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mercredi 24 juin 2020

Lenny (Bob Fosse, 1974)

Lenny Bruce s'appelait Leonard Alfred Schneider. En 1951, pour percer dans le monde merveilleux du show-business, il valait mieux modifier son nom, le rendre plus WASP, plus passe-partout. Jerry Lewis qui a commencé quelques années avant Lenny Bruce avait bien compris et changé son nom Joseph Levitch pour la même raison. Mais dès qu'il s'agit de trouver un avocat pour l'aider lors de ses procès, Lenny Bruce (Dustin Hoffman) ne compte embaucher qu'un homme dont le nom se terminerait par berg.

Bob Fosse décide de remonter le temps de la carrière artistique et judiciaire de Lenny Bruce, une bonne quinzaine d'années de 1951 jusqu'à sa mort. Qui va parler ? Son épouse Honey (Valerie Perrine) pour commencer dont les lèvres en gros plan occupent tout le cadre dans un noir et blanc magnifique et aussi son impresario Artie (Stanley Beck), dans un récit en long flash-back et témoignages à la Citizen Kane, ceux qui évoquent la vie de leur client ou mari en connaissance de cause, c'est-à-dire après sa mort.

Les trois premiers plans de Dustin Hoffman dans son personnage de Lenny Bruce sont dans une salle de spectacle très sombre, la poursuite lumière sur lui. Il apparaît d'abord de dos, puis de trois quarts et enfin de face. Il est babru ce qui indique dans le temps du film que c'est sa période « salace », je vais l'appeler comme ça, sa période où il s'en prenait à beaucoup de gens, surtout ceux qui avaient le pouvoir, bref c'est ce personnage que Bob Fosse filmera aussi dans la partie cinéaste de Gideon dans All that jazz.

Ces spectacles, l'invention du stand-up, ont créé pas mal de soucis à Lenny, les mêmes grosso-modo que ceux de Larry Flynt de Milos Forman, atteinte aux bonnes mœurs. C'est qu'à cette époque aux Etats-Unis on ne rigolait pas avec « la morale » (comme partout ailleurs cela dit). Les procès sont filmés comme des joutes verbales avec un résultat similaire, le département de la justice reste insensible à la dénonciation de l'hypocrisie dans le monde du spectacle comme dans la vie.

La police veille au grain pour éviter les dérapages et le public vient surtout pour voir non seulement les mots interdits que Lenny va prononcer mais aussi la police l'arrêter. C'est ce spectacle qui va le faire petit à petit vriller. Lui ne voulait que démontrer l'hypocrisie, prononcer plusieurs fois le mot nigger devant des Noirs jusqu'à ce qu'il perde son sens, pouvoir donner tous les sens du verbe come dans un sketch, venir et jouir.

De ce point de vue, les procès sont fascinants dans ces joutes verbales (bien plus que les spectacles, je reconnais bien volontiers que Dustin Hoffman est très bon dans le stand-up, dans les envolées de logorrhées), mais les procès avec ce juge idiot, ce greffier à qui ont fait relire les mots de Lenny (qui du coup perdent tout sens), les témoins bornés sont drôlement bien troussés, là c'est Lenny Bruce qui devient le spectateur privilégié qu'il vit avec un sourire narquois.

Il allait, dit le film, jusqu'au bout de ses convictions et de ses provocations jusqu'à vider la salle de spectacle quand il se contentait de lire les faits divers du journal comme de la salle de tribunal où ses facéties n'amusent plus les badauds ni les journalistes. Il ira même à pousser le pas à virer ses deux avocats. Ainsi en fin de film Bob Fosse montre un homme totalement solitaire, isolé et incompris, voilà pourquoi les témoignages a posteriori sont une excellente idée.

Le film démontre comment il est devenu aussi seul, faisant le vide autour de lui. En début de film, au moment de sa rencontre avec Honey, une strip-teaseuse, il ne fait que raconter des blagues ringardes entre les effeuillages des jeunes femmes. Il est encore tout gamin – remarquable transformation physique de Dustin Hoffman – avec son petit costume cintré, loin de la barbe et de la chemise jeans ouverte dans les années suivantes.

C'est ce gentil petit gars au sourire éclatant qui va tomber amoureux de cette femme gironde un peu naïve. Il lui fait livrer tout un magasin de bouquets de fleurs dans sa chambre d'hôtel, tambourine à sa porte comme un gamin, il la présente à sa mère (Jan Miner) – elle aussi sera l'une des témoins du film – et à sa grand-mère dans la scène la plus drôle du film, la grand-mère fait « feh » comme une mouette devant les grossièretés de son petit-fils.

Ce couple désuni doit faire face à des célébrités du music-hall qui les écrasent. L'un d'eux, une immense vedette affirme le film, demande à Lenny de ne pas sortir d'horreur. Lenny fera bien l'inverse. Tout ce qui est interdit il le fait, il défie la ségrégation par exemple, à la fois en allant dans des jazz clubs et en couchant avec des femmes noires, ce qui était interdit dans pas mal d'états du sud démocrate.


Le film creuse aussi la vie de Honey, leur lune de miel un peu minable, leur accident de voiture où il s'avère que Lenny est volage, les premiers temps de la drogue dure pour calmer les douleurs, la prison, la naissance de leur fille. Et surtout leurs engueulades, leurs séparations multiples suivies de réconciliations multiples. Ce sont autant d'éléments à charge comme à décharge, finalement tout le film est un procès sur Lenny Bruce tout en clair-obscur.






































samedi 23 mai 2020

Les Chiens de paille (Sam Peckinpah, 1971)

Il se sent observé, il se sait observé ce jeune professeur de mathématiques, cet Américain venu s'exiler dans ce village paumé, dans cette maison isolé dans la lande. David (Dustin Hoffman) vient faire des courses. Les bras chargés de victuailles, il rejoint sa voiture décapotable. Sa femme Amy (Susan George) revient suivie de deux jeunes qui portent un imposant piège à braconnier, une machine de mort.

Puis David va acheter des cigarettes dans le pub local. En général, les pubs anglais sont des lieux agréables mais là, le malaise est palpable. Au centre, un vieux barbu (Peter Vaughan) au regard furieux. Il vient boire son sou. Tout le monde voit David dans le coin, personne n'ose vraiment l'accueillir ou le rejeter. Deux mondes s'observent dans ce petit endroit, mais clairement, David est un intrus dans leur microcosme.

J'en ai vu des films à l'atmosphère poisseuse, Les Chiens de paille atteint un haut niveau de poisse. C'est étonnant de voir dans ces quelques années le nombre de cinéastes qui font le voyage en Grande Bretagne, Richard Fleischer (L'Etrangleur de Rimington Street, Terreur aveugle), Stanley Kubrick (Orange mécanique) et dans un échange de bons procédés le britannique John Boorman ira filmer Deliverance aux fins fonds des Etats-Unis.

Si l'on faisait l'anthologie des meilleurs séquences d'ouverture, celle des Chiens de paille pourrait y figurer en bonne place. Tout est déjà en place, tous les personnages sont dans cette rue, ils sont placés de manière à figurer les affrontements. La voiture sert de limite entre les deux hommes, elle les sépare, à gauche David et son instrument de mort mise sur le siège arrière, à droite Amy qui discute avec une vieille connaissance, Charlie (Del Henney).

La voiture décapotable, la voiture de sport, c'est un luxe que n'ont pas les villageois. Cela démarque déjà David. Les habitants du coin se déplacent en camionnette, dans des véhicules utilitaires comme on dit maintenant. Immédiatement, David est exclu des autres par son mode de vie différent. Un mode de vie luxueux, la preuve il utilise ce piège comme simple objet décoratif. Dans un premier temps, ça saura se rendre utile.

L'agneau qu'est David fait entrer les loups dans sa bergerie. Il est mignon David avec ses grosses lunettes d'intello. Il ne ferait pas de mal à une mouche. Sur les conseils d'Amy, il a embauché des gars du village. Mais pas Charlie. Il ne veut pas de lui. Les gars du village font le toit de la bergerie. L'un d'eux a un petit rire de crécelle, glaçant. Un rire qui vient de nulle part qui sort régulièrement et que David décèle comme une insulte, comme une moquerie.

Amy est chez elle dans ce village mais elle est l'objet de tous les regards. Or David voit les regards qu'on lui porte. Ça le rend dingue. Il lui reproche de ne rien porter sous son pull blanc. La nuit dans leur chambre à coucher, un miroir reflète à deux observateurs leur nudité quand ils vont se coucher. La fille du vieux barbu Janice (Sally Thomsett) et son frère Bobby (Len Jones) se délectent de voir ce spectacle.

Pour Charlie, Amy est sa propriété. Elle lui appartient et il reste persuadé qu'il va être facile de se débarrasser de David. Le spectateur n'est pas loin de penser pareil vu la litanie des disputes du couple. David est même antipathique par moment, il est mesquin. Mais si David a mis les loups dans la bergerie, les loups lui ont aussi appris à utiliser un fusil dans cette scène centrale de la chasse au canard où ils l'humilient.

Toute la frustration sexuelle au sein de la population du village resurgit avec David et Amy. Sam Peckinpah n'y va avec le dos de la cuiler. C'est tout juste si Janice et Bobby ne sont pas incestueux, après tout ils espionnent ensemble le jeune couple. Janice est particulièrement gratinée avec ses longs regards langoureux qu'elle jette. Elle pense qu'elle ne fait que s'amuser même quand elle se tourne vers l'idiot du village Henry (David Warner).

Henry était en marge jusqu'à présent. Personnage muet et expressionniste, il devient le centre du récit dans une course poursuite qui convoque la créature de Frankenstein. L'assaut de la maison de David et Amy est le moment le plus impressionnant du film moins à cause de la violence que pour son montage stroboscopique et haché menu. On ne sait plus où donner du regard, conséquence, on ne sait plus qui torture qui.


Cette frustration, cette violence a une origine, la religion bien-sûr. Tout prend corps lors la kermesse organisée par le pasteur. Il infantilise ses ouailles avec ses ridicules tours de prestidigitation. Pendant qu'il distrait le village, Janice file avec Henry, Amy subit une deuxième fois son viol commis par Charlie et son comparse. Le pasteur voulait le silence dans le village, il aura la fureur et la mort.