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vendredi 8 mars 2019

Les Etendues imaginaires (Yeo Siew Hua, 2018)


Une femme tatouée, les cheveux très courts, circule dans son cybercafé et dit à ces mecs qui ne veulent pas s’asseoir derrière un ordinateur que « la clim' n'est pas gratuite ». Il fait chaud à Singapour et les clients de Mindy (Luna Kwok) viennent se réfugier là pour ne pas souffrir de la chaleur tropicale. Preuve à l'appui, ces chambres des ouvriers où ils s'entassent, ils dorment dans des conditions pas confortables, dans la promiscuité et dans la moiteur.

C'est cette atmosphère qui frappe dans les premières minutes des Etendues imaginaires, cette manière qu'a le cinéaste de passer d'un lieu à un autre. La chambre sordide dans ce dortoir de béton inhumain est dans la veine du cinéma réaliste et sociale. Elle se poursuit avec le travail de ces ouvriers, harassante et bruyant dans une carrière de sable où tout est gris, où les machines sont bruyantes. C'est un monde où il ne fait pas bon vivre.

L'autre sensibilité ramène aux néons du cinéma de Wong Kar-wai avec ses couleurs tranchées. C'est moins une référence à l'univers du cinéaste de Hong Kong, période de As tears go by aux Anges déchus qu'un palimpseste de son cinéma, comme si Mindy ne pouvait vivre que dans un cybercafé où tout rappelle Wong Kar-wai, où pourraient débarquer Karen Mok et Takeshi Kaneshiro. Le film a conscience qu'on ne peut plus filmer ce genre de lieu sans penser à Wong Kar-wai et à ses personnages déchirés.

La topographie, l'espace fictionnel, des Etendues imaginaires passe par ces extensions parfaitement résumées dans la scène de bord de mer quand Mindy et Wang (Liu Xiaoyi) prennent un bain. Mindy rêve de quitter Singapour et de voyager et Wang lui répond que ce sable sur lequel ils sont allongés vient sans aucun doute d'ailleurs, de Malaisie, d'Indonésie ou du Cambodge. Mindy voyage ainsi sans bouger et cela bouleverse sa conception du voyage.

Ce sable toujours présent à l'image, dans les esprits, dans le travail de Wang sert à étendre l'île de Singapour, morceau de Chine au bout de la presqu'île de Malaisie. Le film prolonge cette idée d'extension, et j'aime toujours ça, par une polyphonie de langues. On parle plusieurs chinois : mandarin, cantonais et singapourien, Wang et son collègue Ajit (Ishtiaque Zico) tentent de causer anglais avec peu de mots, Ajit parle avec ses compatriotes du Bengladesh leur langue natale.

Mais quand on ne peut pas parler la même langue, le corps s'exprime à la place des mots. Cela offre une belle scène de danse dans le camp des bengalis, Wang s'en donne à cœur joie. Cela donne un massage filmé au plus près de la nuque de Wang par Ajit. Cela donne l'épuisement du corps de Lok (Peter Yu), seul chez lui dans son immense maison, il se met entièrement nu et court sur un tapis de course. Le cinéaste prend un évident plaisir à filmer ces hommes et leurs gestes.

Ce Lok est un policier qui enquête sur une double disparition, celle de Wang et celle de Ajit. En toute logique, le récit les fait cohabiter dans l'esprit les unes des autres, donnant à cette idée d'étendues imaginaires une variation sur l'onirisme. Ce qui se produit sous nos yeux est dans l'idée du remplacement de Bill Pullman par Balthazar Getty. Lok dans Lost highway se met à la place de Wang puis Wang se met à la place de Lok, chacun imagine la vie de l'autre.

Longtemps, le cinéma de Singapour a été personnifié par Eric Khoo, plus timidement par Royston Tan, c'était au début du siècle. Aujourd'hui, Yeo Siew Hua est un nouveau visage du cinéma de Singapour. Son film souffre ici ou là de quelques scories typiques des premiers films comme du cinéma indépendant (on se regarde filmer, ce qui parfois donne des plans chichiteux – ah ces chromos flous - et des scènes et trop longues). Mais je suis partant pour son deuxième film.

jeudi 25 août 2016

Hotel Singapura (Eric Khoo, 2015)

Hôtel Singapura, chambre 27, voilà l'unique décor du nouveau film d'Eric Khoo, hormis quelques rares incursions dans le couloir. Un film à sketches avec une flopée d'acteurs qui se retrouvent dans cette chambre, étalé sur 80 ans de 1945 à 2025, l'ancien et le nouveau, toute l'histoire de Singapour depuis la fin de la seconde guerre mondiale, une histoire par le petit bout de la lorgnette dans cette île état où l'on rappelle par les dialogues que les lois sont strictes. La chambre 27 de l'hôtel accueille donc des amours marginales et hors des normes sociales de Singapour.

1945, noir et blanc, zoom arrière sur une carte postale de l'hôtel, luxueux comme le dit l'homme qui fredonne juste avant le générique. Dans la chambre, un Chinois et un Anglais, ce dernier annonce qu'il va retourner à Londres. Le Royaume Uni accorde son indépendance à la Malaisie à laquelle Singapour appartiendra encore quelques années. Ils sont amants et leur séparation ne se fait pas sans mal, l'amant chinois refuse de suivre l'Anglais car pour lui cela reviendrait à abandonner sa famille, sa patrie naissante et son travail.

1955, retour à la couleur, cinq femmes cantonaises en robes fleuries (genre celles de Maggie Cheung dans In the mood for love) apprennent le sexe grâce à leur mère maquerelle. Cours du jour, balles de ping pong et bananes suivi de la pratique. 1965, un groupe de rock de Singapour viennent fêter le jour de l'an dans la chambre, ils sont accompagnés de jeunes femmes. Le chanteur Damien remarque la femme de ménage Malaise. Il fait une overdose et viendra hanter la chambre jusqu'à la fin des temps. C'est lui qui chantait en début de film.

1975, un couple d'amants de Thaïlande, l'un d'eux a décidé de changer de sexe. 1985, une femme japonaise couche avec un jeune et sexy singapourien, elle appelle son mari tandis que l'amant lui annonce qu'elle est très amoureux d'elle. 1995, deux amis de Corée viennent oublier leur souci, la fille ne veut plus penser à son ancien amoureux et son pote fantasme sur elle. 2005, la femme japonaise de 1985 vient toujours coucher avec de jeunes hommes. Elle reviendra encore et encore dans l'espoir de retrouver cet amant qu'elle n'a jamais réussi à oublier et égaler.

Comme dans tous les films à sketches de qualité très inégale, les scènes de Hotel Singapura sont concentrés sur les dialogues, hélas souvent très sirupeux et dignes d'un soap opéra ou d'une sitcom. Mais c'est une polyphonie de langues qui s'exposent aux oreilles : anglais, mandarin, cantonais, thaï, coréen, comme si toute la misère sexuelle de l'Asie du sud venait s'installer dans cette suite. Homosexualité bafouée, prostitution, transexualité, adultère, voyeurisme et surtout de la frustration de la part de tous ces personnages.

Ce qui dit en substance Eric Khoo, qui prend fait et cause pour toute cette galerie de personnages, c'est que rien ne change vraiment au fil des années. La sexualité est toujours un sujet tabou dans les pays d'origine et à Singapour. Ce qui change, ce sont les décors de la chambre 27, chaque décennie est marquée par les meubles, les tenues, les objets et les papiers peints. A l'extérieur vu depuis la fenêtre et en écho du hors-champ, c'est Singapour qui devient un petit Dragon tandis que l'hôtel se décrépit jusqu'à tomber en ruine. Tout cela est très funeste mais pas toujours convaincant.