vendredi 31 mars 2017

J'ai aussi regardé ces films en mars

Sage femme (Martin Provost, 2017)
Quand une Catherine rencontre une autre Catherine, qu'est-ce qu'elles imaginent, des histoires de Catherine. Ainsi, encore une fois, on offre à Deneuve un personnage vaguement borderline, qui fume, qui boit un peu, un personnage déjà vu dans Dans la cour et Elle s'en va. Frot est dans son rôle de femme solitaire et droite dans ses bottes. La première attend la mort, l'autre donne naissance, l'une est frivole, l'autre est sage. Ces oppositions conçues comme le squelette scénaristique sont à peine dérangées par les personnages secondaires, mais c'est un plaisir de revoir Quentin Dolmaire, vivement que quelqu'un lui donne un vrai rôle.

Paris pieds nus (Fiona Gordon & Dominique Abel, 2016)
A 60 ans bien tassés, Abel et Gordon continuent de jouer les jouvenceaux avec leur burlesque qui brille toujours par son manque de précision. Cela se décèle notamment dans les deux scènes de danse, la première sur une péniche au son qui fait soulever les clients du restaurant, la seconde avec Pierre Richard et Emmanuelle Riva (dont c'était le dernier film) qui remuent des pieds filmés en gros plan au ras du sol, c'est de la poétique du pauvre, d'ailleurs Dom joue un SDF et Fiona perd tout son fric dans la Seine. Ce qui frappe dans ce burlesque vieillot c'est justement qu'il ressemble à celui du muet quand le son semblait aussi absent pour les personnages qui n'entendaient jamais arriver personne, d'où des gags qui ne semblent jamais finir et des quiproquos poussifs (voir le tour de la statue de la Liberté).

Chacun sa vie (Claude Lelouch, 2017)
La nouveauté de ce dernier film de ce cher Claude Lelouch est l'arrivée de personnages gays et lesbiens. Pas de quoi pavoiser ou sauter au plafond, rien ne vole haut dans Chacun sa vie et après un joli Un + une, j'ai l'impression que le cinéaste s'ennuie terriblement à tricoter ses habituels fils de récit dans la ville de Baune. Le film marque le retour de Béatrice Dalle 25 ans après La Belle histoire. A signaler l'épatante performance de Johnny Hallyday (le seul qui s'amuse et qui fasse rire) et celle de Philippe Lellouche qui est obliger d'aller sucer un flic tandis que sa compagne Vanessa Demouy s'occupe de l'autre. Vous voyez le niveau !

jeudi 30 mars 2017

L'Hirondelle d'or (King Hu, 1966)

Troisième et dernier film tourné pour la Show Brothers par King Hu, L’Hirondelle d’or ne reprend pas son titre anglais (viens boire avec moi) ni son titre chinois (le chevalier errant ivre). La « suite » tournée par Chang Cheh en 1968 s’appellera Golden swallow (en chinois aussi) et sortira en France sous le titre Le Retour de l’Hirondelle d’or. Tout cela pour dire que le personnage de Cheng Pei-pei, celui de l’héroïne, est à égalité avec celui de Yueh Hua qui interprète Chat Ivre, Fan Ta-pei, le mendiant amateur de vin. Les deux personnages sont en totale opposition, elle est d’un calme hiératique. Elle refuse d’entendre le moindre conseil et s’en va poursuivre sa mission, délivrer son frère pris en otage. Elle est présentée d’abord comme un homme, dès son arrivée dans l’auberge. Elle porte l’habit traditionnel, aux couleurs ternes, qui indique sa volonté de se faire passer pour un homme. Il sera épargné au spectateur une romance entre Chat Ivre et Hirondelle d’Or, leur rapport se limitera à combattre les méchants.

Ce qui frappe en tout premier lieu dans L’Hirondelle d’or, c’est l’absence de clinquant dans les décors. Dans The Story of Sue San, King Hu avait dû composer avec un décor kitsch propre aux films de la Shaw Brothers et à l’opéra chinois. Ici, la sobriété est mise en avant. L’auberge dans laquelle débute le film (après l’enlèvement du fils du gouverneur en pleine nature) est modeste, provinciale. On n’en verra que l’intérieur, vaste et meuble de manière fonctionnelle. Des tables en bois, des bancs, des balcons. Le marron est la couleur prédominante. Les clients se confondent avec les meubles d’ailleurs. La lumière est elle aussi volontairement terne donnant un aspect plus réaliste que d’habitude. C’est en cela que King Hu modifie le wu xia pian (je ne parlerai pas de révolution) et le fait passer dans la modernité. Deux autres décors servent à l’action. Le temple dans lequel se sont réfugiés les kidnappeurs du fils du gouverneur. Temple classique pourvu d’une grande entrée et d’une vaste cour. Le contraste avec l’auberge se produit quand on découvre les brigands entassés, tels des animaux, autour d’une table pour manger ou se réunir. La caméra est fixe, éloignée des personnages, les jugeant. Les brigands ont également pris en otage les moines qu’ils obligent à suivre leurs ordres cruels et violents (un moinillon se fait exécuter sans vergogne par l’un d’eux).

Le dernier décor, encore plus sombre, est celui de Chat Ivre. Abrité dans une cabane brinquebalante, au bord d’une cascade en pleine forêt, le mendiant cache bien son jeu. On le découvre dans l’auberge, accompagné d’enfants qui forment sa tribu de mendiants. Il chante des chansons pour récolter quelques sous. Comme son nom l’indique, c’est un amateur de vin. C’est surtout un artiste martial et un homme de raison. Hirondelle d’Or est une femme de tête qui ne veut entendre aucun conseil, mais elle aura bien besoin de l’aide de Chat Ivre quand elle sera empoisonnée par une flèche. Il est temps de présenter le super méchant du film. Tigre au visage de Jade (Chen Hung-lieh) est le commanditaire de l’enlèvement. Il est habillé en blanc (la couleur de la mort), le visage peint. Son sourire sardoniques, ses yeux torves et ses tours pendables expriment une cruauté inégalée. Un méchant somme toute trop classique. La deuxième moitié du film est bien moins intéressante que la première. Chat Ivre affrontera son ennemi mortel, l’abbé Liao Kung (Yeung Chi-hing), personnage sorti un peu de n’importe où, provoquant une tournure scénaristique aussi abrupte que convenue. Les scènes de combat entre l’abbé et Chat Ivre sont d’une grande platitude.

L’attrait majeur de L’Hirondelle d’or est sa deuxième séquence, au bout de dix minutes de film, quand Hirondelle d’or entre en scène. Elle se déroule dans l’auberge. Un orage annonce l’action qui va se dérouler, vive et soudaine. La caméra dans un travelling de gauche à droite la suit de la porte à la table où elle s’installe, elle marche lentement, observant tous les autres clients. Tous les personnages s’observent, la bande de Tigre au visage de Jade l’a repérée. Un plan d’ensemble en plongée permet de comprendre où se trouve chaque personnage, ce que le découpage en champ – contrechamp ne faisait pas. Le bras droit de la bande (Lee Wang-chun) aborde Hirondelle d’or, dans un grand sourire, il lui demande qui elle est, ce qu’elle fait là. La musique de percussions démarre. L’affrontement commence avec un jeu de regards et se poursuit, tandis qu’elle dîne tranquillement, avec des objets qu’on lance à Hirondelle d’or (une jarre de vin, des pièces) qu’elle débine d’un geste habile de la main sans bouger le reste de son corps. Elle est seule, ils sont une douzaine. L’affrontement aux sabres se fait sur le son des percussions. Chaque geste est redoublé par un tambour. Quand elle se fait assaillir par les sabreurs, un plan large montre les brigands s’approcher d’elle, un plan serré la montre remuant son épée puis un troisième plan large, avec une musique frénétique, filme les brigands s’effondrer. Toute la mise en scène de King Hu est dans ces trois plans, un montage faussement champ-contrechamp qui rythme le combat. Cette séquence qui dure dix minutes est la vraie révolution du wu xia pian mais elle n’était sans doute pas du goût de la Shaw Brothers qui ont fait comprendre à King Hu qu’il ne ferait plus de films dans la compagnie.















mercredi 29 mars 2017

Seuls les anges ont des ailes (Howard Hawks, 1939)

Entre les femmes et les avions, Geoff Carter (Cary Grant) a choisi ces derniers. Il a fondé une compagnie aérienne au beau milieu d'une zone montagneuse dans l'Amérique du sud, Barranca Airlines. Ses missions consistent à délivrer le courrier, secourir les blessés isolés sur les sommets ou livrer des colis divers et variés. Sous ses ordres, une demi-douzaine de pilotes chevronnés et célibataires, tout comme Geoff, des durs à cuire et des dragueurs invétérés.

Un beau jour, un navire débarque à Barranca et du bateau sort la jeune et jolie Bonnie Lee (Jean Arthur). Dès qu'elle pose le pied sur la terre ferme, deux pilotes Les (Allyn Joslyn) et Joe (Noah Berry Jr) commencent à se disputer ses charmes. Elle n'en demandait pas tant. Mais parce qu'elle a quelques heures avant le départ du navire et que les deux gars lui ont promis un « steak américain », elle se laisse inviter au boui-boui tenu par Dutchy (Sig Rumman).

Le steak devra attendre car Joe se voit confier le courrier qui doit partir. Geoff lui en donne l'ordre quand bien même le temps est mauvais. Du haut de son nid d'aigle, éloigné de Barranca et assurant la liaison, Tex (Donald Barry) confirme l'orage qui gronde. Ce personnage isolé apportera quelques agréables moments de comédie notamment lorsque son âne prénommé Napoléon lui tient compagnie dans sa cabane et qu'il lui aura mangé sa ceinture. Mais pour l'instant, c'est l'heure pour Joe de piloter.

Les 40 premières minutes de Seuls les anges ont des ailes (soit les deux premières bobines) sont filmées par Howard Hawks presque en temps réel et permettent au cinéaste d'appuyer son récit de touches quasi documentaires sur la vie des pilotes. Il alterne les scènes de suspense (Joe va-t-il s'en sortir malgré le mauvais temps) avec des pauses comiques (Bonnie se met au piano, 15 personnes autour d'elle pour entonner et jouer une chanson joyeuse « Peanut vendor », Geoff assis au milieu crie « Peanut » comme le loup de Tex Avery).

Le caractère du chef de la Barranca Airlines est complexe. Il dédaigne largement Bonnie Lee en qui il ne voit qu'une aventurière prête à séduire ses deux pilotes. Elle décèle immédiatement que le cœur de Geoff a été brisé par une femme. A la mort de Joe dans un crash, Geoff continue de vivre comme si de rien n'était, attitude que ne comprend pas Bonnie. Cary Grant joue le bourru, une composition inhabituelle, avant de s'adoucir au contact de Bonnie Lee qui décide de ne pas reprendre son navire.

A la mort de Joe, un nouveau pilote est engagé, MacPherson (Richard Barthelmess), une vieille connaissance, détesté de tous pour avoir abandonner son mécanicien dans un avion en flammes. Geoff lui confie les vols les plus ingrats, rapatrier un malade, transporter de la nitro. Chaque vol est l'occasion pour Howard Hawks de créer du suspense et de la tension. Lui-même pilote, le cinéaste cherchait à mettre en scène avec le plus grand réalisme possible les vols.

MacPherson n'est pas arrivé seul à Barranca. Il est venu avec son épouse Judy (Rita Hayworth) qui ignore tout du passé de son mari (le film joue sur les deux noms de MacPherson, il a pris un pseudonyme). Or Judy a été cette femme qui a brisé le cœur de Geoff. Son arrivée avive la crainte de Bonnie de perdre Geoff dont elle s'est entiché, malgré son dédain, son mauvais caractère et ses mauvaises habitudes (le gag récurrent des allumettes que demande Geoff à tout bout de champ).

L'autre personnage important du film est Kid (Thomas Mitchell), bon gros gars simple mais sympathique. Kid n'aime pas MacPherson, comme tous les autres, mais surtout Kid a des problèmes de vue (superbe scène où Geoff teste ses yeux). Kid a un objet fétiche, une pièce de monnaie aux faces similaires (idéal pour gagner les paris) que Geoff utilisera pour déterminer son destin, choisir entre les avions et Bonnie. Elle ne va pas quitter Barranca et ce sacré ronchon au cœur d'or qu'est Geoff.
















mardi 28 mars 2017

De Palma (Noah Baumbach & Jake Paltrow, 2016)

Le film aurait pu s'appeler « Voyage à travers le cinéma de Brian De Palma », mais au lieu de cela il sera titré tout simplement De Palma, des lettres rouges capitales viennent de la droite du cadre D E P A L M A et enchaînent immédiatement avec un extrait de Vertigo d'Alfred Hitchcock, la scène où James Stewart est sur le toit et Brian De Palma qui raconte que ce film, qu'il vît en 1958, fût son premier grand choc cinématographique. Il ne manquera jamais, comme on le sait, de glisser des hommages à Hitchcock dans ses films.

Le cinéaste est assis, veste sombre, et ne cessera jamais de parler pendant ce documentaire de 105 minutes qui résume toute sa vie (une gageure), ses 50 ans de cinéma depuis ses courts-métrages d'étudiants jusqu'à Passion en 2013. Mais il commence à son enfance, son adolescence expédiée en 5 minutes chrono pour se consacrer à son œuvre. Il va sans dire que Brian De Palma est l'un de mes cinéastes préférés et j'ajoute que Carrie est pour moi son meilleur film et j'en admire bien d'autres.

Ce qu'il y a de merveilleux dans ce film de Noah Baumbach et Jake Paltrow (visible cette semaine sur Arte+7 et disponible en DVD), c'est que Brian De Palma n'est pas seulement un conteur épatant, et il sait parfaitement bien raconter tous les mouvements de sa vie, toute la conception de ses films, c'est qu'il est aussi son meilleur exégète. Il parvient à analyser ses films à la perfection, et c'est un bonheur totalement jouissif de l'écouter parler (quel dommage cette voice over plutôt que des sous-titres).

Sa vie avant le cinéma est illustrée par des photos quand il était petit, de ses parents (son père trompait sa mère et le personnage du jeune photographe, fils de Jessica Lange dans Pulsions est inspiré de Brian), de ses frères, de sa vie à Philadelphie et de son entrée à l'Université de Columbia où il mena des études scientifiques brillantes. Et un jour, il s'inscrit à un ciné-club où il découvre plein de films, et notamment ceux de la Nouvelle Vague. Et il se lance dans le court-métrage puis le long à 24 ans avec The Wedding party.

Comme dans l'excellent livre d'entretien avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud (qui date de 2002), Brian De Palma évoque sa filmographie dans l'ordre chronologique. Et il parle, il parle, il parle sans cesse, inondant d'anecdotes variées sur sa rencontre avec ses acteurs, William Finley, Robert De Niro, John Lithgow, et sur ses actrices, Jennifer Salt, Nancy Allen, Amy Irving. Les actrices, il adore les déshabiller devant la caméra, ce sera l'un de ses leitmotive. Il évoque d'ailleurs lucidement la prétendue misogynie de ses films.

Des rencontres, il en a eu beaucoup. Evidemment celles avec Scorsese, Coppola, Lucas et Spielberg, celle avec Cassavetes, celle avec Kirk Douglas (deux films dont le très méconnu Homes movies). On apprend que Orson Welles ne savait pas son texte pour Got to know your rabbit, son premier film à Hollywood, que Cliff Robertson dans Obsession était jaloux de la prestance de Geneviève Bujold, qu'il avait prévu d'embaucher une actrice X pour le rôle de Mélanie Griffith dans Body double, que Sean Penn torturait Michael J. Fox sur le tournage d'Outrage

Mais que seraient les films de Brian De Palma sans la musique, celle de Bernard Herrmann, celle de Pino Donaggio, sans ses longs plans séquences tarabiscotés, sans ses déambulations (Pulsions au musée, Body double dans le centre commercial et L'Impasse dans le métro), sans ses demi-bonnettes où dans un plan deux perspectives s'affrontent, sans ses split-screens, de Dyonisos in 69 à Femme fatale en passant par Sœurs de sang et Carrie, les longs extraits donnent envie de revoir encore et encore ses films.

Brian De Palma est le plus loquace sur ses meilleurs films de sa période la plus féconde, c'est à dire entre Carrie et Snake eyes, 20 ans de génie quand même. Il n'est jamais dupe des ratages commerciaux ou artistiques, Furie par exemple qu'il n'aime pas, il passe rapidement sur ses derniers films, il évoque les films qu'il a refusés (Flashdance, Liaison fatale), il balance sur Oliver Stone qui perturbait Al Pacino sur le tournage de Scarface. Bref, ce voyage à travers le cinéma de Brian De Palma est le meilleur voyage à faire en ce moment.