Le
Fantôme de la liberté prolonge et amplifie la liberté
narrative élaborée dans Le Charme discret de la bourgeoisie.
Ce dernier film se contentait de six personnages principaux et de
quelques autres secondaires, le film suivant de Luis Buñuel,
toujours écrit avec Jean-Claude Carrière ne présente plus de
personnages principaux, adoptant une forme de films à sketches
reliés entre eux par l'un ou l'une des protagonistes qui file d'une
saynète à l'autre. Ainsi, la distribution du Fantôme de la
liberté regroupe la fine fleur des acteurs et actrices de ce
début des années 1970.
Pour
comprendre le système, il suffit de raconter les trois quatre
premières séquences. Dans une église de Tolède en 1808, un soldat
observe une statue. Aujourd'hui une bonne (Muni) raconte l'histoire
de cette statue à deux fillettes qui se voient offrir par un
monsieur des belles images à des fillettes, la bonne ramène les
fillettes chez leurs parents (Monica Vitti et Jean-Claude Brialy).
Brialy raconte cette scène à son médecin qui est dérangé par son
assistante qui demande à partir soigner son père malade mais se
rend dans une auberge où logent des moines, etc etc.
Ces
passages assimilables au mode « du coq à l'âne » déjà
bien mis à l’œuvre dans La Voie lactée (1968), film en
forme de road movie, permet au cinéaste d'aborder ces thèmes
préférés, la religion, la bourgeoisie, la justice, l'armée, la
sexualité, le pouvoir. Chaque personnage en prend pour son grade,
certes, mais toujours avec une distance finement élaborée et en
détournant chaque élément pour en modifier le sens. Le tout sans
passer par la case du rêve, au contraire le réalisme est constant
mais sans cesse manipulé, inversé ou dévié de son sens initial.
Parmi
les exemples les plus frappants et amusants, cette séquence où
Vitti et Brialy regarde les images données par ce monsieur aux
fillettes. Au lieu de clichés érotiques attendus, ce sont des
images de monuments historiques, ce qui choque les parents. Plus loin, une bonne
famille bourgeoise invite des amis. Le salon n'a pas de chaises, mais
des cuvettes de WC pour s’asseoir. Un invité s'excuse de quitter
le salon, pour se rendre dans la cuisine, ferme la porte à clé
comme si cet invité se rendait aux toilettes et mange un peu
honteusement.
Il
y a bien d'autres séquences sur ce réalisme inversé, comme si les
personnages étaient dans une autre dimension et qu'ils ne le
savaient pas. Les moines qui boivent et jouent aux cartes. Une tante
et son neveu amoureux. Un homme bien sous tout rapport (Michael
Londasle) qui exige, cul nul, qu'on le fouette. Un sniper se voit
condamné par un juge, mais quitte le tribunal malgré tout et signe
des autographes. Ou encore ces parents (Jean Rochefort et Pascale
Audret) qui demande à leur fillette disparue où elle se trouve
alors qu'elle les accompagne.
Superficiellement,
on pourra qualifier chaque séquence de surréaliste. Mais le
surréalisme n'a rien à voir avec la perte de logique et le sens de
l'absurde qui est mis en œuvre dans Le Fantôme de la liberté.
Ce sens de l'absurde produit chez le spectateur des effets de
surprise inattendus. Il existe peu de films où, tout en comprenant
tout ce qui se passe, on ne sait jamais quelle tournure va prendre le
récit. L'inventivité des récits provoque aussi du rire. L'humour
du film n'est pas aisé, il est parfois grinçant, souvent d'une
ironie mordante, mais il est d'une liberté folle et nécessaire.
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