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dimanche 6 janvier 2019

Faisons un rêve (Sacha Guitry, 1935)

Dans le prologue de Faisons un rêve, juste après le générique écrit et non pas parlé par Sacha Guitry – pour une fois, toute une ribambelle de vedettes de 1935 viennent faire non seulement un petit salut à l'auteur mais aussi déclamer un bon mot, une réplique et quelques phrases de dialogue. Les cancres de la citation donnent souvent du « comme le disait Sacha Guitry » alors que l'on devrait dire « comme le disaient les comédiens de Sacha Guitry quand il leur écrit des bons mots ». Ce prologue se déroule lors d'une soirée mondaine donnée par Jacqueline Delubac, la caméra, après avoir suivi un orchestre tzigane, croise ces fameux figurants.

Le spectateur avant d'entrer au spectacle, c'est-à-dire la pièce Faisons un rêve avec Sacha Guitry, Raimu et Jacqueline Delubac, passe de table en table. Ici Arletty (« c'est un ministre là ? Il a pourtant l'air honnête »), là Michel Simon (« la plus grande saleté qu'on puisse faire à un homme qui vous a pris votre femme, c'est de la lui laisser ») qui joue au poker, là Marguerite Moreno qui joue aux dames et répond à Yvette Guilbert qui dit qu'elle est allée au théâtre mais regrette d'avoir raté la premier acte « l'auteur aussi, ne regrettez rien ». Ce sont près de 8 minutes de propos remplis de misanthropie mais dits avec esprit, tout Sacha Guitry.

Dans ses premières années de cinéma, ici en 1935 où il tourne quatre films, Sacha Guitry filme ses plus célèbres pièces de théâtre. Faisons un rêve est l'histoire d'un homme (déjà nommé l'amant dans le générique) qui décide attirer une femme et le mari de celle-ci chez lui le lendemain de cette soirée. Il a entendu que l'époux avait un rendez-vous au même moment et espère ainsi qu'il laissera l'épouse seule chez lui. C'est ce qui se passe. Ils doivent se revoir le soir, il l'attend mais elle hésite au grand dam de Sacha. Puis arrive finalement et ils passent la nuit ensemble. Le film est parfois drôle surtout dans son finale où les quiproquos s'additionnent joyeusement.


Le récit est un tantinet vieillot mais le plaisir de la langue de Guitry est là, sa voix et ses gestes emphatiques. En revanche, la mise en scène cherche à reproduire le théâtre, en l'occurrence la proximité avec les trois comédiens. Sacha Guitry multiplie les plans séquences et par un paradoxe que seul le cinéma est capable de produire, le film se dégage de l'aspect strictement théâtral au profit d'une invention pour distraire le spectateur avec ses répliques. Puisque le film est très court, le récit vieillot passe bien et tout se termine dans la plus grande immoralité, comme un écho aux propos péremptoires des invités de la soirée mondaine.





















lundi 17 décembre 2018

Le Roman d'un tricheur (Sacha Guitry, 1936)

J'ai souvent confondu une scène de Désir de Frank Borzage avec l'une du Roman d'un tricheur, celle du vol de bijoux. Marlene Dietrich faisait croire à deux hommes qui ne se connaissaient pas qu'elle était l'épouse de l'un et de l'autre. Mais chaque fois j'imagine qu'elle fait le coup, bien plus simple, de la délicieuse voleuse qu'incarne le temps d'une scène Rosine Deréan, nommée la maîtresse, c'est à dire demander à Sacha Guitry de l'aider à voler un joyau qu'elle fait placer dans une armoire qu'elle ferme à clé pendant que son complice vole le bijou grâce à un trou fait par leur soin dans la pièce adjacente.

Les deux films sortis à quelques mois de distance en 1936 font la part belle aux escrocs et aux tricheurs et l'un comme l'autre se déroulent au sud de la France, essentiellement à Monaco dans Le Roman d'un tricheur, ville des casinos où comme le rappelle Sacha Guitry tout le monde naît avec un rateau de croupier. On imagine que les représentants de la principauté n'auraient pas forcément très apprécié de n'être vus que comme des tricheurs institutionnels. Notre personnage – sans nom – se retrouve régulièrement à Monaco soit comme croupier soit comme joueur, ce qui pour lui n'est finalement guère différent.

Pour aimer Le Roman d'un tricheur, il faut aimer passionnément la voix de Sacha Guitry, elle est omniprésente et presque la seule entendue dans le film. Le générique est comme d'habitude parlé, marque de fabrique de Sacha Guitry, une manière pour lui de présenter à l'image en les décrivant d'un court texte humoristique non seulement ses interprètes mais aussi ses techniciens. Finalement, Sacha Guitry cherche ainsi à s'éloigner du théâtre en se faisant le narrateur principal et omniscient de son film, de son roman, mais en disant toute la vérité sur son personnage de tricheur, voilà l'astuce facétieuse du cinéaste.

L'entrée en matière de la vie de ce tricheur, comme il s'en accuse lui-même sur la terrasse d'un café parisien, commence par la mort des onze membres de sa famille. Le vieil oncle avait ramassé des champignons. Ils étaient empoisonnés. Tout le monde en a mangé sauf le gamin puni et privé de repas pour avoir chapardé 8 sous. L'honnêteté ne paie pas, notre personnage va tricher toute sa vie. Mais c'est ce prologue qui est le morceau d'anthologie du Roman d'un tricheur, un prologue guilleret et pourtant morbide, toute le génie du paradoxe de Sacha Guitry. La mort détermine la vie future du gamin puis du jeune homme (deux acteurs différents avant que Guitry ne prête son corps massif).


Outre le jeu, ce sont les femmes qui modèlent l'homme. Si Pauline Carton, sa fidèle bonniche, joue une mégère, subtilement décrite comme un dragon (c'est très drôle), seules deux femmes ont l'occasion de faire entendre leur propre voix. Marguerite Moreno, la comtesse qui 30 ans auparavant dépucela le jeune homme et Fréhel qui chante une chanson. Ni Rosine Deréan (sa voleuse préférée) ni Jacqueline Delubac (son épouse à l'écran) ne donnent de la voix mais elles s'uniront pour voler les croupiers avant que Sacha, dans de multiples déguisements, le péché mignon du comédien, dont il gratifie le finale, ne se range des tricheries.
























samedi 17 septembre 2016

Désiré (Sacha Guitry, 1937)

Dans son entretien accordé aux Cahiers du cinéma, Justine Triet expliquait que le personnage de Vincent Lacoste dans Victoria était lointainement inspiré de celui de Sacha Guitry dans Désiré (tiens, deux prénoms en titre de film). Désiré est un valet de chambre qui a une réputation peu enviable pour se faire embaucher. Il tombe amoureux de ses patronnes (Guitry les appelle ses « maîtresses », Désiré les appelle « Madame »). Madame, c'est Jacqueline Delubac et elle est la maîtresse de Montignac (Jacques Baumer), le ministre des postes et télécommunication. Or, Madame veut partir à Deauville dès le lendemain matin et a besoin d'un valet de chambre.

La règle du jeu entre domestiques et patrons dans Désiré est très simple. Ce sont les domestiques qui décident de tout mais ce sont les patrons qui donnent les ordres. Dans la cuisine, ils sont trois. Outre Désiré qui veut rentrer au service de Madame, Adèle (Pauline Carton) est la cuisinière qui aime boire du vin rouge et Madeleine (Arletty) qui fume des cigarettes et se verrait bien porter les robes de Madame. Dans le salon, Madame s'apprête à recevoir Désiré et à lire sa lettre de recommandation de son ancienne maîtresse. Madame va appeler cette comtesse, après avoir pourtant affirmé au ministre qu'elle n'aura pas besoin de la faire.

La comtesse, tout en caressant son lévrier, raconte que Désiré a eu un geste. Madame veut donc le renvoyer (voici l'ordre qu'elle lance à Désiré), mais il affirme qu'il serait très bien à ce poste (voici la décision de rester à son service). D'ailleurs, Adèle et Madeleine lui ont dit que c'était une bonne maison. Il va donc convaincre Madame qu'elle doit absolument l'embaucher car sinon sa réputation à elle risquerait d'en pâtir. C'est toute la logique des dialogues et répliques de Sacha Guitry qui est à l’œuvre et qui consiste à jouer sur le sens des mots, à s'en servir pour retourner le contenu et l'exposer dans la vérité des relations entre patrons et domestiques.

Entre Madame et Désiré, c'est un jeu du chat et de la souris. Delubac et Guitry sont très rarement dans un même plan seuls. Ils sont accompagnés du ministre, ou d'une autre employée. Quand ils sont face à face, Sacha Guitry utilise le champ-contrechamp. Et pour les réunir tous les deux dans le même cadre, il aura recours à un miroir et il s'approchera d'elle si près qu'elle en aura peur. Puis, ce sera en rêve qu'il la rejoindra. Même la confrontation finale est en champ-contrechamp avec ce long monologue de Désiré Guitry débité à toute vitesse, sans être interrompu. C'est réjouissant ce tempo tellement loin de la diction précieuse et théâtrale des films de l'époque.

Ce qui est encore plus réjouissant dans Désiré, c'est cette scène de repas où le ministre et Madame ont invité un couple d'amis. Pas de chance pour eux, lui (Saturnin Fabre) n'a pas pu venir mais l'épouse (Alys Delonce) sourde comme un pot débarque et il faut bien lui faire la causette mais ils trouvent l'épouse stupide. Entre chuchotements, hurlements, cachotteries, éructations, les dialogues sont mis en scène avec une grande précision. Puis, c'est la goujaterie superbe de Saturnin Fabre. Guitry venait de cette classe sociale dont il se moque, ce qui rend Désiré si grandement amusant, c'est qu'il s'en moque volontiers, il s'en moque beaucoup et il s'en moque bien.