mercredi 30 septembre 2020

J'ai aussi regardé ces films en septembre

 


Josep (Aurel, 2020)
L'un des meilleurs films de l'année, rien que ça. Et pourtant à peu près tout me rebute dans Josep, le dessin d'abord pas du tout animé mais au contraire superposé, en esquisse (moi qui aime surtout la ligne claire), en hachure, en traits grossiers. Un récit en flash-back avec un jeune couillon qui vient visiter son grand-père mourant (avec une mère peu aimable). Une histoire d'amour trop pure, trop romantique. Une histoire d'amitié entre un gendarme (le grand-père en question) et un réfugié catalan. A la fin du film, je me suis retrouvé dans une vague d'émotions comme je n'en avais pas eu depuis bien des lustres. C'est une émotion qui rétrécit l'estomac et donne une larme à l’œil avec sincérité. Au programme de Josep, une multitude de dessins du camp de concentration de Rivesaltes au début de l'année 1939. Deux gendarmes racistes (François Morel prête sa voix à l'un d'eux avec saveur) et un bon gros gentil embringué malgré lui dans la collaboration jusqu'à ce qu'il rencontre ce Catalan Josep (voix de Sergi Lopez) et se lie d'amitié. Je crois que c'est la première fois qu'un parle de ces camps, c'est fait sans aucune retenue, le dessin se prête bien à la plus grande des cruautés dans la description détaillée de l'horreur – le film est un vrai film d'horreur. Je ne connaissais pas Josep Bartoli, le générique indique que ce sont ces dessins que l'on voit. Je ne veux pas seulement dire qu'on apprend plein de choses (cet ado c'est le spectateur) mais on les apprend avec le couteau sous la gorge. Avec sa brièveté, le récit est sec et tranchant « noir, blanc, dur, violent », comme dit Josep. 

Lux æterna (Gaspar Noé, 2019) 
Des lettres romaines capitales pour vaguement expliquer le projet, un bout de Dies irae de Carl Theo Dreyer pour les références et Béatrice Dalle, un peu éméchée, et Charlotte Gainsbourg, toute timide, causent sur un canapé. Le film est en scope, parfois le cadre ne prend que la moitié de l'écran, puis c'est un split screen. Ah la modernité, c'est quelque chose chez Gaspar Noé. Ça discute de ce film en train de se faire, Béatrice tourne son premier long-métrage sur une sorcière. « t'as déjà brûlé au cinéma ? Moi j'ai déjà fait une sorcière » dit Béatrice (c'était pour Marco Bellocchio à ses débuts). Charlotte n'a jamais brûlé au cinéma mais elle a fait un Lars Von Trier, ça vaut tous les bûchers. Charlotte reçoit un coup de téléphone, elle traverse tout le décor alors qu'on l'attend pour tourner la scène. Trois croix sur un bûcher, autour d'elle des mannequins, l'une d'elle veut appeler son agent pour se plaindre de la nudité qu'on veut lui imposer. Le chef opérateur se met à gueuler contre Béatrice, Béatrice se met à gueuler contre le chef opérateur. C'est tellement plus vrai et réel un tournage qui part en couilles. C'est bien simple on se croirait dans une émission de Pascal Praud sur l'Islam. C'est la première fois que je vois un film de Gaspar Noé en entier, je n'avais jamais vu aucun de ses films précédents et j'avais pas tenu plus 40 minutes de Climax. C'est donc lui l'homme de scandale du cinéma français, eh ben dis donc, tu parles de scandale. 

Autonomes (François Bégaudeau, 2020) 
On oublie souvent de le rappeler, François Bégaudeau a sauvé le cinéma français. La preuve, c'est lui qui a permis à la France en 2005 avec Entre les murs de Laurent Cantet de remporter la première Palme d'or depuis Sous le soleil de Satan, 28 ans plus tard. C'était lui le prof, c'était lui qui avais écrit le scénario. Le voilà devenu le chantre du réalisme au cinéma et tout Autonomes va dans ce sens, presque du Pialat. Le voilà embarqué dans la Mayenne chez des gens qui refusent la civilisation consumériste pour s'en inventer une autre (de civilisation). Il est à l'écoute ou plutôt au regard dans des scènes qu'on qualifiera d'emblématiques, surtout au travail d'ailleurs. Il suit au pas un rouquin un peu moins sympathique que les autres, un jusqueboutiste un peu couillon. Il s'avère que cet homme est un acteur et il est le seul à qui Bégaudeau s'adresse régulièrement. On est donc là dans la vieille rengaine du documentaire mis en scène et de la fiction documentée mais tout tombe à peu près à plat. Le jeune cinéaste pensait faire du neuf mais il se trompe un peu de cible.

Fin de siècle (Lucio Castro, 2019) 
Le film est court mais il joue constamment sur la durée. Dans les 12 premières minutes, rien ne se passe si ce n'est, comme dans un vulgaire film de Rivette, la traversée de la ville par le premier homme. Il met sa bière au frigo, découvre Barcelone, va à la plage, se baigne, observe le deuxième homme. Il ne se passe rien et ça désamorce à peu près toute tentative narrative. Le récit sera de toute façon minimaliste, un peu de coucherie rapide, une danse endiablée. Mais le temps se déplie et se plie sans aucune indication, 20 ans plus tôt, 20 ans plus tard, mêmes acteurs sans aucun changement physique. On recolle le temps grâce au t-shirt Kiss (pas Prince, le groupe de glam rock). C'est un peu l'unique attrait du film mais c'est déjà pas mal.

mardi 29 septembre 2020

L'Inspecteur Harry est la dernière cible (Buddy Van Horn, 1989)

Je vais aller un peu plus vite avec L'Inspecteur Harry est la dernière cible parce que le film est vraiment moins bien que les quatre autres. Et de loin. Dans L'Inspecteur ne renonce pas, le maire de San Francisco cherchait à se faire de la publicité avec la presse. Il devait redorer son blouson et Harry Callahan (Clint Eastwood) refusait, en grommelant, de se prêter au jeu. La presse a toujours été présente dans les Dirty Harry pour couvrir les procès des accusés mais là elle est omniprésente et pas pour faire la promotion de la police.

La première cible de Callahan est la télé qui débarque dès qu'un crime sanglant a eu lieu. Plus c'est sale, gore et dégueulasse, plus ça fait d'audience. Là, Clint Eastwood est totalement en phase avec la critique de la télé des années Reagan peu regardante sur l'éthique. Callahan, dinosaure selon à peu près tous les autres personnages, déteste ces méthodes surtout quand les reporters viennent mettre leur micro et caméra sur le visage de la veuve éplorée qui n'en demande pas tant. Le film choisit Samantha Walker (Patricia Clarkson) pour illustrer ce vautour.

Elle dira elle-même, Samantha était un Miss dans son patelin, c'est comme ça qu'elle a atterri à la télé. Callahan n'est pas tendre avec elle alors son chef décide de la lui flanquer dans les pattes. Évidemment au début, ça coince pas mal. Samantha n'est intéressé que par le scoop, que parce qui pourrait faire la « Une ». Evidemment, Callahan la sauve quand elle se met dans le pétrin, porte la caméra pour sauver un suicidaire. Evidemment elle deviendra sa meilleure alliée quand elle comprendra que ce qu'elle fait peut faire de la peine aux familles des victimes.

L'autre cible du film est le cinéma d'horreur de série B. Dans le rôle du cinéaste raté qui fait des navets horrifiques, Liam Neeson. Il s'appelle Peter Swan, mauvais cygne. Dans le rôle de l'acteur minable, succédané de la vedette qui vend son âme au diable, Jim Carrey (encore crédité James Carrey). La vedette meurt d'une overdose, Mais il a été empoisonné. C'est le premier d'une longue liste d'assassinats. S'en suit une longue enquête pas folichonne sur un gros fan du réalisateur qui reproduit les meurtres des films.

Il va s'en dire que ce cinéaste menteur, incompétent et prétentieux est tout ce que déteste Clint Eastwood. Je me demande si un journaliste cinéma lui a demandé un jour s'il visait un de ses confrères (mettons Brian De Palma, la séquence du tournage de film ressemble vaguement à Body double). Mais comme tout est fait grossièrement, la critique de la télé comme celle de ce cinéma, ça manque la cible. Ah oui, Callahan a un nouveau partenaire, Quan (Evan C. Kim) qui nous agrémente un improbable combat d'arts martiaux. Il était temps que Harry prenne sa retraite.

























lundi 28 septembre 2020

Raining in the moutain (King Hu, 1979)

Tout le récit de Raining in the mountain est centré sur un rouleau de prière, McGuffin idéal qui permet à King Hu de tracer un scénario somme toute minimaliste et de développer son art de la mise en scène. Comme à son habitude, après un long générique composé d’estampes, la montagne est le premier décor du film. Trois personnages la traversent pour arriver au Monastère des Trois Joyaux, lieu de prière isolé et havre de plénitude. Ce rouleau est le manuscrit de Xuan Zang des Soutras de Mahayana. L’ambition de Wen An (Suen Yuet) est de s’emparer de cet objet qu’il considère d’une valeur inestimable. Il est accompagné de « Renarde Blanche » (Xu Feng) qu’il présente comme son épouse et de « Serrure d’or » (Ng Ming-choi) qui fait office de porteur des bagages.

Ce sont des voleurs dont l’agilité est démontrée dans une longue séquence où Renarde Blanche et Serrure d’or traversent tout le monastère pour arriver dans la chambre qui contient tous les parchemins. Il leur faut éviter d’être vus par les moines, se dissimuler dans les cachettes des bâtiments et avancer à toute vitesse. Pour cela, King Hu monte son film à un rythme alerte. Les déplacements sont suivis en travelling, les regards sont l’objet de gros plans sur les deux voleurs montés en contrechamp des plans larges où l’on découvre les moines qui ne se doutent de rien. Le monastère est filmé comme un labyrinthe composé de nombreux couloirs. Il est absolument impossible de se rendre compte de l’architecture du bâtiment, tout cela reste mystérieux afin de perdre le spectateur dans les méandres des déplacements. Mais Renarde Blanche ne parvient pas à ouvrier le loquet de la bibliothèque. Un moine, Hui Wen (Lu Chan), va l’aider sans qu’on ne lui demande rien.

Ce moine est le complice de Wen Na. Il est aussi l’un des prétendants à la succession du maître du monastère qui va prendre sa retraite. Wen Na est d’ailleurs venu pour soutenir la candidature de Hui Wen, qui comme on l’a compris est un homme corrompu. C’est alors qu’entre en scène le gouverneur Wan (Tien Feng) et son bras droit le commandant Zhang Cheng (Chan Wai-lau) qui viennent pour exactement les mêmes raisons : voler le manuscrit et soutenir un moine, Hui Tong (Shih Jun). Leur méthode sera différente, moins subtile mais plus sournoise. Wan et Zhang Cheng représentes ce qu’il y a de pire dans le pouvoir : son abus. D’ailleurs, très vite on va comprendre que leur passé est trouble, que la violence ne leur fait pas peur, ce qui dans un monastère bouddhiste n’est pas recommandé. On retrouve ce thème de l’injustice qui, depuis son premier film, traverse le cinéma de King Hu.

Tous ces personnages présentés jusque là, à l’exception du vieux maitre, pratique l’art du faux, de la dissimulation, du simulacre. Aucun d’eux n’est ce qu’il affirme être, cette idée du faux ne s’applique plus ici comme dans Legend of the mountain avec des fantômes ou dans Dragon Inn avec de simples mensonges. Les personnages de Raining in the mountain ne sont pas dupes de ce que sont les autres, c'est dans cette connaissance de l'adversaire et de leur dessein que le film avance. Le grand maître et son bras droit, le moine Hui Si (Paul Chun) vont faire preuve d’encore plus de ruse qu’eux pour que personne ne s’empare du rouleau dont on ne saura jamais ce qu’il contient vraiment (dans Legend of the mountain, les sutras avaient une ambition, celle de communiquer avec les morts).

L’arrivée de deux personnages permettra de changer les plans des deux bandes de voleurs. Un sage laïc, Wu Wai (Wu Jia-xiang) arrive avec ses servantes pour l’élection du nouveau maître. Il va mettre à rude épreuve les moines bien peu chastes quand il les forcera à méditer tandis que cette nuée de femmes se baignent en petite tenue, dans une scène à l’érotisme discret mais réel. Puis, Qiu Ming (Tung Lam) entre en scène. Accusé d’un crime dont il se dit innocent, Qiu Ming a choisi de se retirer dans le monastère. Son calme et sa détermination sont décelés chez les maîtres du monastère qui vont le désigner nouveau maître. Puis, c’est son habileté politique, son sens des réformes qui font de Raining in the mountain à la fois un film politique et l’aboutissement de l’œuvre du cinéaste qui livrait son meilleur film.