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dimanche 14 avril 2019

Travail au noir (Jerzy Skolimowski, 1982)


Malavida ressort en salle en ce moment quelques films de Jerzy Skolimowski dont Travail au noir avec en tête d'affiche Jeremy Irons encore jeune, pas tout à fait connu et portant une belle moustache, moyen idéal pour incarner Nowak un Polonais qui débarque à Londres avec trois de ses compatriotes. L'arrivée à l'aéroport d'Heathrow est un morceau presque comique avec le passage à la douane où les quatre Polonais écoutent pour la première fois un Britannique massacrer leur nom de famille quand il contrôle leur identité.

Ils n'ont rien à déclarer et d'ailleurs seul Nowak parle anglais, les trois autres ne disent pas un mot, à peine quelques phrases en polonais. C'est qu'ils ne sont pas là pour ça, ils ont une mission donnée par leur « patron », resté à Varsovie : ils doivent rénover un appartement dans un petit quartier résidentiel pour ce « patron ». Les guillemets sont là pour reprendre le mot de Nowak. Ce patron, on ignore si c'est un cacique du Parti Communiste mais il leur a donné 1200£ pour les travaux, faisant croire à la douane qu'ils sont venus acheter une voiture d'occasion.

Le récit de Travail au noir est ramassé sur une courte période, il faut faire rentrer ce mois pour lequel les quatre hommes ont eu un visa en 94 minutes chrono. C'est bien d'une course à la montre dont il s'agit que Jerzy Skolimowski filme avec entrain. Les travaux ne tardent pas à démarrer à peine installés dans ce taudis. Les voisins, surtout ce vieux monsieur qui ne demande rien d'autre qu'être tranquille, va être harassé par les travaux. C'est à grands coups de pioche que Nowak et les trois autres abattent les murs et les cloisons, non sans quelques dégâts.

L'un des motifs majeurs de la mise en scène est la chute des objets, le trébuchement des personnages, l'écroulement des fondations. Rien ni personne ne reste debout, tout est brinquebalant et menace de s'effondrer. Derrière la maladresse d'à peu près tout le monde dans ce maison, le film déploie un étrange sens du burlesque qui vient se confronter à la réalité, ce qui aurait pu n'avoir qu'une fonction comique (et j'imagine ce qu'en aurait fait Jerry Lewis) se transforme ici en tragique dans cette absence de rigueur dont ils font preuve.

Je ne connais pas d'autre film que Travail au noir où l'Histoire semble analyser aussi rapidement et avec une telle acuité. On peut parler dans ce cas précis d'un sens aiguë de l'Histoire. Ce qui arrive est le coup d'état en Pologne à Noël 1981, vu à travers la télévision comme partout en Occident avec des images de l'info. Puis c'est le téléphone qui est coupé entre Londres et Varsovie, tous les quatre avaient l'habitude de téléphoner à leurs épouses le dimanche. Chose qui leur est désormais interdite suite à l'état d'urgence.

Nowak décide de ne pas dire aux autres que la Pologne subit un coup d'état. Il décide de continuer à les faire trimer pour finir les travaux à temps. Mais l'argent vient vite à manquer et les galères s'accumulent. De la même manière qu'il trébuche, il truande chaque jouer pour fournir la bouffe dans un jeu du chat et de la souris avec la surveillante d'un supermarché. Il se débrouille pour voler des aliments, il vole un vélo et va tout faire pour continuer de cacher la vérité à ses trois compatriotes, là encore comme une course à la montre du mensonge.

La photo d'Anna, l'épouse de Nowak, trône au milieu de la « chambre » dans laquelle il dort. Anna est un rappel de la Pologne natale. Pour son retour dans son pays 40 ans après l'avoir quitté, Jerzy Skolimowski avait titré son film Quatre nuits avec Anna. Cette Anna semble établir un lien secret entre les deux films, une passerelle entre des exilés involontaires dans une ville qui ne veut pas d'eux malgré les affiches Solidarnosc qui couvrent les murs. Leur retour, armés de caddies, est encore une fois sur un mode burlesque et tragique mais encore plus mélancolique.

mardi 29 août 2017

Faux semblants (David Cronenberg, 1988)


Le héros cronenbergien a toujours été grand, au menton carré, les yeux clairs et les cheveux abondants, mais dans Faux semblants, c'est la première fois qu'il porte une paire de lunettes qui est exactement comme celle du cinéaste. Sur les photos de tournage, David Cronenberg à côté de Jeremy Irons semble jouer le deuxième frère Mantle. Ça n'a l'air de rien mais cela indique la place qu'occupait alors le cinéaste, un pied totalement au Canada et dans le cinéma d'auteur, un pied à Hollywood où il devait composer avec ses producteurs effrayés par son imaginaire débordant.

En guise de paire, il s'agit de deux paires de lunettes puisque Elliot et Beverly Mantle sont jumeaux. Dans la première séquence, ils sont enfants à Toronto en 1954, ils sont observés bizarrement par les autres enfants. Déjà, ils s'enferment dans leur chambre pour observer la « beauté intérieure » des corps. Extra-terrestres aux yeux des autres (aucun autre personnage ne portera de lunettes), c'est sans doute pour cela que l'un d'eux s'appelle Elliot, comme l'enfant dans le film de Steven Spielberg (et dans Elliot, il y a les lettres ET comme disait un critique).

Une seule séquence se déroule aux USA, à l'université du Massachusetts en 1967 quand les Mantle reçoivent leur diplôme pour revenir en 1988 à Toronto où ils sont devenus gynécologistes. Ils travaillent et vivent ensemble mais désormais Elliot ne porte plus de lunettes, sauf lorsqu'il doit remplacer Beverly, plus timide, moins à l'aise avec les gens de l'extérieur. Ainsi quand les deux frères donnent une conférence, c'est Elliot qui monte à la tribune et donne un discours à ses confrères médecins.

« Beverly, c'est un prénom de fille » dira Claire Niveau (Geneviève Bujold), « Non, l'orthographe est différente ». Claire, actrice célèbre, consulte chez les célèbres gynécologistes Mantle pour évaluer son infertilité. Elle ignore qu'ils sont jumeaux. Elliot couche avec elle (en portant les lunettes) puis incite Beverly à faire de même. Un jour, une amie de Claire lui annonce qu'elle a couché avec les deux frères et que tout le monde est au courant. Elle les confronte dans un restaurant où elle balance un verre à la tronche d'Elliot.

La transformation des jumeaux passe par les médicaments de Claire que Beverly, qui devient son amant officiel, ingurgite jusqu'à plus soif. Cette transformation est invisible, en tout cas elle ne passe pas par une métamorphose du corps (Videodrome, La Mouche), des pouvoirs surnaturels (Scanners, Dead zone). Certes, Jeremy Irons joue l'addiction aux médicaments avec fébrilité, avec des regards tendus, des crises d'angoisse, des tremblements de main mais c'est sa vision du monde qui se modifie radicalement.

Il espérait un concours de « beauté intérieure » comme il existe des concours de Miss. Cet intérieur du corps, il est finalement rarement directement visible dans Faux semblants. Lors d'une opération de démonstration, quand Beverly et ses assistants revêtent ces blouses rouge sang, David Cronenberg ne filme pas frontalement les entrailles mais l'écran sur laquelle la vidéo de l'opération est diffusée, comme une performance artistique, de l'art contemporain auquel le public, des scientifiques, ne comprennent rien.

Beverly voit les vagins des femmes, leur intérieur, comme mutants. Quand germe l'idée délirante de créer des instruments de gynécologie, montrés dès le générique d'ouverture, Beverly part engager un artiste contemporain, pas un laboratoire. L'artiste déclare qu'il trouve les plans très beaux, ces instruments aux formes arrondies, en ovale, avec des crocs doivent servir à opérer les femmes mutantes. C'est que Beverly explique au sculpteur qui s'emparera de ces objets pour en faire des objets d'art, provoquant une colère sourde du médecin qui veut opérer avec.

Il se réfugie dans un monde clos, circonscrit par les murs de l'appartement qu'il ne quitte plus et dans lequel il va attirer Elliot. J'aime beaucoup comment David Cronenberg filme la transformation de ce vaste appartement, d'abord du palier sans ne rien laisser soupçonner (le livreur qui passe), puis de l'intérieur avec un fourbi délirant, un désordre similaire à leur état d'esprit, enfin les deux frères désormais à nouveau raccords déambulent en caleçon à l'intérieur d'eux-mêmes, devenus des mutants inadaptés au monde extérieur qu'ils ne peuvent plus visiter.
























jeudi 27 juillet 2017

Le Mystère Von Bülow (Barbet Schroeder, 1990)

« Ceci était mon corps », cette simple phrase qui lance le long monologue en voix off de l'ouverture du Mystère Von Bülow vient, non pas d'un mort comme dans Sunset Boulevard, mais d'une femme dans le coma. Sunny Von Bülow (Glenn Close) se présente au spectateur mais il en sait déjà beaucoup grâce à l'incroyable plan séquence qui affleure la côte du Rhode Island où les demeures plus somptueuses et luxueuses les unes que les autres se succèdent. Bienvenue dans l'aristocratie de la Nouvelle Angleterre, bienvenue dans l'univers des Von Bülow.

Sunny le précise, elle est dans cette chambre d'hôpital, gardée par un policier, depuis le 21 décembre 1980, depuis qu'elle s'est écroulée dans sa salle de bains et que son époux Claus Von Bülow (Jeremy Irons) l'a découverte un matin. Avec son flegme tout britannique, Claus est d'abord aller alerter Alexander (Jad Mager), son beau-fils, né d'un premier mariage mondain de Sunny avec un noble allemand. Le fils a appelé une ambulance. Voilà pourquoi Sunny est là, dit-elle sur un ton détaché, non dénué d'ironie qui détonne et fait même sourire malgré la gravité de la situation.

Entre le 21 décembre 1980 et aujourd'hui quand se déroule le récit, Claus a été condamné à 30 ans de prison. Assez vite, son beau-fils et sa grande sœur Ala (Sarah Fearon), avec le témoignage de Maria (Uta Hagen), la très dévouée bonne de Sunny, ont accusé Claus. En cause, un flacon d'insuline trouvée dans une sacoche noire. « But my lady is not diabetic », affirme Maria dans un des récurrents flash-backs qui scandent le film. Elle le réaffirme devant les juges. Mais depuis, Claus clame son innocence et a payé une forte caution pour son procès en appel.

C'est le début d'un duo de personnages les plus opposés possible. Claus Von Bülow est immense, légèrement dégarni sur l'arrière du crâne, blond, pâle, toujours tiré à quatre épingles, cigarette à la main, et Jeremy Irons est absolument génial dans ce rôle qui lui a valu un Oscar. Face à lui, un avocat d'Harvard, Alan Dershowitz (Ron Silver), new-yorkais pur jus, fan de basket, séparé de sa femme, vivant avec son fils dans une modeste maison, moustachu, cheveux bruns bouclés. Impulsif quand Claus est toujours calme, c'est cet homme qui va devenir son nouvel avocat.

Ses amis, ses élèves, son fils, son ex-femme ne comprennent pas pourquoi Dersh, comme tout le monde l'appelle, va défendre ce bourgeois si loin de ses cas habituels, il défendaient deux jeunes Noirs condamnés à mort. Lors de leur première rencontre dans son appartement à la déco chargée, Claus lui dira qu'il a toujours eu en estime le peuple juif, manière de se dédouaner des affinités nazies de ses parents, plus tard Dersh dira à son client « Vous êtes vraiment un homme étrange », et Claus Von Bülow de répliquer « Vous n'avez pas idée ».

Barbet Schroeder, en cinéaste européen à Hollywood, a l'excellente idée de ne pas filmer le procès, genre typiquement américain plein de codes et de rituels. Il se concentre sur les préparatifs du procès, suit pas à pas l'équipe d'étudiants de Dersh, une douzaine de futurs avocats issus du melting pot. L'arrivée de Claus au milieu de cette troupe est l'occasion d'un humour noir dans un restaurant chinois ou dans la maison de l'avocat qui prend des allures de colonie de vacances. Claus se permet quelques blagues devant lesquelles l'équipe rit jaune.

Cette reconstitution de l'affaire Von Bülow est polyphonique, une merveille de mise en scène en gigogne, en points de vue variés et contradictoires, flash-back et flash-forward, suppositions et convictions. Sans, bien entendu, donner un avis sur la culpabilité de notre homme. La souveraine et subtile fluidité narrative du Mystère Von Bülow, je ne l'avais pas repérée quand j'avais vu le film pour la première fois, il y a de cela des années, aujourd'hui elle m'a frappé de plein fouet et je crois que c'est l'un des meilleurs films de Barbet Schroeder.