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vendredi 8 septembre 2017

PTU (Johnnie To, 2003)

Pendant les sept années où j'ai composé mon blog AsieVision, j'ai écrit sur pas moins de 73 films dans lesquels joue l'immense Lam Suet. Pas vraiment un exploit, Lam Suet a tourné dans 237 films depuis 1989. Dans cet star system impitoyable qu'est l'industrie du cinéma de Hong Kong, sa constance force le respect et l'admiration. 237 films certes, mais un seul premier rôle pour cet acteur au physique poupon et au poireau proéminent au beau milieu du visage : PTU. Il a tout fait, tous les genres, tous les cinéastes mais il reste l'acteur fétiche de Johnnie To.

Puisque la Cinémathèque française consacre un court cycle de 20 films aux 20 ans de la rétrocession de Hong Kong. Parmi eux, un seul film de Johnnie To ce PTU. Entre The Mission et PTU, quatre ans se sont écoulés où Johnnie To, avec Wai Ka-fai, s’est entièrement consacré à la comédie sous toutes ses formes pour encore mieux parvenir au niveau d’indépendance qu’il recherchait avec la Milkyway Image. Son retour au polar en solo se fait par la voie expérimentale. PTU est filmé de nuit dans les rues désertes, le récit est ramassé sur quelques heures, le tout tourné avec les acteurs de sa boîte de production. Le scénario est un modèle de précision qui ne révèle tous ses ressorts qu’au dernier moment.

Dans un restaurant, Saï (Lam Suet) vient prendre son repas lors d’une patrouille. Là, se trouve la bande de Cato, une petite frappe. Cato et ses hommes s’assoient à une table vide mais sous laquelle coule des gouttes du ventilateur défectueux. Cato demande au restaurateur une autre table. Ils virent un jeune homme timide qui s’installe ailleurs. Puis, Saï s’installe à la table de Cato qui change à nouveau de table virant une nouvelle fois le jeune homme. Puis Saï est appelé au téléphone et s’en va, non sans avoir passablement énervé Cato avec qui il a discuté quelques minutes. Ses amis l’ont laissé seul. Le jeune homme en profite pour lui planter un long couteau dans le dos qui le transperce.

Tout commence comme dans un film de triades classique. L’éternelle chasse entre le voleur et le flic. Le système va s’enrayer quand les hommes de Cato se mettent à poursuivre Saï dans les rues vides. Saï veut les prendre à rebours et gagner la partie, mais il tombe dans un escalier et s’évanouit. Les petites frappes en profitent. Quand il se réveille, son visage est tuméfié et en sang, et surtout, il a perdu son révolver. C’est alors que les autres personnages entrent en scène. Le Sergent Ho (Simon Yam), membre du PTU (Police Tactical Unit) et ses collègues rencontrent Saï. Ils vont l’aider à retrouver son révolver. On retrouve le corps de Cato et l’inspecteur Cheng (Ruby Wong), femme flic en costumes d’homme commence à se demander ce qu’il se passe. Elle va chercher à trouver une vérité alors que personne ne lui dit rien.


Puis en vrac dans PTU : un enfant en vélo, un jeune homme avec des sacs qui téléphone d’une cabine public, un téléphone portable dans un sac en plastic, des mecs à poil dans des cages en fer, deux parrains aux surnoms invraisemblables (le Hibou et Boule de nerfs, en VF), un Wong Ting-lam impérial. Et bien entendu, la mise en scène de Johnnie To dans la nuit est très efficace, notamment son travail sur la lumière et sur son absence. Les rues sont blafardes, la lumière bleutée ou glauque avec des percées lumineuses extrêmement blanches. L’enfer de Saï semble ne jamais finir d’autant que le temps est dilué. Le film est court (80 minutes comme une série B américaine), le récit s’étale sur cinq heures pleines de creux (les attentes, les déambulations) et les pleins (les fusillades). On ne parle pas beaucoup sauf pour dire les choses essentielles.



















lundi 14 août 2017

Office (Johnnie To, 2015)

Le film de Hong Kong est devenu depuis quelques années une denrée très rare dans nos salles de cinéma. Depuis Life without principle en 2012, du même Johnnie To, on a pu voir The Grandmaster de Wong Kar-wai, Young Detective Dee et La Bataille de la montagne du Tigre, tous deux de Tsui Hark ou The Assassin de Hou Hsiao-hsien, ces quatre films étant des co-productions entre Hong Kong, la Chine continentale ou Taïwan. Et quelques films sortis directement en DVD. C'est une grosse surprise de voir débarquer dans quelques salles (pas beaucoup en vérité) Office, sorti en octobre 2015 à Hong Kong.

Il se produit toujours une bonne trentaine de films à Hong Kong mais rien n'arrive jusqu'ici. Faut comprendre, on est trop cons pour comprendre les subtilités locales sans doute. Même le Festival de Cannes n'essaie plus de regarder ce qui sort là-bas, c'est vrai quoi, personne ne connaît les stars locales. Justement dans Office, Chow Yun-fat fait son grand retour chez Johnnie To. Il avait tourné avec lui et Sylvia Chang (scénariste et actrice principale de Office) deux films, All about Ah Long (1989, sublime mélo) et The Fun the luck and the tycoon (1990, comédie loufoque), tous deux oubliés de la rétrospective de la Cinémathèque Française en 2008.

Office est l'adaptation d'une comédie musicale créée par Sylvia Chang qui incarne ici Winnie Chang, femme d'affaires (cheveux courts, tailleur sur mesure, broche en pierres précieuses, chaussures de marque). Elle règne sur ses employés telle une impératrice avec son patron Ho Chun-ping (Chow Yun-fat), dont l'épouse est tombée dans le coma. Quand Monsieur Ho arrive aux bureaux, c'est le branle bas de combat, tous les employés se courbent, le saluent avec obséquiosité et déférence avant qu'il ne prodigue ses conseils, tel un général, pour conquérir de nouveaux marchés et faire de nouvelles acquisitions.

Parmi les nouveaux soldats de l'entreprise, deux jeunes employés qui débarquent dans la cohue la plus totale. Elle s'appelle Kat (Lang Yue-ting), il s'appelle Lee Xiang (Wang Ziyi), elle a droit de prendre l'ascenseur toute seule, il doit faire la queue dans le hall. Quand il se présente, avec un sourire un peu crétin, il sort la même formule à chacun « je m'appelle Lee Xiang, Lee comme Ang Lee, Xiang comme le mot doux ». Elle ne dira rien de sa vie à son superviseur David (Eason Chan) quand il leur demande de se présenter. Elle est la fille de Monsieur Ho Chun-ping, mais elle est ici incognito et doit accomplir son stage sans privilège.

L'entreprise est en ébullition, il est prévu d'acquérir une marque de cosmétiques américaine, la firme « Madame » et de rentrer en bourse. Tout se commence en 2007, quelques mois avant la crise économique et la chute de la banque Lehman. Les comptes sont truqués et la comptable, Sophie Lu (Tang Wei) se prend quelques coups de stress. Pour l'instant tout va bien, nos deux jeunes employés doivent apprendre par cœur quelles boissons les cadres vont boire lors de la réunion quotidienne, et Lee Xiang est le plus fortiche pour retenir ces petits détails qui pourront faire que David ou Madame Chang le notent comme il faut.

La première heure de Office ne parle que d'argent. Mieux, elle ne chante que d'argent. Car comme je l'écrivais plus haut, le film est tiré d'une comédie musicale. Donc, tout le monde chante et danse (un peu) dans ce décor unique composé d'escaliers, de couloirs, de terrasses surmontés de longues barres de néons qui change de couleurs suivant la pièce censée être représentée. Cela donne un effet fort original et parfois déconcertant, unique dans le cinéma de Johnnie To, une sorte de déréalisation de cet univers où certains personnages ont perdu tout sens commun. Bon, faut l'avouer, le scénario n'est pas toujours très simple à suivre.

Au milieu du décor, deux immenses horloges. L'une blanche pour marquer que l'on n'est pas dans l'entreprise : dans l'appartement de Lee Xiang, à l'hôpital, au bar. L'autre est encore plus grande, on en voit le mécanisme intérieure. Deux messages sont clairement donnés par Johnnie To. D'abord que « le temps c'est de l'argent », et on entend le tic-tac de l'horloge au fur et à mesure que la crise arrive inéluctablement à Hong Kong. L'autre est tout simplement de montrer les mécanismes, l'envers du décor d'une entreprise gangrenée par l'appât du gain et l'argent facile, par les rapports hiérarchiques complexes et ancestraux et bien entendu par l'amour.

En effet, dans la deuxième heure, une fois le décor bien planté (je ne saurais dire mieux), ce sont les relations entre les personnages qui sont mises en avant. Lee Xiang cherche à savoir qui est Kat, elle lui plaît bien. Madame Chang est la maîtresse de Monsieur Ho mais elle est courtisée par David Chang. Ce dernier a aussi un coup de foudre pour Sophie qui vit mal sa relation à longue distance avec son petit ami parti en Chine continentale. Tout le monde chante en cantonais (Eason Chan est le meilleur), quel plaisir pour moi de voir un film en cantonais au cinéma. Je suis bien content et c'est tellement mieux que La La Land.

jeudi 9 juin 2016

The Mission (Johnnie To, 1999)



Il faut protéger Lung (Eddy Ko) qui a manqué de se faire assassiner au restaurant. Lung ne sait pas qui lui en veut mais il sait comment se défendre. Il va demander à son frère Frank (Simon Yam) d’appeler Curtis (Anthony Wong) et d’autres hommes pour qu’ils deviennent ses gardes du corps. Curtis est connu sous le nom du « diable », c’est un homme impitoyable. Les autres gardes du corps seront Roy (Francis Ng) qui tient une boîte de nuit et porte des chemises hawaïennes. Shin (Jackie Lui), le plus jeune qui rêve d’enfin entrer dans une triade. Mike (Roy Cheung), cheveux blonds qui fait le larbin dans une boite de nuit. Et le dernier est James (Lam Suet) qui passe son temps à fumer et à manger des pistaches. Lung va discuter avec l’oncle Cheung (Wong Tin-lam) pour s’assurer de son soutien, mais le vieux parrain veut se retirer des affaires.

Les cinq mercenaires changent de fringues, s’habillent en costumes genre Hugo Boss, chemise à pelles à tartes. Ils vont habiter dans la maison de Lung. Et ils vont surtout devoir apprendre à se connaître (un petit peu) et à cohabiter (beaucoup). C’est qu’ils ne parlent pas vraiment entre eux les bougres. Sauf pour se faire quelques reproches. Ils leur arrivent de se taper dessus. Roy fout une grosse branlée à Curtis quand celui-ci l’a abandonné dans une ruelle après une fusillade. Ils ont beau être là, on en veut encore à Lung et les ennemis frappent au fusil à lunettes du haut d’un immeuble. Ou ils provoquent une embuscade dans un grand magasin. Mais ils s’en sortent toujours et rentrent sains et sauf dans la villa clinquante de Lung dans l’attente d’une nouvelle sortie dangereuse.

Attendre, attendre. C’est la seule chose qu’ils font. Shin fait des blagues. Il met des pétards dans les cigarettes histoire de faire marrer ses camarades et de détendre l’atmosphère. Les cinq hommes sont de caractères très différents, leurs histoires propres sont variées et aucun n’a le même âge. Mais ils vont devenir amis. Ces moments d’attente composent l’armature du récit de The Mission. La recherche de l’ennemi de Lung n’est qu’un macguffin qui sera révélé au bout d’une heure. Johnnie To fait ralentir le temps lors des fusillades, il ne fait donner aucun dialogue à ses personnages. Cela n’avait jamais été fait. Lors d’une fusillade dans n’importe quel film de triade, les personnages se croient toujours obligés de discuter entre eux. Ici, ils restent immobiles et se taisent. Ils essaient de combler leur ennui par des âneries et Johnnie To ne filme que les pics du récit (fusillades) et les creux (l’attente) le tout avec une ritournelle lancinante qui reste dans la tête longtemps après le film.

Et les femmes dans tout ça ? Elles sont bien absentes. Sauf Madame Lung (Elaine Eca Da Silva) qui ne doit pas avoir plus de trois lignes de dialogues dans  tout le film. Dans une facétie scénaristique à la Psychose, cet unique personnage féminin deviendra le centre du film dans sa dernière partie. C’est alors l’amitié naissante entre les cinq gardes du corps qui l’enjeu du film. Un événement va mettre à rude épreuve leurs rapports. The Mission est alors un film sec et tendu, subtilement mis en scène dans les regards entre les hommes, dans leurs postures et sans fioriture. Certes, c’est un film un peu lent surtout en comparaison de Running out of time qui est sorti juste avant. C’est en tout cas le tout premier film de Johnnie To à sortir dans les salles françaises, deux ans après sa sortie à Hong Kong, certes. The Mission a cependant été l’arbre qui cachait la forêt Johnnie To et Milkyway Image en faisant croire qu’il n’était qu’un bon réalisateur de polar. Et encore aujourd’hui, chez certains cancres de la critique ce simplisme du cinéaste auteur persiste. En dépit des films qu’il a pu réaliser avant ou depuis.




















dimanche 13 décembre 2015

Election 2 (Johnnie To, 2006)

Tout ce que voulait Jimmy (Louis Koo) était devenir un homme d'affaires, un businessman. Or Lok (Simon Yam) voit son mandat de parrain de la triade, élégamment appelée Société Wo Sing, arriver à terme. Une nouvelle élection se met en place. Lok est candidat à sa propre succession. Les Oncles, et à leur tête Teng (Wong Tin-lam) souhaite que Jimmy devienne le parrain. Teng dira à Lok que lui aussi dans sa jeunesse voulait briguer un deuxième mandat, que les chefs de clan l'ont encouragé à renoncer et qu'il est maintenant respecté. Il suggère fermement à Lok de faire de même. Mais Lok veut continuer à régir la société Wo Sing et fera tout pour éliminer Jimmy.

Jimmy veut donc devenir un homme honnête. Il se rend en Chine pour acquérir un grand terrain pour ouvrir un centre commercial. Sur la colline proche, il se voit déjà dans sa maison avec sa femme et leurs enfants. Rien ne se passe comme prévu. Les autorités chinoises lui refusent leur permis de travailler. A vrai dire, au grand étonnement de Jimmy, le chef de district de Shenzhen lui dit qu'il souhaite que Jimmy devienne le parrain. Jimmy est le candidat officiel de la Chine. Gagner l'élection est la solution pour avoir le permis. Jimmy tente de corrompre un chef local, mais il se fait arrêter par la police. Retour à Hong Kong où Jimmy accepte d'être candidat.

Lok, lui, ne perd pas de temps pour convaincre les Oncles qu'il est le meilleur candidat. Il promet aussi à plusieurs de ses hommes de main que, une fois son second mandat terminé, il soutiendra leur candidature. Naïvement, ils y croient, comme le croyait Big D dans Election. Il faut dire que Lok avec son calme, ses tempes grisonnantes, son sourire qui évoque Bouddha, a de quoi séduire. Lok pèche avec Kun (Lam Ka-tung) et Kun croit à cette promesse. Lok promet à Jet (Nick Cheung) d'être parrain, et il y croit. Lok réussit aussi à convaincre quelques Oncles. Pour mettre en péril la position de Jimmy, Lok va jusqu'à enfermer dans un cercueil Monsieur Kwok, le financier principal de Jimmy, avec ce pauvre Big Head (Lam Suet)

Jimmy doit réagir. Sur les conseils de So (Cheung Siu-fai), un homme maladroit qui bégaye, il engage Bo (Mark Cheng) un homme sans pitié qui accepte de tuer tant qu'il est payé. Seul l'argent l'intéresse. Les Oncles conseillent aussi de se débarrasser des brebis galeuses de la bande à Jimmy dont Lik (Andy On), avec qui Jimmy a sympathisé. Jimmy va chercher à gagner des voix, d'abord en faisant sa campagne électorale de manière classique, puis, devant la violence de Lok et de sa bande, en employant des méthodes plus musclées. En un mot plus sanglantes (ah, la scène du chenil !).

Election 2 est un grand film sur la férocité du pouvoir et sur la vanité des hommes. Johnnie To, plus encore que dans Election plonge au plus profond des rouages d'une triade. La société Wo Sing fonctionne en vase clos, on ne voit pendant tout le film aucun habitant lambda de Hong Kong. La police est désormais totalement absente. Johnnie To décrit avec une réelle noirceur les triades, appuyé par une belle musique de Robert Ellis-Geiger. Jimmy espère toujours pouvoir s'échapper de l'emprise du jiang hu, mais cet espoir est hors de sa portée. Puisqu'il ne peut plus quitter les triades, il s'y plonge tête baissée. Election 2 est un grand film tragique sur le destin.