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lundi 13 novembre 2017

Le Cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein, 1925)

Je continue de regarder les films de Serguei Eisenstein, voici donc Le Cuirassé Potemkine, 71 minutes qui concentrent une seule journée en juin 1905. La Russie tsariste était en guerre contre le Japon depuis quelques mois, la cause était la volonté du tsar de coloniser les rives du fleuve Amour, tout au bout se trouve Vladivostok. L'armée impériale est donc sur le qui-vive et l'action du film commence dans les quartiers des matelots du Potemkine, les soldats sont entassés sur des hamacs, dans une certaine promiscuité, la chaleur estivale est accentuée par la vie dans les cales du cuirassé, les soldats dorment tant bien que mal, torses nus, quand un garde chiourme, un officier frappe un jeune et nouveau soldat au fouet dans le dos, sans aucune raison valable.

C'est par cet acte gratuit et violent que commence la mutinerie des marins du Potemkine. Les coups font pleurer le jeune matelot, vite consolé par ses camarades de chambrée. Dans ce confinement, la révolte surgit rapidement. Puis, elle s'accentue sur le pont avec la découverte de vers sur la viande qui doit être mangée par les matelots. Enfin, Eisenstein commence à montrer les gradés, toujours sur le même mode. Il prend le parti des marins, humiliés et mal nourris, filmés à leur hauteur, alternant plans d'ensemble et gros plans. Les gradés, du capitaine au médecin de bord sont en contre-plongée, la caméra ausculte leur air vicieux, les regards satisfaits de maltraiter leurs hommes.

Quand le médecin observe avec ses binocles la viande, il affirme que ce ne sont pas des vers mais des larves de mouches, que la viande est tout à fait comestible. La confrontation visuelle entre deux modes de vie prend son ampleur avec la présentation du coin cuisine des marins. Du plafond, ils détachent des tables rectangulaires tendues par des chaînes, des grosses gamelles de bortsch sont posées. Chez les gradés, plusieurs matelots nettoient patiemment les couverts et les assiettes sur lesquelles est écrit « Dieu, donne nous notre pain quotidien ». Fou de colère devant cette phrase considérée comme un affront, l'un des marins prend une de ces assiettes et la jette par terre. Dans ce bris, toute la révolte est contenue.

Le Cuirassé Potemkine est composé de cinq parties. Le seul personnage qui se détache des autres est le marin Vakoulintchouk, solide moustachu, qui va prendre la tête de la mutinerie. Il organise une grève. Le Commandant du navire, absent du récit jusque là, sort de son écoutille pour menacer les mutins et décide, rien de moins, que de faire fusiller les rebelles. Il grimpe sur une estrade pensant dominer la situation mais rien n'y fait. Seulement voilà, une balle atteint Vakoulintchouk, tirée dans le dos comme le font les lâches que ce sont ces gens de pouvoir. Cet unique personnage disparaît du film mais sa révolte se répand dans toute la population d'Odessa quand la ville apprend la mort du valeureux et révolutionnaire marin.

C'est la quatrième partie qui est restée la plus fameuse, celle de l'escalier d'Odessa. Après avoir apporté des victuailles aux insurgés, une partie de la population observe des escaliers le cuirassé. C'est ce moment là que les soldats se lancent à l'assaut contre la population dans l'escalier. Les soldats, dans leur uniforme blanc (la couleur des tsaristes qui avaient lutté dans la guerre civile de 1917 à 1922 contre l'armée rouge), marchent au pas, mécaniquement, comme des marionnettes du pouvoir. Les tirs de leurs fusils s'abattent sur les habitants. Cette foule tente de fuir et est encerclée par les terribles Cosaques sur leurs chevaux.


Cette foule enthousiaste est ainsi prise au piège. Eisenstein choisit quelques figures, quelques visages comme autant d'exemples de la tyrannie du tsar. Ce sont des victimes innocentes, ainsi cet enfant touché que sa mère porte à bout de bras, ces habitants qui tentent de convaincre les soldats de ne pas tirer, ils seront tous abattus sans sommation et cette mère poussant un landau qui va dévaler l'escalier lentement. La scène n'est pas célèbre uniquement pour elle-même, Eisenstein crée une tension avec cet enfant innocent pris dans des événements qu'il ne peut pas contrôler, mais aussi pour l'influence sur d'autres cinéastes, la meilleure reprise est dans Les Incorruptibles de Brian De Palma.















































mardi 7 novembre 2017

Octobre (Serguei Eisenstein, 1927)

Dans l'une des premières séquences d'Octobre, la statue du tsar Alexandre III est déboulonnée. Au delà de la métaphore de la chute du régime impérial russe, c'est la manière de Serguei Eisenstein qu'a de démonter cette statue. Avant que le peuple de Petrograd ne la fracasse à grands coups de massue, chaque élément de la statue est fragmenté, un plan pour le sceptre, un autre pour le visage, les mains, les pieds, le tronc en alternance avec ce peuple qui commence à grimper sur le socle. Alexandre III est démembré par la force du montage du cinéaste en une multitude de plans qui s'enchaînent tout comme les événements du mois d'octobre 1917 qui vont être narré pendant 100 minutes avec le plus de détails possible dans une condensation des faits en vue de l'édification de la révolution.

Le nombre de plans dans Octobre est très important, c'est un montage frénétique, comme Serguei Eisenstein savait en composer (lui-même emploiera le terme d'extatique dans ses textes théoriques). Ce montage allait à l'encontre de toutes les grammaires cinématographiques de l'époque où les plans longs (question de coût) étaient favorisés, un abandon de la forme théâtrale radicale. Le cinéaste joue aussi avec la taille des cartons d'intertitres. Lorsqu'il appelle l'entièreté du peuple russe à s'unir derrière les bolcheviques ( BCEM ! BCEM ! BCEM ! tous en russe), la taille des lettres ne cessent d'augmenter jusqu'à occuper tout le cadre de l'écran. Les cartons sont rarement explicatifs du récit, connus alors de tous les spectateurs auxquels le film s'adresse, et souvent ils deviennent de purs slogans.

Ce que j'aime le plus dans les films de Serguei Eisenstein (et Octobre n'est pas mon film préféré du cinéaste), ce sont les gros plans des visages comme des objets. Pour les visages, il décadre légèrement l'axe de sa caméra et demande au sujet filmé de bouger son visage souvent de face à profil. Dans les derniers mouvements du film, lors de l'attaque du Palais d'Hiver, château du tsar de Russie, cette observation des beaux visages des soldats s’amplifie, des regards caméra s'opposent à la foule des contre-révolutionnaires qui veulent empêcher leur entrée. Cette foule est filmée en plans larges. Les objets, notamment tous les colifichets des religions qui défilent à la queue-leu-leu, sont évidemment inanimés par nature, mais leur accumulation crée un rythme inexorable. Dans la scène finale de la mise à sac du palais impérial, l'alternance entre inserts (bouteilles, vaisselle) et visages aboutit à un film d'action.

L'une des scènes les plus connues du cinéma d'Eisenstein est celle, dans le Cuirassée Potemkine, de l'escalier d'Odessa, scène d'une dramaturgie redoutable. Dans Octobre, il cherche à renouveler cette tension avec la levée des ponts sur le fleuve Neva (une stratégie des généraux de Nicolas II pour que les populations pauvres ne puissent pas entrer dans la partie administrative de Petrograd et s'approcher du Palais d'Hiver). Des habitants en révolte veulent franchir le pont qui ne cesse de se lever, une femme s'écrase sur le bitume fracassée par sa chute, sous les rires des bourgeois satisfaits de cette mort. Le film enchaîne avec un autre escalier, celui qui mène au siège du pouvoir, là l'ascension tourne au burlesque, Eisenstein évoque les gouvernants interchangeables à la solde de l'Empereur. Dans les deux cas, il s'agit d'une inversion du haut et du bas, inversion que la révolution doit faire changer de sens.


Sièges vides et assemblées pleines, c'est constamment par un contraste, une opposition, une disproportion des échelles que le film fonctionne. Au fauteuil vide du gouverneur face à des ministres fantoches, Octobre propose une assemblée démocratique où Trotski, Lénine et Staline sont à la même table, à égalité, pour voter l'insurrection (Trotski est mis en minorité et traité de traitre). De manière plus sarcastique, il filme l’effervescence du 2e congrès des Soviets en se moquant des Mencheviques qui voudraient prendre le pouvoir malgré leur minorité. Essentiellement, le film écrit une histoire où tous les peuples de Russie, de Petrograd à la Sibérie en passant par la Crimée et les régions musulmanes, s'unissent à l'appel d'un tract que le peuple distribue fougueusement. Un Tatar range son sabre portant une inscription à la gloire de Dieu, il est immédiatement convaincu par le message de Lénine. Et pour remplacer le tsar sur son trône vide, un enfant hilare symbolise la joie d'un monde neuf.