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jeudi 14 janvier 2021

Rosita (Ernst Lubitsch, 1923)

D'après Jean-Loup Bourget (auteur d'une monographie sur le cinéaste), Mary Pickford a longtemps voulu empêcher les projections de Rosita. L'actrice star du cinéma muet avait engagé Ernst Lubitsch pour tourner cette comédie sophistiquée à l'extrême. Rosita est le premier film américain, mieux hollywoodien, d'Ernst Lubitsch et on reconnaît sa patte avec ces décors fastueux, ces fenêtres immenses, ces portes bine plus grandes que normales pour faire du palais de ce roi d'Espagne un palais hors-norme.

Dans ses précédents films allemands en costumes situés dans des monarchies imaginaires (La Princesse aux huîtres en est le meilleur exemple), il avait inventé ces palais majestueux. Difficile de savoir pourquoi il a été choisi pour Mary Pickford de faire se situer l'action dans une Espagne réinventée. Elle est Rosita une petite chanteuse de rue qui prend un malin plaisir à se moquer du souverain avec des chansons qui décrivent sa vie dépravée : il a beaucoup de femmes et délaisse la reine. Cela vient aux oreilles du roi.

Plus qu'une chanteuse avec une tenue de gitane, Rosita vit avec sa famille dans un taudis. Et sa famille est quelque chose. Ernst Lubitsch prend du plaisir à montrer ses parents franchement vulgaire et les petits frères et sœurs de Rosita se disputer, faire des grands gestes, préparer des petites arnaques. La famille est heureuse cela dit, elle vit sans soucis si ce n'est que la peur de la répression chansons de Rosita ne vienne perturber cette tranquillité. Mais Rosita est populaire, les petites gens l'adorent.

Le Roi (Holbrook Blinn, il a la tête de Sacha Guitry) vient voir cela en personne. Incognito, habilement masqué. Lui aussi menait une vie tranquille dans son grand palais. Il observe les jeunes femmes qui jouent au cerceau dans le jardin royal. Quand elles lancent par erreur un cercle à l'intérieur du palais et que ce cerceau se dépose sur le cou du roi, le roi rit. Il les sermonne avec un petit mouvement du doigt, il n'ira pas plus loin. Le roi revient à ses affaires, c'est-à-dire des futilités. Il joue aux cartes au lieu d'écouter le premier ministre.

Il faut dire que son ministre arrive avec de la paperasse. Des trucs à signer. Oh rien de bien passionnant. Ce sont les condamnations à mort. Il préfère faire autre chose et revient à ses loisirs. Pendant les premières minutes de Rosita, Ernst Lubitsch consacre tout le récit à ce roi qui passe de l'oisiveté à la mort. Cela pourrait passer pour de l'humour noir mais cela indique surtout le pouvoir suprême que le souverain a. Cela va servir plus tard quand un soupirant est amoureux de Rosita et qu'il veut l'éliminer. Physiquement.

Le film joue ainsi sur les deux tableaux. La richesse extrême et la misère, la solitude du pouvoir et la foule enchantée autour de Rosita, les amours impossibles et les amours forcées, la liberté et la censure. Un prélat force la Reine délaissée (Irene Rich) à censurer les chansons. Pour élargir le champ de sa comédie, il inverse les valeurs, parfois avec un peu de difficulté et de lenteur. Ernst Lubitsch est un peu mal à l'aise avec la matière première (le folklore espagnol), il se reprend dans les dernières minutes avec l'établissement d'un redoutable suspense.

Le plus bel inversement est dû à la famille encombrante de Rosita. La chanteuse est parvenue à se faire offrir une résidence luxueuse par le roi (elle a su l'entourlouper). Toute la famille s'installe là et organise la vie sans rien changer des anciennes habitudes. Au milieu des grands décors, la grosse maman continue d'étendre les vieilles chaussettes sur un fil, ce qui ne manque pas d'étonner les laquais. Le cinéaste insiste, ce n'est pas eux qui sont vulgaires, ils sont « nature », seul le roi qui abuse de Rosita est vulgaire.

Ce suspense évoqué plus haut concerne la mort programmée par le roi à l'encontre de l'homme qu'aime Rosita et réciproquement. Diego (George Walsh) est un noble, un colonel de l'armée royale qui tue le soldat venu arrêter Rosita. Il est condamné à mort. Certes, là le scénario va à l'extrême du romanesque sans qu'on sente le moindre besoin à cela. Rosita et Diego tombent trop vite amoureux, avec un simple regard. A moins que la jeune femme, redevable, ne s'amourache justement parce qu'il a pris sa défense.

Certes le genre, surtout au début des années 1920 fait rarement dans la finesse. Alors regardons la finesse dans Rosita. Les scènes de foule sont épatantes et dans cette ville espagnole où le carnaval a lieu, les citadins sont tous dans la rue, ils sont déguisés, ils dansent. Des lampions sont allumés et grâce à un coloriage tout simple, le temps de quelques minutes, le noir et blanc de l'image se teint de lumière. Ça n'est pas grand chose mais compte tenu de la relative déception du film, j'ai trouvé cet effet très joli et poétique.






































samedi 21 novembre 2020

L'Eventail de Lady Windermere (Ernst Lubitsch, 1925)

Le schéma est classique, le mari, la femme et l’amant. Lady Windermere (May cAvoy) occupe sa matinée à placer ses invités pour la soirée mondaine que ces aristocrates organisent. On a les occupations qu’on peut. Elle se demande où placer Lord Darlington (Ronald Colman), cet homme qui aimerait tant devenir son amant. Quand il arrive dans la pièce, Lady range rapidement le plan de table, elle n’ose pas rêver à cette idée qui lui a traversé l’esprit.

Or ce schéma d’adultère est inopérant car Lady Windermere ne trompe pas son mari avec Lord Darlington, pourtant ce dernier insiste. En un plan, Ernst Lubitsch met par terre l’éventuelle liaison, elle se refuse à lui, plan d’ensemble sur l’immense pièce surdimensionnée, Lord Darlington s’éloigne, abasourdi par le refus, il s’assoit un peu plus loin. C’est dans ces détails de distanciation que Lubitsch dépasse la pièce bavarde et statique d’Oscar Wilde.

Alors, passons à la liaison potentielle suivante. Encore un objet à cacher, le carnet de chèques de Lord Windermere (Bert Lytell). Il a fait un chèque de 1500 £ à une certaine Mrs. Erlynne (Irene Rich) – au départ, il était parti pour seulement 500 £ – une femme à la réputation scandaleuse qui a écrit au Lord. Elle a un secret à révéler et à monnayer : elle est la mère de Lady Windermere mais pour ne pas accabler sa fille, elle s’est faite passer pour morte.

Or l’enveloppe n’est pas passée inaperçue aux yeux de Lord Darlington. Avec un léger sourire en coin, il imagine que cette femme est la maîtresse de Lord Windermere. Ce qui l’encourage à poursuivre de ses assiduités Lady Windermere. Plus tard il demandera à cette femme qu’il aime d’aller fouiller dans le bureau de son époux. Elle aussi croira à cette liaison qui, pas plus que la sienne, n’existe en dehors de la propre invention des personnages.

Mrs. Erlynne veut refaire sa vie grâce à l’argent du Lord. Plus que jamais, les tenues, vêtements, robes de soirée sont au centre de la mise en scène d’Ernst Lubitsch. Mieux que cela, ils servent à Mrs. Erlynne à se mettre en scène lors d’une course de chevaux où tous les mondains sont présents. Elle se place au centre de toutes les attentions, d’abord au milieu des hommes qui se retournent sur son passage puis bien isolée pour que les cancanières puissent l’observer à la jumelle.

Ce à quoi la femme prodigue ne s’attendait pas est qu’un homme, plutôt âgé comme elle, Lord Augustus (Edward Martindel) jette son dévolu sur elle. Là encore la mise en place de la méthode d’approche est des plus simples. Le fringant Lord à la belle moustache grise la suit de loin. Ils passent devant le mur de l’hippodrome (rempli d’affiches publicitaires) et tandis qu’il marchent, l’écran se ferme à partir de la droite, l’écran devient noir comme la nuit.

Chaque personnage cache quelque chose à un autre. Seul le spectateur sait tout, il est dans une position magistrale permettant de se prendre de sympathie pour les deux femmes du film. Tout pourrait se résoudre facilement avec une simple explication, leur classe sociale et leur éducation rigoriste, la pudibonderie dans laquelle ils évoluent leur interdit. La pièce date de 1892 (l’année de naissance d’Ernst Lubitsch) et cet archaïsme est parfois un peu pesant.

Alors Ernst Lubitsch s’amuse avec les secrets, en invente quelques uns à double tranchant, toujours en cachant une partie de l’image. Ainsi Lady Windermere observe Mrs. Erlynne tenant la main d’un homme, l’homme est caché par un arbuste. Elle pense que cette main est celle de son mari. Dans la même séquence, Mrs. Erlynne voit la Lady derrière un mur, encore un cache, donc un nouveau secret à cacher aux autres personnages et à dévoiler au spectateur.

Mrs. Erlynne tient à être invitée à la soirée donnée par sa fille, en secret, mais bien là, accompagnée par Lord Augustus. Les cancanières sont là, trois mégères qu’Ernst Lubitsch croque comme des esquisses de vieilles biques mesquines qui distillent leur poison pour créer encore plus de troubles chez Lady Windermere. Elles sont des figures comiques avec leurs dents pourries – comme leurs paroles – d’autant plus comiques qu’elles sont ridicules dans leurs robes de soirée clinquantes, Mrs. Erlynne saura les flatter pour faire cesser les ragots.

Je n’ai pas encore parlé de l’éventail du titre. Il est l’objet fétiche de Lady Windermere. Il doit lui servir d’arme pour humilier Mrs. Erlynne si elle ose venir à sa soirée mondaine. L’éventail se retourne contre sa propriétaire au moment le plus tendu où tous les secrets accumulés menacent d’exploser aux visages de chacun. Seul le spectateur, pour son plus grand plaisir, saura le fin mot de toute cette comédie des mensonges et secrets qui verse régulièrement vers le drame.