lundi 30 novembre 2020

J'ai aussi regardé ces films en novembre



Un soupçon d'amour (Paul Vecchiali, 2020)
Inlassablement, Paul Vecchiali, désormais doyen des cinéastes français en activité, continue de sortir ses films comme une revanche des années de vache maigre (qui a duré près de 15 ans) où ses films ne sortaient pas en salle. Il n'a jamais arrêté de tourner cependant. Pas de traversée du désert, bien au contraire. Film aussi fauché que ses précédents, Un soupçon d'amour affirme sa théâtralité. On répète Andromaque et on parle avec une absence de naturel qui confine souvent à la préciosité, moins que dans Nuits blanches sur la jetée (2015) mais plus que dans Le Cancre (2016). Deux revenantes, Marianne Basler et Fabienne Babe se disputent le même homme tout en travaillant ensemble au théâtre. Voilà pour la partie romantique où les sentiments sont toujours abrupts. Elles se battent, devant Paul Vecchiali venu faire une figuration, par le chant et la danse, souvenir de Femmes femmes – le film est dédié à sa sœur Sonia Saviange – avant de laisser la place à du hip-hop. Le film parle du deuil, mais dans le plus grand secret. Il faut aller jusqu'à la dernière minute pour le comprendre. 

L'Ordre moral (Mário Barosso, 2020)
Le cinéma portugais n'existe pratiquement plus depuis la grosse crise économique qui l'a touché en 2014. Alors quand un film portugais sort, il faut aller le voir. Maria de Medeiros est rare également, elle est égale à elle-même légère et grave dans le même mouvement, elle porte sur ses frêles épaules tout le film en incarnant une femme Maria Adelaide qui lutte contre tous les pouvoirs patriarcaux dans le Portugal de 1918 (et les années qui suivent). D'abord le mari qui veut s'emparer de ses biens, soit un journal populaire. Elle prend un amant, son chauffeur par ailleurs homosexuel. Elle se voit interner dans un asile parce qu'elle va à contre-courant des mœurs bourgeoises. Ensuite, elle lutte contre l'église, l'Etat, la médecine, la justice. Par son habile construction, le film parvient à plonger dans une époque qu'on pensait révolue. Tout est décrit avec acuité, le mépris de classe, la haine de la liberté des femmes, la haine des homosexuels, l'avortement clandestin (la scène choc du film) et avec distance en évitant les plans édifiants et putassiers. Evidemment, le film est passé inaperçu lors de sa sortie. 

Philippe Clair, 1930-2020
J'ai probablement dû voir des films de Philippe Clair quand ils passaient sur feue La 5, la chaîne de Berlusconi que personne ne regrette. Il fait partie des réalisateurs français adeptes de l'humour franchouillard qui tache, comme ses pairs Max Pécas (On se calme et on boit frais à Saint-Tropez), Robert Thomas (Mon curé chez les nudistes), Michel Gérard (T'es folle ou quoi), le seul encore vivant. Aujourd'hui, c'est impossible de les voir pourtant les titres à rallonge font envie, Le Führer en folie, Rodriguez au pays des merguez, Par où t'es rentré on t'a pas vu sortir, Plus beau que moi tu meurs, Tais-toi quand tu parles. On admire le sens de l'oxymore. Philippe Clair avait une très haute opinion de lui-même, il suffit de l'entendre parler sur les vidéos youtube, son titre de gloire est d'avoir engagé Jerry Lewis dans Par où t'es rentré on t'a pas vu sortir où il lui donner la réplique. Jean Benguigui a un jour raconté que Jerry Lewis avait accepté de jouer là-dedans en pensant qu'il s'agissait de René Clair, cinéaste plus prestigieux. Ça paraît peu crédible, de toute façon Jerry Lewis était dans sa longue traversée du désert, il aurait joué dans n'importe quel film français. Il paraît que certains de ses films ont eu du succès, bref il a inventé l'humour pied-noir (Rodriguez au pays des merguez est une parodie du Cid version pied-noir). On trouve dans ses films toute la fine fleur du cinéma nanar, Jackie Sardou, Philippe Castelli, Aldo Maccione, Michel Galabru, Gérard Hernandez, Alice Sapritch, Pierre Doris, Sim, Micheline Dax. Bizarrement, Robert Castel n'a jamais joué dans ses films. Son héritage le plus connu est son fils le chanteur acteur Esteban, vu dans les deux films d'Antonin Peretjatko, entre autres. J'espère un hommage sur Arte.

dimanche 29 novembre 2020

Mülheim Ruhr + Ödenwaldstetten (Peter Nestler, 1964)

Peter Nestler encore avec deux courts-métrages documentaires qui se ressemblent sur de nombreux points (mais pas la durée, Mülhiem Ruhr fait 14 minutes, Ödenwaldstetten 36 minutes). Peter Nestler inclut de la musique dans ces deux films, composée par Dieter Süverkrüp. Elle est totalement inhabituelle de celle que l'on peut entendre généralement dans les courts-métrages, une musique vaguement orchestrale, violon et flûte, qui peuple souvent sans aucun talent les films des années 1960.

Aucune de ces musiques ne se distingue des autres. Pire que cela, elle n'est qu'une illustration appuyée des images (une scène triste, musique triste et inversement). Dans Mülheim Ruhr plus encore que dans l'autre, Dieter Süverküp joue de la guitare manouche avec allégresse. Ce qui fait la différence est sa présence aléatoire, enfin, le cinéaste doit savoir pourquoi il la place à ses endroits, son arrivée comme son départ soudain, la guitare est souvent remplacée par un son de guimbarde accompagnée d'un métronome rythmant le montage ultra rapide.

Dans le nord et le sud de l'Allemagne, Peter Nestler continue d'observer la vie tranquille, sans soubresauts des habitants, il regarde les rues, les maisons, les gestes, la fumée qui sort des maisons comme des usines, les enfants qui jouent, les parents qui boivent. Mülheim Ruhr se distingue par la beauté de ses plans, ce sont des photographies, des instantanés, chaque photogramme pourrait faire l'objet d'un tirage photo pour une exposition. Les plans alternent la beauté pure (visage, enluminure) avec le trivial (usine, travail).




















Ödenwaldstetten est plus cru, la musique moins présente, les dialogues réapparaissent. On est dans la campagne la plus profonde. Comme dans Le Chenal, l'impression que rien n'a bougé depuis des années dans ce bourg. Ce qui ressort est immense, Peter Nestler filme sans romantisme ni pittoresque toute une époque. L'aspect documentaire pour lui consistait à travailler le montage d'éléments bruts, ça n'est pas très loin de ce commencera à faire Frederick Wiseman trois ans plus tard et si moderne par rapport à de nombreux documentaires édifiants et scolaires.

De la grande ville à la profonde campagne, le quotidien des habitants est montré simplement. Un vieux élève ses lapins, dans une ferme on trait les vaches, on construit, les ouvriers sortent d'une usine, ils vont se divertir. La variété des cadres construit le film, du plan d'ensemble au gros plan mais Peter Nestler travaille aussi les rimes, une statue précède le visage d'une petite fille. Les films marquent aussi le changement d'une période ancestrale (les champs, l'église, la marche) à la productivité plus rapide (les élevages, les immeubles, les transports).





















vendredi 27 novembre 2020

Sylvia Scarlett (George Cukor, 1935)

Solo. Quand elle coupe ses nattes, Katharine Hepburn transforme Sylvia Scarlett en Sylvester Scarlett. Avec les cheveux longs, Sylvia Scarlett parlait français certes avec un fort accent mais en 1935 personne ne se souciait de cela, elle souffrait de l'inconséquence de son papa Henry (Edmund Gwenn), un escroc de bas étage qui doit fuir Paris. Comme c'est un lâche, il coulait abandonner sa fille. Les cheveux courts, Sylvester parle anglais dès qu'elle est en Angleterre.

Duo. Ils s'exilent en bateau. Le père a caché de la dentelle française fine pour la vendre en Angleterre, ce qui est interdit. Il s'en vante à un inconnu avec lequel il a sympathisé. Quelle idée saugrenue. L'inconnu Jimmy Monkley (Cary Grant) a bien repéré que quelque chose clochait dans ce duo si mal agencé. Le père avait dit de bien à Sylvia de dissimuler la dentelle mais c'est le père qui se fait avoir. A la frontière, ça coince, Monkley les signale aux douaniers.

Trio. Le travestissement et la mutation des langues vont servir à arnaquer des passants dans un parc. Sylvester joue le garçon français à qui on a volé son argent. Henry, comme arrivé là par hasard, fait le traducteur. Monkley s'est joint au duo. Il fait le bon samaritain qui propose aux passants de se cotiser pour aider le garçon. Mais un type se met à voler dans le chapeau de la quête. Sylvia jure alors en anglais. L'arnaque tombe à l'eau. Le trio doit s'enfuir sous les huées des passants.

Quatuor. Le trio quitte la ville pour la campagne et se transforme en compagnie de théâtre ambulant. Henry s'est trouvé une petite amie, Maudie (Dennie Moore). Cette fois, tout le monde est habillé pareil, il faut le dire de manière un peu ridicule, en Pierrot. La pièce est nulle mais ce qui compte ce sont les coulisses avec le début d'une affection de Sylvia pour Monkley. Seulement voilà, elle ne peut pas le dire puisqu'elle est un garçon aux yeux de celui qu'elle aime.

Quintet. Parmi les spectateurs, Michael Fane (Brian Aherne). Il se moque gentiment de la pièce des Pierrot mais Sylvester prend la mouche. L'adolescent est soupe au lait. Il répond vertement à Fane, là encore pour cacher une irrésistible attirance. George Cukor aurait pu aller plus loin dans l'attirance travestie entre un garçon et un homme. L'ambiguïté sexuelle est écourtée au profit de quiproquos dans la vaste maison de Fane.

Sextet. Au bout d'un moment, il faut revenir à un semblant de normalité, refaire les couples essentiellement. Monkley peut-il aimer Sylvia ? Et Fane ? Maudie va-t-elle rester avec Henry ou continuer de batifoler avec tous les hommes qu'elle croise. Lily (Natalie Paley), une amie proche de Michael Fane a la charge de révéler à tous ceux qui ne le savaient pas encore que Sylvester n'existe pas et que Sylvia a des désirs.

Sylvia a dérobé une robe à une jeune femme qui se baignait. Elle accomplit un deuxième travestissement, Sylvester devient Sylvia pour ausculter le cœur des hommes qui l'attirent et réciproquement. George Cukor aborde un dernier quiproquo avec Lily, à la fois complice et rivale. C'est bien elle, parce que somme toute elle est la plus honnête, qui refonde les couples, les déshabille des travestissements qui les empêcher de s'aimer librement.