mercredi 29 juillet 2020

Les Fantômes de Goya (Milos Forman, 2006)

Dans les premières minutes du Fantôme de la liberté, Luis Buñuel filmait des tableaux de Goya. Jean-Claude Carrière a dû s'en souvenir pour Les Fantômes de Goya – les deux titres de film à 32 ans de distance se répondent. Le casting des Fantômes de Goya est très hétéroclite, c'est comme Amadeus et Valmont un film tourné en anglais avec cette fois des acteurs qui viennent de partout. Goya est incarné par le suédois Stellan Skasgard qui s'est fait pour l'occasion des bouclettes aux cheveux.

Goya est jovial souvent souriant, l'acteur joue ainsi le peintre espagnol avec une certaine distance d'autant plus visible que cette insouciance affichée contraste avec le comité de l'inquisition, dirigée par le père Gregorio (Michael Lonsdale), une inquisition espagnole qui vit ses derniers soubresauts. Le film commence en 1792 et les prélats considèrent les gravures de Goya avec gravité : elles les dégoûtent parce qu'elles montrent la vie telle qu'elle est. Frère Lorenzo (Javier Bardem) qui l'explique à ses pairs avec une certaine condescendance.

Pour compléter ce trio (un peintre joyeux, un prélat qui juge sévèrement, un moine au regard faux), il faut une femme. Natalie Portman prête sa juvénilité à cette fille de la bonne bourgeoisie sans histoire. Elle est Inès, l'une des modèles de Goya et le portrait qu'il a fait d'elle accroche l’œil du frère Lorenzo, lui aussi avide d'avoir un portrait du peintre officiel de la cour. La scène suivante, Goya peint, avec sarcasme la reine d'Espagne, dans une séquence qui démontre la liberté du peintre comme sa dépendance des commandes des grands d'Espagne.

Il est assez évident que le regard concupiscent de Lorenzo devant le portrait de la jeune femme explique sa soudaine envie de détruire cette beauté. Il lance ses frères de l'inquisition à l'assaut et sous un prétexte fallacieux, Inès se retrouve prisonnière, torturée et à la merci du moine. Milos Forman n'y va pas de main morte avec le « cas » Inès, il n'épargne pas les tortures pour montrer l'absurdité de la Question, son caractère irrationnel mais surtout l'hypocrisie des religieux. Là, le contrat est remplie.

Le plus hypocrite de tous est Lorenzo qui profite de sa position pour augmenter son pouvoir. Il viole Inès en lui faisant croire qu'il devient son protecteur, il vole son père avec une rançon qu'il fait passer pour un don à l'inquisition. Le père d'Inès, dans une scène de repas, lui montrera, preuves à l'appui, qu'on fait avouer n'importe quoi à n'importe qui sous la torture Lorenzo confesse ainsi qu'il est un singe, ce qui lui vaudra d'être exclu, exilé par le père Gregorio, mais Inès reste croupir dans les sous-sol sordides de la prison.

Le film est scindé en deux parties. Le deuxième a lieu 15 ans après, tout a changé puisque Napoléon a « libéré » l'Espagne, installé son frère sur le trône et vanté les vertus de la Révolution. Parmi les généraux de Napoléon, Lorenzo a trouvé sa place. Il a troqué sa bure de moine pour un uniforme de l'armée française. Il a refait sa vie, s'est marié à une Française, a eu des enfants mais il est resté la même salaud d'avant. Il est bien décidé à se venger. Sa première décision est de déchoir le père Gregorio et ses anciens pairs de l'inquisition.

Depuis 15 ans, Inès est dans cette prison. Amnistiée, elle traîne sa folie dans les rues de Madrid. Elle a changé, elle est devenue une loque, les tortures l'ont rendu difforme. Elle cherche sa fille, celle qui est née du viol de Lorenzo. Goya, devenu sourd et pauvre, va l'aider dans cette tâche. Naïf, il demande de l'aide à Lorenzo, incapable de comprendre que le nouveau général est un hypocrite. Surtout Lorenzo va tout faire pour se débarrasser de cette fille, que joue Natalie Portman, pour ne pas se compromettre.

La deuxième moitié du film est une enquête bancale sur la recherche de cette fille devenue une prostituée. Jean-Claude Carrière et Milos Forman jouent sur les quiproquos dramatiques avec Lorenzo qui ne cesse de mentir, Goya plein de candeur et cette jeune femme qui fuit celui qui veut l'aider. Le dernier film de Milos Forman n'est pas le meilleur, loin de là, il appuie avec de gros sabots sur l'injustice (c'est facile), sur les ravages de la religion (là aussi c'est facile), sur l'hypocrisie des hommes de pouvoir (encore une fois c'est facile).






































lundi 27 juillet 2020

Ip Man 4, le dernier combat (Wilson Yip, 2019)

Par quoi commencer si ce n'est par le plaisir jamais éteint d'entendre du cantonais dans une salle de cinéma. C'est que ça ne court pas les rues les films de Hong Kong parlé en cantonais, même Tsui Hark fait parler mandarin pour aller sur le marché chinois. Les premières conversations sont entre Ip Man (Donnie Yen), son vieil ami Bob (Kent Cheng) et son fils Ching (Ye He). Pas une discussion, une dispute sur l'avenir du rejeton, féru de kung-fu mais que le paternel veut envoyer à San Francisco pour faire ses études.

Le maître des arts martiaux a appris qu'il est condamné, il a un cancer de la gorge, son médecin lui conseille d'arrêter de fumer. Ce qu'il fera est de prendre les devants, avec toujours ce grand calme qui caractérise Ip Man et que Donnie Yen, que j'ai longtemps pris pour un acteur inexpressif, sait parfaitement rendre à l'écran. Voilà la raison pour laquelle Ip Man se rend en Californie en 1964. le film commence d'ailleurs là-bas lors d'un gala de Bruce Lee (Danny Chan) où le jeune comédien montre la valeur de son kung-fu.

Puis le film entame un court flash-back avec l'arrivé comme un chien dans un jeu de quilles d'un certain Billy (Simon Shiyamba) dans l'école de kung-fu de Hong Kong. Lui, ce gigantesque Noir ne parle qu'anglais, les élèves de Ip Man que cantonais. Ils manquent de se castagner. Billy vient tout simplement remettre au sifu une invitation lancée par son ancien disciple (il faut regarder les précédents films Ip Man pour voir quels sont les relations réelles ou fantasmées entre Ip Man et Bruce Lee). Pas de baston, mais un refus poli du maître d'aller aux USA.

Et pourtant, il s'y rend, le début du film en fait foi. Son intention est avant tout d'avoir une lettre de recommandation du directeur du Cercle Chinois de Californie, le maître Wan (Wu Yue). L'accueil est glacial. Ip Man entre dans la pièce où sont assis tous les maîtres d'arts martiaux, de différentes écoles, autour d'une table ronde. Personne ne parle à Ip Man, puis les reproches fusent : Ip soutient Bruce Lee qui veut diffuser le kung-fu en Occident. Pour Wan et ses pairs, c'est une trahison. On remarquera que Wan parle mandarin, la langue de Pékin.

Puis il faut continuer par des combats d'arts martiaux, avec ce cher vieux Yuen Woo-ping pour régler les chorégraphies. La première confrontation entre Ip Man et Wan est plus visuelle que physique, avec une table en verre qui tourne et chaque adversaire pousse de sa main jusqu'à ce qu'elle se brise. Donnie Yen et Wu Yue ne seront pas les seuls à se battre dans Ip Man 4 le dernier combat, au contraire, la relève est là, Danny Chan un peu, Van Ness dans un personnage de soldat de la marine puis tous les maîtres.

Dans cette Californie de 1964, les racistes sont les adversaires. À commencer par un certain Colin (Chris Collins) qui affirme que le kung-fu ne vaut pas son karaté (il brise des moellons avec sa main), puis le commandant de la marine Geddes (Scott Adkins), il commet l'outrage de brûler le mannequin pour l'entraînement apporté par Van Ness pour initier au kung-fu ses collègues de l'armée. On discerne, sans finesse, une allusion aux croix enflammées par le Ku Klux Klan pour effrayer les Noirs.

Enfin, toujours avec de gros sabots, c'est la jeune fille de Wan, Yonah (Wanda Lee), lycéenne et seule asiatique dans cet établissement qui est la victime de la jalousie d'une de ses camarades de classe. Elle vient d'être désignée capitaine de l'équipe de pom-pom girls mais l'autre jeune fille l'agresse. Elle se plaint chez elle d'avoir été agressée par Yonah. Grosse coïncidence (le scénario est bien fait), le père de l'affreuse jalouse bosse au service d'immigration et va aller se venger (autre coïncidence, le Billy du début est son collègue).

Pour terminer, je dirais qu'il y a des choses plaisantes et bien conçues dans Ip Man 4 le dernier combat, un peu toujours les mêmes choses, les combats et les décors. Wilson Yip n'a pas tourné son meilleur film (ni le pire non plus, dans mon souvenir Ip Man 2 était bien plus raté), mais ce qui ne gêne le plus reste les facilités scénaristiques et la lourdeur pour dénoncer les racismes. J'aurais aimé un tantinet de subtilité. Qu'on se rassure, les Chinois – cantonais comme mandarins – vont s'unir pour donner une bonne leçon à ces affreux jojos qui les ont humiliés.

samedi 25 juillet 2020

La Folie des grandeurs (Gérard Oury, 1971)

Une exposition sur Louis de Funès devait commencer le 1er avril mais Covid19 oblige, elle a été reportée au 15 juillet. J'imagine que l'on peut voir les costumes que l'acteur portait dans ses films en costumes justement et ses films d'époque. Son képi du Gendarme de Saint-Tropez, sa parure de paon de L'Avare mais aussi ceux de La Folie des grandeurs dont la couleur, la plupart du film, est verte, sans doute pour reprendre la phrase de William Shakespeare dans Othello sur la jalousie de ce monstre aux yeux verts. Ici, le symbole du pouvoir sont deux pompons verts qui ballottent au gré des mouvements de la tête de Louis de Funès.

Don Salluste, tel est le nom de ce Grand d'Espagne qui traverse la campagne aride sur son carrosse tiré par une demi-douzaine de chevaux et entouré par des hommes de garde. Don Salluste va collecter les impôts. À l'arrière du carrosse le fidèle Blaze (Yves Montand). Blaze le valet voit tout. Il anticipe tout. Ainsi, quand il arrive dans le village pour les impôts, Blaze fait comprendre au villageois qui pourront récupérer leur en or. Don Salluste penser dominer la situation, il pensait être aimé. Avec ses pompons et ses gants verts, il va se retrouver cul par terre parce que Blaze a scié le siège, de faussement acclamé, il se retrouve chassé par les paysans armés de fourches.

Après cette mésaventure de la collecte des impôts, Don Salluste se fait bichonner par son valet. C'est la célèbre scène du bain, Louis de Funès tout nu dans un baquet et Yves Montand qui lui nettoie les oreilles avec son mouchoir de part en part. Puis cette célèbre réplique « flattez-moi ». « Monsieur est beau », lui répondra le laquais. Le seigneur n'en croit pas ses oreilles, il doit aller vérifier dans un miroir, le flatteur est flatté, même s'il n'y croit guère. Il n'aime que l'argent, la seules chose concrète dont il aime entendre le son « il est l'or, l'or de se lever, monsignor »... « Il en manque une », affirme-t-il dans sa grande cupidité.

Personne n'aime Don Salluste. Ni la reine (Karin Schubert), ni les autres Grands d'Espagne. Il fomentent un complot ces Grands d'Espagne, ceux-là qui sont réellement de très grande taille. Au milieu du cadre de La Folie des grandeurs, Louis de Funès apparaît riquiqui à côté des autres acteurs dont Venantino Venantini. Puis, c'est la Reine d'Espagne avec son accent allemand qui accuse Don Salluste d'avoir engrossé une bonne. Ridicule dans son accoutrement qu'il n'a pas eu le temps d'enfiler, le pantalon glisse, la fraise à peine fixé, il a bien du mal à se défendre. C'est le bannissement. Au tour de Don Salluste de fomenter son complot.

S'il ne peut pas épouser l'Infante (« mochet »), s'il ne peut pas accéder au pouvoir, alors César pourra. César ce neveu de Salluste est un brigand qu'il faut le retrouver pour l'expédier aux Barbaresques puis le remplacer tout simplement par le fidèle Blaze. Voici donc à ce stade du film deux complots qui vont s'entrechoquer, deux complot ourdis par deux clans différents avec chaque fois des rebondissements afin de créer toute une panoplie de quiproquos. Et dans cette complexité, il y a un élément qui va jouer à la faveur de Don Salluste. Blaze ce simple serviteur est tombé amoureux de la reine.

Sauf que la reine comme le dit sa suivante, la stricte Dona Juana (Alice Sapritch) n'a pas le droit de se voir offrir des myosotis, la reine n'a pas le droit d'écouter des chansons sur le balcon. Ainsi quand les Grands envoient une bombe sur le roi d'Espagne, Blaze jouant César sauve la situation. Et au creux de l'épée de ce faux César, Don Salluste a bien pensé à ajouter un bouquet de myosotis. La reine comprend immédiatement que cet homme est celui qui lui a fait la cour dans le jardin sous le balcon. Immédiatement elle tombe amoureuse de lui. Blaze remplace son ancien maître à la collecte des impôts et se met à dos les Grands qui doivent y contribuer.

« Encore un complot, cette fois ils veulent tuer Blaze, il faut absolument que je le prévienne, sinon c'est mon complot à moi qui s'effondre ». Dans cette magnifique réplique envoyée par Louis de Funès, Don Salluste tente de faire le point sur le complot pour déjouer le complot qui doit donc déjouer le premier complot. Il pousse jusqu'à l'absurde la situation. En fin de film, il dira « j'ai un petit plan pour tous nous évader, nous rentrons à Madrid, nous conspirons, le roi répudie la reine, la vieille épouse le perroquet, César devient roi, je l'épouse et me voilà reine ». Chacun se retrouve à la place de l'autre dans un échange des personnalités des rôles et des rangs ce qui permet à Louis de Funès de se déguiser successivement en vieille femme, en valet, en moine lors de la procession religieuse.

Dans chacun des films de Gérard Oury joué par Louis de Funès, il incarne toujours un personnage englué dans son délire de troubles de la personnalité dans Le Corniaud l'escroc fera tous les métiers, dans La Grande vadrouille le chef d'orchestre va se travestir à plusieurs fois et l'année suivante dans Les Aventures de Rabbi Jacob Pivert deviendra rabin. Cette folie des grandeurs le pousse à devenir le gendre du roi et de la reine mais évidemment tout se solde par un échec lamentable qui le conduira aux barbaresques où il retrouvera les autres Grands d'Espagne et mais aussi Blaze, qui était pourtant parvenu à présenter au roi, venu vérifier si la reine le trompait avec César (le dernier complot de Don Salluste) et feignant d'avoir un rendez-vous galant avec Dona Juana.


J'aime beaucoup ce personnage d'Alice Sapritch. L'actrice a finalement que peu de rôle au cinéma. Elle apparaît d'abord dans La Folie des grandeurs comment un personnage hautain et reigide (le menton en l'air), elle ordonne à la reine de respecter le protocole à la lettre une personne extrêmement rigide. Dans le jeu de colin-maillard, les suivantes de la reine l'écartent de la reine. Mais elle est persuadée que le Don César qu'incarne Blaze est amoureux d'elle, elle se trompe bien sûr, elle se trompe d'autant plus que ce n'est pas César dont elle embrasse les mains mais un gros mâtin. Le morceau de bravoure est cette dans l'auberge. Dona Juana débarque dans la chambre de Blaze et entame un strip-tease. C'est l'une des plus délirante du cinéma français.