Affichage des articles dont le libellé est Israël. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Israël. Afficher tous les articles

mercredi 15 juillet 2020

J'ai aussi regardé ces films en juillet


Chained + Beloved (Yaron Shani, 2019)
Ce que promet ce double film (près de 4 heures en tout) est un double point de vue, dans Chained celui du mari policier Rashi (Eran Naim), dans Beloved celui de l'épouse infirmière Avigail (Stav Amalgor). Le tout se passe à Tel Aviv chez ce couple de la classe moyenne sans l'once d'un exotisme (pas d'ultra-orthodoxe, aucune ombre du conflit israélo-palestinien). Elle est plus jeune que lui, elle a une fille de 14 ans, ils essaient – en vain – d'avoir un enfant. Dans Chained, on suit le travail quotidien du flic, un type un peu brut de décoffrage qui pensant confondre des jeunes qui pourraient cacher du shit dans leur caleçon, les fait se déshabiller pour une fouille approfondie. Pas de chance pour Rashi, il ne les a pas impressionnés. Deux des jeunes a porté plainte. C'est le début de la chute du policier qui décide de placer son impitoyable pouvoir sur la fille d'Avigail, fille qui ne supporte pas la surveillance de son beau-père. Dans Beloved, Avigail est toujours à l'image, le film n'est pas le simple contrepoint de Chained, il se déroule quand elle décide de quitter Rashi pour avoir quelques moments de calme. Autant Chained est violent, chaotique, autant Beloved est doux, reposant (sauf pour le personnage de Na'ama), deux images contradictoires mais réelles de la vie de ces Israéliens travaillés par l'autoritarisme et la liberté. Il faut préciser que comme pour les 5 Senses de Rysuke Hamaguchi, Chained et Beloved sont largement improvisés dans leur dialogues (souvent de sourd) sur un canevas écrit à l'avance.

Eté 85 (François Ozon, 2020)
Pour comprendre le projet un peu fou de François Ozon, il faut imaginer qu'il fait un film qui n'aurait jamais pu exister en 1985, une histoire d'amour entre deux adolescents homos. Mieux que ça, il tourne ce film qu'André Téchiné aurait pu tourner s'il l'avait pu (mettons tout ce que Rendez-vous ne raconte pas). Il faut imaginer que ce jeune homme un peu Bohème, très sûr de lui, de son corps, de son charme aurait pu être joué par Simon De La Brosse, que cet adolescent timide et complexé (la preuve il ne veut pas se déshabiller) aurait pu être incarné par Wadeck Stanzack, Juliette Binoche aurait été la jeune fille au pair anglaise et enfin la mère du premier garçon aurait été parfaite jouée par Catherine Deneuve. André Téchiné n'a jamais pu le tourner ce film gay en 1985 et François Ozon le fait avec tous les clichés propres à son aîné. Le jeu légèrement théâtral, les dialogues trop écrits, les situations romanesques à l'extrême (la promesse un peu stupide de danser sur la tombe de l'autre), le romantisme sombre, à peu près nous est épargné mais tout est sensiblement décalé pour que l'hommage ne soit pas trop visible. Pourtant, tout est lourd, appuyé, fastidieux. A cela, François Ozon ajoute deux temps, celui du présent et celui du souvenir pour créer un semblant de suspense. Logiquement, le film ne dit rien sur 1985 ni sur aujourd'hui.

L'Amour à la ville (Carlo Lizzani, Michelangelo Antonioni, Francesco Maselli, Federico Fellini, Dino Risi & Alberto Larruada, 1953)
C'est le seul cas de film à sketches conçu par le théoricien du néo-réalisme, Cesare Zavattini. Autant dire que le film a terriblement vieilli. Il prend l'aspect d'un journal, donc un rapport documentaire à la réalité. Entièrement dédié à la condition féminine dans l'Italie de 1953, certaines choses semblent ne pas avoir changé (le tout dernier sketch « Les Italiens se retournent » sur la drague de rue, c'est-à-dire le harcèlement de rue). Le film montre l'état patriarcal, il développe quelques sujets (le suicide par Antonioni, la prostitution par Lizzani, la place de la fille-mère par Lizzani), mais ce sont les deux parties de Fellini (proche de son approche kafkaïenne de 8 ½) et de Dino Risi sur les bals du samedi soir où les jeunes gens se séduisent (c'était son premier film de cinéma) qui restent les meilleurs. Federico Fellini avait déjà ce sens de l'image quand il filme ces longs couloirs où un journaliste est guidé par des enfants espiègles. Dino Risi a le sens de la caricature, du gag immédiat, du portrait immédiatement reconnaissable. Quant à l'ensemble, il cherche tant à faire du journalisme qu'il en oublie toute objectivité.

Exit (Rasmus Kloster Bro, 2018)
Nostalgiques du confinement, vous allez adorer Exit, ses lieux exigus, son atmosphère suffocante, ses lumières blafardes. Les claustrophobes vont avoir très peur pour les mêmes raisons. Deux films se trouvent dans Exit, le premier est un film d'angoisse sourde qui prouve qu'il n'y a pas besoin de l'artifice d'un monstre méchant et visqueux pour créer un thriller. Le film joue sur la dépressurisation de l'espace, notamment avec le son qui se déforme, qui risque de faire mourir nos trois prisonniers, sur l'absence irrévocable d'oxygène et sur l'accident qui les met dans cette situation. Certes, ça se répète un peu parfois. Le deuxième film parle du conflit entre les grands projets, ici la construction d'un métro au Danemark, sujet de la journaliste très enthousiaste et un pu naïve et ceux qui construisent ce métro, des travailleurs venus des quatre coins du monde (d'où l'anglais du film), un Croate et un Érythréen, dans des conditions atroces. Le tout est une immense métaphore du grand capitalisme. Vaguement démonstratif mais résolument déprimant.

mercredi 31 juillet 2019

J'ai aussi regardé ces films en juillet


Crawl (Alexandre Aja, 2019)
Après Hurricane de Rob Cohen et Equalizer 2 d'Antoine Fuqua sortis en 2018, l'ouragan semble un bon filon pour la série B d'action. C'est facile, l'ouragan représente un danger certain, il est immédiatement question de survie, le vent et les radées d'eau saturent les images pour impressionner (attention, on lésine pas sur les effets spéciaux, d'autant que la Floride de Crawl a été filmé en Serbie. Non, c'est pas une blague). Il suffit ensuite de rajouter un élément qui vient encore plus perturber l'ensemble, un braquage, une vengeance ou des alligators croqueurs d'homme. Dans Crawl, encore plus que dans les deux précédents films, tout est vilain, tout est mal fichu à commencer par le scénario et les rebondissements. On se demande ce qui a bien pu prendre au personnage de Barry Pepper pour aller réparer les tuyaux de sa maison le jour-même où l'ouragan commence. On dirait que lui et sa fille (qui se prénomme Ali et ce n'est pas le diminutif d'alligator) font tout pour se faire bouffer. On en vient à vouloir qu'ils disparaissent dans les estomacs des reptiles. A vrai dire, le seul à bien jouer dans ce nanar (j'ai souvent ri) est le chien Sugar (en fait une chienne).

Anna (Luc Besson, 2019)
The Operative (Yuval Adler, 2019)
Deux espionnes au cinéma en même temps, une Russe de l'époque de l'URSS travaillant pour le KGB et une Anglaise travaillant aujourd'hui pour le Mossad. Deux espionnes mais deux visions totalement opposées. Luc Besson poursuit ses fantasmes en filmant une jeune femme frêle en apparence (ici une mannequin dans une agence parisienne, la vie de mannequin n'est pas facile facile, entassées qu'elles sont dans un appartement et photographiées comme des meubles par des pédants). Mais elle se révèle monstrueuse quand il faut flinguer des ennemis de la Mère Patrie. The Operative prend un parti dit réaliste, celui de Paul Greengrass, il est filmé surtout les rapports entre les personnages plus que de l'action. Chez Besson les Russes parlent anglais, dans The Operative les Iraniens ne parlent anglais qu'avec les étrangers, entre eux c'est du farsi. Dans les deux films, les espionnes doivent affronter les chausse-trappes du récit. Besson revient toutes les 20 minutes sur son histoire pour bifurquer vers un autre point de vue, on comprend vite le système. Adler embrouille aussi les cartes de la personnalité de son espionne. Dans les deux cas, une histoire d'amour se dessine, forcément vouée à l'échec. Finalement, les deux films se ressemblent plutôt et s'ils partent dans des directions opposées, à force de revenir sur leur chemin et de tourner en rond, ils se rejoignent.

Persona non grata (Roshdy Zem, 2019)
J'aime beaucoup Roshdy Zem et j'attends avec impatience son film avec Arnaud Desplechin en août. Je comprends assez bien l'ambition de son nouveau film de réalisateur. Il veut parler de la corruption des élus, des patrons du BTP, tout ça dans un même sac, il veut faire un polar français à l'ancienne (c'est-à-dire à la fiction de gauche période bénie d'Yves Boisset), il veut faire tourner ses potes, il veut faire de la romance mais tous ces éléments ont du mal à additionner. Au contraire, rarement la greffe ne prend (sans que l'impression de téléfilm ne prenne le dessus, cet atroce effet « dossier de l'écran », au moins Roshdy Zem sait raconter une histoire). Son prochain sera meilleur.

L'Œuvre sans auteur (Florian Henckel von Donnersmarck, 2018)
C'est actuellement le film au titre le mieux approprié. Effectivement tout est insipide dans cette production allemande de 3h10 qui se déroule sur plus de 30 ans avec une poignée de personnages entre Berlin est et Düsseldorf. On a beau voir Tom Schilling tout comme sa partenaire Paula Keer pendant plus de 2 heures, je pense que je serai incapable de les reconnaître si je les voyais dans un autre film. Le film ainsi est fade mais bizarrement il est prenant, comme une sympathique série télé avec des rebondissements réguliers. Quand la première partie s'arrête, j'ai voulu voir la deuxième. Je mets cela sur le compte de Sebastian Koch, l'un des méchants les plus vicieux de l'année. D'abord nazi tendance Mengele, il devient ensuite communiste en RDA tout en étant un père monstrueux. Plus le méchant est réussi etc...

mercredi 24 avril 2019

Le Policier (Nadav Lapid, 2011)

Cinq gars en pleine forme font du vélo. Hop, un faux plat, une petite montée. L'un d'eux se détache du groupe, il s'approche de la caméra et semble se désigner auprès du spectateur comme le leader naturel de cette escouade. Plus loin, arrêtés au bord d'un panorama où le paysage offre des collines désertes, chacun criera son nom à l'écho, il dira que c'est le plus beau pays du monde. Lui c'est Yaron (Yiftach Klein), déjà vu dans le rôle de l'énervant Yoav dans La Petite amie d'Emile, ici son corps est devenu plus massif, son regard plus pénétrant, sa voix plus affirmée.

Si le titre ne le disait, il ne serait pas possible de savoir que ces hommes sont des policiers pendant tout le premier quart d'heure. En revanche, Nadav Lapid se plaît à décrire les rapports entre les membres de se groupe, leur manière de se dire bonjour, des accolades viriles quand ils se retrouvent comme à ce barbecue, leur manière de se dire au revoir bien plus simple et qui laisse Yaron dépité de devoir les quitter. Pendant un bon moment, leur parole est vide de sens, les propos qu'ils tiennent entre eux d'une grande banalité.

Pourtant le groupe est rongé de l'intérieur. Ariel l'un des policiers a un cancer, cela on l'apprend de manière détournée toujours avec cette volonté du cinéaste de ne pas trop en dire, de laisser mijoter son récit à petit feu. Plus tard, lors d'un briefing, leur supérieur hiérarchique explique la bavure qu'ils ont commis. C'est en vérité un assassinat, ils ont tué des « terroristes » et aucun d'eux ne veut se dénoncer. Ariel qui va bientôt mourir a décidé de passer pour l'unique responsable. Les cinq hommes font groupe comme un seul homme.

Yaron est le seul dont la vie privée est montrée. Son épouse Nili (Meital Berdah) est enceinte jusqu'aux dents. Loin d'être un macho, Yaron dans une nudité où il se livre, lui pratique des massages calmants, il s'occupe d'elle avec tendresse et calme. Lors de l'anniversaire de sa mère, il la porte dans les escaliers (en Israël aussi les ascenseurs tombent en panne). Ce portrait de Yaron est double, exprime une schizophrénie que le film va poursuivre avec le deuxième groupe, non pas les punks qui détruisent une bagnole comme moyen de transition.

Ce deuxième groupe qui va affronter les policiers dans le troisième tiers, de manière inéluctable est composé de quatre amis, une fille Shira (Yaara Pelzig) et quatre garçons Nathanael (Michael Aloni), Yotam (Ben Adam) et Oded (Michael Moshonov). C'est ce dernier qui a le portrait le plus complet, comme Nadav Lapid s'intéressait à Yaron au sein de son groupe de policiers, il suit le parcours d'Oded dans son rapport avec Shira dont il est clairement amoureux, il lui dit clairement et seul un visage fermé lui est donné comme réponse.

Ce groupe aura aussi cinq membres quand le père d'Oded qui a bien compris ce qui unit ses membres, va se joindre à eux. D'abord il tente de dissuader Shira, en allant sonner à sa porte, de renoncer à leur action. On remarque que tous ses jeunes vivent chez papa maman, Oded dans un modeste appartement mais Shira dans une luxueuse maison. On apprend aussi que Nathanael est le fils d'un juge de Jérusalem. Le groupe se dit révolutionnaire mais eux sont des bourgeois qui se prennent pour des rebelles qui se sont donné une cause.


Armée d'un mégaphone, Shira va jouer à la révolution. Armé d'un fusil d'attaque, Yaron va pratique la répression. Les derniers regards dans un champ contrechamp troublant, montrent deux âmes désormais mortes. Yaron stupéfait que ses convictions clamées pendant toute la première partie, sa haine des Arabes apprise comme une institution, soient contrecarrées par le visage de cette jeune femme, les yeux grands ouverts, qui le juge au moment même où sa femme accouche. Un mort, une naissance.

























vendredi 12 avril 2019

L'Institutrice (Nadav Lapid, 2014)

Circonscrire le terrain, en dessiner la topographie, détailler chaque recoin de l'école de Nira (Shavit Larry) l'institutrice et de Yoav (Avi Shnaidman) l'élève de 5 ans, charmant bout de chou aux cheveux châtains. Il convient pour Nadav Lapid d'appréhender cette école de Tel Aviv, de montrer la grande salle de classe, la pièce où les enfants font la sieste, la cour de récré avec son traditionnel bac à sable, une école dans un quartier cossus, une école pour riches parents, une école de privilégiés.

Yoav est souvent le dernier enfant à partir de l'école, avec son long short et son t-shirt trop grand, son petit air boudeur, il est récupéré le soir par sa nounou Miri (Ester Rada), une jeune apprentie actrice. Soudain l'enfant se met à faire les cent pas, des courts allers et retour. Miri demande rapidement un stylo à l'assistante scolaire, s'accroupit et commence à écrire. Yoav invente un court poème en direct, sans fierté, avec sa petite voix de marmot. Nira écoute stupéfaite la facilité avec laquelle il crée.

Stupéfaite parce qu'elle essaie elle aussi d'écrire des poèmes, en vain. Elle participe à un atelier dirigé par un prof cool et encourageant (Gilan Ben David). Cet atelier est le pendant adulte de sa classe et ici règne dans la plupart des scènes où il est décrit la jalousie entre les élèves, puisqu'on peut les appeler ainsi, notamment cette jeune femme gangrenée par le politiquement correct et qui voit dans chaque poème de quoi donner des reproches, y compris quand Nira déclame les vers écrits la veille par Yoav.

Nira se donne une mission, écrire les poèmes de l'enfant. Cette mission elle se l'attribue un soir quand elle dîne avec son mari (Lior Raz). Ce troisième décor est celui d'une vie terne faite de routine, le repas suivi d'un petit coup avec son mari qui se fout à poil dans le couloir. Le sexe est triste mais surtout elle semble s'ennuyer en permanence et ne penser qu'à Yoav et à ses poèmes. Son appartement est le lieu du conformisme dépeint ici par la volonté de leur fils de s'engager dans la vie militaire, célébrée ironiquement par une soirée dansante.

Nira a bien conscience de sa propre banalité, de son conformisme intérieur qu'elle tente de masquer en prenant des cours de poésie et c'est ce qui la ronge. Nira est en ce sens une métaphore de la colonisation. En volant les poèmes de Yoav pour se faire mousser, pour se créer une identité qui oblitérerait sa superficialité, elle dépasse l'entendement. Elle se crée une obsession, recueillir tous les poèmes de l'enfant et refuse de faire autre chose, quand le môme préfère avec son copain Assi entonner des chants entendus sur les stades de foot.

Ce terrain décrit plus haut est un terrain de chasse. La force de L'Institutrice est de dévier inéluctablement vers l'angoisse. Cela commençait avec ces regards caméra des enfants vers elle, cela continue avec son attitude molle qui contraste avec la violence de ses sentiments. Elle fait tout pour éliminer ses ennemis, Miri en premier lieu, clamant au père de Yoav qu'elle vole les poèmes. Pour soustraire l'enfant à ce père qui refuse qu'il écrive des poèmes, elle l'enlève pour une virée au calme apparent mais d'une violence inouïe.


C'est cela le cinéma de Nadav Lapid, montrer que derrière les apparences, derrière ce gentils yeux de cette agréable institutrice qui ne dit pas un mot plus haut que l'autre, derrière ce sourire effacé, tout un continent de haine rentrée n'attend qu'à se répandre sur les autres. Pas de scènes choc, pas de twists infernaux pour surprendre le spectateur et encore moins de musique flippante – si ce n'est un tube de l'été dans cette station balnéaire touristique, l'horreur incarnée, le film est bien plus retord et complexe que cela.