettant en scène des personnages jeunes et présentés en marge du Festival de Cannes et à destination des lycéens. Sur l'écran, les personnages ont donc l'âge des lycéens qui étaient dans la salle, une salle pleine et silencieuse.

Ces oubliés (évidemment tirés d'une histoire vraie, comme tous les films en ce moment) sont de jeunes soldats allemands. Et quand j'écris jeunes, il faudrait dire que ce sont des adolescents. Dans les derniers temps de la deuxième guerre mondiale, Hitler et ses sbires, voyant la défaite arriver à grands pas, forcent les plus jeunes hommes d'Allemagne à intégrer l'armée du Reich. Ce sont des gamins, ils peinent à rentrer dans les uniformes gris trop grand pour eux, ils ont encore des boutons sur leurs visages juvéniles.

L'air hébété, ils sont accueillis par les vainqueurs qui ont désormais tous les droits sur eux. Le temps de la vengeance des Danois est arrivé, avec son lot d'humiliation. Ce sont les adultes qui punissent ces pauvres gamins comme s'ils étaient des criminels de guerre. C'est cette injustice qui frappe le plus dans le début des Oubliés, entre l'innocence des anciens bourreaux (ou vus comme tel) et de l'accusation des anciennes victimes (qui vont se rendre justice eux-mêmes). Le boulot de ces jeunes soldats : enlever les mines des plages danoises.

Avant d'envoyer les gamins sur la plage avec le gros risque qu'ils se fassent sauter, c'est l'heure de l’entraînement, c'est le moment de l'apprentissage du dégoupillage des mines. Des leçons données par un officier méprisant avec sévérité, avec un taux de cruauté certain et avec un espoir de sa part de voir les gamins exploser. Et c'est ce qui va arriver. Il faut convenir qu'il est assez rare pour un film de faire mourir des adolescents et les scènes font preuve d'une certaine dureté et d'une volonté de réalisme.

Le cinéaste danois suit ensuite ces jeunes soldats dans l'accomplissement de leur tâche. Ils sont parqués dans une cabane en bord de mer. A côté, une ferme avec une fermière veuve et rancunière et sa fillette. Le soldat danois qui garde les allemands va manger à la ferme, il est d'abord sourd aux conditions de vie des adolescents, il est dans la même position que l'officier, que cette fermière. Tout le monde regarde de haut les Allemands qui ont faim, froid et peur, tel ce sergent britannique qui humilie l'un d'eux en lui pissant dessus.

Bien que cousu de fil blanc, Les Oubliés est prenant et surprend par sa franchise et sa mélancolie. Le garde chiourme va bien entendu s'attacher à ces jeunes. Les personnalités de chacun s'affirme au fur et à mesure, mention spéciale aux jumeaux. Leur destin est tragique, les explosions dramatiques accélèrent l'émotion et l'empathie. L'enjeu est de savoir qui tiendra jusqu'au bout, qui survivra jusqu'à la promesse de l'officier de les laisser rentrer chez eux une fois la plage déminée. Hélas, les promesses n'engagent que ceux qui y croient.

mardi 1 novembre 2016

Bleeder (Nicolas Winding Refn, 1999)

J'aime beaucoup l'ouverture de Bleeder, deuxième film de Nicolas Winding Refn entre deux Pusher, resté inédit en salles en France jusqu'à cette semaine. Après un carton rouge sang annonçant le titre et les noms des acteurs principaux, chacun vient présenter son personnage en marchant dans la rue au son d'une chanson illustrant leur tempérament. Lenny (Mad Mikkelsen), Lea (Liv Corfixen), Leo (Kim Bodnia) Louise, sa petite amie (Rikke Louise Andersson) et Louis le frère de Louise (Levino Jensen). Au gré de ces morceaux de musique, on en saura déjà pas mal sur les personnages, qui est calme et qui est excité.

Le calme Lenny bosse dans un vidéoclub. Il est entouré de VHS, objet tombé dans les oubliettes de l'Histoire. Quand un client débarque et demande où il peut trouver La Colline a des yeux 2, Lenny débite le nom de tous les réalisateurs ayant une VHS dans ce vidéoclub et leur emplacement, comme un catalogue sans fin, l'un des rares moments comiques du film. Il ne vit que pour le cinéma et par les films. Avec son patron (Zlatko Buric), flegmatique comme un acteur d'Aki Kaurismäki, Lenny organise des séances de ciné-club dans l'arrière boutique avec Leo et Louis. Des films de cinéma d'exploitation, évidemment. Et ça cause bien entendu acteurs et films.

Leo vit avec Louise. Et ce matin-là, il annonce à son pote, sans aucun sourire, avec une absence totale de joie, que Louise est enceinte. Seulement voilà, Leo n'en veut pas du môme et ils vivent dans un appartement minable. Louis, le frère encombrant et raciste sur les bords et au milieu, traite le gentil Leo de tous les noms. Le frangin a bien vu que son beauf ne déborde pas d'enthousiasme. Les deux gars ne s'aiment pas et toute la tension dramatique de Bleeder va se concentrer sur cette haine viscérale dans une douce explosion de violence larvée comme le cinéaste les aime. Nicolas Winding Refn annonçait très tôt la couleur avec ses fondus au rouge.

Lea, jouée par l'épouse de Nicolas Winding Refn, a un rôle plus périphérique. Elle ne croisera que Lenny qui passe de temps en temps dans son fast-food. Elle s'emmerde profondément dans son travail. Ils ne savent jamais quoi se dire, il ne parle que de films. De son côté, Leo a trouvé un revolver et ne s'en sépare plus. Tourné en caméra à l'épaule, en plans séquence (souvent), Bleeder trimbale son lot de personnages englués dans une vie médiocre. Pour certains, ils se contentent de vivre par procuration, par le cinéma. Pour d'autres, c'est la descente aux enfers. D'ailleurs, les prénoms de ces jeunes gens commencent par un L, L like Hell.

mercredi 8 juin 2016

The Neon demon (Nicolas Winding Refn, 2016)

J'aime beaucoup le générique de The Neon demon, musique tonitruante (comme chaque fois que Nicolas Winding Refn inclut de la musique dans ce film, ici une sorte de techno minimaliste et sourde), une vitre qui capte différentes couleurs comme dans le logo de la Shaw Brothers. Après Dieu et la Thaïlande de Only God forgives, voici le démon de Los Angeles, tout en oxymore et métaphore filée (démon anges, Hell Elle Fanning). Voilà de quoi lancer une nouvelle version, bien scabreuse, bien tarabiscotée, bien sanglante de Blanche Neige.

Elle Fanning est donc Jesse, apprentie mannequin de « 19 ans », comme lui demande de répondre sa manager (Christian Hendricks, que l'on ne voit que dans une scène). En vérité, Jesse a 16 ans, elle débarque de sa Géorgie natale, elle n'a plus ses parents. La scène d'ouverture, dans un travelling arrière et avant, a montré Jesse sous toutes les coutures, photographiée par un jeune homme au visage impassible. Aucun mot ne sera échangé, la musique est de toute façon trop forte pour laisser la place à des dialogues. Jesse est allongée sur un divan, des paillettes sur le visage, les bras ensanglantés.

Passer de la musique tonitruante avec des mouvements de caméra amples à une scène de dialogues en champ contre-champ provoque un effet prononcé de déstabilisation. Tout le film fonctionnera ainsi, alternant les mouvements sonores et visuels avec les passages plus calmes. Cette absence de repères installe du mystère entre les personnages, en tout premier lieu entre Ruby (Jena Malone) et Jesse. Elles se rencontrent juste après cette première séance de shooting, Ruby est tout sourire mais ce sourire cache des choses. En tout cas, on l'espère.

The Neon demon ne sera pas un film sur le mannequinat, sur la gloire éphémère ou sur la beauté. S'il l'est, c'est par inadvertance, par pure conclusion logique de ce que l'on voit. The Neon demon reprend vraiment cette histoire de sorcière qui décide, par jalousie, de s'emparer de la beauté fatale d'une jeune femme pure et vierge. Et cette sorcière est une hydre à trois visages, Ruby la maquilleuse, Gigi (Bella Heatcote) adepte de la chirurgie et Sarah (Abbey Lee) dont la beauté se fane.

Le film est ainsi le récit distancié de l'accaparement de cette beauté. On sent assez vite que Ruby a un comportement étrange. La candeur de Jesse dans cet univers est vite déréglée face à Ruby qui la toise lors des rencontres avec les photographes de mode, qui la chouchoute quand tout va mal, qui cherche à la séduire. Ruby encercle sa proie comme une araignée, une veuve noire. D'ailleurs, dans la vie hors mannequinat, ce ne sont pas les modèles qu'elle maquille.Et là, Nicolas Winding Refn va jusqu'au bout de la folie de son personnage.

Pendant les quelques journées que dure The Neon demon, ou plutôt les nuits scandées par la pleine lune, Jesse croise plusieurs hommes. Dean (Karl Glusman), le photographe amateur qui la prend en photo en début de film, éventuel flirt de Jesse. L'autre photographe Jack (Desmond Harrington) qui veut être seul avec elle dans une immense pièce toute blanche (impressionnant sur un grand écran) est bien plus inquiétant. Mais chacun ne cherche qu'à voler un peu de l'âme pure de Jesse.

Deux autres hommes sont aussi étranges que l'hydre Ruby. Keanu Reeves est le tenancier du motel minable dans lequel Jesse a élu domicile. Colérique, il demande à Jesse de l'indemniser quand un puma s'introduit dans sa chambre. Alessandro Nivola joue un mogul de la création, entre Tom Ford (physiquement et sexuellement) et Meryl Streep dans Le Diable s'habille en Prada, véritable deus ex machina de la descente aux enfers de Jesse. The Neon demon est un film sur l'enfer sur terre d'une princesse si gentille et innocente.