mercredi 30 décembre 2020

Le Maître chinois - Drunken master (Yuen Woo-ping, 1978)

En moins d'un quart d'heure, Jackie Chan réussit l'exploit de se battre contre trois adversaires dans trois combats. Contre l'employé de son père chargé de surveiller les élèves, contre la mère d'une jeune femme qu'il avait piteusement voulu embrasser, contre un riche fils à papa qui maltraite un pauvre homme. Trois combats où le jeune Wong Fei-hung fait respectivement preuve d'insolence à la discipline, d'habileté au combat et de soif de justice. Le protrait est complet.

Jackie Chan a 24 ans quand il endosse le rôle de Wong Fei-hung, rôle pour lequel il refuse de se raser les cheveux ou même de se les couper. Il joue d'ailleurs de cette tignasse imposante, un peu sa marque de fabrique, avec un gag tout simple, le fils à papa se bat avec un sabre et coupe quelques cheveux de Wong Fei-hung. Cela suffit pour provoquer la colère du jeune homme et le rire par cette référence aux crânes habituellement rasés des acteurs qui incarnent le héros.

Comme dans le film de Liu Chia-liang, Le Maître chinois évoque les premières années de Wong Fei-hung, c'était déjà le cas en 1976 à la Shaw Brothers, Gordon Liu endossait le costume du héros chinois. Autre studio, méthode opposée, avec Le Maître chinois, Yuen Woo-ping refuse tout sérieux de situation et évite autant que possible des décors de carton pâte. Mine de rien, cela constitue une étape dans le kung-fu en produisant une imagerie inverse de la Shaw Brothers.

Après une introduction qui présente le méchant qui arrivera en toute fin de film, le tueur à gages Yen (Hwang Jang-lee), cruel et impitoyable, on découvre l’entrainement quotidien d’une école d’art martial dirigée par Wong Kei-ying (Lam Kau). C'est là que le premier combat a lieu. L'occasion est toujours bonne de se moquer de Dean Shek, habituel instructeur au tempérament arrogant, prétentieux qui se fait humilier à chaque fois par les disciples qu'il ne contrôle pas.

Wong Fei-hung (Jackie Chan) part manger en ville avec ses amis. Il se vante de pouvoir embrasser une jeune fille. Avec ruse, il obtient son baiser, mais la mère veille et défend sa fille avec quelques coups de pied bien sentis. Plus tard, il va venger un marchand de jade qui se voit flouer par un escroc. Mais rentré chez lui, il se rend compte que la jeune fille et sa mère sont sa cousine et sa tante. Sur ce, l’homme qui tentait d’arnaquer le marchand arrive et cherche vengeance auprès du père.

Le pauvre Wong Fei-hung qui ne pensait qu’à s’amuser et à rendre justice va se retrouver puni par son père sous la surveillance de l’instructeur qui l’oblige à garder une position douloureuse pendant des heures. Wong Fei-hung s’enfuit et décide de partir à l’aventure. Sans le sou et ni formation accomplie, il ne sait pas comment survivre. Pour se nourrir, il compte resquiller dans un restaurant mais se fait attraper par le propriétaire. Il sera sauvé par un vieux monsieur.

Ce vieillard au sourire malicieux est le mendiant Sou (Simon Yuen) dont Wong Fei-hung avait déjà entendu parler. Sou va le prendre sous son aile mais le jeune apprenti cherche à s’enfuir, tout rempli d’indiscipline qu’il est. Il va tomber sur les sbires du tueur à gages Yan qui l’humilie après l’avoir vaincu. Wong Fei-hung retourne chez Sou pour parfaire son entrainement. Le film adopte le schéma classique du film d’arts martiaux : apprentissage, rébellion et retour du fils prodigue.

La modernité du Maître chinois repose sur l’humour. Ce vieil ivrogne de Sou à l'incroyable agilité est à lui seul un sommet comique dans sa manière de se moquer du jeune freluquet avec ironie pour ensuite lui apprendre la technique de l'homme soûl. Les combats sont soignés mais classiques avec ce design sonore typique de Hong Kong : filmage sans son, postsynchronisation des coups portés. Bien que les combats se déroulent à l’extérieur, aucun bruit de nature ne se fait entendre.

Pour Jackie Chan, ce rôle, comme sa rencontre avec Yuen Woo-ping, vont changer sa carrière pour le meilleur. Il est enfin débarrassé des rôles de clone de Bruce Lee que lui donnait Lo Wei. Si Le Maître chinois est devenu un fondamental de la comédie kung-fu, si ce n’est son film étalon, c’est parce que le personnage de Wong Fei-hung, grâce à ses facéties est aussi simple que le spectateur du film et non plus seulement un vieux maître donneur de leçons.






























mardi 29 décembre 2020

L'Audition (Milos Forman, 1963)

Au sujet de Taking off, j'avais lu quelque part que son premier film tourné aux Etats-Unis n'était pas tout à fait américain et encore un peu tchécoslovaque. Le lien est bien entendu ce double court-métrage qu'est L'Audition, dont seule la deuxième partie (celle qui fait 44 minutes) avait été montrée en France, il y a bien bien longtemps. Dans Taking off, parce qu'il recommençait sa carrière dans un nouveau pays, une nouvelle langue, une nouvelle équipe (mais avec son fidèle chef opérateur Miroslav Ondicrek), Milos Forman revenait au concours musical en diptyque.

C'est dans un vacarme assourdissant que débute la première partie de L'Audition (celle-là dure 34 minutes et elle porte un drôle de titre : Ah s'il n'y avait pas des guinguettes), des motos pétaradantes dans une rase campagne. Les moteurs vrombissent mais sont coupés par des instruments d'un orchestre à cuivre, trombone, cor, trompette. Les filles regardent les garçons chevaucher les motos, un mouchoir tombe, la course commence. Seulement voilà, deux des gars ont oublié que le lendemain matin, ils ont répétition.

Milos Forman ne s'embarrasse pas de fioritures. Il filme ses deux chefs d'orchestre de plein pied. Un bon gros dégarni à lunettes qui transpire sous les bras et un plus jeune très chevelu qui semble fermer ses yeux à chaque parole. Deux orchestres pour chacun des deux jeunes motards, Vlada et Blumental, au milieu d'hommes plus âgés, faut bien le dire, la fanfare est bien ringarde, mais Milos Forman ne la filme pas en se moquant de ces modestes musiciens, il se contente de portraits d'eux, c'est la part documentaire du film.

Le film entier propose un minimum de fiction, tout juste un exosquelette, dans la première partie, ce sont tout simplement Blumental et Vlada qui sont exclus des orchestres. Milos Forman établit une métaphore très transparente de la Tchécoslovaquie de 1963, avec ces chefs d'orchestre donneurs de leçon (c'est pas la modestie qui les étouffe), surtout aux deux jeunes gars qui ne sont absolument pas des rebelles mais deux adultes qui suffoquent sous le carcan social. Milos Forman ne pouvait pas y aller franco mais l'allusion politique est limpide.

Musique encore et toujours dans la deuxième partie, dans une salle de Prague, le Semafor organise un concours de chant, sans qu'il soit précisé si le concours est national, local, mais il est ouvert aux filles uniquement. Elles sont nombreuses à venir auditionner, la salle est pleine, les corps s'entrechoquent, se bousculent pour passer devant l'homme qui écoutent ces femmes. Il doit être une célébrité puisqu'il signe parfois des autographes. Il a un visage très doux, il laisse rarement passer ses émotions quand ça chante faux.

Parfois il chante de concert avec les jeunes filles. Et on en entend des chansons. Le film est épatant pour ça, il fait découvrir un très grand nombre de chansons tchèques. Certes l'époque, comme en France, est au yé-yé, à ce rock facile et entraînant, ça swingue derrière les micros, ça clape dans les mains. Entre deux rocks, un morceau traditionnel avec la traduction dans les sous-titres, des textes un peu naïfs que tout le monde connaît dans la salle. Milos Forman procède dans ce films à un authentique travail d'ethnologue, c'est un précipité des goûts musicaux de 1963.

La fiction dans cette deuxième partie est encore plus maigre que dans la première mais bien mieux emmenée. Deux jeunes fills sortent du lot, Vera la brune qui rêve d'une carrière solo et de s'émanciper du leader de son groupe, un bassiste barbu qui lui fait plein de reproches sur sa voix. Marteka quitte son boulot de pédicure en mentant à son patron. Elle se fait accompagner par son petit ami à la guitare. Chacune rêve d'émancipation, de sortir de la routine dans laquelle elles sont enfermées, dépitées, elles retournent, bien obligées, à la case départ.