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lundi 23 octobre 2017

En haut des marches (Paul Vecchiali, 1983)



En ouverture de En haut des marches, Paul Vecchiali prend la précaution, en voix off, de déclarer que son film ne racontera pas l'histoire de sa mère. Le film lui est dédié, on voit sa photo dans un camaïeu, image aussitôt substituée par celle de Danielle Darrieux. Aucun cinéphile n’ignore que Paul Vecchiali est (maintenant était) le plus grand fan de l’actrice, sa mère de cinéma. Il donne aussi une clé de lecture pour son film, il juxtapose des images de Toulon de 1983 (l’année où il tourne son film), on reconnaît les automobiles de l'époque, avec des images plus anciennes, dans une teinte sépia qui lie toutes ces photos, images et plans du film. Mais quand démarre enfin le film, un carton indique 1963 et enfin Françoise, le personnage de Danielle Darrieux, débarque du quai de la gare de Toulon.

« Mon fils, il ne comprend rien à ma peinture, je ne comprends rien à son cinéma », dit Françoise à un homme (Michel Delahaye) rencontré dans la rue. « J’ai vu un film qui se passe à Nantes, c'est moi, c'est Lola », fredonne-t-elle. Jacques Demy est cité ainsi mais aussi par la présence de Micheline Presle (la maman de Jacques Perrin dans Peau d'âne que Danielle Darrieux côtoyait dans Les Demoiselles de Rochefort, il était en perm' à Nantes et qui jouait dans L'Etrangleur le premier film de Paul Vecchiali), en directrice de la galerie où Françoise expose ses peintures. Dans cette scène finale du vernissage on croise, Jean-Claude Guiguet, Jean-Claude Biette et Jean Christophe Bouvet, ses camarades de Diagonale, sa boîte de production. On reproche à la galeriste d'avoir accepté d'exposer ces tableaux, avec tout le passé que cela trimbale « il n'y a pas de fumée sans feu » dit une femme lors du vernissage.

La résistance et Pétain semblent hanter tous ceux que Françoise rencontre. Ce policier breton établi à Toulon qui arrête les derniers terroristes de l’OAS, cette Catherine (Sonia Saviange) qui pourrait raconter des choses, cet ancien élève (Paul Vecchiali). Ces souvenirs projetés par le cinéaste par trois moyens, le son comme un écho (les bombes sur le port de Toulon), les toiles de Françoise (des fleurs sur le balcon de cette ancienne propriété) et des reconstitutions légèrement floues de 1940 (comme on dit qu’un souvenir est flou), on entend entre autres les voix de Pétain et de Gaulle. Françoise croise Rose (Gisèle Pascal) et sa fille Michelle avocate (Françoise Lebrun), cette dernière circule dans une prison illusoire où Françoise s'est enfermée depuis des années se sentant coupable de la mort de Charles son époux. Françoise évoque les actrices Renée Saint Cyr et Viviane Romance dans Prisons de femmes de Roger Richebé.

« Tu as toujours eu le goût du malheur » lui dit Suzanne (Hélène Surgère) sa sœur qu’elle n’a pas vu depuis 20 ans. A son arrivée à Toulon, Françoise a bien cherché à éviter cette sœur, à fuir la confrontation, le dialogue. Il y a quelque chose de presque burlesque à l'escamotage de cette rencontre qui n'aura lieu qu'en fin de film. Paul Vecchiali filme Danielle Darrieux avec toujours le même petit tailleur bleu et la plonge dans ses souvenirs sans qu'il ne soit nécessaire de simuler un rajeunissement de l'actrice. Son mariage avec Charles, la quête de la libération de son mari quand les gaullistes libèrent Toulon, la mort de cet époux assassiné à la mitraillette devant cette fameuse maison où elle ne cesse de revenir, de passer devant, cette maison qu'elle a peinte maintes fois tel un souvenir indélébile.


En haut des marches est entièrement centré sur Danielle Darrieux, elle est de toutes les scènes, elle chante plusieurs chansons, Paul Vecchiali la filme en gros plans (il utilise parfois le zoom pour passer, lors de la longue conversation avec sa sœur Hélène Surgère, d'un cadre où elles sont côte à côte à un gros plan sur Danielle Darrieux). C'est autant un chant d’amour à son actrice préférée, qu'à sa mère, qu'à sa ville. Le film n’est pas toujours simple à suivre, le pouvoir de suggestion à l'œuvre par le cinéaste frise parfois l’abstraction mais il est une des rares fictions à parler de la collaboration (et sur un ton radicalement différent que Papy fait de la résistance sorti en même temps) et des Juifs, tout comme Alain Resnais était alors le seul cinéaste français à en parler 25 ans plus tôt.

























jeudi 24 août 2017

Le Cancre (Paul Vecchiali, 2016)

C'est l'histoire d'un père et d'un fils, Rodolphe et Laurent, respectivement joués par Paul Vecchiali et Pascal Cervo. Une histoire sur 10 ans, commencée au printemps 2007 dans la grande maison du père entourée d'un jardin. Le fils n'a pas vu son père depuis des années et il s'installe chez lui, au rez-de-chaussée, dans son gourbi comme dit le père. Lui, loge au second étage. Et les voilà embarqués tous les deux dans la valse des souvenirs tandis que sur l'écran s'égraine le temps et que les femmes qui ont compté dans la vie de Rodolphe viennent lui rendre des comptes.

Ce sont chaque fois des bribes d'histoire qu'elles viennent raconter, de leur vie commune avec ce vieux monsieur qui aimait la bagatelle, elles ont été ses amoureuses, maîtresses, amantes, amies. C'est Christiane (Annie Cordy) qui est la première à ouvrir le bal, avec son grand sourire et sa joie de vivre. Ils ne sont pas vus depuis 20 ans. C'est Valentine (Françoise Lebrun) qui poursuit, venue annoncer qu'elle rentre dans les ordres, chez les Dominicaines. Puis Mimi (Françoise Arnoul) vient danser avec Laurent, elle mourra dans la maison.

On frappe au portail, voici Sarah (Edith Jacob) qui fait son apparition, vêtue en bonne sœur, elle vient donner une lettre à Rodolphe. Promesse qu'elle a fait à sa sœur Rachel qui était également religieuse et avec laquelle Rodolphe a volontiers couché. C'est ensuite Simone (Simone Tassimot) que Rodolphe va voir pour une raison bien précise. Arrivent dans la maison sa nièce Mathilde (Catherine Estrade) et sa fille, Mathilde est la fille de Simone. La nièce et sa fille entonnent une chanson pour l'oncle. C'est aussi Suzanne (Marianne Basler) la comptable.

Mais une seule femme occupe l'esprit de Rodolphe, c'est Marguerite. Où se trouve-t-elle ? Voilà l'unique question qu'il se pose. Valentine répondra « Marguerite ? Dans les champs ». Marguerite était le premier amour de Rodolphe, jadis, il y a bien longtemps, mais l'homme était coureur de jupons et il a couché avec la sœur de Marguerite, et il a eu un fils, ce Laurent. Marguerite n'arrive qu'en fin de film, en 2015, c'est Catherine Deneuve le temps de 3 plans qui l'incarne. Une dernière femme est présente, Danielle Darrieux avec un portrait d'elle sur le mur.

Ce sont de longues discussions qui s'animent (sauf pour le monologue de Catherine Deneuve) où le verbe et la phrase sont un enchantement pour l'oreille. Les dialogues sont truffés de jeux de mots, de trouvailles de langage sans que cela ne fasse des mots d'auteur, c'est d'autant plus remarquable. Une certaine désuétude de la parole est à l’œuvre dans Le Cancre qui n'est pas déplaisante et qui contraste avec les dialogues entre Rodolphe et Laurent, bien plus crus et triviaux. Car entre chaque rencontre de Paul Vecchiali et ses actrices, le film fait découvrir la vie entre le père et le fils.

Le père déteste la veste à capuche, ce sweat (prononcé sweet) que Laurent porte dans les trois quarts du film avant de revêtir une veste. « Tu as une petite amie » demande le père, « je n'aime plus les femmes » répond le fils. Dans son gourbi, il vit secrètement avec Pierre (Pierre Sénélas), sur la plage il rompt avec Alex (Raphaël Neal), dans sa cuisine il discute avec la père d'Alex (Mathieu Amalric) qui le supplie de tomber à nouveau amoureux de son fiston suicidaire. Laurent se saisit régulièrement du fusil quand un huissier débarque dans la demeure.

Du Paul Vecchiali pur jus avec ses élans poétiques et pleins de lyrisme, ses trois chansons entonnées, ses effets spéciaux bricolés (l'apparition de Catherine Deneuve sur la plage), ses noirceurs mélodramatiques (le bruit des cigales comme sommet de la douleur comme souffrait Pierre Blanchar dans Un carnet de bal dont le film est un « remake » inversé), le film est parfois un peu long, vaguement répétitif, mais souvent amusant, avec une dose d'humour caustique lancé par Paul Vecchiali arborant d'invraisemblables peignoirs.



















samedi 9 juillet 2016

La Machine (Paul Vecchiali, 1977)

Depuis Change pas de main, vu fin mai, j'ai regardé deux autres films de Paul Vecchiali, L'Etrangleur puis Nuits blanches sur la jetée. Je les ai copieusement détestés tous les deux. J'ai cependant remarqué le jeu et le physique très similaires de Jacques Perrin et Pascal Cervo, comme quoi en 44 ans, le cinéaste ne change pas de style. Je retente avec La Machine, film très impressionnant de maîtrise formelle sur un sujet toujours aussi brûlant, la peine de mort. Mais pas seulement, Paul Vecchiali aborde bien d'autres choses dans son film qui sont un peu écrasés par le thème principal.

La parti pris formel est de constituer le film en cinq blocs qui vont du poétique au sordide, soit une descente aux enfers pour Pierre Lentier (Jean-Christophe Bouvet), jeune ouvrier de Maisons-Alfort qui commet un crime horrible et se voit condamner à mort. Les premiers plans sont dévolus à son travail qu'on imagine harassant, une usine de sidérurgie, du bruit, de la chaleur. Mais l'ambiance est bonne. Lentier vit avec sa mère Jeanne Dumont (Sonia Saviange), divorcée depuis longtemps. Elle travaille dans une crèche. Lentier, de dos, veste à carreaux rouges et noirs, observe les enfants en bord de Marne.

Dans cette première partie de présentation de Lentier, de son environnement, de sa vie familiale, qui n'a pas valeur d'explication de son geste, le long plan séquence du café rappelle le réalisme poétique. Dans ce café, des Titis parisiens, des grandes gueules, des timides, des vieux, des jeunes, des femmes et des hommes. On reconnaît Marie-Claude Treilhou, Michel Delahaye ou Jean-Claude Guiguet. Chacun se donne un surnom. Ils discutent de la vie, se chamaillent joyeusement. Soudain, une chanson triste se joue sur le juke-box et un couple entonne de concert le refrain, comme dans une comédie musicale.

La présentation de ce groupe pourrait paraître gratuite. Au contraire, elle va s'inclure dans le deuxième bloc narratif. Paul Vecchiali ne filme pas le crime de Lentier. Il passe directement du plan de la Renault orange au gros titre du journal. La machine médiatique est lancée. Gérard Blain ou Noël Simsolo jouent des reporters télé qui vont interroger des témoins (dont Jean-Claude Biette) et questionner les amis de Lentier (dont ces gens du café). Le cinéaste filme le poste de télé qui diffuse ces interviews, il cadre les unes des journaux de plus en plus sensationnalistes. L'opinion publique a tôt fait de condamner à mort Lentier, selon la presse.

Au cas où douterait de l'opinion de Paul Vecchiali, il apporte une réponse claire et nette. C'est lui-même qui joue l'avocat de Lentier. Lors du bloc consacré à la reconstitution du crime, de la voiture jusqu'à l'usine désaffectée où la fillette est morte, l'avocat s'oppose régulièrement à la juge d'instruction (Monique Mélinand). Lentier semble d'abord sans émotion, regard froid, gestes mécaniques. Plus la reconstitution se précise, plus la tension s'affirme. Lentier finit par craquer devant la marionnette qu'il doit frapper d'une brique.

Ce que montre La Machine, la machine médiatique, la machine judiciaire, la machine guillotine, je ne l'avais vu dans aucun film. D'habitude, on voit le crime, la chasse au meurtrier et le procès mise en scène de la même manière, comme un thriller bourré de pathos. L'évaluation psychologique de Lentier tourne au comique : les quatre psychiatres semblent confus devant les propos de Lentier. Le procès est réduit à sa portion congrue avec une plaidoirie sur la sexualité des enfants qui a dû faire grincer bien des dents. L'enchaînement des faits est d'une grande rigueur.