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mardi 22 août 2017

Tabou (Nagisa Oshima, 1999)

Sa frange lui tombe presque sur les yeux et son commandant lui demande pourquoi il ne la coupe pas. Avec un fin sourire, il répond que c'est une promesse. Ce jeune homme qui rentre dans une prestigieuse milice de samouraï à Kyoto en 1865 s'appelle Sozaburo Kano (Ruyhei Matsuda). C'est un fils de commerçant, cela est largement souligné par ses employeurs, comme pour rappeler sa basse condition sociale. Habillé tout en blanc, avec donc ses longs cheveux noirs, il passe un examen pour se faire engager. Il doit se battre contre le lieutenant Soji Okita (Shinji Takeda). Il y a une bonne douzaines de candidats, parmi eux un autre jeune homme à l'allure bien plus virile, barbe, poils sur le torse, cheveux courts, c'est Hyozo Tashiro (Tadanobu Asano), habillé de couleur sombre. Totalement opposés, ils seront tous les deux choisis pour devenir samouraï.

Cette épreuve est filmée par Nagisa Oshima comme un rituel, assis au fond les maîtres samouraï observent les apprentis au centre de la salle. Les mouvements sont immuables mais les propos entre Hijikata (Takeshi Kitano) et le commandant Kondo (Yoichi Sai) sont inhabituels. Une voix off (celle de Hijikata mais dite par Kai Sato) scrute les regards entre tous ces hommes. Les yeux de Kondo semblent fascinés par Kano. Et ce dernier se voit charger d'une nouvelle épreuve, là encore un rituel immuable, trancher la tête d'un condamné. Nagisa Oshima va droit au but, le bâton qui servait à se battre est remplacé par un sabre et, une fois l'homme décapité, du sang gicle telle une éjaculation. Les symboles phalliques et sexuels sont si nombreux, les allusions à la beauté de Kano sont précisées et les hommes qui admirent cette beauté ne laissent aucun sous-entendu, le jeune samouraï est comme le personnage de Terence Stamp dans Théorème, il va attirer tous les hommes.

« Notre milice doit réprimer les révoltes » clame Hijikata et les règles de vie de la milice sont clairement énoncées, mais Tabou ne se soucie pas de montrer la répression d'éventuelles révoltes, il se consacre au désir que les samouraï ne peuvent pas réprimer. « As-tu déjà tué un homme ? As-tu déjà fait l'amour ? » demande sans ambages Tashiro au jeune homme, une main sur son épaule, et leur corps se frôlent dans la chambrée où tous les samouraï sont entassés. Tout le monde pense, et Hijikata le premier, que Tashiro et Kano sont amants. Pourtant face à la beauté de Tashiro sublimée par son sourire et sa voix suave, Kano couche avec Yuzawa (Tomoro Taguchi), incarnation de la médiocrité. Plutôt que de coucher, il faudrait dire que Kano est violé par Yuzawa, tant ce dernier abuse de son ascendance sur la nouvelle recrue. Yuzawa est assassiné, une nuit, dans la rue. Il s'agit pour Kondo et Hijikata d'enquêter sur ce meurtre, même s'il les arrange un peu.

Tabou n'est pas dénué d'humour, comme avec le personnage de Genzabouro Inoue (Jiro Sakagami), l'un des lieutenant des samouraï mais un balourd, contrairement aux autres chefs, et c'est à lui qu'est confié la difficile tâche de convaincre Kano d'enfin coucher avec une femme. Avec une notable absence de délicatesse et de tact, il va aller engager une geisha très renommée (les seules femmes dans Tabou sont des geishas ou les tenancières des maisons closes), qui avancera le soir du rendez-vous également dans un rituel immuable. Le rendez-vous se soldera par un bel échec, Kano s'est violemment rebellé contre la geisha et les autres femmes. Inoue se croit plus malin que tous les autres quand il pense pouvoir mener l'enquête avec Kano et poursuivre les deux meurtriers (des samouraï d'une milice ennemie), c'est dans ces moments que le film prend des tours plus légèrement comiques (le scène de l'échelle et ses cinq lanternes).

L'enquête est cependant confiée à l'inspecteur Yamazaki (Masa Tommies), c'est Hijikata qui se charge de raconter que Kano a fait tourné toutes les têtes, qu'il pense qu'il est l'amant de Tashiro et le que le commandant Kondo est sans doute amoureux de lui. Mais en vérité, Kano l'avouera avec un regard droit et perçant, il est follement amoureux de Yamazaki. Parfois, le film semble prendre l'allure et les dialogues d'un soap opera tant ces romances et amourettes semblent inextricables. Seul Soji, celui qui avait tenu le bâton contre Tashiro et Kano, affirme les détester tous les deux. A la fin de toutes ces amours contrariées et vaines, Nagisa Oshima offre une séquence magnifique, comme un testament à son cinéma pour son dernier film, dans une brume nocturne qui s'épanouit dans le fantastique, un peu comme il le faisait dans L'Empire de la passion, où une dernière fois les hommes vont s'affronter avec leur sabre dans une ultime bataille sexuelle métaphorique.


























mercredi 23 novembre 2016

Furyo (Nagisa Oshima, 1982)

La fameuse musique de Ryuichi Sakamoto avec ses airs lancinants évoque ces boites à musique que l'on tournait dans l'enfance. La ritournelle la plus célèbre de Furyo est celle qui ouvre le film et qui le clôt et c'est autour d'un flash-back que se tourne le nœud du récit, un souvenir douloureux qui ramène Jack Celliers (David Bowie) dans son enfance, dans son Angleterre natale, loin de l'île de Java en 1942 où se déroule le film. Il se rappelle son petit frère, un ange blond à la voix d'or qui aime chanter, il se souvient du bizutage subit par cet enfant où les autres élèves l'ont obligé à se déshabiller pour montrer son infirmité, une bosse dans le dos, il a en mémoire n'avoir pas défendu son petit frère et s'en veut depuis. Jack raconte que ce douloureux souvenir l'a mené à devenir soldat, et un soldat qui n'a pas peu de la mort.

Le camp de prisonniers dans lequel est enfermé Jack Celliers est dirigé par le commandant Yonoi (Ryuichi Sakamato). Deux stars de la chanson, le grand blond à la peau blanche et le maigre brun à la peau de bronze. L'attirance de Yonoi pour Jack se fait dès leur première rencontre dans le tribunal militaire où il assiste le juge. Son regard est lentement dirigé, avec un travelling avant qui l'isole dans le cadre, vers le corps de l'Anglais. Dans Le Piège, l'enfant était aussi obnubilé par le corps de son prisonnier. Il en fera le prisonnier vedette de son camp, mais Jack n'en demandera pas tant. Il va s'employer au contraire à renverser l'autorité du chef et enfreindre toutes les règles strictes édictées à coups de cravache par Yonoi. Furyo nage en plein homo-érotisme soft tendance SM, très soft. Un simple baiser fera sombrer tout cet édifice construit par le commandant japonais.

Le film commençait par une séquence prémonitoire de l'ambiance dans le camp, deux hommes à moitié nus, à genoux dans l'herbe devant des soldats japonais. Ils sont accusés d'avoir eu des rapports sexuels. L'un est un soldat coréen (donc forcément un traître), l'autre est hollandais (Java était une colonie des Pays-Bas en 1942). La nudité des corps des Anglais est un élément frappant du film. En short, en haillons, souvent torses nus, cuisant sous le soleil, ils doivent se mettre au grade à vous devant Yonoi et ses soldats. Yonoi est toujours tiré à quatre épingles, le col bien fermé, la casquette bien vissée, les bottes bien droites. Son intransigeance est similaire à celle de Jack. Le regard sévère de Yonoi croise le sourire insolent de Jack. Face à au soldat japonais, Hicksley (Jack Thompson), le chef des prisonniers, est débraillé, comme un acte de résistance.

Le colonel Lawrence (Tom Conti) est amené à témoigner de cette relation sexuelle initiale par le sergent Hara (Takeshi Kitano). C'est le visage de Hara qui ouvre et ferme le film. Takeshi Kitano n'était pas encore connu quand Nagisa Oshima l'emploie en 1982, sept ans avant son premier film Violent cop et une dizaine d'années avant qu'il ne soit connu en France avec Sonatine. Hara est le seul personnage avec Lawrence qui ne semble pas buté, qui évolue dans le sens de l'histoire. Tous deux discutent en japonais (Lawrence y a vécu avant la guerre) puis en fin de film Hara débite quelques mots en anglais (ceux du titre « Merry Christmas Mr. Lawrence »), mais il est déjà trop tard, même les bons soldats japonais comme Hara sont condamnés pour avoir obéi à son supérieur. Takeshi Kitano jouera en 1999 dans le bien nommé Tabou, l'ultime film de Nagisa Oshima.