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mercredi 13 janvier 2021

Quarante tueurs (Samuel Fuller, 1957)

Rien n'est plus idéal que le Cinemascope pour enfermer dans un même plan quarante cavaliers précédés par une femme habillée en costume noir sur un cheval blanc. Jessica Drummond (Barbara Stanwick) les mène comme une meneuse de revue, ils traversent de gauche à droite la colline d'où ils viennent. Sur leur chemin, dans la poussière, le vacarme et la fureur, ils dépassent trois hommes sur une calèche, les frères Bonnell, le plus âgé, un peu le chef de bande est Griff (Barry Sullivan), le deuxième est Wes (Gene Barry) et le dernier est Chico (Robert Dix).

On connaît le nom des trois frangins, contrairement à la bande des 40 tueurs de Jessica, c'est un groupe à part entière qui fonctionne comme un seul membre. Ils s'amusent à détruire la petite ville de Cochise dans la panique générale de ses habitants impuissants. Samuel Fuller ne les sépare pas, ne prend pas la peine de créer des personnages à part entière. Sauf un, un certain Brockie (John Ericson), le petit frère de Jessica Drummond. Il sera le seul à se démarquer et quelle manière, il est d'une grande violence, une violence aveugle qui effraie tout le monde.

Les Bonnell tout sales, pour le moment, prennent un bain mérité sous les notes d'un guitariste et chanteur. Il conte la ballade de Jessica Drummond, la femme au fouet qui monte son cheval. C'est l'un des rares moments calme de Forty guns. Il faut aussi préciser que c'est l'une des rares femmes du film, l'autre femme est Louvenie Spanger (Eve Brent), la fille de l'armurier dont va tomber amoureux Wes. Griff va se découvrir une passion pour Jessica, avant même probablement de la rencontrer. Mais lui est la loi, elle est le désordre.

Parlons pour commencer de Louvenie et Wes. Samuel Fuller s'amuse avec les revolvers et leur connotation sexuelle évidente et voulue (il en parle très bien dans sa superbe autobiographie Un troisième visage). Difficile de ne pas trouve irrésistible ces plans où Wes observe sa belle par le canon quand elle fait un fusil sur mesure (ça existe) et dans cette scène d'intimité où ils roucoulent, Samuel Fuller a placé des ombres de fusil, elles se projettent sur les visages des deux amoureux puisque filmer la nuit d'amour est impossible.

Griff, contrairement à son frère, n'utilise pas d'ames depuis plus d'une décennie (c'est expliqué pourquoi dans le film). Il affronte Brockie d'une autre manière, dans un duel au beau milieu de la rue principale de Cochise. Les deux hommes sont filmés de plein pied, Brockie ne bouge pas, il attend de dégainer (encore une histoire d'éjaculation précoce) alors que Griff avance lentement. Soudain, le cadre change, ce sont ses yeux qui occupent tout l'écran, la scène semble ne pas finir. Au lieu de tirer, il assomme le gamin qui s'écroule.

Cette séquence de duel est très découpée, variant les cadres, Samuel Fuller filme plusieurs fois cette rue. Il se dépasse avec deux très longs travellings à une demi-heure de distance. Pour le premier travelling, le cinéaste affirme qu'il était le plus long du monde (avant d'être remplacé par celui de Week-end de Godard). Griff et ses frères traversent toute la rue, ils discutent, il s'arrêtent un moment et dans un mouvement d'appareil abrupt il filme toute la bande de Jessica vient de l'autre côté laissant un grand nuage de poussière.

Certains travellings sont plus courts, avec une touche humoristique étonnante, comme celui dans la demeure des Drummond, une villa de style colonial avec des colonnes. Griff est venu arrêter Brockie. Il a un mandat à faire passer à Jessica. Elle préside le dîner au bout de la table. Griff est à l'opposé dans cette grande pièce, debout devant la porte ouverte. Le mandat passe de main en main des tueurs attablés, la caméra suit le mouvement. On a l'impression de voir une bande de gamins donner leur carnet de notes à leur maman.

Venu récupérer un prisonnier, Griff ne pensait pas rester aussi longtemps à Cochise, mais c'est ce temps qu'il faut pour que notre homme puisse conquérir le cœur de Jessica Drummond. Après la scène décrite au-dessus, Griff et Jessica se trouvent seuls dans la salle à manger. Ils puvent enfin discuter. Leur intimité sera plus féconde après une scène de pure action (un ouragan les menace, Jessica tombe de son cheval, le pied accroché à l'étrier), ils se réfugient dans une cabane. Tête-bêche, ils se cajolent et se consolent de leur drôle de sort.

L'ennemi de Griff n'est pas Jessica. C'est son petit frère Brockie qui tend un piège pour l'abattre dans une scène particulièrement bien découpée avec des plans en plongée et contre-plongée. C'est admirable. Comme tous les lâches, Brockie joue son dernier atout dans cette rue, décidemment le lieu central du film. Brockie venait de tuer Wes le jour de son mariage avec Louvenie. Brockie provoque la stupéfaction. Il est temps pour le duel final et supprimer cet alcoolique violent. Sans doute même Jessica le veut.

Il prend en otage sa mère, il connaît la romance qui la lie à Griff, il pense qu'il ne va pas tirer. Griff tire, mais sur Jessica, elle s'effondre, schéma classique, Griff peut alors tirer sur Brockie qu'il tue d'un seul coup. Jessica n'est que blessée. La mission de Griff est terminée, Chico devient le shérif de Cochise. Griff part en calèche. Jessica qui menait sa bande 40 tueurs en début de film court maintenant derrière la calèche de l'homme de sa vie. Elle ne porte plus un costume noir d'homme mais une robe blanche.














































lundi 10 décembre 2018

Les Maraudeurs attaquent (Samuel Fuller, 1962)

18 ans avant The Big Red One, Samuel Fuller filmait le même sujet, avec un récit quasi identique et situé également en 1942 dans Les Maraudeurs attaquent. En revanche, il change de continent, il se déplace en Asie dans la jungle birmane alors colonie britannique mais occupée par l'armée japonaise. Le vaillant colonel Merrill (Jeff Chandler) doit mener cette longue marche, il doit mener 3000 soldats pour reprendre une position essentielle pour libérer le Birmanie.

L'histoire est inspirée de faits réels mais, comme il l'a écrit, ce sont les souvenirs de guerre que Samuel Fuller raconte dans ce film, de manière détournée avant qu'il ne puisse enfin tourner sa propre histoire. Ce sont encore une fois les détails qui comptent dans la description de la vie de quelques soldats de cette troupe de 3000 soldats, déjà, il se concentre sur une poignée d'hommes aux caractères et origines différents.

Merrill peut compter sur la force et le charisme du lieutenant Stockton (Ty Hardin) que tout le monde appelle tout simplement Stock. Ce qui ne plaît pas forcément à la hiérarchie qui aime qu'on respecte la hiérarchie et le protocole, mais Stock aime que les hommes l'appellent ainsi. Stock traite son supérieur comme son égal, comme le laisse entendre les dialogues, ils sont complices comme peuvent parfois l'être un père et son fils.

Ce qui frappe dans cette escouade en mouvement est l'apparente décontraction des hommes. Pour ces rôles de durs à cuire, Samuel Fuller a choisi de gars bien bâtis (pas comme ces blancs-becs dans The Big Red One). Les chemises ouvertes (là encore en contradiction avec la tenue stricte exigée par les hauts gradés) laissent apparaître la sueur sur leur peau, la sueur est l'élément réaliste du film de guerre chez Samuel Fuller.

Tourné sous la censure langagière en cours à Hollywood en ce début des années 1960, Les Maraudeurs attaquent aurait pu être l'un des films les plus crus sur la guerre. On sent que chaque soldat, ce Stock mais aussi le dénommé Bullseye (Peter Brown) se retiennent pour ne pas sortir des « fuck » à chaque phrase. Mais les tenues débraillées, les barbes d'une semaine et la sueur sont là pour indiquer la fatigue et la haine de la guerre.

Un film d'hommes avec aucun rôle féminin à l'exception d'une séquence de repos dans un village birman, filmé exactement comme Samuel Fuller le fera dans The Big Red One, une rencontre sereine et reposante avec les habitants, la découverte (fugace certes) de leur vie quotidienne et un repas pris en tout simplicité. Cela se sent que Samuel Fuller est à l'aise dans ce rythme narratif et qu'il le développera 18 ans plus tard.

L'humour est distillé avec parcimonie, il est développé avec ce soldat portant un chapeau de paille. Ce sympathique barbu est accompagnée d'une jument qui, elle aussi, porte un chapeau, seules ses oreilles transpercent le couvre-chef. Tandis que les hommes s'enfoncent dans la jungle, que la fatigue les assaille, la jument devient le réceptacle de l'émotion quand elle manque de mourir lors de la traversée d'une falaise escarpée.


Restent donc les scènes de combat armé dans les marais poisseux ou dans ce bunker japonais qui ressemble à un inextricable labyrinthe, la plus belle métaphore de la folie de la guerre. C'est déjà une immersion dans l'armée américaine (les Japonais sont hors champ) qui dénonce l'inconséquence des hauts-gradés et donne une vision nuancée de l'héroïsme, Claude Akins, l'homme de troupe qui doit remettre les ordres à Merrill, annonce les mauvaises nouvelles à Stock, est le symbole de cette guerre contre l'héroïsme.