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jeudi 26 novembre 2020

Crime et châtiment (Josef Von Sternberg, 1935)

Après sept films avec Marlene Dietrich – et quels films – c'est Peter Lorre qui débarque à Hollywood, présenté comme la « vedette du cinéma européen » dans le générique. Ce qui est frappant dans les premiers plans de Crime et châtiment est de voir Peter Lorre dans l'obscurité. Il est entouré d'autres hommes et sa petite taille comme son enbompoint le distingue des autres. En face de lui, une assemblée qui pourrait faire penser à des juges. D'une certaine manière ils le sont. En vérité, ces hommes, éclairés eux, sont des professeurs d'université qui attribuent des diplômes.

Roderick Raskolnikov, son personnage, se détache de son groupe, s'avance pour être félicité. Or là encore, dans la lumière qui éclaire son visage, il se distingue par son visage inquiétant, une attitude dont il ne se déparera pas. Isolées, sa mère (Elizabeth Risdon) et sa sœur Antonia (Tala Birell) sont tant émues par son succès qu'elles pleurent. Le visage suivant de Peter Lorre est festif, tournant autour des deux femmes, joyeux de penser que sa petite sœur pourrait se fiancer à son camarade d'études, Dmitri (Robert Allen).

Le film avance à grands coups d'ellipse temporelle de diverse durée. Une coupure de journal apparaît à l'écran : un anonyme a écrit un article révolutionnaire sur la crime. Plan suivant, Raskolnikov déchire un journal pour mettre dans sa chaussure, la semelle est trouée. Il est fier de son article mais la gloire qu'il espérait en tirer n'est pas là. Entre sa remise de diplôme et ce temps-là, il est devenu pauvre, il habite dans un minuscule appartement dont il a du mal à payer le loyer, sa propriétaire l'alpague alors qu'il tente de sortir en sourdine.

Dans ses films précédents avec Marlene Dietrich, surtout L'Impératrice rouge, Agent X-27 et La Femme et le pantin, les décors sont grandioses mais surtout disproportionnés (comme dans un film d'Ernst Lubitsch). Impossible dans Crime et châtiment, Raskolnikov est trop pauvre. Josef Von Sternberg se venge sur la rampes sur lesquels il place une forte lumière crée des ombres crues, déjà ce sont les barreaux de la prison dans laquelle il s'enferme avant de commettre le crime crapuleux, il tue la préteur sur gages et lui vole quelques bibelots.

En ne sortant presque pas de quelques décors, Josef Von Sternberg plonge dans le cerveau de Raskolnikov. Dans son appartement qu'il quitte peu, il balance entre deux photos, Napoléon (il mettra sa main dans sa veste comme l'empereur) et Beethoven. L'appartement est encombré de livres. Tout cela est très poisseux, écrasant. Le cinéaste se détache de Dostoïevski, le film est contemporain mais reste en Russie, mais pas en URSS. De toute façon, tout le monde parle anglais, mais cela apporte une nouvelle étrangeté.

Les gros plans sur Peter Lorre expriment un visage de coupable. Quand la police commence à enquêter sur le crime de la préteur sur gages, Raskolnikov se voit confronter à l'inspecteur Porfiry (Edward Arnold). Physiquement les corps des deux acteurs s'opposent en tous points. Edward Arnold est un géant, une force de la nature et il règne sur le deuxième décor principal du film, l'hôtel de police. Très à l'aise dans son costume, armé d'un petit sourire ironique, l'inspecteur sait que Raskolnikov est coupable.

Toute la deuxième partie du film consiste ainsi non pas à une simple guerre des nerfs entre les deux hommes mais à une partie d'échecs mentale. Raskolnikov change de personnalité (il a touché une avance d'auteur pour de futurs articles) quand il change de vêtements, devient sûr de lui. Il était victime du destin, il le prend en main. Peter Lorre empiète sur l'espace d'Edward Arnold, il prend tellement ses aises que sont ego se retourne contre lui. Il est si fier de penser avoir accompli un crime parfait qu'il ne conçoit pas de ne pas le révéler à l'inspecteur.































vendredi 20 novembre 2020

Les Nuits de Chicago - Underworld (Josef Von Sternberg, 1927)

Le rythme et l’inventivité ont toujours été la marque des films de Josef Von Sternberg. Pour commencer le récit de Underworld, il ne perd pas de temps. Une ville la nuit (le titre français précise que cela se passe à Chicago mais à part un building pour le premier plan, il n’y est jamais fait référence), un type soûl (Clive Brook) qui titube devant une banque en train d’être cambriolé par Bull Weed (George Bancroft). Le second, revolver à la main, interrompt sa sortie, s’avance vers le premier qui le regarde avec un léger sourire, le fixe et le salue.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’ivrogne est embarqué dans la voiture qui attendait Bull Weed tandis que la police arrive déjà sur les lieux, deux policiers tirent des coups de feu, les voitures de forces de l’ordre poursuivent le cambrioleur. Un pur film d’action qui va à toute vitesse, vraiment c’est très étonnant de voir ce rythme échevelé somme toute très rare dans le cinéma muet, d’autant plus que quelques cartons viennent planter le décor (ils sont d’ailleurs un peu superflus). À ce niveau Underworld sert de mètre étalon du film noir.

A part passer par là pour cuver son alcool (ce qui en pleine période de prohibition est cocasse pour ne pas dire courageux), les cartons n’indiquent rien sur le personnage de Clive Brooks. Mal rasé, débraillé et soûl. Et ce regard direct mais ironique. Ce sera sa marque de fabrique à ce personnage, Josef Von Sternberg le filme à de nombreuses reprises en regard caméra. Jusque là ça n’est pas incongru même si le regard caméra est rare pour ne pas dire interdit mais surtout ceux qu’il regarde ne sont jamais filmé avec ce regard caméra.

Il faut ainsi en conclure que Josef Von Sternberg offre le point de vue du narrateur à cet ivrogne plutôt qu’à Bull Weed, ce qui propose une large variété d’ironie, car comme le montre son visage souriant, il dénote de l’ironie. Il s’agit maintenant de le nommer, le soûlard se décrit comme la « Rolls-Royce » du silence. Il promet à son interlocuteur, plutôt menaçant, qu’il tiendra sa parole de ne pas parler à la police de ce cambriolage dont il a été le témoin. Pendant tout le film, le personnage de Clive Brook est Rolls-Royce.

« Il a bien besoin d’être lavé et d’un bon coup de polish » dit Feathers (Evelyn Brents) en voyant Rolls-Royce, prolongeant la métaphore. Feathers, comme son nom l’indique bien, est la poule de Bull Weed. La petite brune porte toujours des plumes sur ses tenues. Elle a beau pavaner devant son amant, elle est impressionnée par les regards que lui porte Rolls-Royce. Là aussi, Josef Von Sternberg ne fait pas mystère de l’attirance ineffable qui les attire l’une vers l’autre, mais le cinéaste ne fait pas comme tous les autres, il ménage son suspense et prend son temps.

Rolls-Royce est d’abord embauché dans un bouge pour passer le balai. C’est le moment choisi pour présenter l’ennemi de Bull Weed. Encore plus brutal, Buck Mulligan (Fred Kohler) a lui aussi une fille attitrée (Helen Lynch). Mulligan semble toujours être en colère, son visage constamment en mouvement, aux aguets, cherche à humilier Rolls-Royce (il jette un billet dans le crachoir). Le balayeur dédaigne ce « cadeau » renvoyant l’humiliation au malfrat par ailleurs fleuriste, il prépare une gerbe funéraire avec le nom de Bull Weed.

Il reste un personnage à présenter joué par le comique Larry Semon qui a été à l’époque du splastick le comique Zigoto, notamment avec Stan Laurel. Slippy Lewis a une fonction dans Underworld comique dès sa première apparition dans le bar clandestin, il joue avec son chapeau. Il est le bras droit de Bull Weed toujours prêt à faire une bonne blague. Il se prend immédiatement de sympathie pour Rolls-Royce quand ce dernier élabore un plan pour pour l’évasion de leur patron condamné à être pendu après avoir tué Mulligan.

Ce plan d’évasion n’est pas seulement préparé par Rolls-Royce, Slippy Lewis et Feathers, il est filmé par Josef Von Sternberg dans un flash-forward qui développe les étapes de l’évasion. Je ne pense pas que le cinéaste invente le flash-forward mais il met en scène avec une grande lisibilité. Il suffit ensuite de comparer ce plan avec l’évasion elle-même qui ne va pas se passer comme le trio l’avait prévu, d’autant que le chef bien que prévenu par un comparse est persuadé que cette évasion est un piège fomenté par Rolls-Royce.

Avec un simple détail, Bull Weed se met dans son cerveau jaloux que Feathers a une liaison avec Rolls-Royce. Une plume s’est glissée dans l’étui à cigarettes de Rolls-Royce. Mais surtout, une fois lavé et rincé, l’homme s’avère terriblement séduisant. C’est rien de dire qu’il exerce une fascination sur Feathers. Tout est désormais mis en place pour un finale en montage alterné où les amours contrariées vont s’échouer contre une évasion, une course poursuite et une fusillade. C’est rien de dire que c’est magistral et surprenant à chaque séquence.