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vendredi 11 octobre 2019

Chambre 212 (Christophe Honoré, 2019)


Comme François Ozon, Christophe Honoré s'amuse à prendre le contre-pied de son film précédent (François Ozon est largement présent dans le film, on voit l'affiche de Grâce à Dieu sur la vitrine du cinéma les 7 Parnassiens, cinéma au dessus duquel le couple de Chambre 212 habite, c'est dire la rapidité de tournage). Il ne s'agit pas de faire un film contre l'autre, selon l'expression de François Truffaut mais de changer de style, de genre, au sens propre comme au sens figuré puisque après les amours entre Vincent Lacoste et Pierre Deladomchamp à Rennes, le cinéaste pose sa caméra à Montparnasse et observe comme un anthropologue le couple que forment Richard (Benjamin Biolay) et Maria (Chiara Mastroianni).

Dans cet appartement s'inscrit une histoire banale comme le cinéma français en produit des dizaines chaque année. Maria, que Chiara Mastroianni joue comme une véritable tornade, a des amants. Elle les choisit selon des critères bien particuliers et un soir Richard, archétype du mari amorphe – et cela se voit avec la couleur de leur vêtement, rouge sanguine pour elle, jaune cocu pour lui – découvre qu'elle le trompe. Comme dans n'importe quel autre film français, ils se disputent, ils s'engueulent mais pas trop non plus, ils tentent de s'expliquer mais sans vraiment trop se confesser. Maria quitte le domicile conjugal et part surveiller son mari dans l'hôtel en face, elle prend la chambre 212 – d'où le titre.

Ciel, mon mari a 20 ans de moins. En traversant cette rue, le banal film français de couple se transforme grâce à un petit artifice. Dans Les Chansons d'amour c'était le passage par la comédie musicale et les chansons d'Alex Baupain, dans Chambre 212 c'est un procédé digne des meilleurs films de Bertrand Blier (allégrement remercié dans le générique de fin). Maria en traversant se voit confronté à Richard jeune, quand elle l'a connu. Vincent Lacoste incarne idéalement cet avorton qui passe son temps à fumer des cigarettes, comme le faisaient les personnages du cinéma français (Lvovsky, Desplechin) il y a plus de 20 ans à leur début (rappelons-nous qu'alors Christophe Honoré était chroniqueur aux Cahiers du cinéma.

On est ainsi dans une narration proche de Bertrand Blier (j'aime beaucoup cet aspect et cette manière) et dans une posture proche d'Alain Resnais avec une théâtralité assumée. Le film sortira à peine de ces deux décours, l'appartement et la chambre 212. Dans ce petit théâtre, que Christophe Honoré a la bonne idée de faire court, on ne cesse jamais de causer, on dialogue un peu, on soliloque beaucoup, on s'apostrophe, on argumente et on emmagasine les souvenirs. C'est dans le souvenir perdu ou non que Maria et Richard jeune refont leur vie, relisent leur fiction secrète, leur aventure amoureuse respective. Elle vont s'approcher dans une forme de flash-back joué en direct devant eux comme un livre ouvert et imagé.

Le passé de Richard est sa prof de piano Irène (Camille Cottin) qui arrive dans la chambre (robe bleue, la couleur du blues évidemment). Elle vient réclamer son dû, pas question de laisser Richard jeune à Maria quadragénaire. Elle lui a déjà laissé la place à l'époque, elle veut sa revanche. Mais d'abord, elle raconte leur histoire d'amour de 15 à 20 ans. Qu'on se rende compte, Christophe Honoré est là en train de nous conter une histoire d'éducation sexuelle d'un mineur par une adulte qui pourrait être sa mère. Il le fait avec un aplomb incroyable, à cause de l'artifice ce passé qui revient n'est pas scabreux. Comme dans ses autres films, le cinéaste se garde bien de faire la morale, il est dans une autre idée du désir et il cherche à le concrétiser.

D'ailleurs voilà tous les anciens amants de Maria qui débarquent en même temps dans la chambre 212, tous bien jeunes, tous bien beaux, tous un peu couillons. Ils sont parfaits pour un film de Christophe Honoré et on s'amuse à entendre leurs noms et prénoms. Il arrive aussi un type (Stéphane Roger) qui se présente comme la Volonté, celle de Maria qui en manque beaucoup quand elle couche avec tous ces jeunes. Le film se poursuit avec la neige qui tombe qui lance la narration vers le conte léger comme un flocon de neige mais aussi un peu cruel. C'était un peu casse-gueule parce qu'il faut tenir son récit pour ne pas aller trop loin dans les délires, les extravagances, les surprises, le trop plein. Pour le coup, c'est une réussite et c'est amusant.

dimanche 9 juin 2019

Les Beaux gosses (Riad Sattouf, 2009)

Comme disait l'autre « Emma Bovary c'est moi », en regardant Les Beaux gosses qui a déjà 10 ans et toutes ses dents, je me suis toujours dit « cet Hervé c'est moi ». C'était donc en 2009 que le jeune Vincent Lacoste a débarqué sur les écrans de cinéma dans le rôle de cet ado boutonneux et portant un appareil dentaire. Hervé et tous ses amis, copains et camarades de classe ont les mêmes souvenirs que moi, on n'est pas dans La petite bourgeoisie de La Boum, pas seulement, chez Riad Sattouf toutes les classes (scolaires) sociales sont représentées.

Dès le premier plan sur ces boutons d'acné par franchement ragoutants, le film aspire à faire vrai, or rien n'est plus difficile que faire vrai, c'est extrêmement compliqué de montrer simplement des adolescents en train de grandir, de les faire parler dans leur propre langage sans que ça fasse trop écrit ni que ça sonne faux. Riad Sattouf réussit cet exploit de la justesse non sans céder à un parler SMS, l'hilarant tropa lors de la séance de spiritisme, le mot transmis à Hervé en phonétique, mais ce sont deux messages écrits et non oraux.

Hervé a un dessein, séduire la jolie brune Aurore (Alice Tremollières). Il la croise tous les jours dans le bus qui l'emmène de chez lui au lycée, un parcours quotidien (deux fois même) où il tente, du mieux qu'il le peut, de lui parler. C'est au fil des trajets des valses hésitations où la timidité des deux ados se confrontent à l'entrée dans le monde adulte. Or ce monde adulte est incarné par une mère immature (Noémie Lvovsky), personnage génial qui espère résoudre l'énigme de son fils en entrant à l'improviste dans la salle de bains.

L'acné et l'appareil dentaire, le pull jacquard d'Hervé, la veste en jean de Camel (Anthony Sonigo) et sa coupe mulet, de toute évidence truffe son récit de souvenirs (qu'on imagine douloureux) de sa jeunesse qui passent par des objets (le catalogue de la Redoute qu'on feuillette), des situations vécues (lors d'une boom, la honte de voir sa mère danser serrée avec le père d'un de ses camarades de classe qu'on n'aime pas), le film érotique qu'on regarde en secret (starring Valeria Golina et Riad Sattouf).

L'amour que notre héros boutonneux et complexé est mis à rude épreuve par son amitié avec Camel. Car Hervé se crée un personnage qu'il n'est pas, il se met toujours en scène devant ses amis du lycée (des superbes caricatures de bédé), devant sa mère, devant Aurore. Il s'invente un petit monde où il serait un grand séducteur, où il enchaîne les conquêtes. C'est là que se niche l'essentiel de l'humour un peu triste parfois, mais jamais Riad Sattouf se moque de son personnage, il a de la tendresse pour lui.

Le monde des adultes est varié. La maman d'Hervé est divorcée, ils habitent dans un petit appartement de banlieue où il pleut de la merde sur les fringues qui sèchent sur le balcon. La maman d'Aurore (Irène Jacob) a aussi une grande importance puisque Camel en tombe amoureux. Et c'est justement cette maman qui est sur le catalogue de la Redoute. Et enfin les profs (mention spéciale à Nicolas Maury, délirant), certains sont des amis bédéistes et Emmanuelle Devos en proviseure évaporée.


Ces échanges entre un passé des années 1980 (où vivait Riad Sattouf dans son adolescence) et les années 2000 finissantes forment cette intemporalité qui fonctionnait parfaitement il y a 10 ans et qui demeure intacte aujourd'hui. Les Beaux gosses est l'inverse incarné de LOL de Lisa Azuélos, l'autre film ado de l'époque, photographie instantanée dans l'année 2008, donc totalement désuet aujourd'hui, là est le plus grand paradoxe de ces films qui ont besoin de se séparer des clichés de son temps pour rester actuel.






















vendredi 30 novembre 2018

J'ai aussi regardé ces films en novembre


Amanda (Mikhaël Hers, 2018)
Comme souvent dans les films où l'on sait qu'un événement grave va survenir, ici un attentat qui met fin à la vie de la maman d'Amanda, comme en 2001 la mort du fils dans La Chambre du fils de Nanni Moretti, il ne se passe rien tant que cette mort n'est pas inscrite dans la fiction. Il faut attendre donc 25 bonnes minutes où Mikhaël Hers déploie sa chronique intime de la vie de David, le personnage de Vincent Lacoste. Précarité sociale, vie amoureuse chaotique, vie familiale peu enviable. Mais le cinéaste a un sens inouï du détail dans ses trajets cyclistes dans Paris (ces statues des parcs qu'il filme subtilement), des dialogues (plutôt que dire qu'il est l'oncle d'Amanda, il dit être le frère de sa sœur) et une pudeur rare. Deux scènes touchent particulièrement, celle de la découverte de l'attentat par David et l'annonce en pleine Gare de Lyon de la mort de sa sœur à une vieille connaissance qui l'ignorait. Vincent Lacoste est encore une fois formidable, troisième film réussi cette année après Plaire aimer et courir vite puis Première année. L'acteur français de l'année 2018.

Suspiria (Luca Guadagnino, 2018)
Comme je le pensais dans mon texte sur le Suspiria de Dario Argento, cette nouvelle version devrait être très explicative. Effectivement, tout est centré sur la psychologie quand Argento basait tout sur la forme. Luca Guadagnino débute son film par une visite chez un psy (paraît il joué par Tilda Swinton, même le générique le cache) et tous ce qui arrive aux personnages est psychologique comme dans un film des années 1960. Ce Suspiria n’est pas un remake de celui de 1977 même si le générique l'affirme, le seul élément du film de Dario Argento est cette école de danse en Allemagne tenue par des sorcières. La beauté fulgurante était contenue dans les meurtres d'une inventivité démentielle. Ici la mise à mort par la danse dans une pièce remplie de miroirs est la seule chose originale. Le film dure 2h30 et des poussières, autant dire que rien n'est fait dans la légèreté. L'arrivée de Jessica Harper dans le rôle de l'amour de jeunesse du vieux psychiatre finit par faire sombrer le film dans le nanar grandiloquent. Suspiria rappelle dans sa volonté de faire un remake inversé de l'original (comme on parle d'image positive et négative dans la pellicule) deux tentatives ratées, le Breathless de Jim McBride et le Cat people de Paul Schrader

Les Veuves (Steve McQueen, 2018)
le cinéaste anglais a pu un moment faire illusion (je pense à Hunger où il filmait littéralement la merde) mais ses deux films suivants l'horrible Shame et 12 years a slave montraient sa propension à un moralisme édifiant. Les Veuves entre dans la catégorie « mes actrices font la gueule », un genre de cinéma censé plaire à l'Académie des Oscars (Viola Davis va encore être nominée, tu vas voir) mais question récit la surenchère de twists scénaristiques incohérents masquent difficilement une incapacité totale du cinéaste à maintenir un soupçon de suspense. En partant dans toutes les directions (on roule beaucoup dans Les Veuves et dans à peu près tous les véhicules), le spectateur n'a jamais le temps de se poser et d'avoir peur pour ce quarteron de femmes de Chicago.

Mauvaises herbes (Kheiron, 2018)
J'avais écrit du bien sur le premier film de Kheiron (Nous 3 ou rien) et bien je suis content que son deuxième film non seulement change totalement de sujet mais en plus qu'il soit réussi. Ce qui est le plus amusant dans ce film double est le duo formé par Kheiron et Catherine Deneuve qui parvient, encore une fois, à se renouveler. Elle est très drôle en religieuse loufoque et marginale, pour le dire vite, c'est un personnage digne d'un film de Jean-Pierre Mocky. Le jeu plat de Kheiron est à contre-courant de tout ce qui se fait dans la comédie française actuelle (ou dans le film comique, de Kev' Adams à Manu Payet en passant par Frank Gastambide), tout comme ces six jeunes gens qu'il doit surveiller où il retourne tous les clichés. Hélas, quelques scènes sont malvenues (le personnage de flic ripou d'Alban Lenoir) et les flash-back au Liban s'ils sont nécessaires manquent parfois de savoir-faire. Vivement le troisième film.

samedi 12 mai 2018

Plaire aimer et courir vite (Christophe Honoré, 2018)


Dans une courte scène, Arthur (Vincent Lacoste) se promène au cimetière de Montmartre, il rend hommage à quelques morts, Koltès, Dominique Laffin et un long plan s'attarde sur la tombe de François Truffaut. C'est que Christophe Honoré après plusieurs films au formalisme poussif (Les Bien aimés, Métamorphoses, Les Malheurs de Sophie) revient à ce que je préfère chez lui, le romanesque foisonnant, celui de Dans Paris et des Chansons d'amour.

Année 1993 annonce le court générique godardien dans l'âme. Après une présentation symétrique de Jacques (Pierre Deladonchamp) et d'Arthur, (ils fument une cigarette, ils boivent dans le verre de l'autre assis autour d'une table), ils se rencontrent, par hasard, dans un cinéma évidemment, où ils sont venus voir Le Leçon de piano de Jane Campion, Palme d'or 1993. Le cinéma est presque vide ce qui permet qu'ils se rapprochent.

La grande force du film est de laisser la distance entre Jacques et Arthur, ils restent chacun dans leur ville respective pendant presque tout le film. Leur relation est épistolaire, ils s'envoient des cartes postales (geste en hommage à Serge Daney, on marche dans le film, on court pas), ils se passent des coups de fil (longues conversations où ils sont littéralement ensemble), mais surtout Jacques s'entête à vouvoyer son cadet de 13 ans comme s'il était dans un film d'Eric Rohmer.

Arthur est un écrivain en herbe, on lit en lui comme dans un livre ouvert. Isabelle (Sophie Letourneur) la mère du fils de Jacques explique à Arthur que Jacques compartimente sa vie. Arthur ignorait que son amoureux avait un fils, il ignorait même qu'il est écrivain, ce qui donne une scène amusante. Jacques était persuadé qu'Arthur le draguait au cinéma parce qu'il avait été reconnu. C'est sanns doute cette candeur qui l'attache à Arthur.

Le romanesque se développe par petites touches (souvent très drôles) tout autant sorties de l'imaginaire de Christophe Honoré que de ses souvenirs personnels, j'imagine une grande part autobiographique, une authenticité de souvenirs. Un exemple : en plan fixe, Jacques est allongé sur le lit, en slip, Arthur, habillé, est debout, passe derrière et d'un geste lui enlève son slip qu'il met dans sa poche pour garder un souvenir de Jacques.

Les souvenirs sont autant d'objets disséminés dans les décors des appartements deux hommes. L'affiche de Querelle de Fassbinder chez Jacques, celle de Boy meets girl de Leos Carax chez Arthur, des piles de livres (Jacques lit les lettres de Théo à Vincent), des photos d'Hervé Guibert sur le mur de la chambre d'Arthur (un dédale pour s'y rendre). Des magazines de cinéma (pas les Cahiers), tout ça sans que ça ne tourne à la nostalgie.

Et soudain arrive des chansons que seuls les gens nés au début des années 70 peuvent se rappeler, A Rennes, dans un parc, la nuit, Arthur et ses amis entonnent Pump Up The Volume avant que la musique ne surgisse de nulle part. Un jeune Breton pris au stop met le CD de Prefab Sprout lors d'une longue discussion au téléphone entre Jacques et Arthur où le premier demande quel genre d'amant est ce dernier.

Plaire aimer et courir vite évite deux écueils dans lesquels s'enfonçaient Théo et Hugo dans le même bateau de Ducastel et Martineau et 120 battements par minutes de Robin Campillo avec allégresse (autant les comparer puisqu'ils évoquent la rencontre amoureuse fortuite contrariée par le SIDA) : la scène de boite de nuit où les corps en transe se libèrent et les scènes de cul sensuelles où les corps ne font qu'un.

Au contraire, les scènes d'amour se terminent un peu piteusement,(une sodomie dans une chambre d'hôtel d'Amsterdam), les personnages sont maladroits (Jacques avec Marco l'un de ses vieux amis dans une baignoire). Et il y a celui qui ne baise plus du tout, Mathieu (Denis Podalydès), le meilleur ami de Jacques qui habite l'appartement au dessus. Trois génération se superposent pour envisager l'amour.

Plus que Pierre Deladonchamps et Denis Podalydès (j'ai peu parlé de son personnage de critique de cinéma, tant pis), Vincent Lacoste emporte tout. Fabuleuse séquence dans l'appartement de Mathieu. Assis sur le canapé entre Mathieu et Jacques, Arthur soliloque sur « les pédés en général », c'est très fort. Le dernier plan lui est consacré, un superbe regard caméra aussi beau que ceux d'Anna Karina ou de Jean-Pierre Léaud. Christophe Honoré a trouvé son acteur miroir.

mercredi 14 septembre 2016

Victoria (Justine Triet, 2016)

Depuis que j'ai commencé ce blog, j'ai toujours noté les grandes qualités de Virginie Efira même quand le film n'est pas terrible (Et ta sœur en janvier, Un homme à la hauteur en avril) ou qu'elle a un second rôle (Elle de Paul Verhoeven) mais tellement marquant). On remarquera que c'est la première fois avec Victoria qu'un titre de film porte le nom de son personnage et non celui d'un autre, sa sœur, son homme ou une autre femme. J'espère que cela amorce un changement dans sa florissante carrière d'actrice. J'espère surtout (et encore plus) que les gens ne vont pas commencer à dire des phrases de cancres « y a-t-il encore un film sans Virginie Efira ? ».

Pour ne pas dépayser ceux qui avaient aimé La Bataille de Solférino, Justine Triet commence son film à peu près pareil. Une femme débordée par ses deux enfants, deux fillettes qui apparaîtront régulièrement dans le film toujours en train de jouer en culotte et Victoria, clope au bec à côté d'elles, comme le faisait Laetitia Dosch dans le premier film (ah, ça m'avait bien marqué ce genre de détails, mais que fait la DDASS ?). Elles sont toutes deux séparées du père des gamines, dont j'ai l'impression que jamais leurs prénoms ne seront donnés dans les dialogues, ce qui change des répliques où les personnages se sentent obligés de décliner leur identité (un bon point pour le film).

Victoria est une femme bordélique. Le décor de son appartement est étonnant, pas un objet ne semble vraiment rangé, ça déborde de livres partout posés n'importe comment (oui, comme chez tout le monde), les jouets des filles, les culottes de la mère, les paquets de chips, les dossiers etc. Un bazar qui fait vrai, un décor d'appartement qui ne semble pas sortir d'un catalogue Ikéa (contrairement à L'Economie du couple par exemple). Ça vit un peu là-dedans et ça décrit l'univers mental de son héroïne sans avoir à passer par une explication en bonne et due forme. Bref, le spectateur gagne du temps pour entrer de plein pied dans le récit.

L'autre force remarquable de Victoria, c'est la description du travail. Elle est avocate et le film tourne autour de trois procès, l'un où elle est avocate de la défense, l'autre où elle est plaignante et le troisième où elle est mise en examen. Beaucoup de films de procès français sont terriblement ratés, parce que la justice et les procès en France sont terriblement lents, sans coups de théâtre et sans coup de semonce. Pour Justine Triet, c'est un triple défi de faire de ces trois procès des histoires intéressantes et surtout crédibles. Et comme Virginie Efira est formidable (je ne le dirai jamais assez), tout passe comme une lettre à la poste. Les procès sont sans cesse entremêlés avec les histoires de cœur de Victoria.

Trois hommes l'entourent. David (Laurent Poitrenaux) le père des fillettes aspire à devenir écrivain en s'inspirant de la vie de Victoria. Vincent (Melvil Poupaud) accusé d'avoir tenté de tuer sa fiancée et qu'elle défend. Sam (Vincent Lacoste) un ancien client de Victoria débarque dans son appartement, devient babysitter et s'incruste. Et au milieu, des mecs rencontrés sur un site qui viennent coucher et son psy (les séances, encore une chose difficile à filmer). Pas hilarant (pas la peine de comparer le film à Lubitsch ou Hawks, ça n'y ressemble absolument pas), mais souvent drôle y compris quand il parle de dépression, le film manque un chouia de rythme à certains passages (les ellipses paradoxalement).

jeudi 3 mars 2016

Saint Amour (Benoît Delépine & Gustave Kervern, 2016)

Contrairement à Aaltra et Louise-Michel, autres road movies du duo Delépine Kervern, les personnages de Saint Amour ne font pas des milliers de kilomètres pour aller botter le cul des méchants capitalistes qui leur ont causé des soucis. Jean (Gérard Depardieu) et Bruno (Benoît Poelvoorde) sont deux paysans morvandeaux montés au salon de l'agriculture pour présenter à un concours Nabuchodonosor, leur bœuf de 1600 kilos. Plutôt que de rester coincés là toute la semaine, plutôt que laisser son fils se soûler la gueule dans le salon, Jean décide de l'emmener faire la route des régions vinicoles : Bourgogne, Jura, Côtes du Rhône, Languedoc et Bordeaux. Ouf, en voilà un parcours ! Qu'ils effectuent en taxi, conduits par un Mike (Vincent Lacoste), que le père et le fils vont s'évertuer à appeler Mick, oui, quelle horreur, un prénom américain, quelle honte cette nouvelle génération pas capable de donner des vrais prénoms français à leurs enfants.

Le film aurait pu conter le trajet de 3 Pieds Nickelés, le road movie de Dumb Dumber and Dumberer, le France tour détour de notre temps. Mais le nombre de producteurs, d'investisseurs et de régions/conseils départementaux est devenu trop important pour dire quoi que ce soit sur le vin, le vignoble et son commerce (et pourtant le film commence dans une foire). Saint Amour n'est pas un film de Jonathan Nossiter, ni non plus Premiers crus, qu'on se rassure. Saint Amour est uniquement une ode gentille et agréable au vin. Pour comprendre à quoi ressemble le film, il faut imaginer un remake des Valseuses où la douceur de Gérard Depardieu se substitue à sa violence et sa verve d'il y a 40 ans. On pourrait dire que c'est le même personnage que dans le film de Bertrand Blier, mais désormais papa complaisant et revenu de tout. Son fils est lui bourré de tics (la main qui rabat ses cheveux gras), puceau jusqu'à l'os et incapable de parler à une femme.

La poésie déglinguée des dialogues que déploient Benoît Delépine et Gustave Kervern n'est pas non plus sans rappeler celle des meilleurs Blier. La petite serveuse du restaurant qui cause du 3% de déficit en petite culotte dans sa chambre sous le regard éperdu de Depardieu est l'exemple parfait de ce que cherche à trouver le duo. A la fois un discours sur notre époque, un décalage esthétique (ici la belle et la bête) et une pointe d'humour surréaliste. Saint Amour est une succession de rencontres avec une distribution d'actrices qui viennent de tous les horizons du cinéma français, Ovidie (le porno), Andréa Ferréol (le clin d’œil à Marco Ferreri), Céline Sallette (le nouveau réalisme français), entre autres. Certains sketches sont très bien tournés, franchement rigolos (le terme qui convient le mieux) d'autant plus qu'ils sont courts. Dès la rencontre avec Vénus (Céline Sallette), le film cherche une issue rédemptrice à ses trois hommes non réconciliés avec le monde. Et le film la trouve cette issue bouclant tout avec un happy end digne d'un conte de fées version vin de table.

jeudi 29 octobre 2015

Lolo (Julie Delpy, 2015)

Le générique de Lolo rappelle de vieux souvenirs : ces petites séquences animées des films de Claude Zidi ou de Pierre Richard, bref une plongée dans les années 1970 de deux minutes avant de revenir à 2015, à Biarritz où deux copines parisiennes font une thalasso. Les deux filles, Karin Viard et Julie Delpy (accompagnées d'Elise Larnicol qu'on ne reverra plus) parle de leur absence de sexualité. Le ton est cru comme il faut, dans un mélange de vulgarité et de snobisme qui donne une bonne dose d'humour. Ainsi quand deux pécheurs du coin arrivent, dont Danny Boon, les deux filles acceptent bien de faire un coup de sexe hygiénique mais pas plus. Comme on a bien vu cette affiche en quatre quarts, on a compris que Danny Boon, ingénieur informatique, va tomber amoureux de Julie Delpy. Et vice-versa.

Julie Delpy, ici dans une triple position d'actrice-scénariste-réalisatrice, parvient à faire passer cette opposition entre la super parisienne bobo jusqu'au bout des ongles et le provincial monté à Paris pour le boulot. Son personnage travaille dans la mode, lui fabrique des logiciels pour les banques. Il habite à Beaugrenelle, elle dans les beaux quartiers. Le comique fonctionne car elle parvient à se moquer, toujours gentiment, des deux univers qui s'emboutissent. Effectivement, voir Dany Boon raide comme un piquet dans un défilé de mode en train de faire un selfie avec Karl Lagerfeld vaut le repas à la cantine du quartier de la Défense que partagent Danny Boon avec Julie Delpy. L'incongruité se déploie pour les deux personnages avec un certain sens du réalisme, un tantinet exagéré pour créer de l'humour. C'était ce qui manquait aux derniers films de Dany Boon pour vraiment faire rire.

Cette merveilleuse symbiose pourrait continuer tranquillement si le fils de Julie Delpy, l'affreux Lolo, incarné donc par Vincent Lacoste, faisait tout pour saboter cette idylle. Avec son petit sourire de faux-cul, son air de bobo chemise ouverte sur ses trois poils et son boxer orange dans le salon, l'adulescent ne veut pas voir de ce futur beau-père plouc. C'est là que le concept du comique des années 1970 qui fait mouche : Lolo va pirater le couple. Julie Delpy le filme tel quel, comme un personnage secondaire qui veut devenir le metteur en scène. On croit qu'il ne fait que de mignonnes crasses à Dany Boon, mais tout devient subitement violent et malsain, tout comme l'était la relation des personnages dans tous les films précédents de Julie Delpy. La cinéaste ne négocie pas tout à fin bien la fin de son film, expédiant le finale et la révélation, mais les dialogues sont tellement savoureux qu'on lui pardonne facilement.