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mercredi 27 mars 2019

L'Etrangleur de Boston (Richard Fleischer, 1968)

Des split-screens à n'en plus finir, le cadre coupé, trituré, rapiécé, ça ne semble jamais s'arrêter, finalement c'est très osé, en 1968 ça devait l'être encore plus que maintenant, mais il demeure une beauté dans ces plans que Richard Fleischer applique dans L'Etrangleur de Boston. Il donne au spectateur un regard biaisé, il obstrue le regard sans qu'on sache à qui appartient ces plans subjectifs ou objectifs. A vrai dire on sait pertinemment que Tony Curtis est cet étrangleur de Boston, son nom est en tête du générique mais l'acteur comme son personnage ne viendra qu'au bout d'une heure de récit. Même si on devine dès le premier meurtre qu'il est là, avec ses bottes et sa veste kaki.

Avant cela, avant cette arrivée absolument pas fracassante, ce serait même l'inverse, il débarque dans le récit avec un certaine catatonie, le plus éloigné que possible des psychopathes, des tueurs compulsifs, des assassins maniaques que l'on puisse imaginer. L'étrangleur est tellement hors des sentiers battus par la psychologie dans les films de Richard Fleischer, entre Assassin sans visage, le visage rond de Richard Attenborough et le suspense de Terreur aveugle, l'étrangleur est un type qui entend se fondre dans la nature ou la ville. Ici Boston à la fin de 1963, et déjà la mort de Kennedy en écho de la dégénérescence des USA.

Ainsi avant que Tony Curtis ne vienne à l'image, ce sont deux enquêteurs qui traversent toute la ville en manque d'indices. D'un côté, un flic ni jeune ni vieux, DiNatale (George Kennedy) mais plutôt las, il s'égare dans ses pistes qui ne le mènent nulle part. D'un autre côté, yb flic plus expérimenté Bottomly (Henry Fonda) est commissionné par le procureur du Massachusetts pour diriger l'équipe d'inspecteurs (on voit James Brolin, jeune flic au langage fleuri, au mot insultant, comme une trace du mépris de la police pour tout ce qui ne semble pas rester dans les rangs de sa normalité – en ce sens, la police de L'Etrangleur de Boston est à l'opposé absolu de la douce rudesse de celle des Flics ne dorment pas la nuit).

Les errements des deux enquêteurs créent ce morcellement du récit précisément appuyé par les split-screens. L'accumulation des fausses pistes tandis que le nombre de victimes ne cesse de grandir, de tout âge (d'abord des vieilles dames puis des étudiantes), de toute condition et de toute origine. Il y a quelque chose de très beau à voir un cinéaste ne pas céder à l'académisme du polar, à faire du sur-place narratif et à faire des digressions comiques (l'arrivée du medium est à ce titre un summum d'humour noir). La maîtrise absolue de Richard Fleischer fait passer ce sur-place pour du suspense tout en sachant pertinemment que tant qu'on n'a pas vu Tony Curtis c'est qu'ils sont sur une fausse piste, on s'en amuse, on s'en délecte, on jouit de ces crimes.


Là est la puissance négative du film, espérer encore et encore au fil de cette première heure qu'il ne sera pas trouvé. Quand enfin il est dans son salon en famille à regarder les funérailles nationales de Kennedy, sa banalité est presque décevante, c'est un gentil papa, un petit plombier sans histoire. Impossible pour Bottomly de le trouver, avec ou sans médium, avec ou sans interrogatoire des « pervers » de Boston (scène dans un café gay, un type qui se prend pour Othello, deux lesbiennes vindicatives). Jusqu'à ces scènes géniales où Tony Curtis, méconnaissable, déploie une incarnation explosive et douce du serial killer. Ces split-screens sont les miroirs de sa personnalité explosée. En matière de miroir, le finale offre des plans magnifiques, pas de split-screens dans ces plans et pourtant ils sont coupés en deux comme la personnalité de cet étrangleur de Boston.


























jeudi 21 février 2019

Les Vikings (Richard Fleischer, 1958)

Le puissant chef Viking Ragnar (Ernest Borgnine) a deux fils. L'un est borgne, l'autre est manchot, l'un est blond, l'autre est brun, l'un est son héritier au trône, l'autre est un enfant bâtard. Einar (Kirk Douglas) et Eric (Tony Curtis) ne se connaissent pas encore et tant qu'ils ne se connaissent pas ce bon vieux Agnar peut festoyer joyeusement avec force victuailles et bières lors de banquets opulents que Richard Fleischer filme en longs plans larges, histoire de bien montrer la richesse des décors et de la reconstitution.

Ragnar a le rire le plus fort de toute l'assemblée. Ernest Borgnine ne se prive pas de le faire résonner dans son antre, ce qui lui sert de palais dans cette contrée de païens. Ce rire est celui d'un barbare, d'un païen mais aussi d'un bon vivant. Les enluminures qui ouvrent Les Vikings (en lieu et place d'un générique, chose inédite en 1958) décrivent les vikings comme des monstres et le film va le démontrer. Mais pour cela, il faut les comparer à leurs ennemis, ces Angles chrétiens qui règnent en Northumbrie.

Face à ces enluminures, Richard Fleischer oppose un succédané de récit biblique mâtiné de surnaturel, l'histoire d'Eric nourrisson est celle de Moïse. En Angleterre, un usurpateur chaparde le trône de l'enfant que sa mère préfère envoyer en exil, l'abandonner aux flots de la mer du nord, non sans avoir laisser un morceau de l'épée royale, sceptre nécessaire au souverain, en médaillon au cou de l'enfant. L'épée se disloque, une annonce des prochains troubles de la souveraineté corrompue d'Aella (Frank Thring). Récupéré par les Vikings, Eric est devenu l'un de leurs esclaves.

Le film tourne tout entier autour des ces histoires de paternité, de fratrie. Sans aucun amour, ce n'est que de la haine. Eric est l'esclave de son demi-frère, encore une fois sans le savoir, et chacun se cherche comme s'il se doutait de quelque chose, c'est cet épisode du faucon d'Eric qui arrache l’œil d'Einar. Il y a chez Kirk Douglas un certain délire masochiste a avoir voulu (il en est responsable, il était producteur du film) à se défigurer ainsi, lui le sex symbol de Hollywood dans les années 1950, manière de dire « regarder mon jeu, pas mon visage ».

Puisqu'on en est aux mutilations, la perte de la main gauche d'Eric est aussi une affaire de famille, au royaume de ses origines, en Northumbrie. Aella lui tranche la main de son épée, jaloux de ce retour du fils prodigue, car Eric n'est pas seulement l'héritier légitime du trône mais il est aussi un rival pour celle qui lui était destinée, la princesse de Galles Morgana (Janet Leigh). Car Aella est resté célibataire depuis son accession au trône et sans enfant. Il est surtout montré très maniéré ce qui ne laisse rien dissimuler de sa sexualité et de son dégoût des femmes.

L'arrivée de Morgana dans le récit s'accompagne par une autre rivalité, celle d'Einar qui ne supporte pas non plus qu'elle soit amoureuse d'Eric. Seule Morgana connaît la véritable identité d'Eric et elle ne sera révélée que lors de ce fameux combat entre les deux-demis frères en haut de cette forteresse anglaise, superbe combat de coqs tout en plans en plongée et contre-plongée dans une lutte pour le pouvoir et la suprématie sexuelle. Le tout est symbolisé tout autant par la tourelle proéminente que par l'épée, par ailleurs donnée comme élément d'accès vers la mort.

Comme dit plus haut, ce sont deux civilisations qui se cognent, les Chrétiens ne valent guère mieux que les païens vikings, si l'on en juge par le « raffinement » avec lequel Agnar est mis à mort par Aella (jeté dans une fosse aux loups). Les Vikings vivent dans un monde dirigé par des forces obscures (le dieu Odin dont le nom scande chaque phrase de Ragnar après chaque rire). Les Vikings ont beau faire des attaques en terre anglaise, des razzias et des tueries, ils ont peur comme des enfants de la mer, du brouillard et de la nuit.


La boussole sera l'arrivée de la vraie civilisation, non pas basée sur la religion ou des croyances telluriques. Cette boussole en forme de poisson est utilisée par un autre esclave (Edric Connor), un Africain comparse d'infortune d'Eric. Elle guide Eric à travers le brouillard, elle symbolise la modernité. Il faut voir dans ces scènes une allégorie sur le mélange des cultures, un éloge des la mixité et une critique de ces prétendues puretés de race que les personnages défendent avant de mourir piteusement dans d'atroces souffrances.