dimanche 30 juin 2019

J'ai aussi regardé ces films en juin


Beau joueur (Delphine Gleize, 2019)
Jadis espoir du court-métrage, Delphine Gleize n'a jamais vraiment réussi à passer le cap du long métrage mais Beau joueur son nouveau film s'avère délicieux et d'une cruauté imparable. Elle a filmé un an de matchs de l'équipe de rugby de Bayonne. Un an à se prendre tôle sur tôle et pas des moindres, parfois les scores des adversaires sont 10 fois plus importants que le leur. Elle ne filme jamais les matches, c'est le métier de la télé et des spectateurs dans le stade, mais elle scrute avec attention et précaution les visages défaits des joueurs du banc de touche, les vestiaires, les voyages. Le film fourmille de scènes tendres telle ce matin où tous les joueurs qui passent devant la cinéaste lui disent bonjour. Delphine Gleize trouve son rythme sans systématisme (sa voix douce vient parfois commenter), sans formalisme trop voyant, sans ironie (c'est bien là l'essentiel alors que cela aurait été très facile). On s'attache à deux trois rugbymen dont le charisme se détache des autres. On suit l'avant dernier match de la saison, l'un des rares gagné, celui contre Grenoble et je me rappelle qu'un film comme celui-là aurait pu être fait sur Grenoble quand l'équipe de foot avait réussi à aller en Ligue 1 en 2009. Seulement voilà, je crois que les rugbymen sont plus cinégéniques.

Noureev (Ralph Fiennes, 2019)
D'abord il faut ce que le film n'est pas : il refuse la projection de l'état actuel de la Russie en la comparant avec celle de Khrouchtchev, contrairement à Leto par exemple. Ralph Fiennes a le bon goût de faire parler les personnages russes dans leurs langues, les personnages français dans leur langue, ça peut pas paraître grand chose mais c'est au contraire énorme. Noureev se contente de parler de cette semaine cruciale dans le vie du danseur, celle où il quitte l'URSS pour l'occident. Le film prend le pari modeste de ne parler que de cela, avec honnêteté et un sens consommé de l'observation d'autant plus agréable à l’œil que le film est en partie tourné en 16mm, le grain se sent donnant une sensualité aux gestes de Noureev. Le personnage décrit dans cette folle semaine française loin d'être agréable suscite une certaine antipathie, c'est un homme cassant, intransigeant, désinhibé, il ne sait dire que ce qu'il pense, on est loin d'un portrait sucré, hagiographique mais tout aussi éloigné de ces biopics hollywoodiens (j'inclue là-dedans les navets Bohemian Rhapsody et Rocketman) qui nous montre les aspects sombres (toujours les mêmes, drogue, sexe, et toujours causé par leur problème avec maman et le revers du succès). Le film s'arrête avant que Noureev ait du succès. Noureev aurait gagné sans ces flashbacks en cinémascope dans un coloris sépia qui décrivent la dure vie en Sibérie et la découverte de l'art.

Conséquences (Darko Stante, 2018)
Cette année je découvre le cinéma de l'ex Yougoslavie, la Serbie avec Teret, la Macédoine du Nord avec Dieu existe son nom est Petrunya et la Solvénie avec Conséquences. Ce qui ressort de ces trois films vus en moins de 6 mois est la sinistrose ambiante, le poids des archaïsmes quels qu'ils soient. Conséquences s'attache à Andrej un jeune gars, bien propre sur lui qui se rêve autant en petit loubard qu'en amoureux éperdu, là est toute la contradiction de son personnage qu'il ne cesse d'inventer, d'improviser au cours du film tandis qu'il se frotte à ses parents inconséquents, à l'institution (il est dans un centre pour jeunes délinquantes) et au crime, il deale pour le petit chef du centre. Ce dernier a bien compris que notre jeune Andrej est complètement amoureux de lui et il va le manipuler et Andrej va se laisser manipuler par le jeune brute dont le visage menaçant est terrifiant quand il se met à fixer la caméra.

Made in China (Julien Abraham, 2018)
La bande annonce est horrible, elle laisse présager un film à la Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu. Les morceaux comiques extraits pour cette bande annonce sont dans les 10 premières minutes du film. Passés ces vannes, le film devient un peu meilleur que les autres comédies sorties ce mois de juin (je pense aux atroces Venise n'est pas en Italie ou Beaux-parents). Made in China parle du schéma familial chinois à travers trois générations aux ambitions et comportements différents. En ce sens, malgré les nombreux écueils, le film se débrouille pas mal pour retourner les clichés sur les Chinois de France, notamment en substituant l'épouse enceinte par le meilleur ami, c'est ce dernier qui découvre leur manière de vivre au milieu de l'avenue d'Ivry et devient l’œil du spectateur.

vendredi 28 juin 2019

Le Professeur (Valerio Zurlini, 1972)

Dans un long entretien accordé à Jean-François Rauger (Cahiers du cinéma N°501 avril 1996) à l'occasion d'une rétrospective à la Cinémathèque Française, Alain Delon déclarait que Le Professeur était l'un de ses films préférés, qu'il avait effectivement remplacé Marcello Mastroianni pour le rôle et qu'il espérait que la version présentée serait intégrale. Il aura fallu attendre 23 ans pour la découvrir cette version complète du film de Valerio Zurlini.

Le gris de la ville maritime de Rimini est intact, c'est une atmosphère cotonneuse, presque poisseuses qui enrobe ce personnage de Dominici que joue Alain Delon. Il n'esquissera pas un sourire (ou presque) de tout le film, ne quittera jamais son manteau marron, il porte une barbe de trois jours et fume des cigarettes. Ce professeur est un solitaire, il ne vit que pour lui, ses élèves et le proviseur de son lycée vont vite le découvrir.

En cours, il achète le Figaro littéraire et le lit pendant que ses lycéens font une dissertation. Il les autorise à fumer en classe. Ça fait enrager la direction, mais Dominici n'en a pas grand chose à faire. Il ne fait que remplacer un collègue. Il n'est là que pour quelques semaines. Il va vite se faire une bande d'amis à jouer au scopone, au poker, au cartes avec Marcello (Renato Salvatori), Spider (Giancarlo Giannini), Gerardo (Adalberto Merli).

Ils sont fringants ces quadragénaires, vieux beaux qui passent leur temps à traiter les femmes de salopes, à leur mettre la main au cul, à courir après le poker les boîtes de nuit en costard cravate et picoler jusqu'à plus soif. Valerio Zurlini n'est pas tendre avec ces hommes machos qui ne pensent qu'à la bagatelle, seul Dominici semble observer ce petit manège d'un peu haut, ce qui d'ailleurs lui sera reproché par ses nouveaux amis.

Le regard glacial d'Alain Delon se porte sur une de ses élèves, Vanina (Sonia Petrova), 19 ans, par ailleurs la petite amie de Gerardo, ce qui n'est pas sans créer au sein du groupe quelques troubles. Gerardo vient la chercher en Ferrari bleue, Dominici n'a qu'une vieille traction avant Citroën, le cœur de la jeune fille balance entre le beau riche et le triste pauvre qui n'a comme cadeau à lui faire qu'un exemplaire du roman Vanina Vanini de Stendhal.

Spider, presque le sosie jovial et dévergondé de Dominici, encourage cette liaison amoureuse. Marcello, agent immobilier, prête les maisons qu'il loue pour le parties de poker puis les amourettes clandestines. L'une des choses les plus frappantes, peu soulignée par le cinéaste mais constamment visible, est le décor de ces maisons, sur les murs se trouvent toujours des toiles, natures mortes, peintures religieuses ou classiques ou référencées comme telles.


Il faut s'habituer à ce que Alain Delon parle italien avec la voix d'un autre et à l'infinie mélancolie du film. Il n'est pas étonnant que Le Professeur soit l'un de ses films favoris, il jure tant dans son travail de l'époque (essentiellement des gros films commerciaux entre Henri Verneuil et Jacques Deray), comme plus tard son travail avec Bertrand Blier (Notre histoire) lui apportera un rôle encore plus à l'opposé des balourds films policiers des années 1980.

















jeudi 27 juin 2019

La Femme de mon frère (Monia Chokri, 2019)


Deux gamins, voilà ce que sont Sophia (Anne-Elisabeth Bossé) et Karim (Ptrick Hivon), pourtant adultes quand le spectateur est confronté à eux. Une sœur et un frère, deux gamins dans un Montréal d'aujourd'hui. Ils se chamaillent, ils se lancent des défis stupides en se posant des questions insolubles (tu préférerais avoir un cancer ou nager dans ton vomi pendant une journée), ils se coupent pendant les discussions. Mais ils sont inséparables.

Les gamineries sont amusantes et divertissantes mais elles ne seraient rien sans ce montage virevoltant que pratique Monia Chokri pendant presque toute la durée de son film. Il consiste à éliminer les secondes inutiles ce qui provoque là aussi un étonnement visuel, des petits trous dans les scènes qui ne sont pas sans rappeler les conversations de chambre de Jean-Luc Godard, à ses débuts, mais aussi ces vidéos youtube actuelles toute hachées.

Tout est donc question de rythme dans La Femme de mon frère jusqu'à l'ivresse des personnages qui semblent ne jamais s'interrompre d'être actif. Mais le frère et la sœur ont de qui tenir, le premier clou du film est ce repas familial complètement dingue avec une mère soixantenaire (Micheline Bernard) qui débarque d'une manifestation de gauche (pléonasme) et un père (Sasson Gabai) qui se proclamera plus tard révolutionnaire même s'il vit comme un bourgeois.

Il n'y a presque pas d'histoire dans La Femme de mon frère si ce n'est celle de ce titre, cette femme qui va rencontrer Karim puis commencer à sortir avec lui. Elle s'appelle Eloïse (Evelyne Brochu) et les circonstances de leur rencontre vaut son pesant de cacahuètes mais ne doit rien au hasard, car même si l'histoire est minimaliste, une logique claire et distincte appelle chaque scène. Le hasard ne rime pas chez la cinéaste canadienne avec l'incohérence.

En toute cohérence, vu ce que l'on a vu depuis le début du film, cette liaison si forte entre Sophia et Karim quasi incestueuse va se cogner à cette aventure amoureuse qu'a ce dernier va mettre Sophia dans un état pas possible. Pour résumer la situation, elle reste une gamine, lui passe du jour au lendemain à l'état d'adulte. Le burlesque délirant (aussi brillant que chez Antonin Peretjaltko) dérive vers une forme plus apaisée visuellement mais c'est la tempête sous un crâne.

Sans aucun doute, le film parle de la vie au Québec, au hasard du chômage chez les thésards, hilarante première scène « d'embauche » de Sophia par quatre vieillards universitaires, de l'embourgeoisement des anciens gauchistes, de l'avortement et de la contraception (là-haut, ce n'est pas un problème), de l'ennui qu'on trompe en lisant du Edika (excellente idée), alors que l'excitation sexuelle peut être entendue avec du free jazz.

La liberté de ton ne va pas sans un certain ennui au bout d'une heure, comme une sorte d'épuisement des idées de Monia Chokri, c'est parfois le problème de films en forme de chronique, cela s'accentue quand Karim s'extrait provisoirement du film lorsqu'il devient sage. La forme prend le relais, tel ces « fondus » colorés pour passer d'un chapitre à l'autre. Mais ce qui est le plus important est cet humour jovial et communicatif.

mercredi 26 juin 2019

Le Daim (Quentin Dupieux, 2019) + Yves (Benoît Forgeard, 2019)


La question que je me suis posé en regardant Le Daim est la suivante : est-ce que ce film sera nommé pour le César du meilleur costume. Cette veste en daim avec ses franges, puis ce chapeau, ensuite ces bottes et pour finir ces gants. Geroge (Jean Dujardin) devient petit à petit un daim. La dernière fois qu'un vêtement avait pris une telle importance dans un film français, c'était le petit blouson en cuir de Romain Duris dans De battre mon cœur s'est arrêté de Jacques Audiard et qui faisait tout le personnage.

Le cinéma français n'en a rien à foutre la plupart du temps des tenues de ses personnages, si ce n'est dans les films d'époque, les films en costume comme on dit si bien. Alors qu'il peut déceler beaucoup de choses de la personnalité des personnages, taille, couleur, varité. Le Daim aurait pu être un film d'époque tant l'image que lui confère Quentin Dupieux semble sortir d'un passé un peu oublié, celui des années 1970, cette étrange période où les couleurs criardes étaient filmées de manière un peu terne, tout en paradoxe.

Georges filme avec un caméscope qui date, déjà désuet avec ce clapet qui s'ouvre et se ferme, un peu à la manière d'Alain Cavalier. Dès le premier plan où trois jeunes gens remettent à Georges leurs blousons en promettant de ne plus porter de blouson, on est dans une image objective, Georges filme, il se prend pour un cinéaste et se présente comme tel à Denise (Adèle Haenel) barmaid dans l'unique café où il débarque.

La Daim développe sa petite mise en abyme du cinéma. Production : Georges n'a pas d'argent alors il se fait produire par Denise qui sort péniblement quelques euros de son compte. Tournage : mise en scène documentaire de Georges qui réalise son rêve d'être le seul à posséder un blouson. Montage : Denise monte le film sans comprendre l'aspect documentaire, elle voit une comédie alors que Georges démembre ceux qui portent un blouson.

Finalement, le cinéma de Quentin Dupieux aura toujours un peu souffert de ce dernier problème, on le prend pour ce qu'il n'est pas. Quand son premier film est sorti, Steak avec Eric et Ramzy, le distributeur l'a vendu comme une comédie pour ados mais déjà le cinéaste filmait cette confusion déjà souvent entretenue par les films de Bertrand Blier. Le Daim est l'un des films les plus glaçants du moment et sûrement pas une comédie.

La loufoquerie dans Yves n'est pas éloignée de celle du Daim, elle prend sa source dans le quotidien et propose un dérèglement extraordinaire. La première partie de Yves ressemble à l'un des épisodes de Weird City la série de Jordan Peele quand un jeune couple aménageait dans une maison intelligente (avec la voix de Mark Hamill) et qui dictait leur vie aux jeunes femmes. Yves est un frigo qui débarque chez Jérèm (William Lebghil).

Pendant un moment, le film s'amuse à montrer l'utopie du sujet, les avantages dont le jeune rappeur raté et stupide qu'est Jérèm va bénéficier grâce à son frigo. Le ton comique est alerte d'autant que les acteurs s'en donnent à cœur joie, William Lebghil avec sa moue de couillon pas finaud, So (Doria Tillier) sourit comme une bécasse et Philippe Katerine fait du Katerine dans des tenues exubérantes (ici aussi les costumes ont leur importance).

Le film change de braquet quand la dystopie apparaît en mode Yves devient comme Hal l'ordinateur de 2001 l'odyssée de l'espace. Le ton change encore, dans une forme proche du cinéma de Michel Gondry, quand So s'amourache du frigo Yves et provoque la jalousie de Jérèm. Plus court, Yves aurait gagné en intensité (Gaz de France le premier film de Benoît Forgeard faisait 20 minutes de moins), là il se répète un peu, mais c'est déjà bien.

mardi 25 juin 2019

Où gît votre sourire enfoui ? (Pedro Costa, 2001)

Assise, Danièle, 63 ans, pantalon et pull, cheveux longs attachés, les yeux rivés sur la table de montage, la main droite sur le dérouleur, la gauche sur la pellicule. La bobine avance et recule, s'arrête sur un photogramme. Debout, Jean-Marie, 65 ans, veste frippée sur le dos, Gitane maïs au bec, il circule dans tous les sens et sort soudain une phrase, un aphorisme, raconte une blague, disserte. Elle est les yeux, il est la bouche, voici les Straub, Danièle Huillet et Jean-Marie Straub.

Faut pas l'emmerder Danièle, quand Jean-Marie veut raconter avec son accent lorrain qu'il n'a jamais perdu une anecdote d'un tournage passé, elle lui demande fermement ne ne pas parler et lui réplique sèchement « depuis le temps qu'on monte des films ensemble, vous êtes toujours pas capable de cette discipline-là ». Et Straub de partir faire un petit tour histoire de ne pas énerver Huillet qui tente de comprendre ce « sourire qui monte dans les yeux » de son personnage.

Pedro Costa a filmé en 1998, dans les locaux de l'Ecole du Fresnoy le montage de quelques scènes de Sicilia !, film qui sortira début 1999. c'est la méthode des Straub qu'il s'applique à montrer pendant plus de 100 minutes, cette vieille histoire de montage de la « matière » (le mot est de Jean-Marie) qui est dans la tête de tous les auteurs Cahiers depuis la Nouvelle Vague surtout pour eux et Godard, puisque Straub et Huillet sont clairement des auteurs Cahiers.

Sicilia ! sera un film d'à peine une heure tourné en Sicile en noir et blanc avec des acteurs amateurs. Si Danièle Huillet ne dit pas grand chose, le regard – souvent furibard – concentré sur sa bobineuse, il revient à Jean-Marie Straub de raconter des histoires de tournage. Tout lui revient en mémoire depuis la pré-production de Chronique d'Anna Magadlena Bach à la fin des années 1950 (ils mettront 10 ans à faire le film), jusqu'aux répétitions pour Sicilia !

Justement, il se rappelle que les répétitions pour La Mort d'Empédocle avaient duré un an et demi en 1986, en 1998 ils n'ont eu que 3 mois. Alors forcément, ils trouvent que les acteurs embauchés pour lire les textes de Elio Vittorini, première adaptation de ses textes par le couple de cinéastes, ressemble trop au cinéma de tous les jours, ils veulent casser cette rythmique qu'ils détestent et que Straub conspue à chaque fois qu'il le peut, notamment devant les étudiants.


Le film est souvent drôle (on savait que Straub est drôle, il faut regarder le Cinématon que Gérard Courant lui a consacré) et Pedro Costa ne filme ps seulement la fabrication d'un film mais surtout des disputes conjugales comme celui de Du jour au lendemain, leur comédie musicale de 1997. Dans le premier plan de ce film (le premier que j'ai vu des Straub, le même jour que Le Cinquième élément), on lisait un graffiti sur un mur : Wo liegt euer Lächeln begraben, Où gît votre sourire enfoui.














lundi 24 juin 2019

Viridiana (Luis Buñuel, 1961)

« Tâchez d'être affectueuse avec lui ». Tel est l'ordre de la mère supérieure du couvent donnée à Viridiana (Silvia Pinal) novice qui doit bientôt devenir une sœur recluse. La jeune femme doit montrer son affection à son oncle Don Jaime(Fernando Rey). Le demande ne devait pas mener vers là où Viridiana va aller, d'ailleurs elle ne voulait pas se rendre chez cet oncle qu'elle connaît à peine. La supérieure insiste en rappelant que l'homme a payé pour son éducation.

Elle obéit et découvre un sympathique vieil homme, bon avec ses employés, la pauvre il a accueilli la fillette de sa bonne Ramona (Margarita Lozano). Don Jaime habite un château et fait installer Viridiana dans une chambre à l'étage. Cette bonne observe par le trou de la serrure la religieuse ouvrir sa valise et en sortir une croix en bois et une couronne d'épine, la panoplie parfaite de la bigote. Elle s'empresse d'aller rapporter tout cela à son patron. L'aristocrate en prend bonne note.

Ce dernier est veuf depuis le jour de son mariage, belle ironie développée par Luis Buñuel et qui va accaparer les nuits de Viridiana. Don Jaime demande un service à sa nièce et pour être affectueuse avec lui, elle accepte de mauvaise grâce. Surtout parce qu'elle pense devoir se faire pardonner d'avoir souiller le lit de son oncle une nuit d'insomnie, elle a récupéré des cendres dans la cheminée et les a déversées sur les draps, comme une métaphore de la perte de sa virginité.

Ce caprice de Don Jaime est qu'elle doit porter la robe de mariée de feue son épouse. Elle devait épouser le Christ dans une cérémonie au couvent, mais symboliquement elle épouse son oncle. Chaque employé de la maisonnée remarque le ressemblance physique de la nièce avec l'épouse décédée de Don Jaime, un portrait la représentant est accroché dans le grand salon. C'est ce trouble qui fait basculer Viridiana dans une vie qu'elle n'avait pas demandée.

Un évanouissement de la jeune femme, une caresse de Don Jaime sur ses jambes quand il la remet en tenue de mariée sur son lit, la découverte par Ramona en soulevant les draps qu'il n'a pas abusé de sa nièce. Cela ne suffit pas, l'aristocrate se pend le jour-même à un chêne du jardin, avec la corde à sauter de la fillette de Ramona. Viridiana devient l'héritière du domaine en attendant que Jorge (Franciso Rabal) le fils illégitime de Don Jaime n'arrive.

Elle se sent coupable de la mort de son oncle. Elle va chercher la rédemption à tout prix en accueillant tous les pauvres du village dans les combles de la demeure. Luis Buñuel a l'art de choisir des gueules cassées, des vieillards édentés, des bonnes femmes au physique ingrat pour faire peupler le château, la cuisine, les jardins sous le regard incompréhensifs des employés puis de Jorge et de sa maîtresse, qui ne supporte pas la pauvreté étalée devant leurs yeux, pas plus que les propos peu délicats de ces indigents.

Car le film ne prend pas de cuiller pour décrire tous ces nouveaux locataires et en fait même une parade monstrueuse mais drolatique lors d'un repas mémorable tandis que Viridiana, Jorge et Ramona sont allés au notaire. On se rend compte tandis que les invités se goinfrent, se soûlent la gueule puis cassent tout ce qui traîne, dont la robe de mariée, qu'ils sont treize à table. Luis Buñuel se fait un malin plaisir à les filmer tous assis comme lors de la cène.


Le regard plein de compassion naïve - et pour tout dire ridicule – de la géniale actrice Silvia Pinal fait toute la saveur du film, cinq ans plus tard, elle jouera avec encore plus de délice le diable barbu qui tente Simon du désert. En 1961, Luis Buñuel revenait, très provisoirement en Espagne, encore sous la tyrannie de Franco et de ses cohortes de bigots, pour tourner son film parmi les plus clairvoyants sur l'hypocrisie de la religion. Ça méritait bien une Palme d'or.