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lundi 31 août 2020

J'ai aussi regardé ces films en août


Effacer l'historique (Benoît Delépine & Gustavec Kervern, 2019)
La vie privée, ce douloureux problème. C'est l'argument de nos trois petits cochons qui se trimballent dans leur lotissement morne comme dans une fable à La Fontaine – tout est dans la morale finale : consommer c'est mal – dans une catalogue à la Bouvard et Pécuchet de tous les errements de ce trio d'anciens Gilets Jaunes (« le rond-point où on s'est connus alors qu'on savait pas qu'on était voisins » dit Corinne Masiero) dans leur vie merdique. A un certain point du film, une fois qu'on sait que Corinne Masiero est une teigne, que Blanche Gardin une alcoolo irresponsable et Denis Podalydès un béni-oui-oui persuadé d'être anticonformiste, il est difficile de dire si le film déteste ses personnages ou s'il les en a en pitié. Certes le duo imagine fait un portrait miroir des trois ans de la politique Macron sur nos anti-héros mais l'humour se voudrait caustique quand il ne pratique que l'ironie (« le numéro vert gratuit surtaxé », « j'ai pris un antivirus gratuit à 14,99€ par mois »). Tout le film ne fonctionne que sur ces dialogues un peu absurdes dans une volonté très voyante de devenir les nouveaux Mocky de la France d'aujourd'hui. Pour pimenter l'ensemble, Delépine et Kervern ont invité pas mal de leurs anciens acteurs pour une scène, une apparition diverse mais à cause d'un rythme nonchalant, des gags répétés (ce qui est différente de récurrents), ça ne suffit pas à vraiment soulever plus que quelques vagues sourires.

Yakari, la grande aventure (Xavier Giacometti & Tobi Genkel, 2019)
C'est plutôt convenable comme film pour les enfants malgré quelques animaux pas très bien dessinés. Il y a une dose d'aventure (Yakari traverse tout une contrée seul puis avec son cheval Petit Tonnerre), de la magie (Yakari cause aux animaux et le film déploie tout un bestiaire d'animaux sauvages), de la comédie (le castor paresseux, les deux autres papooses), du suspense proche de l'angoisse (c'est qu'il est livré à lui-même et que de vilains adversaires sont à la poursuite du petit Indien, cela s'ajoute au climat – option écologie garantie), de la tendresse (papa et maman cherchent leur fils). Bref, le film se regarde tout à fait, en plus il est relativement court.

T'as pécho ? (Adeline Picault, 2019)
Ça commence pas très bien avec ce genre de dialogues qu'on donne à dire à des ados et où tout sonne faux. Des dialogues écrits par des adultes plaqués dans la bouche des enfants. Mais petit à petit, ces dialogues s'avèrent n'être que les clichés que les jeunes collégiens semblent forcés de sortir à leurs camarades : ils doivent reproduire ce qu'ils pensent être nécessaire pour être populaire ou pour exister tout simplement. Les clichés sont les fringues et le film déshabille ses jeunes acteurs pour révéler leur petite vie. Le tout dans un vestiaire de piscine qui leur sert de confessionnal autant que salle d'éducation à la vie. Là, le film se met enfin à devenir vraiment bon, à la fois drôle et bien senti. C'est rare d'arriver à cet équilibre en douceur. Certes le film lorgne vers Les Beaux gosses avec 10 ans de plus dans la cruauté du milieu scolaire mais la réussite rappelle Le Nouveau de Rudi Rosenberg et parfois Rattrapage de Tristan Séguéla, deux films passés un peu inaperçus mais qui méritaient le détour. Dommage que le titre choisi soit si nul car T'as pécho ? est la bonne comédie surprise estivale.

jeudi 29 août 2019

Palais royal (Valérie Lemercier, 2005)

René-Guy, c'était le nom du personnage de Michel Aumont dans Palais royal. En apprenant la mort de l'acteur ce soir, j'ai immédiatement pensé au film de Valérie Lemercier et à ce conseiller de la Reine Eugénia que joue Catherine Deneuve avec un aplomb et un sarcasme sans faille, l'un des personnages les plus drôles de l'actrice qui s'amuse à faire de la calligraphie pour se détendre de son stress de reine.

Michel Aumont n'est qu'un personnage secondaire dans Palais royal mais il est au centre de cette famille. Il arbore un calme constant en toute logique puisqu'il est le chef du protocole et l'acteur sait parfaitement avec quelques simples mouvements du visage incarner tout le poids de cette monarchie inventée pour le film, plus vraie que nature qui rappelle les déboires de Diana avec sa belle-mère.

René-Guy a un petit tic quand le protocole s'enraie. Il passe son annulaire sur son sourcil gauche, c'est un moyen pour ne pas montré son énervement devant les avanies subies au palais royal. Il fait partie de ces acteurs venus dans les années 1970 qui incarnaient une idée de la bourgeoisie coincée, du pouvoir en place, des gens inamovibles, des types un peu lâches, bref la France de Pompidou dans toute sa splendeur.

Valérie Lermercier le prend ainsi, il est moins cassant et plus rond que Jean-François Balmer, plus vif que Bruno Crémer et surtout il a un visage sympathique mais peut faire des choses horribles, comme dans Le Jouet de Pierre Richard vendre son employé à un enfant comme jouet, je me rappelle aussi son rôle de cuisinier dans Au petit Marguery, un film très oublié mais qui avait un peu marqué son temps.

René-Guy et Eugénia complotent pour leur royaume de pacotille. L'un des plus beaux ressorts narratifs est l'adultère qu'ils ont toujours entretenu entre eux. Ils vont tout faire pour déshériter Alban (Michel Vuillermoz) le fils aîné quand Eugénia se retrouve veuve pour le fils cadet Arnaud (Lambert Wilson), fils de l'amour comme le dit avec mépris Armelle (Valérie Lemercier) l'épouse d'Arnaud.

Pas de quiproquos ni de porte qui claque, Valérie Lemercier avait déjà fait ça dans Quadrille son remake de Sacha Guitry. Pour Palais royal, elle multiplie les complots, les coups bas et tordus, les mensonges et les tromperies. Elle rend la monnaie de leur pièce à cette affreuse famille qui lui pourrit la vie, le tout en trois actes. 15 ans après, c'est encore fort divertissant, souvent marrant, plein de gags qui font mouche.

Dans le premier acte, elle est constamment rabaissée, humilié, elle est une potiche dont se moquent ses amis (Denis Podalydès et Mathilde Seigner). En voyage à l'étranger, en Inde, elle fait des faux pas (embrasser tout le monde), en visite dans une maison de retraite, elle se fait entartée par Noël Godin qui visait le ministre que jouait Franck de la Personne. L'actrice excelle dans ce rôle de godiche.

Dans le deuxième acte, l'heure de la vengeance mesquine sonne. Le gag filé du slip est le meilleur exemple de l'amplitude de son comique, comme le banquet en honneur de l'empereur du Japon qui boit le rince-doigt. Pour humilier Eugénia et les autres, elle va dans le sens des Japonais et trinque avec eux, obligeant à boire elle aussi le rince-doigt. « C'est rafraîchissant » clame la reine mère (Gisèle Casadesus).


Thèse, antithèse, synthèse, le dernier acte est celui des règlements de compte. Le jeu de Valérie Lemercier, puisque c'est elle la vedette tout de même, s'est transformé. Rarement, elle n'aura joué une telle peste, dépassant les horreurs qu'on lui a fait subir. Elle aime créer ce malaise irrémédiable et enfiler le mauvais rôle, jouer l'hypocrite joyeuse comme on dit veuve joyeuse. Elle a fait là son meilleur film à ce jour.



























samedi 23 juin 2018

Bécassine ! (Bruno Podalydès, 2018)


Le point d'exclamation du titre est essentiel. Bécassine (Emeline Bayard) ne cessera jamais de s'exclamer sur tout ce que voit, d'exprimer son étonnement et de vouloir découvrir le monde. Elle est en tout point l'exacte opposée de Marie (Vimala Pons) née dans le même hameau breton mais au destin plus prosaïque. Cette Marie, du même âge que Bécassine, dans un burlesque sinistre mais hilarant, subit les ordres de son père, elle doit aider au remoulage, aux champs à tirer la charrue, à marner comme une bête, ce qu'elle deviendra d'ailleurs.

Marie était employée de la Marquise de Grand-Air (Karin Viard) pour pouponner le bébé Loulotte, diminutif de Louise-Charlotte mais Marie, quand le nourrisson pleure, lui fout des « torgnoles » (ça peut pas faire de mal dit-elle avec en regardant presque droit devant elle, la pauvre elle louche, on imagine les torgnoles que sont père lui a flanqué), or Bécassine passait justement par là, la remplace au pied levé et devient la nourrice de Loulotte. Elle grimpe dans la belle voiture de Monsieur Proey-Minans (Denis Podalydès), tout à la fois avoué et amant de la Marquise.

Comment Bécassine est arrivée sur la route de la Marquise, cela est l'occasion d'un prologue sur l'enfance (elle ressemble un peu à la Jeanne de Bruno Dumont) puis l’adolescence de Bécassine. Comment et pourquoi son oncle Corentin (Michel Vuillermoz), chasseur poète (une chose inédite) lui fournit sa tenue si fameuse et lui offre un arbre bleu, comment et pourquoi elle veut partir à Paris pour découvrir la modernité, car si tout le monde vit dans le passé, comme je le disais, Bécassine veut découvrir le monde.

Cette borne sur laquelle elle s'assoit pour se confier à cet arbre bleu indique la distance entre Paris et Clocher-les-bécasses, 473 kilomètres. Elle ne fera que quelques pas, mais c'est assez pour partir à l'aventure et inventer un nouveau monde. Bécassine est une sorte de Gaston Lagaffe de la campagne du début du 20e siècle. Ce qui me permet d'en remettre une couche sur le film Gaston Lagaffe qui pensait bien faire en modernisant l'univers de Franquin, c'est Bruno Padalydès qui a bien raison de travailler le vieillot comme le faisait Alain Resnais dans I want to go home en 1989.

Bécassine se trompe dans le nom de Rastaqueros telle Bianca Catasfiore (sympathique hommage à Tintin), le chant du coq au son de La Marseillaise, la crotte de Dick le chien de la Marquise qu'elle vouvoie, les noms des personnages, la brutale Madame Châtaigne (Josiane Balasko) qui passe son temps à taper sur les coussins, Madeleine la cuisinière frivole (Isabelle Candelier), c'est tout un travail sur le langage (Bécassine prend au pied de la lettre chaque expression) qui se joue, parfois avec le montage (passer du cri de cochon aux parents qui ronflent).

Le seul voyage vers Paris est avec des illuminations que montre Proey-Minans, images plates qui ne plaisent pas autant que le spectacle de Rastaqueros (Bruno Podalydès), l'homme qui fait rêver les femmes du château et frémir les hommes. Personnage mythomane et escroc, soi-disant aventurier son arrivée relance le récit, jusque là bien sage, en contrepoint avec l'esprit terre-à-terre de Bécassine. Ce simulacre, qui trouve son apogée avec le bal, la stimule car contrairement au langage, elle le comprend et l'adopte.

samedi 12 mai 2018

Plaire aimer et courir vite (Christophe Honoré, 2018)


Dans une courte scène, Arthur (Vincent Lacoste) se promène au cimetière de Montmartre, il rend hommage à quelques morts, Koltès, Dominique Laffin et un long plan s'attarde sur la tombe de François Truffaut. C'est que Christophe Honoré après plusieurs films au formalisme poussif (Les Bien aimés, Métamorphoses, Les Malheurs de Sophie) revient à ce que je préfère chez lui, le romanesque foisonnant, celui de Dans Paris et des Chansons d'amour.

Année 1993 annonce le court générique godardien dans l'âme. Après une présentation symétrique de Jacques (Pierre Deladonchamp) et d'Arthur, (ils fument une cigarette, ils boivent dans le verre de l'autre assis autour d'une table), ils se rencontrent, par hasard, dans un cinéma évidemment, où ils sont venus voir Le Leçon de piano de Jane Campion, Palme d'or 1993. Le cinéma est presque vide ce qui permet qu'ils se rapprochent.

La grande force du film est de laisser la distance entre Jacques et Arthur, ils restent chacun dans leur ville respective pendant presque tout le film. Leur relation est épistolaire, ils s'envoient des cartes postales (geste en hommage à Serge Daney, on marche dans le film, on court pas), ils se passent des coups de fil (longues conversations où ils sont littéralement ensemble), mais surtout Jacques s'entête à vouvoyer son cadet de 13 ans comme s'il était dans un film d'Eric Rohmer.

Arthur est un écrivain en herbe, on lit en lui comme dans un livre ouvert. Isabelle (Sophie Letourneur) la mère du fils de Jacques explique à Arthur que Jacques compartimente sa vie. Arthur ignorait que son amoureux avait un fils, il ignorait même qu'il est écrivain, ce qui donne une scène amusante. Jacques était persuadé qu'Arthur le draguait au cinéma parce qu'il avait été reconnu. C'est sanns doute cette candeur qui l'attache à Arthur.

Le romanesque se développe par petites touches (souvent très drôles) tout autant sorties de l'imaginaire de Christophe Honoré que de ses souvenirs personnels, j'imagine une grande part autobiographique, une authenticité de souvenirs. Un exemple : en plan fixe, Jacques est allongé sur le lit, en slip, Arthur, habillé, est debout, passe derrière et d'un geste lui enlève son slip qu'il met dans sa poche pour garder un souvenir de Jacques.

Les souvenirs sont autant d'objets disséminés dans les décors des appartements deux hommes. L'affiche de Querelle de Fassbinder chez Jacques, celle de Boy meets girl de Leos Carax chez Arthur, des piles de livres (Jacques lit les lettres de Théo à Vincent), des photos d'Hervé Guibert sur le mur de la chambre d'Arthur (un dédale pour s'y rendre). Des magazines de cinéma (pas les Cahiers), tout ça sans que ça ne tourne à la nostalgie.

Et soudain arrive des chansons que seuls les gens nés au début des années 70 peuvent se rappeler, A Rennes, dans un parc, la nuit, Arthur et ses amis entonnent Pump Up The Volume avant que la musique ne surgisse de nulle part. Un jeune Breton pris au stop met le CD de Prefab Sprout lors d'une longue discussion au téléphone entre Jacques et Arthur où le premier demande quel genre d'amant est ce dernier.

Plaire aimer et courir vite évite deux écueils dans lesquels s'enfonçaient Théo et Hugo dans le même bateau de Ducastel et Martineau et 120 battements par minutes de Robin Campillo avec allégresse (autant les comparer puisqu'ils évoquent la rencontre amoureuse fortuite contrariée par le SIDA) : la scène de boite de nuit où les corps en transe se libèrent et les scènes de cul sensuelles où les corps ne font qu'un.

Au contraire, les scènes d'amour se terminent un peu piteusement,(une sodomie dans une chambre d'hôtel d'Amsterdam), les personnages sont maladroits (Jacques avec Marco l'un de ses vieux amis dans une baignoire). Et il y a celui qui ne baise plus du tout, Mathieu (Denis Podalydès), le meilleur ami de Jacques qui habite l'appartement au dessus. Trois génération se superposent pour envisager l'amour.

Plus que Pierre Deladonchamps et Denis Podalydès (j'ai peu parlé de son personnage de critique de cinéma, tant pis), Vincent Lacoste emporte tout. Fabuleuse séquence dans l'appartement de Mathieu. Assis sur le canapé entre Mathieu et Jacques, Arthur soliloque sur « les pédés en général », c'est très fort. Le dernier plan lui est consacré, un superbe regard caméra aussi beau que ceux d'Anna Karina ou de Jean-Pierre Léaud. Christophe Honoré a trouvé son acteur miroir.

lundi 5 juin 2017

Marie-Francine (Valérie Lemercier, 2017)

Le film décolle avec l'arrivée de Patrick Timsit au bout d'une vingtaine de minutes de présentation. Marie-Francine (Valérie Lermercier) se fait larguer par son mari (Denis Podalydès), Marie-Francine perd son boulot (à cause de l'amiante), Marie-Francine ne trouve pas d'appart (à l'agence immobilière se fait rabrouer par un gamin venu faire son stage de troisième). Autant de petites situations en forme de sketches où son personnage de chercheuse est perdue dans un monde qu'elle ne maîtrise pas.

Miguel, le personnage de Patrick Timsit, débarque dans la boutique de cigarettes électroniques que tient Marie-Francine bien malgré elle, forcée par ses parents (Hélène Vincent et Philippe Laudenbach) à revenir dans le monde de l'emploi. Miguel est tout doux, petit sourire, voix en murmures, tout l'inverse de Marie-Francine, stressée de la vie, fumant des clopes dans son magasin de vapotage. Le lendemain, Miguel fait porter un bol Félix Potin rempli d'un petit plat pour que Marie-Francine mange autre chose que des barres céréales.

L'idée de la mise en scène de Valérie Lermercier est très simple, elle l'avait déjà appliquée dans Le Derrière et Palais royal, la vitrine (ce qu'on dit aux autres, des petits mensonges pour faire passer la pilule, pour se rassurer soi-même) et l'arrière boutique (Miguel comme Marie-Francine sont retournés vivre chez leurs parents), mensonge et vérité. Miguel le chef de restaurant portugais dans un quartier chic et Marie-Francine la scientifique, pour prolonger la métaphore culinaire, c'est l'alliance sucré-sacré, aigre-douce, terre-mer.

Le film cherche par tous les moyens à s'extraire du schéma basique rencontre rupture réconciliation. Parfois un quiproquo (Miguel console une cuisinière, Marie-Francine croit qu'il l'embrasse) est très rapidement dégoupillé. Ces quiproquos, épouvantables écueils de nombreuses comédies amoureuses, permettent de découvrir les pans cachés des deux protagonistes, la jumelle snob de Marie-Francine, le fils de Miguel, les habitudes et les tics des parents protecteurs et gaffeurs. Ce sont les scènes de repas qui cristallisent les rapports amoureux.

La bizarrerie du film tient aux choix musicaux de Valérie Lemercier, pas de musique originale ni de chansons à la mode et surtout les séquences où l'un des personnages chante ou danse (les deux jumelles et leur maman Hélène Vincent sur L'amour c'est comme une cigarette) ne sont pas des scènes cathartiques et exutoires de leur soucis quotidiens. On entend un duo entre Nana Mouskouri et Michel Legrand, des chansons de Moustaki, Julio Iglesias, Aznavour et Amalia Rodrigues. Bref, la touche Lemercier en mode sourire complice, à défaut d'éclats de rire.

lundi 16 janvier 2017

J'ai aussi regardé ces films en janvier

Primaire (Hélène Angel, 2016)
Il y a 13 ans, Sara Forestier jouait une lycéenne dans L'Esquive, aujourd'hui elle incarne une institutrice, pardon, une professeure des écoles selon le vocabulaire du ministère. Dans une scène, tous les profs causent d'ailleurs de ces nouveaux termes imposés dans la pédagogie actuelle, pour s'en moquer avec un petit sourire. Ce nouveau film de Hélène Angel (très rare, personnellement, je n'ai vu que Peau d'homme cœur de bête son premier film que j'avais beaucoup aimé) est comme beaucoup de films français récents, fondés sur une vision documentée d'un métier. On suit ainsi Florence entourée d'élèves du CM2 (la pire année selon puisqu'elle ne le verra plus jamais) avec ses joies, ses difficultés, son fils, ses cas compliqués et éventuellement l'amour (Vincent Elbaz délicieux de vulgarité). Primaire est fort plaisant, souvent drôle, excellemment joué par les adultes comme les enfants, parfois touchant même si l'émotion est un peu forcée. Quelques scènes ont été tournées à Grenoble.

Ouvert la nuit (Edouard Baer, 2016)
Le voilà le dernier film avec Michel Galabru (décédé le 4 janvier 2016) qui joue son propre rôle, un comédien pris dans les rets d'un pièce de théâtre mise en scène par un Japonais laconique. Il n’apparaît qu'en début et fin de film et entre les deux Edouard Baer cherche un singe indispensable à la représentation. Il faut le dire tout de suite, c'est de loin, très loin, le meilleur film d'Edouard Baer, un road movie nocturne dans les coulisses du théâtre puis de bars en bars, dans les rues de Paris, dans un taxi, autant de petites saynètes, de sketches, de scènes mises bout à bout. Et Edouard (qui s'appelle Luigi dans son film) s'embarque avec Audrey Tautou et Sabrina Ouazani (elle aussi avait commencé dans L'Esquive) et rencontrent une pléiades de personnages forcément truculents. Luigi est un sommet d'égoïsme désinvolte mêlé de charme toxique. Les deux éléments composent une loufoquerie irrésistible, j'ai vraiment beaucoup ri, ça fait du bien.

La Mécanique de l'ombre (Thomas Kruithof, 2016)
Dans une mécanique, ce qui compte, ce sont les rouages qui la font fonctionner. Passée une ouverture de présentation du personnage de Duval (François Cluzet), chômeur dépressif, ancien alcoolique, solitaire, les manipulateurs de son destin entrent en jeu : Denis Podalydès, somme toute peu présent physiquement à l'image mais dont les autres ne cessent jamais de parler. Il est le metteur en scène de la nouvelle vie de scribe de Duval qu'il installe dans un décor nu, gris et l'oblige à taper à la machine à écrire des conversations concernant une prise d'otages. Simon Abkarian débarque sans crier gare et engage Duval dans l'action. Sami Bouajila est un cadre du contre-espionnage qui va lui aussi manipuler Duval. Ces trois contacts de Duval sont des hommes de l'ombre, des éminences grises qui dévoilent, petit à petit, et leurs méthodes brutales, et leurs objectifs bassement crapuleux sur fond d'élection présidentielle. Les gestes mécaniques de Duval quand il tape à la machine vont être enrayés autant par sa conscience que par la jeune femme des alcooliques anonymes qui vient demander du soutien au beau milieu de la nuit. Ce premier film atteint souvent une certaine efficacité largement supérieure au Grand jeu de Nicolas Pariser auquel j'ai souvent pensé.

jeudi 4 février 2016

Chocolat (Roschdy Zem, 2016)

Le 30 septembre 1900, Auguste et Louis Lumière filment Georges Footit et Chocolat. Ce film des deux frères est visible à la toute fin de Chocolat, juste avant le générique. Plan fixe où les deux clowns font leur numéro : Footit esquisse un mouvement circulaire accroupi, Chocolat se saisit d'une chaise pour le frapper, tous deux sautillent, cherchent à se faire tomber l'un l'autre puis sortent du cadre. Dans le film de Roschdy Zem, les frères Podalydès jouent les frères Lumière. On les voit, derrière leur appareil, donner des directives aux clowns dans une séquence charnière où l'art ancien de la pantomime rencontre l'art nouveau du cinématographe.

Ce qui passionne dans la première heure de Chocolat, ce sont les coulisses du spectacle. Au lieu de se mettre à la place du badaud qui vient au cirque, Roschdy Zem montre l'érection du chapiteau, les artistes qui auditionnent devant le patron, Monsieur Delvaux (Frédéric Pierrot). Parmi eux, Footit (James Thierrée, acteur physique qu'on avait vu dans Mes séances de lutte de Jacques Doillon, il est aussi le chorégraphe des numéros que l'on verra dans le film et accessoirement le petit-fils de Charles Chaplin). Le nouveau numéro de Footit ne plaît pas à Delvaux qui ne veut pas l'engager. Du déjà-vu. Le patron veut du neuf.

Quand Footit observe des coulisses l'arrivée d'un sauvage africain, comme le présente Delvaux, au milieu de la petite piste du cirque, il sent qu'il peut faire de cet homme habillé de peau de bêtes autre chose. L'arrivée d'Omar Sy sur la piste est là aussi vue des coulisses. On sait qu'il joue le rôle de cet Africain que l'on présente comme un sauvage cannibale, Delvaux le traite de Nègre, il doit faire peur au maigre public qui en 1897 n'a jamais vu de Noir, n'est jamais sorti de son village. La caméra subjective montre les regards effrayés, pour enfin montrer le visage d'Omar Sy affublé d'une coupe de cheveux monumentale.

Trois ans est la durée entre la rencontre entre Footit et celui qu'il va surnommer Chocolat, abandonnant le pseudonyme africanisant que lui avait donné Delvaux, et le succès qui emmène les frères Lumière à filmer le duo. Ces trois années, montre comment Footit dirige son comparse, comment il négocie ses contrats, comment il l'exploite sans vergogne. Puis comment se crée la jalousie des autres artistes du cirque, d'abord la rage de la mère Delvaux (Noémie Lvovsky) puis des collègues du grand cirque de Monsieur Oller (Olivier Gourmet) qui les débauche pour aller à Paris. Enfin comment l'amour rentre dans la vie de Chocolat alors que Footit reste solitaire.

Les numéros du duo sont basés sur un schéma primitif, Footit est le clown blanc, Chocolat l'Auguste, l'actif et le passif, le fesseur et le fessé. Là encore, à mon grand étonnement, la limpidité de la mise en scène de Roschdy Zem permet de prendre un grand plaisir aux numéros. Un plaisir coupable car c'est bien entendu toujours au dépend de Chocolat que l'on rit, des remarques sur sa peau, sur sa bêtise, sur sa couardise. Le film expose tout le racisme, le mépris et le paternalisme envers les Africains. Chocolat profite de son succès parce qu'il accepte cette position de dominé jusqu'à cette fameuse scène où il visite l'exposition coloniale avec Marie (Clothilde Hesme).

La deuxième heure de Chocolat montre, après l'ascension, la déchéance de ses personnages. L'alcool, le jeu et ses dépenses folles auront tôt fait de mettre Chocolat dans une position délicate. La rapacité d'Oller et de Footit qui le voient comme leur propriété est montrée sans manichéisme outrancier. Le paroxysme est atteint quand Félix Potin veut faire une publicité : le visage de Footit est humain, celui de Chocolat est celui d'un singe. La dénonciation du racisme peut paraître édifiante, mais elle est terriblement efficace et d'une sincérité à toute épreuve. Roschdy Zem dans ses autres films (Mauvaise foi, Omar m'a tuer) n'a jamais cessé de filmer cette maladie mentale qu'est le racisme.