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jeudi 18 octobre 2018

First man (Damien Chazelle, 2018)


C'était déjà le cas de La La Land, l'ouverture de First man est très réussie. Caméra embarquée dans le cockpit d'une avion supersonique avec Neil Armstrong (Ryan Gosling) comme pilote. La vue est très limitée, la vitre qui permet de voir à l'extérieur est pas bien grande, et d'ailleurs on ne voit pas grand chose parce que ça tangue, ça remue, ça déstabilise la vision. Le cockpit n'est pas bien grand non plus, on est coincé là-dedans, impression de claustrophobie accentuée par le format scope, grand paradoxe. Et soudain, tout se calme, Armstrong a rebondi sur l'atmosphère, on distingue dans l'horizon le ciel et la terre.

C'est sur Terre que l'astronaute se sent claustrophobe, coincé dans sa petite famille. Il vit en Californie avec son épouse Janet (Claire Foy). La vie sur le plancher des vaches est d'une tristesse abyssale, leur fille a un cancer et plutôt que appesantir sur ce malheur, Damien Chazelle l'élude à grands coups d'ellipse. La fillette est à l'hôpital, le plan suivant, on l'enterre. Quelques minutes plus tard, les Armstrong sont en Floride près de Cap Kennedy et Janet est enceinte. Entre temps, Armstrong s'est fait saqué par ses supérieurs et il décide de s'engager dans la mission Gemeni. Nous sommes en 1961, il faudra 8 ans pour qu'il foule le sol lunaire.

Ryan Gosling incarne un homme taciturne, ce qui nuit un peu à l'ambiance familiale qui s'agrandit. Son jeu est toujours aussi intériorisé et ses deux courtes scènes de larmes, en début puis en fin de film, toujours à la pensée de la mort de sa petite filles, se font en secret sans les montrer à quiconque. Il a du mal à causer surtout à ses deux fils quand sa femme exige qu'il explique que peut-être il ne pourra pas revenir de sa mission. Car les morts s'accumulent parmi les astronautes, tous des voisins des Armstrong. L'opinion publique s'en mêle (des manifestations) comme les politiques (des discours à la Maison Blanche) et critiquent les dépenses gouvernementales.

Comme dans ses deux films précédents, Damien Chazelle n'est pas encore très doué pour le relationnel, pour l'intime (l'un des écueils dans Whiplash comme La La Land). Certes, la vie familiale est entièrement liée à ces 8 ans que dure le récit de First man, mais c'est le spectaculaire qui lui réussit le mieux. C'est un spectaculaire qui confine souvent à l'abstraction. Dans l'accident survenu lors de la mission Gemini 8, c'est un voyage rarement filmé ainsi. Lorsque la navette vrille en toupie dans l'espace, on se croirait transporter dans un film expérimental, toujours du point de vue d'Armstrong coincé dans son cockpit, c'est la plus belle séquence de First man.

On est très loin du film d'espace habituel où la technologie est grandiose avec des grandes navettes spacieuses et perfectionnées. Gemini 8 comme Apollo 11 sont des navettes brinquebalantes où les boulons couinent, les tôles se frottent dans un brouhaha chaotique (superbe travail sur le son), ou les boutons et les leviers semblent vétustes. Tout cela pourrait se détraquer en un clin d’œil. Même si on connaît l'issue du film, le suspense est à son comble lors de l'arrivée des astronautes sur la lune, tour de force de mise en scène. Le film fait l'éloge de l'artisanat, car la NASA des années 1960 c'est du travail d'artisan et j'imagine que Damien Chazelle se voit comme un artisan du cinéma.

jeudi 6 septembre 2018

Crazy stupid love (Glenn Ficarra & John Requa, 2011)

En 2011, il fallait choisir entre Drive et Crazy stupid love. Choisir entre deux films avec Ryan Gosling, ou ne pas choisir. C'est cette année que l'acteur canadien, à 31 ans, est devenu la coqueluche de Hollywood. Jusqu'à ce moment-là, cette année-là, jusqu'à la présentation de Drive de Nicolas Winding Refn au Festival de Cannes (en compétition), Ryan Gosling restait cantonné au cinéma indépendant tendance Sundance hardcore.

Ses choix se sont portés vers cette forme, après Calculs meurtriers de Barbet Schroeder (le film où je l'ai découvert) en 2002, après The Notebook de Nick Cassavetes (que devient-il?), il fait des films un peu mous, pas franchement enthousiasmants et pour certains totalement oubliés, où sa nonchalance naturelle (Half Nelson), où son autisme feint (Lars and the real girl), où son romantisme désuet (Blue Valentine) ont fait merveille.

J'imagine que venant d'où Ryan Gosling vient, le Disney Club comme Britney Spears, Justin Timberlake ou Christina Aguilera, d'une série adolescente couillonne (Young Hercule, dans le rôle éponyme) l'acteur a voulu s'en éloigner le plus possible. Il a voulu se faire oublier du public qu'il a si longtemps diverti. Il est remarquable de noter que ce changement de ton chez Ryan Gosling vient d'un couple de cinéastes gays et d'un réalisateur danois.

Nicolas Winding Refn filmait avant Drive des corps massifs (Mad Mikkelsen, Tom Hardy) avant de donner à Ryan Gosling une seconde peau, ce blouson iconique avec un scorpion brodé sur le dos. Glenn Ficarra et John Requa choisissent de placer l'acteur au centre d'une comédie du remariage, après le délicieux I love you Phillip Morris, il sera le témoin de la déliquescence du couple et moteur de sa reconstruction.

La dichotomie que subit Jacob le personnage de Ryan Gosling est composée de la nudité simple de l'acteur et de costumes extrêmement chic. Quand il est habillé, Jacob est un séducteur né. Il lui suffit de murmurer à l'oreille des demoiselles pour finir la nuit avec eux. Sémillant, le jeune trentenaire remarque un quinquagénaire qui échoue à draguer. C'est Carl (Steve Carell) qui vient de se séparer de son épouse Emily (Juilanne Moore).

Séparation difficile qu'il espère oublier avec les femmes. Jacob va devenir son professeur et commence par lui apprendre à revêtir une nouvelle peau, c'est-à-dire à devenir Jacob lui-même, à s'habiller avec de beaux costumes, à changer de coiffure et à redresser son corps. Crazy stupid love est un immense traité sur le corps et Jacob le montre, dans un vestiaire, dans le plus simple appareil, exposant sa nudité et son sexe à son ami qu'il a pris sous son aile.

Le film est une suite de quiproquos et de faux-semblants. L'un d'eux est la place d'Hannah (Emma Stone) dans ce vaudeville amoureux. Jacob la drague mais elle résiste et tandis que Carl devient un séducteur, Jacob tombe amoureux d'elle et arrête de draguer. Comme le faisaient les Wachowski avec Channing Tatum dans Juspiter ascending, Ryan Gosling est réduit à un simple objet de désir, rôle dévolu à Hollywood aux actrices.

Hannah demande à Jacob d'enlever sa chemise (elle reste habillée pendant toute la scène), il reste ainsi pendant toute la séquence sans que cela n'ait de raison valable si ce n'est d'admirer ce torse nu (« on dirait une image photoshop » dit-elle les yeux écarquillés) dans une mise en scène queer et camp. C'est dans ce double mouvement, l'homme dur mais juste de Drive et dans cette nudité décomplexée et digne d'un album beefcake que la carrière de Ryan Gosling s'est forgée et épanouie.

Le couple Emma Stone Ryan Gosling se reformera dans La la land de Damien Chauzelle pour partition totalement différente, largement plus prude où s'exprime clairement un haine du corps. Crazy stupid love tentait de former un duo des années 1930, mettons Gary Cooper et Marlen Dietrich dans Désir de Frank Borzage, Cary Grant et Katharine Hepburn dans Bringing up baby de Howard Hawks. J'exagère un peu là, je sais, mais j'aime beaucoup de film.




























mercredi 25 janvier 2017

La La Land (Damien Chazelle, 2016)

Hier, la liste des films nommés aux Oscar a été annoncé, et avec 14 nominations La La Land se taille la part du lion. Après la bronca phénoménale de l'absence d'acteurs et d'actrices Afro-américains dans les catégories phares, l'Académie a fait quelques efforts, ce sont des films qui ne sont pas encore sortis en France (Moonlight, Fences, Les Figures de l'ombre, trois films tournés vers le passé, aucun film contemporain, ce qui en dit long sur ce passé américain qui ne passe pas tout autant que sur l'incapacité à offrir des rôles actuels, des personnages de notre temps). Etrangement, comme aux Golden Globes, on a l'impression que La La Land a déjà gagné.

Presque aucun acteur Afro-américain dans La La Land, si ce n'est dans l'épatante séquence d'ouverture, colorée et ensoleillée, des dizaines de danseuses et de danseurs qui sortent des automobiles lors d'un terrible bouchon sur un pont d'autoroute de Los Angeles. La caméra virevolte entre tous ces figurants qui entonnent, les uns après les autres, la chanson joyeuse dans son air mais sarcastique dans son ton, on cause pollution, embouteillage, boulot, angoisse, le tout avec un large sourire par des jeunes gens bien habillés et jolis de leur personne. Tout le film est résumé dans ces quelques minutes, un réalisme de vie banale décrit avec les artifices de la comédie musicale.

Donc deux gentils Blancs, Sebastian (Ryan Gosling) et Mia (Emma Stone) qui se croisent sur cette autoroute. Lui écoute du jazz dans sa Buick décapotable et elle répète pour une audition dans sa Toyota Prius. Dès le départ, les oppositions entre les deux personnages sont établis, les voitures disent qu'ils sont d'univers totalement différents. Il klaxonne comme un dingue pour la faire démarrer (ce sera un motif récurrent du film, Sebastian arrivera devant chez Mia en klaxonnant très fort), elle lui fait un doigt tandis qu'il la double. C'est parti pour deux heures de hasards et coïncidences, comme dirait Claude Lelouch, avant qu'ils ne s'aiment.

Elle est actrice à Hollywood mais en attendant, elle vend des cafés dans le studio Warner (producteur du film, leur logo apparaît en 1:37 et noir et blanc comme celui de Cinemascope qui s'étend en format large et se colorise), lui est pianiste de jazz mais il doit jouer dans des bars de la musique d’ascenseur. Elle rate tous ses castings, et encore elle n'auditionne que pour des séries télé, lui se fait virer par le patron quand il se lance dans une improvisation de free jazz. Et c'est dans cette boîte de jazz qu'ils se croisent une deuxième fois, mais Sebastian la bouscule en quittant les lieux. Deuxième rendez-vous raté.

Je crois que la chose la plus étonnante dans La La Land est ce choix de ne pas avoir d'autres personnages que Sebastian et Mia. En début de film, Mia est chez elle avec ses trois colocataires, apprenties actrices comme elle, et Damien Chazelle tente de mettre en scène leur complicité. Le ton est très forcé, tout comme quand Sebastian croise Keith (John Legend), un ancien comparse musicien. Il va intégrer le groupe de Keith. Sebastian et Mia n'ont aucun meilleur ami, les parents de cette dernière ne sont que des figurants, Keith n'a que quelques scènes, les colocataires interviennent à peine.

Ce choix a un effet désastreux sur la narration du film. Nos deux amoureux n'ont personne à qui exprimer leurs sentiments si ce n'est à l'une et l'autre. La conséquence directe est que tout passe par des tunnels de dialogues filmés dans un banal champ-contrechamp (la terrible scène du repas surprise qui s'avère un désastre), après les disputes, ils n'ont personne à qui se confesser et ils partent se promener dans la ville, surtout la nuit, où les visages prennent les lumières des néons (ah le visage vert d'Emma Stone quand tout va mal), puis ils se séparent et adoptent des vies qu'ils méprisaient jusque là. Oui, car ils ne juraient que dans leur intégrité.

Entre les tunnels de discussion, Damien Chazelle inclut des chansons. Il faut constater assez vite que toutes se ressemblent, que les pas de danse (très rares) sont peu assurés. Parfois, un sursaut de créativité (Mia vole dans l'observatoire) relève l'intérêt. La La Land est assez plaqué sur le scénario de Chantons sous la pluie avec des clins d’œil à New York New York (deux artistes, Hollywood, les amours contrariées). Pour tout dire, le meilleur moment est la deuxième fin qui rappelle celle des deux films précités. Malgré ses défauts, je préfère Crazy stupid love à La La Land, première romance entre Emma Stone et Ryan Gosling, ne serait-ce que pour cette fameuse scène se strip-tease qui a tant fait pour la carrière de l'acteur.

lundi 16 mai 2016

The Nice guys (Shane Black, 2016)

A Los Angeles en 1977, on savait bien se saper. Jackson Healy (Russell Crowe) aime mettre un chemise bleu clair en flanelle sur une chemise hawaiienne. C'est une tenue idéale pour passer inaperçu quand il va bosser. Son boulot est de donner du coup de poing au contrat. En exemple, dans l'une des séquences de présentation des personnages, Healy porte un poing américain, attend qu'une ado mineure sorte de la maison où se trouve un adulte à qui il casse la gueule, non sans lui avoir dit de ne pas toucher aux gamines.

Son futur partenaire dans The Nice guys est Holland March (Ryan Gosling), plus jeune que Healy mais toujours en costume cravate marron, une chemise souvent ouverte sur un bon vieux débardeur. Et une moustache, ça en impose pour un détective. La rencontre est musclée et violente car Healy n'a pas compris qui est March et tous les deux suivent la même personne : Amelia. Sa mère a engagé March pour la retrouver et une amie d'Amelia en engagé Healy pour casser la gueule de March. Voilà d'où vient le plâtre.

Maintenant que Shane Black a décliné l'identité de ces deux gentils gars du titre, il faut leur faire un duo d'enfer, digne, disons de ceux que le scénariste d'il y a trente ans avait fait avec L'Arme fatale ou Le Dernier samaritain, soit un duo désaccordé qui doit trouver son accord tout au long du film. Healy est le genre de gentil gars qui cogne et qui discute ensuite, Holland March est aussi le gentil gars qui se trompe toujours jusqu'au moment où il a enfin raison, le modèle du genre étant l'inspecteur Clouseau.

Entre deux explosions, deux poursuites en voiture, deux coups de poing dans la gueule, deux coups de feu et deux morts, The Nice guys déploie un gag. Les deux hommes montent en silence dans un encenseur qui joue The Girl from Ipanema, Holland March est aux chiottes en train de lire un magazine quand Healy ouvre la porte, March, encore lui, dégringole de la terrasse après avoir bu comme un trou (il picole pendant tout le film), Healy tente de convaincre un barman de donner des renseignements.

L'incompétence de March n'est pas contrecarrée uniquement par Healy. La fille du détective privé, une gamine de 12 ans, Holly (Angourine Rice) na pas besoin d'être protégée. Elle se mêle de l’enquête, se glisse dans la soirée organisée par le producteur porno, est menacée par le tueur à gages (Matt Bomer) engagé par la mère d'Amelia (Kim Basinger). C'est la gamine, bien plus adulte que lui, qui protège son père dans le mouvement comique crée par l'inversion des rôles entre les personnages.

Cette enquête mène donc Healy, March et sa fille dans les coulisses du cinéma porno mais aussi de l'industrie automobile. Tout est clairement expliqué dans le film. Pas de putasserie ni de scabreux dans The Nice guys. L'action des films produits dans les années 1980 et 1990 par Joel Silver et scénarisés par Shane Black étaient contemporains de leur réalisation. C'est d'ailleurs assez fascinant de retrouver les mœurs de l'époque aujourd'hui, tout comme les couleurs, les voitures et les vêtements des personnages.

Faire se dérouler The Nice guys en 1977, permet d'éviter les téléphones portables, les techniques modernes, mais je crois que Shane Black ne l'a fait que pour une seule scène, celle de la projection du film porno sur pellicule suivie de la bobine que jette Holland March. Evidemment, en 2016, le porno ne passe que sur Internet, sur l'ordinateur, impossible de lancer quoi que ce soit. Cette bobine, c'est aussi tout ce cinéma (celui de Joel Silver) qui n'existe plus, remplacé par les navets Marvel et ses images de synthèse. The Nice guys est aussi un film politique (des auteurs).

mercredi 23 décembre 2015

The Big short (Adam McKay, 2015)

On a eu les films post 11 septembre, voici les films post crise de l'immobilier. Après The Margin call au ton professoral et aux acteurs le balai dans le cul, après The Inside job incompréhensible malgré tous mes efforts et après Le Loup de Wall Street où l'argent est une drogue dure, Adam McKay offre le versant burlesque de cette histoire tellement vraie mais tellement irréelle. Le lien avec le film de Scorsese est direct quand on découvre en ouverture du film Christian Bale qui tape avec ses baguettes de batterie un son identique à celui de Matthew MacCanaughey quand il reçoit et initie Leonardo di Caprio au capitalisme sauvage, ou plus tard quand Margot Robbie as herself explique, dans son bain, ce que sont ces fameuses subprimes auxquelles personne ne comprend rien.

Sauf les personnages de The Big short qui comprennent assez vite que ces emprunts toxiques vont faire beaucoup de victimes (les Américains qui veulent à tout prix accéder à la propriété encouragé par les ultra-libéraux) et quelques gagnants : les personnages suivants. Toujours bronzé, suivi par un assistant qu'il tyrannise, Jared Vennett (Ryan Gosling) explique que tout commence en 1978. Mark Baum (Steve Carell), râleur impénitent et quatre traders d'un fond d'investissement vont faire fructifier l'argent de Vennett. Michael Burry (Christian Bale), en bermuda marron et t-shirt bleu, est un docteur en économie, semi-autiste, il clame avoir toujours raison. Deux jeunes loups de Wall Street, Charlie et Jamie (John Magaro et Finn Wittrock) lancent leur fond d'investissement aidé par Ben Rickert (Brad Pitt), sorte de Warren Buffett écolo-compatible.

Pour le spectateur, il s'agit d'abord de comprendre ce qu'il se passe dans ce passé si proche et qui touche toujours l'économie mondiale. J'avoue que je suis toujours perdu dans les noms sophistiqués de tous ces emprunts toxiques, ces termes de mortgage, titrisation et autre CDO. Jared Vennett, qui est le narrateur de The Big short, a plusieurs moyens pour expliquer pourquoi et comment la bulle économique va exploser. Il fait appelle autant à Margot Robbie en buvant du champagne ou à Selena Gomez tandis qu'elle joue au casino. Si une bimbo comprend, je peux comprendre dit Adam McKay avec ironie. Puis, Vennett démontre, dans une scène hilarante, à Mark Baum à l'aide d'une simple jeu d'enfants, ces tours en bois composées de dominos que l'on doit retirer avec précaution, la mécanique fragile et irrésistible des montages financiers. L'économie va s'effondrer.

C'est parti pour plus de deux heures de pure délire économico-libéral où la corruption, l'inconscience et la bêtise pure règnent sur Wall Street. Hallucinante scène où l'experte de Standard and Poor's, lunettes d'aveugle sur le nez avoue qu'elle annonce à ses clients ce qu'ils veulent entendre. Pour bien montrer ces idiots, direction Las Vegas. Une employée de l'Etat flirte avec un banquier. Mark Baum dîne avec un investisseur qui confesse qu'il arnaque légalement les propriétaires. L'idiotie a toujours été au centre du cinéma d'Adam McKay, le journaliste Ron Burgundy et sa bande d'abrutis, les deux flics crétins de Very bad cops, le pilote Ricky Bobby. Dans The Big short, les personnages principaux passent pour des idiots auprès de banquiers et des patrons de fond d'investissement, ils sont moqués dans un grand d'éclat de rire. Ces derniers seront pris à leur propre piège, comme l'étaient les deux frères d'Un fauteuil pour deux, le meilleur film sur le capitalisme sauvage du cinéma américain. The Big short, drôle et féroce, est de cette trempe là.

mercredi 4 novembre 2015

Calculs meurtriers (Barbet Schroeder, 2002)



« Tu ne dois pas t’identifier à la victime, tu dois t’identifier au tueur », dit le chef des flics à l’inspecteur Cassie Mayweather (Sandra Bullock) qui est en train d’enquêter sur « Emilie », appelant la victime par son prénom. Le nom des gens est une des choses importantes dans Calculs meurtriers, dernier film hollywoodien à ce jour de Barbet Schroeder (j’espère que ce ne sera pas le dernier). Cassie a deux autre noms qui cachent volontairement sa personnalité à son nouveau collègue, le candide et distingué flic de la mondaine Sam Kennedy (Ben Chaplin). Ses collègues l’appellent « la hyène », avec une rare élégance, Cassie explique que comme l’animal charognard, elle un vagin qui ressemble à une bite. Cassie a aussi un vrai nom, Jessica Marie Hudson, son nom d’épouse, comme on l’apprend en cours de film. Son époux la battait tant qu’il a failli la tuer. Elle doit maintenant témoigner pour une éventuelle libération sur parole. Cela explique qu’elle refuse de se mettre à nu, au sens propre quand elle couche avec Sam (elle est couverte de plaies), comme au sens figuré : il lui faudra du temps pour comprendre que l’enquête qu’elle mène est proche de ce passé qu’elle a enfoui mais que Barbet Schroeder choisit de raconter dans un flash-back fordien, c’est-à-dire par l’unique pouvoir de suggestion du dialogue de Cassie que l’on peut raccorder aux quelques images de cette femme ensanglantée vue plus tôt.

Cette enquête donc. Une femme assassinée au bord d’une rivière. Elle a été étranglée, un doigt a été coupé, elle est allongée dans un sac plastic. Assez vite, Sam Kennedy et le chef des flics, tout comme le procureur, conclut que tout cela est l’œuvre d’un sérial killer. Parfait, l’affaire est vite emballée. Si on ne trouve pas d’empreinte digitale, on découvre un poil de singe et un fil de tapis, assez pour mener directement au concierge du lycée, par ailleurs dealer de drogue pour les ados du coin. Cassie trouve que tout cela est mené un peu trop rondement. Et elle a bien raison puisque depuis le début du film, on sait qui sont les auteurs du meurtre. Comme dans Le Génie du mal et Swoon, Calculs meurtriers reprend l’idée du duo de lycéens fortunés, en l’occurrence Richard Haywood (Ryan Gosling) et Justin (Michael Pitt). Le premier est le beau gosse du lycée, paresseux et fumeur mais dont les parents sont très riches. On l’appelle d’ailleurs Richie Rich, alors qu’on aurait pu le surnommer Dickie d’autant qu’il tient souvent un flingue dans la main, symbole phallique s’il en est. Le second est un petit intello à lunettes timide qui cultive des orchidées (ça change des oiseaux empaillés). Le film commence par Justin en classe qui lit sa dissertation sur le Mal. Il feint devant ses camarades et la terre entière d’être l’ennemi de Richard. Le spectateur en sera persuadé aussi jusqu’à la découverte de cette étreinte dans une maison abandonnée et ce portrait fusionnel d’eux.

Si l’on sait que Richard et Justin ont commis un meurtre, on ignore tout de la chronologie précise. Ce sera à Cassie et Sam Kennedy de nous dévoiler tout cela, de refaire le puzzle avec toutes les pièces éparpillées par les deux ados avec leur esprit vicieux caché derrière des visages d’ange. Barbet Schroeder a toujours le chic de nous montrer des personnages dont le sens moral semblent toujours au dessus de la loi du commun des mortels. Non seulement ils agissent pour leur propre morale mais en plus refusent d’en rendre compte. C’est le général Amin Dada, c’est l’avocat du Mystère Von Bülow, c’est Michael Keaton dans L’Enjeu ou les deux alcooliques dans Barfly. Pour une fois, le duo de démiurges a face à lui un autre duo, Cassie et Sam. Tout fonctionne par deux, jusqu’à ce qu’un élément tiers viennent tout perturber et enrayer la machine. Cassie et Sam sont perturbés par l’ancien mari de Cassie, Justin et Richard par la jeune femme qui se met entre eux (grosse scène de jalousie de Richard), le chef des flics et le procureur sont embêtés par l’entêtement de Cassie. Cet élément tiers permet justement de dévoiler ce qui était brouillé, il aide à trouver la pièce du puzzle qui manquait à l’ensemble. Calculs meurtriers est le film de Barbet Schroeder le plus ludique de ce point de vue.