lundi 28 septembre 2015

Misery (Rob Reiner, 1990)

 
Les mots The End ont enfin été écrits de la main même de Paul Sheldon (James Caan) en bas de la dernière page de son manuscrit tapé à la machine à écrire. L'écrivain peut enfin s'allumer une cigarette, boire sa flûte de Champagne pour fêter la fin de la conception de son dernier roman sur son héroïne romantique Misery. Pour bien comprendre que Misery ne sera pas un film sur la littérature (ou pas seulement sur ce sujet), Rob Reiner, qui adapte Stephen King, évoque en quelques plans Shining : un écrivain totalement isolé dans un chalet de montagne où la neige est tombée en abondance, un départ en voiture avec le titre du film qui apparaît sur cette automobile dans un plan pris en plongée. La comparaison s'arrête là, d'autant que la musique joviale semble annoncer un tout autre genre que celui du film de Stanley Kubrick. Trop pressé de rentrer à New York pour apporter son texte à son agent (Lauren Bacall) à qui il a annoncé qu'il renonçait à poursuivre à écrire des romans à l'eau de rose, Paul a un accident de voiture.

Il est sauvé d'une mort certaine par Annie Wilkes (Kathy Bates) qui l'extrait de la voiture, le porte sur son dos tandis que la neige tombe à gros flocons. On ne sait pas tout de suite que c'est une femme, le blanc de la neige empêche toute visibilité. Par pur hasard, Annie se trouvait là à ce moment. Par pur hasard, Annie est infirmière. Elle soigne Paul Sheldon de ses nombreuses fractures à la jambe. Elle le nourrit, le cajole pendant sa convalescence. Annie est la plus grande de ses fans, affirme-t-elle avec un grand sourire. Et comment l'écrivain ne pourrait-il pas avoir confiance en cette femme rondouillarde qui vit seule au milieu des montagnes du Colorado ? Le téléphone est en panne, les routes sont coupées, mais très vite, elle ira en ville téléphoner à son agent et à la fille de Paul, très vite elle l'emmènera à l'hôpital où il pourra être correctement soigné. Un ange descendu du ciel, par pur hasard. Pour la remercier des soins qu'elle lui prodigue, il accepte qu'elle lise le manuscrit, celui du prochain roman avec Misery. Annie ne vit que pour les aventures romantiques de Misery.

Quelle erreur fatale ! Annie n'est pas contente, mais alors pas contente du tout du destin que fait subir Paul à Misery. Son dernier roman, sans titre, se termine par la mort de son héroïne. Annie devient alors une ogresse montrant son visage le plus inquiétant. Elle oblige Paul à brûler le manuscrit. Le film prend la forme d'un conte cruel où la méchante sorcière enfermerait dans sa maison au fond des bois un innocent. D'ailleurs, Annie Wilkes n'est-elle pas appelée par la presse « Dragon Lady » dans les articles de journaux que Paul trouve par hasard dans l'album de souvenirs lors d'une de ses évasions dans la maison. La maison est hors du temps, totalement anachronique, avec tous ces bibelots d'animaux, ces vieux lits à ressorts, ces tableaux naïfs. Annie Wilkes vit dans un autre monde, coupée de toute réalité. Elle vit dans le monde de Misery qu'elle considère comme une personne à part entière. Annie vit dans un conte de fées, ou plutôt elle s'imagine vivre dans un conte de fées. Elle va forcer Paul à écrire une nouvelle histoire pour Misery, une histoire qu'Annie pourra apprécier. Ce roman qui doit venir est comme son bébé qu'elle va aider à mettre au monde. Elle en clame la maternité et affirme en être l'inspiratrice, si ce n'est l'auteur.

L'angoisse de la page blanche n'a jamais aussi bien porté son nom. Isolé, Paul ne rend pas compte de ce qui se passe. Quand il réussit enfin à sortir de sa chambre, il comprend la folie de son hôtesse. Mais il ne doute pas de l'étendue de son état mental. Elle veut le garder pour elle seule mais, hors de la maison, la disparition de l'écrivain fait angoisser son agent littéraire. Celui qui mène l'enquête est Buster (Richard Farnsworth), le débonnaire shérif du coin. Le vieil homme et son adjointe, qui n'est autre que sa femme (Frances Sternhagen), vont quant à eux écrire l'histoire de la disparition de Paul Sheldon. Et ce qui est formidable dans cette enquête est sa drôlerie, cet humour de voir ce couple de vieux avancer dans les investigations si lentement. Tout aussi lentement que Paul Sheldon guérit de ses fractures et que l'hiver disparaît. Misery est sans aucun doute un film censé faire peur, mais le sauts d'humeur d'Annie Wilkes sont aussi drôles et terrifiants que possible. Qu'elle présente son cochon domestiqué, qu'elle s'excite en dansant devant la qualité du nouveau roman, qu'elle brise les chevilles de Paul avec une massue, peu importe pour elle. Tout cela est une preuve de l'amour contrarié qu'elle porte à son otage. Sans lui, pas de récit donc pas de film. Heureusement pour la carrière de Sheldon qu'Annie était là par un pur hasard, aussi pur que la neige du Colorado.












dimanche 27 septembre 2015

Quand Harry rencontre Sally (Rob Reiner, 1989)

 
Une grande voiture break jaune arrive derrière un couple en train de s'embrasser. Université de Chicago en 1977, fin des études. Sally Albright (Meg Ryan) vient chercher Harry Burns (Billy Crystal) pour se rendre à New York. Sally propose de conduire en alternance sa voiture. 18 heures pour faire les 850 km. Que faire pendant tout ce temps ? Discuter, tout simplement et, très vite, les caractères de Sally et Harry s'opposent totalement. Harry, qui embrassait sa copine dans la première scène, a une conception des rapports entre les hommes et les femmes qui fait se dresser les cheveux de Sally. Il est convaincu que les hommes ne peuvent pas être amis avec les femmes parce qu'ils veulent coucher avec elles, qu'elles soient séduisantes, comme Sally, ou pas. La traversée finie, ils se serrent la main persuadés qu'ils ne se verront plus jamais. Comment se rencontrer par hasard dans une ville de huit millions d'habitants ? Ils se croisent en 1982 dans un terminal d'aéroport, puis en 1987 dans une librairie. Chacun expose l'échec de sa vie maritale et ils décident de boire un verre ensemble.

Que l'on découvre Quand Harry rencontre Sally ou pas, on sait exactement comment l'amitié entre Harry et Sally va se terminer : bien, très bien même. Rob Reiner et sa scénariste Nora Ephron ne cachent pas qu'ils veulent que le duo finisse en couple. L'important pour eux est le chemin qui les mènent jusque là. L'inspiration vient des comédies classiques de l'âge d'or du cinéma américain. Harry Burns aimerait se prendre pour Humphrey Bogart dans Casablanca. Il le cite littéralement en exemple, argumentant sur le dialogue final et sur le fait qu'Ingrid Bergman ne le suive pas. Ils regarderont le film ensemble, mais séparés, chacun dans son appartement en train de se téléphoner. Seulement voilà, la seule chose que Harry Burns partage avec Humphrey Bogart, ce sont ses initiales. Le film se tourne plutôt vers ces comédies débridées où les rencontrent se soldent par une succession de grosses disputes et de malentendus avant de s'aimer vraiment : La Huitième femme de Barbe-Bleue d'Ernst Lubitsch, Désir de Frank Borzage ou L'Impossible Monsieur Bébé d'Howard Hawks.

Connaître la fin du récit est l'obsession de Harry. Il commence toujours un roman par la fin par peur de ne pouvoir la lire au cas où il meurt. Cet élément placé dès le début du film fait de lui le narrateur du film. Il observe pendant tout le film Sally avec ses petites manies bien étranges, comme celle, hilarante, de toujours vouloir qu'on lui serve ses plats avec les éléments séparés. Sally veut tout séparer, et notamment séparer l'amitié de l'amour. Mais ce sont ces petites manies qui créent le personnage et façonnent leur lien. Harry les récapitulera tous dans sa déclaration d'amour. On entend la chanson de Louis Armstrong et Ella Fitzgerald Let's call the whole thing, ritournelle sur deux amoureux aux opinions divergentes, chanson immédiatement mise en opposition avec It had to be you de Frank Sinatra. Même les classiques de la chanson savent comment tout cela va se terminer. Pour appuyer encore plus l'inéluctable, la trouvaille est de faire parler face à la caméra quelques couples, en mode documentaire, sur leur rencontre et la longueur de leur mariage. On se doute bien quel couple conclura le film.

Mais en attendant que le couple se forme, Harry et Sally discutent et se disputent. Beaucoup. Très souvent ensemble, parfois avec leurs meilleurs amis. La confidente de Sally est Marie (Carrie Fisher) qui attend éternellement qu'un certain Arthur veuille enfin quitter sa femme pour elle (ça n'arrivera pas, lui répond chaque fois Sally). Le meilleur ami de Harry est Jess (Bruno Kirby) journaliste avec qui il partage une passion pour le sport. Bons samaritains, Sally se propose de sortir avec Jess et Harry avec Marie dans un dîner à quatre épique où finalement Jess va tomber amoureux de Marie. Et quand ils discutent de sexe, Sally simule un orgasme dans un restaurant pour bien montrer à Harry qu'il n'est peut-être pas le bon coup qu'il prétend être. C'est sans aucun doute cette séquence qui est la plus connue du film. Parfois, le duo chante dans un magasin de karaoké où se trouve également l'ex-femme de Harry transformant une scène joviale en tragédie. Le film passe d'un registre à l'autre, alterne les tons, avec une élégance et une facilité que ne retrouvera jamais Nora Ephron dans ses scénarios suivants (Nuits blanches à Seattle ou Vous avez un message). Ce second volume des « amours contrariées » en forme de comédie sophistiquée se poursuivra dans la terreur avec Misery.













samedi 26 septembre 2015

Princess Bride (Rob Reiner, 1987)

 
Comme Ridley Scott (Legend), Ron Howard (Willow), Wolfgang Petersen (L'Histoire sans fin) ou Richard Donner (Ladyhawke), Rob Reiner s'est lancé dans un difficile pari cinématographique, raconter un conte. C'était la mode dans ces années 1980. La trouvaille du cinéaste est de commencer aujourd'hui (dont en 1987) avec un plan sur un jeu vidéo auquel joue un jeune garçon malade (Fred Savage). Son grand-père (Peter Falk), cheveux gris et lunettes vient lui rendre visite et lui propose de lire un livre. Berk, un livre, dit le gamin qui ne sait pas encore que le pouvoir de narration du grand-père le portera vers un univers qu'il ne connaît pas encore mais qui le tiendra en haleine. L'enfant, prêt à accepter ce récit, c'est le spectateur qui sommeille en chacun de nous. Il est prêt à ce que la réalité soit abolie tant que les rebondissements soient contés comme il faut.

Le conte Princess Bride commence par un romantisme niais. La princesse Bouton d'Or (Robin Wright) se fait servir par Westley (Cary Elwes) son garçon de ferme qui dans un regard langoureux sur un chromo orangé ne répond que par « as you wish » (comme il vous plaira). Le garçon interrompt son grand-père – et le spectateur de cinéma est d'accord avec lui - « on non pas encore un baiser ». Car, oui, pourquoi encore raconter sans cesse la même histoire de la princesse et du fermier pauvre. Il faut passer à autre chose. Ce second départ qu'amorce Peter Falk, c'est la mort soudaine du valet, parti faire fortune dans une autre contrée pour pouvoir épouser la belle. Pas fou, le fils du roi du coin (Chris Sarandon) au nom (Humperdinck) et à l'accoutrement ridicules (celui du prince charmant) décide d'épouser Bouton d'Or, puisqu'elle est la plus belle femme du royaume.

Ce nom et cette tenue sont le premier grain de sable qui vient enrayer les rouages du conte du grand-père. Et ce sera toute une galerie de personnages engagés dans des situations pittoresques qui vont émailler le récit. D'abord, on a bien remarquer que Rob Reiner accepte l'imagerie du conte. Lors de la présentation de la future princesse aux sujets du roi, on a pu voir ce dernier sur le balcon désigné comme dans les lieux les plus communs, grande barbe blanche, tunique ornée de joyaux et couronne dorée. Plus tard dans le film, on se rendra compte que ce vieux souverain est complètement gâteux. Ainsi, les clichés sur le conte, une fois qu'ils sont énoncés et présentés au spectateur, sont tous retournés pour créer un effet comique. On est en terrain connu mais tout va se désintégrer petit à petit, pour le plus grand plaisir du spectateur.

On continue avec trois brigands pas très malins. Leur chef se présente comme un grand stratège (Wallace Shawn), il donne des ordres au géant Fezzik (André The Giant) et à Inigo Montoya (Mandy Patinkin). Le trio décide de capturer Bouton d'Or. Ils vont vite être poursuivis par Robert le Pirate et par l'armée du Prince. Inigo est le personnage le plus cocasse, veut se venger de son père (référence à Conan le Barbare, autre conte de l'époque) en répétant sans cesse la même phrase devenue culte (pour le coup, la formule n'est pas galvaudée). Son ennemi est un mercenaire qui a six doigts à la main droite. Comme par hasard, cet homme (Christopher Guest) est le bras droit vicieux du prince Humperdinck. Sa grande passion est d'écouter la douleur des gens qu'il fait torturer. Au fil des aventures, on rencontrera un tortionnaire albinos (Mel Smith), un sorcier vérolé (Billy Crystal) et sa femme (Carol Kane) et un étrange prêtre (Peter King).

La force de l'humour de Princess Bride tient à un principe aussi simple qu'efficace : jouer avec le plus grand sérieux des choses insensées. Pas d'anachronismes (à la Monty Python) ni de parodie (ce « lampoon » typiquement américain à la Mel Brooks) pour créer et réussir des gags. Le plus intéressant dans Princess Bride est le ton de plus en plus noir qui se développe tandis que le nombre de gags ne cessent d'augmenter. Un film sans aucune mièvrerie que l'on peut regarder sous plusieurs degrés. Ce qui a, en revanche, particulièrement mal vieilli, c'est la musique de Mark Knopfler avec ses claviers simplistes. Princess Bride peut constituer, dans le cinéma de Rob Reiner, une trilogie sur les « amours contrariées ». Le second volume en sera Quand Harry rencontre Sally et le troisième Misery. dans chacun, le rapport à la narration est original. Après Princess Bride, tous les contes avec des princesses ont paru ringards.














vendredi 25 septembre 2015

Les Deux amis (Louis Garrel, 2015)

Mona (Golshifteh Farahani), la belle vingtaine, est en semi-liberté. Elle passe la nuit en prison et le jour, pour s'insérer à nouveau à la société, comme disent les journaux télé, elle travaille dans un fournil Gare du Nord. Ses horaires sont précis (t'as cinq minutes de retard, lui dit son chef), elle doit prendre le RER pour faire l'aller-retour. C'est son seul horizon.

Clément (Vincent Macaigne) l'observe de loin. Il l'a déjà repéré et pense être tombé amoureux d'elle. Amoureux est un euphémisme, elle est devenue son obsession. Les uniques rapports qu'ils échangent sont ceux de l'achat d'un pain au chocolat. Clément ne sait pas que Mona doit rentrer en prison chaque soir. Il s'acharne à vouloir l'inviter à rester prendre un verre.

Abel (Louis Garrel) est l'ami et confident de Clément. Il acquiesce à tout ce que son pote dit. Il l'encourage à aller plus loin dans la drague avec Mona. Il ne l'a jamais vue, il ignore sa vie mais souhaite qu'elle fasse un effort. Il va d'ailleurs la convaincre de rester un peu le soir avec Clément. Et là, c'est le drame sur le quai de la gare, les deux amis la retiennent, elle explose de colère.

Les Deux amis, premier long-métrage de Louis Garrel (un de ses courts-métrages en N&B était déjà sorti en salles) une fois ses personnages introduits, se déroule en quelques heures. Les amis retiennent Mona en otage, et l'idée de s'évader n'est pas à l'ordre du jour. Au contraire, elle veut échapper à l'attraction des deux amis, qui l'enferment littéralement dans leur désir mortifère.

A priori, les deux potes sont bien sympas. Abel se rêve en romancier, mais il est gardien d'un garage. Il sort de temps une belle phrase que Clément trouve très belle mais que Mona trouve ridicule. Clément fait de la figuration dans des films. On assiste à un tournage où Mai 68 est reconstitué. La rébellion de l'époque est à comparer à celle d'aujourd'hui. Leur champ du possible est.

Abel et Clément ne sont pas des rebelles. Ils vivotent. L'un tombe amoureux en deux secondes d'une belle fille, l'autre s'envoie des prostituées. On les croyait les descendants de Brialy et Belmondo dans Une femme est une femme, ils se croient être des duplicatas de Léaud dans La Maman et la putain. Ils sont l'archétype d'une jeunesse de cinéma où l'insouciance est un art de vivre.

Louis Garrel est depuis quelques années l'acteur Koulechov du cinéma. Son visage impassible et inexpressif permet aux cinéastes (Xavier Dolan et Christophe Honoré en tête) d'imprimer tous les sentiments sur son visage. Dans Les Deux amis, l'acteur s'essaie au sourire, voire dans une scène au rire. Mais il reste cantonné à son personnage de joli garçon romantique.

Vincent Macaigne est l'inverse de Louis Garrel, chaque mouvement de sourcils sur-exprime les sentiments que son personnage développe. Macaigne sur-joue toujours ses personnages. Quand le film est bien écrit (La Fille du 14 juillet), ça marche, quand il reste aux lieux communs (La Bataille de Solférino), Macaigne est en roue libre, aussi génial qu'exaspérant.

On trouve dans Les Deux amis tous les tics sur la jeunesse. On traverse les rues parisiennes en courant, on déclame de la poésie dans les dialogues, on danse dans un bar désert, on passe la nuit au poste, on s'échappe de l'hosto par la fenêtre. Le film réussit rarement à s'extirper d'un cinéma romantique doloriste. Le romantisme de Clément est insupportable d'égoïsme, totalement infantile.

Les deux acteurs sont aussi réalisateurs. Macaigne vient de signer un Dom Juan projeté au Festival de Locarno qui a divisé la critique. On imagine que le nombre de « putain » hurlé par ses acteurs sera aussi impressionnant que dans ses pièces. Louis Garrel préfère les susurrements au creux de l'oreille. Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer, comme le feu et la glace.

jeudi 24 septembre 2015

Boomerang (François Favrat, 2015)

Dans une bande dessinée de mon enfance, un personnage perdait la mémoire après avoir reçu un coup sur la tête et la retrouvait après avoir été frappé de la même manière. Rien ne le guérissait, ni la médecine traditionnelle, ni le passage chez un psychologue. Boomerang n'est pas franchement sur le même ton que Le Combat des chefs d'Uderzo et Gosciny, mais l'idée est là. Quand Antoine (Laurent Lafitte) et Agathe (Mélanie Laurent) ont un accident de voiture sur la route qui les mène à Noirmoutier, les souvenirs enfouis depuis trente ans commencent à resurgir. De quoi se rappeler ? De leur mère morte noyée trente ans plus tôt, traumatisme initial, quand Antoine avait dix ans et sa sœur cinq ans.

Lors d'une visite dans la vieille demeure familiale, vendue depuis, Antoine capte un indice donné par Bernadette, la bonne qui les servait jadis. Non, le corps sa mère n'a pas été retrouvée sur la plage devant la maison mais dix kilomètres plus loin. Comment a-t-elle pu arriver là-bas ? Boomerang se lance dans une enquête pour Antoine qui veut comprendre ce qui s'est passé alors. Comme on lui dit (et sa sœur la première), il se fait des films. La rencontre avec Angèle (Audrey Dana), médecin légiste à l'hôpital, va le pousser un peu plus loin à la fois dans ses investigations hasardeuses et ses souvenirs douloureux. Il se rappelle avoir assisté à l'identification du corps de sa mère, caché dans la morgue.

Tout aurait pu se passer tranquillement mais la famille d'Antoine voit d'un très mauvais œil l'enquête qu'il mène. Le père (Waldimir Yordanoff) le traite comme s'il avait encore dix ans (belle scène de dispute le soir de Noël), la grand-mère (Bulle Ogier) au charme discret conseille fermement à Bernadette de ne pas raconter quoi que ce soit à Antoine, la sœur estime que son frère devient fou. Le poids de la bourgeoisie provinciale est joliment croqué. Rien ne doit transparaître, rien ne doit faire craquer le vernis que la famille s'acharne depuis si longtemps à faire reluire. On pense évidemment à certains films de Claude Chabrol dans cette analyse de la famille. Antoine va faire exploser tout ça quand il comprend le secret qui dort depuis trente ans.

Là où le film se fait moins percutant, c'est lors des flash-backs. On y découvre ce qu'il s'est passé, ce qui s'est tramé et quel est ce secret. Secret que je me garderai bien de dévoiler. Il suffit d'un objet, d'une photo, d'un lieu pour qu'un souvenir remonte à la surface d'Antoine ou d'Agathe. Mais tout cela s'avère extrêmement explicatif et manque parfois de subtilité. En revanche, puisqu'elles sont souvent décriées, Audrey Dana et Mélanie Laurent sont parfaites dans leur personnage respectif, le trio qu'elles forment avec Laurent Lafitte fonctionne parfaitement (le cœur et la raison). Et puis, le plaisir de retrouver Bulle Ogier, avec sa voix nonchalante et son regard perçant, reste intact.

mercredi 23 septembre 2015

Premiers crus (Jérôme Le Maire, 2015)

Gérard Lanvin est devenu le « Monsieur Bourru » du cinéma français. Après Bon rétablissement et son personnage d'hospitalisé bourru qui ne voulait pas recevoir de visiteurs, voici Premiers crus et son personnage de vigneron bourru qui ne veut plus cultiver son raisin. Dans le cinéma français, qui dit bourru, dit homme au grand cœur. L'un va rarement sans l'autre, c'est un leçon que donnait Jean Gabin dans ses derniers films et que Gérard Lanvin prend au pied de la lettre. Voilà son ambition, devenir le nouveau Jean Gabin.

Pour montrer que son personnage a un grand cœur, il faut d'abord exposer tous les malheurs qui tombent sur ce pauvre homme. Quitté par sa femme cinq ans plus tôt, il a perdu le goût de travailler sa vigne qui produisait des grands crus depuis des générations. Son vin est devenu une piquette. Conséquence, les ventes ont chuté et la faillite est proche. Le banquier menace de saisir la propriété de Bourgogne. Pire, Edith sa voisine et son adversaire propose de racheter. Furieux, il va s'expliquer vertement avec elle.

Parlons maintenant de la famille. La fille (Laura Smet) est devenue restauratrice. Elle a épousé Marco (Lannick Gautry) que Lanvin a embauché malgré son absence de qualifications (pas étonnant que tout périclite). Et le fils Charlie (Jalil Lespert) devenu un œnologue ultra réputé qui a créé un guide du vins (le Maréchal car tel est leur nom de famille). Pendant la tournée promo de son guide, il apprend au détour d'une conversation que son père a fait faillite. Il ne veut pas reprendre l'exploitation, mais on sait déjà qu'il le fera (et on devine vite fait qu'il réussira).

Un fils de vigneron ne peut que devenir vigneron. Son appartement dans le Marais (?) compte bien moins que la tradition familiale. Il rechigne à reprendre le flambeau et le caractère bourru de son paternel ne l'encourage pas. Au contraire, les critiques fusent sur les méthodes ancestrales que Charlie emploie. Les longs plans qui survolent les ceps en automne avec leurs feuilles orangées sur l’assourdissante musique de Jean-Claude Petit, c'est beau comme une pub Ricoré. On n'a pas le droit de ne pas être ému devant ce spectacle bucolique. Qu'on se rassure, Charlie deviendra bourru comme son papa.

Les disputes père-fils ne sont presque rien comparées à l'autre enjeu du film : Charlie tombe amoureux de Blanche (Alice Taglioni), la fille d'Edith. Pas de chance, elle doit se marier avec un Américain partisan des méthodes industrielles. Non, mais sérieux, ils y connaissent quoi les Américains en vin ? Ils le boivent comme du Coca, dit en substance la maman de Blanche. Va-t-il réussir à faire du bon vin et également vivre avec la femme qu'il aime ? Gros suspense. Ceux qui s'attendent à voir une fiction de Mondovino, l'excellent documentaire de Jonathan Nossiter vont se retrouver devant une bluette bouchonnée.

Les Rois du monde - Casteljaloux (Laurent Laffargue, 2015)

Deux mots d'abord sur cette affiche : trois bandes comme dans un film en cinémascope, trois visages. Sergi Lopez en haut, Céline Sallette au centre et Eric Cantona en bas, chacun regarde dans une direction différente. Lopez a un sourire complice, Cantona sourit franchement, Sallette est plutôt pensive. Personne ne se regarde, personne ne regarde le spectateur. Puis, le titre du film, Les Rois du monde en lettres majuscules rouge comme le sang, enfin le sous-titre Casteljaloux, nom du village du Lot-et-Garonne où se déroulent les frasques amoureuses du trio. Casteljaloux était aussi le titre de la pièce de Laurent Laffargue qu'il adapte lui-même au cinéma. Cette affiche, que je trouve particulièrement hideuse, ne dit pas grand chose de ce qu'est Les Rois du monde, si ce n'est l'ambition de créer un western (le cinémascope) dans le Sud-Ouest. Ouest = Western. Le titre évoque irrémédiablement la chanson de la comédie musicale mais aussi l'idée d'une comédie, comme les sourires le laissent supposer. Mais le visage de l'actrice ainsi que les lettres rouges contredisent cette bonne ambiance. Tout cela, on ne peut le savoir qu'une fois le générique de fin fini.

Les Rois du monde se veut une énorme tragédie. Chantal est une actrice ratée qui est revenue dans son village (et a perdu l'accent), elle est maintenant vendeuse dans une supérette. Chantal aime la vie, elle virevolte dès qu'elle arrive chez elle en enlevant ses vétements et danse sur une musique entrainante. Chantal vit avec Jacky (Cantona), le boucher (thème du sang). Elle a refait sa vie avec lui. Mais dans sa vie avant Jacky, il y avait Jeannot (Lopez), au sang chaud qui a coupé les doigts d'un gars qui avait osé draguer Chantal. Quatre ans de prison plus tard, il vient « récupérer » Chantal. Oui, Jeannot est jaloux, logique, il habite Casteljaloux. Jeannot aime boire beaucoup avec son nouveau pote Jean-François (Guillaume Gouix), jeune homo qui ne trouve personne à baiser au village. Chantal ne veut pas retourner dans le giron de l'ancien amant violent, à moins qu'elle veuille bien. Elle ne sait plus qui elle aime. Et ça discutaille tout le temps tandis que les deux gars montrent leurs muscles. Et sa copine Marie-Jo (Romane Bohringer), vieille babosse, tente de donner des conseils, de faire tampon entre les deux amoureux jaloux l'un de l'autre.

Comme si ce n'était pas assez, Laurent Laffargue ajoute un deuxième trio de jeunes. Deux garçons, une fille également. Des lycéens qui font de la mobylette sur les routes de campagne en criant leur liberté d'être jeunes, qui se font des bisous sur le capot d'une voiture au milieu d'une carrosserie (un peu de poésie déglinguée, ça fait toujours auteur de cinéma). Chantal, en tant qu'ancienne actrice, leur donne des cours de théâtre. Elle était partie à la Capitale, elle veut qu'ils puissent s'échapper de cette vie mesquine et étroite. Rester là ou quitter Casteljaloux, telle est la question ? Mais, les deux gars vont reproduire le schéma de Jeannot et Jacky. Tous les acteurs jouent avec une très grande intensité leur rôle, ils respirent fort quand ils sont énervés, ils roulent des yeux quand ils assènent leur vérité, ils titubent en gueulant quand ils sont souls. L'excès de naturalisme se transforme en insignifiance. On sent de plus en plus le poids de la théâtralité du scénario que les belles images (ou supposées telles) ne parviennent jamais à effacer. Encore un premier film qui n'arrive pas à dépasser ses intentions énormes et qui se dégonfle comme un soufflé trop cuit.

mardi 22 septembre 2015

Qu'as-tu fait à la guerre, papa ? (Blake Edwards, 1966)

 
Le film de guerre quand il est bâti sur le comédie burlesque produit du génie. Blake Edwards commence son Qu'as-tu fait à la guerre, papa ? Comme un film de guerre classique, histoire de mettre le spectateur dans le bain. Une scène de bataille avec des explosions filmée en cinémascope. Sicile en 1943, l'armée américaine débarque et libère les villes et villages les uns après les autres. Le Général Bolt demande au Capitaine Cash (Dick Shawn) d'aller dans le village de Valerno pour prendre position. Cash est un soldat zélé qui obéit aveuglément aux ordres. Une caricature de soldat. On lui assigne une unité qui revient de combat. Tout le monde est épuisé. Sa première rencontre avec le Lieutenant Christian (James Coburn, dans un rôle à contre-emploi, épatant) veut souffler et prendre avec ses hommes un bon repas. Pas question, lui répond son nouveau supérieur. Ils doivent filer directement à Valerno.

Loin de faire un buddy movie avec deux personnages opposés, Blake Edwards opte pour la variété du burlesque. A commencer par l'ivresse de l'alcool qui permet aux personnages de faire à peu près n'importe quoi quand ils sont saouls. Arrivé au village, le bataillon constate que les rues sont désertes. Les Italiens sont plus loin, en train de préparer un match de foot. Pas près de se battre, ils acceptent volontiers de se rendre, épuisés qu'ils sont par la guerre. Le Capitaine Oppo (Sergio Fantoni) demande une faveur : pouvoir faire la fête. Cash est étonné par cette requête, voire vexé, mais Christian le convainc. Il le persuade tant qu'il va l'inciter à boire, notamment grâce à Gina (Giovanna Ralli), la fiancée d'Oppo. L'alcool était déjà présente chez Edwards dans Le Jour du vin et des roses (1962), elle le sera dans The Party (1968) puis dans Boire et déboires (1987). La substance libère les soldats quels que soit leur bord. La fête est dantesque, les scènes de foule incroyablement précises. Les personnages se dessinent petit à petit.

Le lendemain, la gueule de bois est décuplée quand Christian apprend que le Général Bolt doit arriver pour capturer les soldats italiens. Le deuxième acte se lance. Christian doit faire croire aux avions qui survolent la zone que Cash et lui-même n'ont pas besoin des hommes de Bolt. Une mise en abyme se met en place. Le Lieutenant Christian devient le metteur en scène d'une bataille imaginaire. Il dirige les soldats pour pouvoir rejouer les scène d'affrontement devant les avions. Certains soldats en profitent pour cabotiner, trouvant la manière la plus rocambolesque de feindre la mort. Les prostituées du village sont les spectatrices de ce spectacle surréaliste. Certains villageois continue de leur train-train quotidien, ainsi cette mama sicilienne qui étend son linge au milieu des balles à blanc que lancent les mitraillettes. Pendant que Christian a pris les commandes du récit, le Capitaine Cash tente de sortir de son état fortement éthylique et de comprendre ce qui se passe. Quant à Oppo, quand il constate que l'Américain a dormi avec sa fiancée, il refuse désormais de se rendre.

Le troisième motif d'humour du film concerne la travestissement sous toutes ses variantes. A cause de leur fausse bataille, un avion nazi a aussi survolé le village et les Allemands pensent que c'est une poche de résistance. Ils viennent aider les Italiens. A cause d'une partie de poker, les Italiens ont récupéré les uniformes des Américains. Et inversement. Bientôt, la confusion règne. Le mélange des langues l'accentue, on parle anglais, italien ou allemand pour mieux tromper l'ennemi. Puis, il s'agit de capturer le général allemand. Cash se dévoue pour se déguiser en femme et le piéger. Là aussi Blake Edwards parvient magistralement à provoquer de nombreux gags hilarants. Rarement, j'ai vu un film avec une construction aussi sophistiquée mais où tout est du lisibilité suprême. C'est d'autant plus remarquable que le nombre de personnages ne cesse d'augmenter (et encore, je n'évoque pas les seconds rôles tous admirablement croqués) et que les situations fonctionnent comme un jeu de domino. Chaque action est liée avec la précédente et amène la suivante, c'est ébouriffant de précision.