Durant
l'hiver 1972, Werner Herzog filme Walter Steiner. Le jeune Suisse
alémanique, à l'accent à couper au couteau et aux R qui roulent,
est un champion de saut à ski. Ce grand et filiforme montagnard de
21 ans est aussi sculpteur sur bois, mais son métier n'intéresse
guère le cinéaste. Ce qui le passionne ce sont ces sauts à ski
qu'il pratique sans casque et sans peur. Il s'occupe de ses skis de
2,50 mètres de long avec un soin tout particulier (c'était l'époque
où les coachs n'avaient pas encore pris le pouvoir), les bichonnant
tout autant que ces sculptures. Steiner est toujours souriant même
après une chute qui lui érafle le visage. De son côté, Werner
Herzog se fait commentateur sportif, se fond dans la masse des
journalistes.
Werner
Herzog filmait un monde qui n'existe plus. Les compétiteurs viennent
d'Union Soviétique, de RDA et le championnat du monde a lieu en
Yougoslavie, sur le tremplin de Planica. Assez vite, le skieur
comprend qu'il sera l'attraction de ce premier championnat du monde
de saut à ski (ou de vol à ski comme le dit Herzog) et que le
comité yougoslave a tout fait pour que la compétition soit une
attraction majeure donnée au « peuple yougoslave ».
50000 spectateurs se pressent pour admirer ce spectacle. Peu importe
que Steiner soit mis souvent en danger, le sport est l'opium du
peuple de Tito. Steiner, qui saute largement plus loin que ses
compétiteurs, se plaint de la taille trop courte de la rampe de
lancement, ce qui le menace d'atterrir hors de la piste.
Cette
extase du jeune Steiner, Werner Herzog la filme avec plusieurs
caméras installées tout au long du parcours. Il filme les sauts à
plusieurs vitesses, normale ou en ralenti. Steiner s'élance tel un
oiseau (un corbeau sans doute, il aime cet oiseau) et vole, la bouche
grande ouverte. Ses grands skis traversent le cadre, le scinde en
deux dans l'horizon avant de revenir à la réalité de la vie.
C'est-à-dire soit un saut victorieux (il sera champion du monde avec
20 mètres de plus que les autres) soit un gamelle que Herzog
commente avec un sens du suspense retords. Ces envolées lyriques
sont accompagnées d'une musique de Popol Vüh, le groupe fétiche du
cinéaste, qui a composé une partition planante et extatique.
Les
captures d'écran sont issues du DVD « Les ascensions de Werner
Herzog » édité par Potemkine Films en 2015.
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