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lundi 28 décembre 2020

Le Soleil (Aleksandr Soukourov, 2004)

Je n'ai jamais compris pourquoi Taurus n'était jamais sorti en salle, ni même édité en vidéo. Ce deuxième volume du triptyque sur les dictateurs parlait de Lénine. Je n'en ai vu que cinq minutes qui traînent ici et là sur youtube, sans doute l'ouverture du film, même couleur glauque que Moloch, quand Lénine et sa femme vont dans leur datcha. Le véhicule est conduit par un militaire. Sur le chemin en pleine forêt, des arbres morts empêchent la voiture d'avancer. Le reste je n'en sais pas plus.

Le Soleil sur quelques jours de la vie de Hiro Hito, je l'ai vu à sa sortie. Le traitement que subi l'empereur du Japon est bien différent, Aleksandr Soukourov a moins de mépris que pour Hitler. Quoique, il est représenté comme un enfant (ce que dira de lui le général McArthur lors de sa première rencontre) et pendant le premier quart d'heure du Soleil, on voit un homme se faire servir par des laquais moins comme un impotent que comme un enfant qui ne saurait rien ou à qui on ne laisserait rien faire.

C'est l'un des motifs les plus importants du film. L'empereur, une fois la défaite du Japon arrivée et l'armée américaine débarquée, découvre tout ce qu'il n'a jamais pu faire parce que les rituels et le protocole le lui interdisaient. Il peut enfin prendre des décisions en son nom propre et marcher dans les endroits qu'il veut. Il est cantonné dans un bâtiment moderne, pas dans son palais impérial. D'après des dialogues entendus, c'est un centre de biologie, un bâtiment destiné à la recherche. La nature, c'est sa passion.

Il essaie de nouvelles choses dans cette vie d'empereur débarrassé de son statut de Dieu vivant. Lors d'un rendez-vous à l'ambassade américaine, il ouvre une porte. Il n'a jamais ouvert une porte car, comme on le voit dans l'ouverture toute en rituels, des serviteurs lui ouvraient les portes. Il boit du vin, il mange de la viande, il fume un cigare, il entame un pas de danse, il enlèvera sa veste sans l'aide de personne et refusera que son vieux serviteur la range. Il était un enfant sans aucune connaissance sociale, en deux jours il devient un adulte.

La plus scène du film a lieu dans le jardin de sa résidence. Des journalistes américains ont été convoqués pour prendre en photo Hiro Hito. Le traducteur, un Américaine d'origine japonaise, leur explique comment ils doivent se comporter, avec déférence. Le chambellan arrive et les journalistes se ruent dessus. Ils pensaient que c'était l'empereur. La nuée de mouches est remise à sa place puis l'empereur arrive enfin, discrètement, par derrière, costume gris, chapeau mou. Un journaliste se demande qui est ce type.

La scène pourrait s'arrêter là, l'empereur ne pourrait être qu'un type très banal, comme le dit un gars. Mais voilà que l'empereur s'amuse comme un gamin derrière les roses, il fait des petits sourires. Il devient sous les appareils photo Charlie Chaplin, cela amuse les photographes. Il y a une vraie ironie de la part de Soukourov, est-ce que tous les dictateurs de la seconde guerre mondiale ressemble à Charlot ? Il demande au traducteur s'il ressemble à Chaplin, ni le traducteur ni l'empereur n'ont jamais vu un Charlot de leur vie.

Pourtant quelques minutes auparavant, l'empereur seul dans son bureau regarde des albums photos. Un album de famille, tout le monde en tenue traditionnelle, des images solennelles, des photos du passé révolu. Puis un album des vedettes du cinéma américain, parmi elles Charlot mais aussi Marlène Dietrich. C'est ce deuxième album de photos qu'il regarde le plus avec envie, une certaine joie, il admire des images d'acteurs qu'il n'a jamais vu bouger dans un film, secrètement, avec la défaite, il imagine enfin voir un film.

Il faut se débarrasser des rituels et protocoles. Des toutes les courbettes que ses domestiques, traducteur et chambellan effectuent à chacun de ses pas. Il faut qu'il se débarrasse de son tic qui affecte sa bouche, qui lui donne un air stupide. Il va parler seul, sans chambellan, sans traducteur et enfin, au retour de l'impératrice, il va prendre la main de sa femme et s'enfuir comme deux adolescents. Ce Tokyo détruit entièrement, il ne l'aura vu que le jour de la capitulation quand il quitte en costume queue de pie et chapeau haut de forme. C'était ça l'oeuvre de Hiro Hito, il s'en échappe avec son petit tour de passe-passe et de séduction à la Charlot.


































mercredi 9 décembre 2020

L'Enterrement du soleil (Nagisa Oshima, 1960)

L'Enterrement du soleil aurait pu s'appeler Affreux sales et méchants. Plus poisseux que ce film c'est difficile, Nagisa Oshima n'a jamais été aussi loin dans le portrait d'un monde qui vit au jour le jour dans un bidonville d'Osaka. Les cabanes en bois et tôles abritent des crasseux et pouilleux en haillons dans cet été caniculaire qui fait suer tous les habitants, ils vivent entassés les uns sur les autres, ils vivent d'expédients, de boulots misérables, ils se gueulent dessus, les plus forts frappent les plus faibles, les vieux sont à la même enseigne que les jeunes.

« C'est la fin du Japon » répète le surnommé l'agitateur (Eitaro Ozawa aux faux airs de Toshiro Mifune), dans cette petite phrase se trouve l'illustration du titre, il vitupère contre les Américains et les Soviétiques responsables de la fin de l'empire su soleil levant, il a une grenade qu'il espère utiliser dans une prochaine guerre qu'il attend avec impatience, il se révolte contre les trafics qu'il voit, trafic de papier d'identité (les miséreux vendent leur passeport à des étrangers), trafic de sang (ils vendent régulièrement leur sang contre quelques billets).

Hanako (Kayako Honddo) gère ce trafic de sang. La jeune femme fait partie de tous ces jeunes personnages qui sont nés pendant la guerre. En 1960, ils ont 20 ans. Ils subissent la pauvreté, ils s'organisent en bande un peu louche, le Shinakei, dirigé par Shin (Masahiko Tsugawa), le seul bien habillé, en costume et chapeau, beau gosse arrogant. Nagisa Oshima ne prend pas de pincettes avec le spectateur, il le plonge dans un flot de personnages, après ceux du bidonville, ce sont ceux de la bande de petites frappes.

Ce sont des détails qui permettent de les distinguer. Ce géant un peu benêt qui vend son sang, le couple infidèle et parmi les jeunes, le boiteux qui surveille les prostituées, le petit nerveux qui se caresse le ventre, le grand au t-shirt rouge et lunettes de soleil. Mais c'est Hanako qui est au centre du récit et dans sa force centrifuge, elle attire un jeune homme timide Takeshi (Isao Sasaki), lui porte une chemise marron. Il ne voulait pas rentrer dans la bande de Shin, mais son pote Yasu (Yusuke Kawasu) le force, c'était son rêve d'enfin exister.

Ce qui se joue dans L'Enterrement du soleil est le pouvoir, un microcosme où la cupidité est le dernier sursaut de survie. Hanako malgré son fort tempérament se fait léser dans le partage des bénéfices. Elle décide de se lancer seule. Elle cherche un nouveau médecin pour pratiquer les « dons du sang », ce sera la seule scène située hors du bidonville, hors des quartiers mal famés. Ce sera Sakaguchi (Kei Sato) qu'elle séduit en buvant avec lui. Pour s'assurer le monopole du sang, Hanako fait détruire le « labo » concurrent.

Hanako s'est amourachée de Takeshi. Il l'a bien compris mais sa timidité et sa réserve le ralentissent. Il est souvent humilié par Shin et les autres. Dans une rare scène comique, tous imitent l'un d'eux, Shin se moque de sa manière de chanter. Le destin de Takeshi est marqué par la mort dans deux scènes violentes. Il ne voyait pas son destin marqué par un tel désespoir. Le visage de Takeshi est toujours empreint d'une mélancolie, il contraste avec la folie de ses pairs. Chaque fois qu'il tente de quitter la bande, il est rattrapé par cette folie à laquelle il succombe aussi.

Le film est découpé en chapitres d'une manière très simple. Un plan large de la ville prise du bidonville dans un chromo coloré. Le soleil est souvent présent dans ces têtes de chapitre, notamment en ouverture et fermeture du film, un soleil couchant rouge orangé. Le rouge est la couleur principal du film, le sang, les vêtements de ces jeunes gens perdus, la rage et ce soleil, l'orange est la couleur du feu, ce feu qui détruit en fin de film le bidonville. Le dernier plan où Hanako quitte ce monde pour une nouvelle vie n'est qu'une illusion.