Affichage des articles dont le libellé est Animation. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Animation. Afficher tous les articles

dimanche 27 décembre 2020

The Hell (Yeon Sang-ho, 2006) + Love is protein (Yeon Sang-ho, 2008)

Le premier court-métrage disponible en bonus du DVD de The Fake est The Hell. Dans ce monde parallèle qu'est la Corée, des anges viennent annoncer le moment de la mort mais plus important où les gens vont se retrouver après la mort. Paradis ou enfer, et à quel niveau de l'enfer. Le film est divisé en deux parties, la première suit un homme plutôt jeune, célibataire, employé dans une quelconque entreprise où il est le souffre-douleur de son supérieur hiérarchique. La deuxième suit une femme sans histoire. Il est promis à l'enfer, elle au paradis.

Fuir ou ne pas fuir cette vie ennuyeuse, telle est la question que se posent chacun d'eux. Car c'est bien de l'ennui profond, plus encore que dans Live is protein, que Yeon Sang-ho dépeint dans The Hell. Somme toute, l'annonce de sa mort est bien plus palpitante que cette vie. La première partie est racontée en flash-back, le jeune homme vit dans un égout sans fin, il se nourrit de rats. Puis il prend en charge la narration pour expliquer comment il en est arrivé là. Le point d'orgue de cette partie est l'arrivée des « ombres » de l'enfer quand elles se saisissent des moribonds.

La deuxième section de The Hell est moins radicale dans sa conception, l'animation est moins hachée, plus harmonieuse tout en décrivant une vie particulièrement monotone sans avenir. La jeune femme se laisse convaincre qu'elle va mourir dans 5 jours, un compte à rebours rythme le film. Elle prévient tous ses proches (mère, amies, collègues, petit ami) et tout le monde trouve normal d'apprendre la date de sa mort. La folie la cueille dans ses derniers instants car non, la normalité n'existe pas, pas plus que le paradis.

Dans Love is protein, trois colocataires, jeunes geeks, éternels adolescents si l'on en croit leur tenue, travaillent chez eux. L'un d'eux a faim. Sur le mur, un flyer pour du poulet. Ce gars, débardeur blanc, lunettes carrées, bonnet vissée sur la tête, salive jusqu'à en faire tomber sa bave. Avec sa voix de crécelle, il déclare vouloir commander du poulet frit. Mais ils n'ont pas d'argent. Alors notre gars affamé prend une paire de ciseaux et éventre sa tirelire cochon qui se met soudain à prendre vie, à vouloir fuir devant l'arme et le sourire démoniaque de son bourreau.

La tirelire se met à vivre mais ce n'est pas tout dans Love is protein. La commande est passée, on sonne à la porte de leur minuscule appartement. Un homme cochon vient livrer le poulet frit. Un homme cochon. Dans cet imaginaire débridé où surgit cet étrange homme cochon, ce qui choque notre binoclard n'est pas qu'un homme cochon vienne sonner chez lui mais bien qu'il n'avait pas commandé des travers de porc. L'homme cochon va expliquer pourquoi il livre à la place de l'homme poulet caché au bout du couloir de l'immeuble.

Il y a du comique qui se déploie avec l'arrivée de ces deux livreurs, tout est normal mais assez drôle. L'homme poulet raconte son histoire, celle de son fils qui est justement le repas des trois garçons. Le poulet fiston est cuit, dans l'emballage, tout pané. Les deux autres garçons sont émus, mais celui qui a faim n'en a rien à cirer. Il prend un pilon et l'avale. Il y a aussi de la bizarrerie dans toute cette histoire à la fois dramatique et loufoque, une volonté de fantastique domestique qui semble un peu se moquer des films Ghibli, mais avec gentillesse non dénué d'ironie.


samedi 26 décembre 2020

The Fake (Yeon Sang-ho, 2013)


En voilà un film particulièrement sinistre, du début à la fin, pas de happy end en vue, pas de rédemption, pas d'issue de secours, The Fake est une plongée dans un village perdu au fin fonds de la Corée. C'est l'animation qui à l'oeuvre, comme dans son film précédent The King of pigs. C'est d'ailleurs étonnant qu'aucun film d'animation de Yeon Sang-ho ne soit sorti en salle. Le cinéaste entre ses deux films de zombies en a tourné un, Séoul station débarqué direct en DVD. Je trouverai bien un jour l'occasion de le voir.

Le style d'animation est rugueux, quasi apocalyptique déjà avec des tons grisâtres, sombres, de nombreuses scènes se déroulent de nuit. L'apocalypse ne va tarder dans le village puisqu'il est promis à être enseveli par les eaux, pas une punition divine, un barrage va se construire. Les villageois vont être expulsés. En attendant, ils continuent leur petite vie rythmé par les visites à l'église provisoire, une grande tente installée. Ils prient à genoux sur des petits coussins, la dévotion est grande.

Dans la première séquence, on fait connaissance avec le pasteur. C'est un protestant évangélique – la pire race de chrétien – il est accompagné par un type immédiatement montré comme un salaud, sans doute lui le Fake du titre, le charlatan, qui fait tuer un chien attaché là par ses trois sbires, des gros costauds au cerveau vide. Le pasteur est jeune, bien propre sur lui, il ferait des miracles, c'est en tout cas ce que disent les villageois malades qui, par magie, ont retrouvé la santé. L'une d'elle a guéri de la tuberculose.

Joli et gentil pasteur contre affreux jojo, le « fils prodigue » qui revient au village des années après. Un ours mal léché, mine patibulaire, grosse voix, sale caractère, soulard invétéré. Pire que cela, il vole l'argent de sa fille – elle avait économisé pour aller étudier à Séoul – et le boit jusqu'à plus soif. C'est là qu'il croise le charlatan dans un bar. Ce dernier frappe avec une brique le soulard qui décide de porter plainte. Mais les policiers refusent d'enregistrer la plainte. Alors le père indigne choisit de se rendre justice lui-même.

Seulement voilà, personne ne veut l'écouter. Le film est construit comme une enquête mené par ce rustre pour lequel on n'a a priori aucune sympathie, et pour cause, il est franchement détestable. Il comprend ce que le charlatan prépare en secret : voler les indemnités des villageois. Il leur a promis une église toute neuve rien que pour eux. Mieux, il leur promet le paradis contre leur foi et cet argent : ils ne seront que 144.000 à aller au paradis. Les places sont rares. Les gens le croient, ils les a embrigadés.

De la même manière, le pasteur est donné d'emblée comme un gars bien sympathique qui a de la compassion pour tous (par exemple le débile mental sujet de moqueries qui perd sa grand-mère). Il fait même figure de victime du charlatan, obligé de lui obéir, sujet d'un chantage. C'est dans cette construction que le récit avance, deux courbes où l'empathie pour le pasteur (très haute en début de film) et le père (très faible) se croisent pour s'inverser petit à petit. C'est très habile d'une redoutable efficacité tout en manipulant bien le spectateur.

Reste le sujet principal du film, une lente démonstration de l'horreur de la religion, de l'esprit bigot, de l'endoctrinement. Yeon Sang-ho s'attache à de nombreux personnages, les ausculte avec tendresse et précision tout en avançant qu'ils sont rongés de l'intérieur par la religion (je le redis le christianisme évangélique est la pire de toutes), déjà des zombies. Le propos atteint une rare violence et l'animation permet de montrer ces visages hideux, les plaies de l'âme que le charlatan voulait acheter au rabais.

jeudi 15 octobre 2020

J'ai aussi regardé ces films en octobre


Parents d'élèves (Noémie Saglo, 2020)

Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que les films de Noémie Saglo avaient dépassé le stade du cliché sur chaque sujet qu'elle abordait. Pareillement, le jeu de Vincent Dedienne manquait de finesse dans Terrible jungle, mais dans Parents d'élèves. Concept simple : le babysitter qui déteste les enfants et l'école devient le père d'un enfant. Il s'ensuit tout un déluge de mensonges qui engendrent des quiproquos. L'art de la vanne de Vincent Dedienne, son débit hyper rapide, son air éberlué permettent de passer toutes les incohérences et invraisemblances du scénario. Avec un peu de travail, il pourrait devenir un bon acteur de cinéma. Pour une fois, les enfants jouent bien avec des répliques d'enfants.

Lupin III, the first (Takashi Yamazaki, 2019)

Dans l'animation japonaise, il n'y a pas que les dessins de l'école traditionnelle. Cette aventure d'Arsène Lupin est bien dans la veine des séries télé qu'on voyait dans le Club Dorothée mais la méthode est plus limpide tout en gardant une souplesse graphique. Le célèbre cambrioleur se modernise mais reste le même avec son adversaire éternel (le flic colérique) et ses complices. Pas franchement destiné aux enfants, Lupin III va se promener en France et prend régulièrement ses bouts de scénario dans les Indiana Jones, modèle de cette nouvelle version. Le film est très marrant, relativement épuisant puisque tout est mouvement rapide. On verra dans quel pays Lupin ira dans The Second.

La Première marche (Hakim Atoui & Baptiste Etchegaray, 2019)

Aux cancres qui pensent encore qu'un documentaire ne fait que retranscrire la réalité, il faut rappeler que tout est mise en scène dans le cinéma, documentaire, fiction comme expérimental. Malgré sa banalité, La Première marche est mangé par l'un de ses personnages, l'étudiant Youssef qui prend toute la place. Les deux réalisateurs pensaient tourner un film collectif sur quatre étudiants qui organisaient la première gay pride en banlieue parisienne, ils tentent de laisser la parole à tous mais assez vite, à chaque fois que l'un des trois autres causent devant la caméra, on roupille en attendant Youssef. Il est politique, très politique, tout en développant un sens comique irrésistible. Tant qu'à faire, le film aurait dû se concentrer sur lui. Tant pis pour les autres.


mercredi 30 septembre 2020

J'ai aussi regardé ces films en septembre

 


Josep (Aurel, 2020)
L'un des meilleurs films de l'année, rien que ça. Et pourtant à peu près tout me rebute dans Josep, le dessin d'abord pas du tout animé mais au contraire superposé, en esquisse (moi qui aime surtout la ligne claire), en hachure, en traits grossiers. Un récit en flash-back avec un jeune couillon qui vient visiter son grand-père mourant (avec une mère peu aimable). Une histoire d'amour trop pure, trop romantique. Une histoire d'amitié entre un gendarme (le grand-père en question) et un réfugié catalan. A la fin du film, je me suis retrouvé dans une vague d'émotions comme je n'en avais pas eu depuis bien des lustres. C'est une émotion qui rétrécit l'estomac et donne une larme à l’œil avec sincérité. Au programme de Josep, une multitude de dessins du camp de concentration de Rivesaltes au début de l'année 1939. Deux gendarmes racistes (François Morel prête sa voix à l'un d'eux avec saveur) et un bon gros gentil embringué malgré lui dans la collaboration jusqu'à ce qu'il rencontre ce Catalan Josep (voix de Sergi Lopez) et se lie d'amitié. Je crois que c'est la première fois qu'un parle de ces camps, c'est fait sans aucune retenue, le dessin se prête bien à la plus grande des cruautés dans la description détaillée de l'horreur – le film est un vrai film d'horreur. Je ne connaissais pas Josep Bartoli, le générique indique que ce sont ces dessins que l'on voit. Je ne veux pas seulement dire qu'on apprend plein de choses (cet ado c'est le spectateur) mais on les apprend avec le couteau sous la gorge. Avec sa brièveté, le récit est sec et tranchant « noir, blanc, dur, violent », comme dit Josep. 

Lux æterna (Gaspar Noé, 2019) 
Des lettres romaines capitales pour vaguement expliquer le projet, un bout de Dies irae de Carl Theo Dreyer pour les références et Béatrice Dalle, un peu éméchée, et Charlotte Gainsbourg, toute timide, causent sur un canapé. Le film est en scope, parfois le cadre ne prend que la moitié de l'écran, puis c'est un split screen. Ah la modernité, c'est quelque chose chez Gaspar Noé. Ça discute de ce film en train de se faire, Béatrice tourne son premier long-métrage sur une sorcière. « t'as déjà brûlé au cinéma ? Moi j'ai déjà fait une sorcière » dit Béatrice (c'était pour Marco Bellocchio à ses débuts). Charlotte n'a jamais brûlé au cinéma mais elle a fait un Lars Von Trier, ça vaut tous les bûchers. Charlotte reçoit un coup de téléphone, elle traverse tout le décor alors qu'on l'attend pour tourner la scène. Trois croix sur un bûcher, autour d'elle des mannequins, l'une d'elle veut appeler son agent pour se plaindre de la nudité qu'on veut lui imposer. Le chef opérateur se met à gueuler contre Béatrice, Béatrice se met à gueuler contre le chef opérateur. C'est tellement plus vrai et réel un tournage qui part en couilles. C'est bien simple on se croirait dans une émission de Pascal Praud sur l'Islam. C'est la première fois que je vois un film de Gaspar Noé en entier, je n'avais jamais vu aucun de ses films précédents et j'avais pas tenu plus 40 minutes de Climax. C'est donc lui l'homme de scandale du cinéma français, eh ben dis donc, tu parles de scandale. 

Autonomes (François Bégaudeau, 2020) 
On oublie souvent de le rappeler, François Bégaudeau a sauvé le cinéma français. La preuve, c'est lui qui a permis à la France en 2005 avec Entre les murs de Laurent Cantet de remporter la première Palme d'or depuis Sous le soleil de Satan, 28 ans plus tard. C'était lui le prof, c'était lui qui avais écrit le scénario. Le voilà devenu le chantre du réalisme au cinéma et tout Autonomes va dans ce sens, presque du Pialat. Le voilà embarqué dans la Mayenne chez des gens qui refusent la civilisation consumériste pour s'en inventer une autre (de civilisation). Il est à l'écoute ou plutôt au regard dans des scènes qu'on qualifiera d'emblématiques, surtout au travail d'ailleurs. Il suit au pas un rouquin un peu moins sympathique que les autres, un jusqueboutiste un peu couillon. Il s'avère que cet homme est un acteur et il est le seul à qui Bégaudeau s'adresse régulièrement. On est donc là dans la vieille rengaine du documentaire mis en scène et de la fiction documentée mais tout tombe à peu près à plat. Le jeune cinéaste pensait faire du neuf mais il se trompe un peu de cible.

Fin de siècle (Lucio Castro, 2019) 
Le film est court mais il joue constamment sur la durée. Dans les 12 premières minutes, rien ne se passe si ce n'est, comme dans un vulgaire film de Rivette, la traversée de la ville par le premier homme. Il met sa bière au frigo, découvre Barcelone, va à la plage, se baigne, observe le deuxième homme. Il ne se passe rien et ça désamorce à peu près toute tentative narrative. Le récit sera de toute façon minimaliste, un peu de coucherie rapide, une danse endiablée. Mais le temps se déplie et se plie sans aucune indication, 20 ans plus tôt, 20 ans plus tard, mêmes acteurs sans aucun changement physique. On recolle le temps grâce au t-shirt Kiss (pas Prince, le groupe de glam rock). C'est un peu l'unique attrait du film mais c'est déjà pas mal.

lundi 31 août 2020

J'ai aussi regardé ces films en août


Effacer l'historique (Benoît Delépine & Gustavec Kervern, 2019)
La vie privée, ce douloureux problème. C'est l'argument de nos trois petits cochons qui se trimballent dans leur lotissement morne comme dans une fable à La Fontaine – tout est dans la morale finale : consommer c'est mal – dans une catalogue à la Bouvard et Pécuchet de tous les errements de ce trio d'anciens Gilets Jaunes (« le rond-point où on s'est connus alors qu'on savait pas qu'on était voisins » dit Corinne Masiero) dans leur vie merdique. A un certain point du film, une fois qu'on sait que Corinne Masiero est une teigne, que Blanche Gardin une alcoolo irresponsable et Denis Podalydès un béni-oui-oui persuadé d'être anticonformiste, il est difficile de dire si le film déteste ses personnages ou s'il les en a en pitié. Certes le duo imagine fait un portrait miroir des trois ans de la politique Macron sur nos anti-héros mais l'humour se voudrait caustique quand il ne pratique que l'ironie (« le numéro vert gratuit surtaxé », « j'ai pris un antivirus gratuit à 14,99€ par mois »). Tout le film ne fonctionne que sur ces dialogues un peu absurdes dans une volonté très voyante de devenir les nouveaux Mocky de la France d'aujourd'hui. Pour pimenter l'ensemble, Delépine et Kervern ont invité pas mal de leurs anciens acteurs pour une scène, une apparition diverse mais à cause d'un rythme nonchalant, des gags répétés (ce qui est différente de récurrents), ça ne suffit pas à vraiment soulever plus que quelques vagues sourires.

Yakari, la grande aventure (Xavier Giacometti & Tobi Genkel, 2019)
C'est plutôt convenable comme film pour les enfants malgré quelques animaux pas très bien dessinés. Il y a une dose d'aventure (Yakari traverse tout une contrée seul puis avec son cheval Petit Tonnerre), de la magie (Yakari cause aux animaux et le film déploie tout un bestiaire d'animaux sauvages), de la comédie (le castor paresseux, les deux autres papooses), du suspense proche de l'angoisse (c'est qu'il est livré à lui-même et que de vilains adversaires sont à la poursuite du petit Indien, cela s'ajoute au climat – option écologie garantie), de la tendresse (papa et maman cherchent leur fils). Bref, le film se regarde tout à fait, en plus il est relativement court.

T'as pécho ? (Adeline Picault, 2019)
Ça commence pas très bien avec ce genre de dialogues qu'on donne à dire à des ados et où tout sonne faux. Des dialogues écrits par des adultes plaqués dans la bouche des enfants. Mais petit à petit, ces dialogues s'avèrent n'être que les clichés que les jeunes collégiens semblent forcés de sortir à leurs camarades : ils doivent reproduire ce qu'ils pensent être nécessaire pour être populaire ou pour exister tout simplement. Les clichés sont les fringues et le film déshabille ses jeunes acteurs pour révéler leur petite vie. Le tout dans un vestiaire de piscine qui leur sert de confessionnal autant que salle d'éducation à la vie. Là, le film se met enfin à devenir vraiment bon, à la fois drôle et bien senti. C'est rare d'arriver à cet équilibre en douceur. Certes le film lorgne vers Les Beaux gosses avec 10 ans de plus dans la cruauté du milieu scolaire mais la réussite rappelle Le Nouveau de Rudi Rosenberg et parfois Rattrapage de Tristan Séguéla, deux films passés un peu inaperçus mais qui méritaient le détour. Dommage que le titre choisi soit si nul car T'as pécho ? est la bonne comédie surprise estivale.

mardi 30 juin 2020

J'ai aussi regardé ces films en juin


Si c'était de l'amour (Patric Chiha, 2019)
Le premier plan séquence est mystérieux, en fond sonore de la techno, à l'image un défilé de jeunes gens, tous beaux, tous souriants, viennent se faire asperger à la sulfateuse (c'est bien sûr de l'eau pour simuler la transpiration. Leurs gestes sont lents, ils bougent en saccadé, c'est ainsi que la chorégraphe Gisèle Vienne les met en scène. Sa parole se fait entendre avec un slogan « plonge dans le sol ». Sur la scène du théâtre où la représentation est répétée de la terre, voilà le sol en question. Et toujours ces déplacements lents, c'est très beau d'autant que la caméra de Patric Chiha scrute les gestes, les visages, les peaux, l'extase qui est en train d'arriver chez tous ces jeunes filles et garçons. Pour ainsi dire, Si c'était de l'amour est l'extrême inverse de Climax de Gaspar Noé, ça commence par de la danse. Gaspar Noé pensait pouvoir filmer de l'énergie mais il ne filmait que les vent entre la gestuelle emphatique de ses danseurs, puis il faisait dialoguer deux par deux ses personnages, les pauvres se contentaient de débiter une somme de clichés. Patric Chiha fait la même chose. Ce qui se passe dans les dialogues de Si c'était de l'amour est la construction des personnages sans qu'on sache si les danseurs parlent d'eux ou des personnages que Gisèle Vienne a inventé pour cette soirée techno. La polyphonie (anglais, allemand, français, suédois), comme dans Brothers of the night est là, les corps se désirent, ils se dénudent, ils se touchent, ils se repoussent, ils se trouvent. Mieux que ça, un peu d'humour est distillé ici et là. Mieux que Gaspar Noé, Patric Chiha abat encore une fois la frontière entre documentaire et fiction jusqu'à une abstraction presque vertigineuse.

Nous, les chiens (Ho Sung-yoon & Lee Chon-baek, 2018)
Ce film d'animation coréen (denrée rare, je n'ai vu que Mari Yiagi, Oseam, Aachi & Ssipak et King of pigs) parle d'un sujet que, je crois, je n'ai jamais vu au cinéma : les fermes à chien. Des chiens sont élevés soit pour leur fourrure (comme le bébé chien capricieux et espiègle), soit comme mère porteuse (comme la chienne « sauvage »), soit comme aliment (eh oui, en Corée on mange du chien). On n'en parle peu – je me rappelle que certains athlètes au JO de 2018 s'était fait l'écho de cette exploitation scandaleuse). Les chiens de ce film qui se sont échappés sont donc constamment traqués par le tenancier de la ferme, un type au visage particulièrement soigné, un tronche patibulaire, mal rasé, hurlant, les yeux cruels. Bref, pas un rigolo. Il va à la chasse avec sa voiture polluante, il fonce dans la forêt et la montagne et se fait de capturer les fuyards une mission personnelle. Dans ce film les chiens parlent, l'anthropomorphisme joue à fond, ce qui crée le souci majeur du récit, ils agissent autant avec des sentiments humains qu'avec des réactions canines. On reste le cul entre deux chaises.

Un fils (Mehdi M. Barsaoui, 2019)
Mehdi M. Barsaoui a été à bonne école, il a été l'assistant de la cinéaste tunisienne Kaouter Ben Hania (Le Challat de Tunis, La Belle et la meute), un peu logiquement, il prend dans son premier film des sujets brûlants qui ont traversé la Tunisie juste après la chute de Ben Ali : la place de la femme dans la société (ici on ne lui laisse rien faire pour aider son fils qui a reçu une balle perdue sans l'accord de son mari), la vague terroriste (la chute de la Libye n'est pas loin, merci Sarkozy), l'infidélité (la raison du drame vécu), la bourgeoisie insouciante des villes (la famille part en week-end à Tataouine, mal lui en prend), le don d'organes et sa conséquence le trafic de jeune enfants, sans doute les deux sujets les mieux traités dans le film où le père passe d'un hôpital à bout de souffle à une clinique privée où la corruption règne. Le film cherche à frôler le thriller psychologique et effectivement on parle beaucoup, les personnages s'interrogent longtemps sur leur passé et leurs actes. Ça fait beaucoup de sujets et si le film retombe sur ses pattes, c'est vraiment parce que le cinéaste fonce, ne prend pas de gants pour dépeindre l'enfer que vivent ces deux parents. Ce qu'on appelle un film coup de poing.

Jumbo (Zoé Wittock, 2019)
Régulièrement le cinéma français frôle le cinéma de genre, ici le fantastique domestique. Une jeune femme mal dans sa peau tombe amoureuse d'une attraction foraine, un peu comme si Megan Fox était éprise d'un Transformer, en vérité la cinéaste cherchait à talonner vers le Crash de David Cronenberg, le maître des sexualités déviantes. Le jeu de Noémie Merlant est tout en douceur avec des scènes où elle discute avec le manège de manière naturelle. Hommage à Under the skin de Jonathan Glazer (une des inspirations du film) quand elle se trouve enduite de cambouis comme si elle venait de se prendre une éjaculation faciale de l'attraction mécanique. En revanche, les deux autres personnages sont plus pénibles. Emmanuelle Bercot joue la mère et elle ne semble toujours pas être remise de son rôle dans les films de Maïwenn (c'est très pénible). Thomas Bouillon, l'acteur le plus insipide depuis Raphaël Personnaz devrait un type dur, arrogant qui harcèle la jeune femme, mais il en est loin. J'ai parfois eu l'impression de voir un court-métrage étiré jusqu'à plus soif, on reste loin des énigmes de Crash et Under the skin, très loin. Peut-être pour son deuxième film.

jeudi 30 avril 2020

Le Criquet (Zdenék Miler, 1978)

Le criquet est le cousin éloigné de la petite taupe. Zdenék Miler l'a créé en 1978 avec, semble-t-il moins de succès. Seulement sept aventures de cinq minutes. Le criquet est un enfant, comme le montre Le Violon cassé. Sa mère l'envoie prendre des cours de violon. Le criquet est habillé en queue de pie et a toujours son instrument d'une seule corde. Sauf que le criquet au lieu d'aller chez son professeur de musique préfère aller jouer au ballon avec d'autres insectes.

Le criquet compte parmi ses amis des animaux de petite taille et en particulier des insectes qui évoluent dans des paysages tout juste esquissés, composés de fleurs au teint pastel, on distingue des pissenlits ou des coquelicots. Les coccinelles veulent un concert privé, le criquet leur donne (Le Concert des coccinelles). Quand son violon se brise (Le Violon cassé), une sauterelle l'aide à fabriquer un nouveau instrument.

Il est moins à l'aise avec les gros animaux. Il fait comprendre au hérisson que sa voiture pollue la forêt (La Poire du hérisson) ce qui abîme les fleurs et gêne les abeilles. Toujours dans Le Concert des coccinelles, une poule gobe le criquet. Mais il saura se défendre. Il sait toujours se dépêtrer des embûches qui se mettent devant lui, voilà la grande leçon de cette compilation des aventures du criquet, il s'en sort mais toujours avec l'aide d'autrui.

Parfois c'est lui qui aide les autres. Il sauve un arbre majestueux habité par de nombreux oiseaux quand l'arbre est attaqué par des chenilles (Le Violon cassé), les chenilles seront dévorés par un poisson de la mare. Il enquiquine une araignée (L'Araignée sur le fil). Il gronde deux pucerons goulus qui dévorent les herbes (La Scie chanteuse). Il apprend au scarabée qui souffle trop fort dans son tuba à jouer doucement (La Berceuse en fanfare).


Toujours curieux, toujours en balade, il se fait prendre parfois dans des pièges. On remarque le pouvoir magique de son violon. Son instrument peut animer les objets, la scie des pucerons, le couteau de l'araignée et un violoncelle bien trop grand pour lui (La Danse du violoncelle). C'est moins imaginatif que les aventures de la petite taupe, Zdenék Miler fait preuve de moins de précision dans les décors et les animaux.


























dimanche 12 avril 2020

Des œufs de Pâques...


Une fois n'est pas coutume, je dépose deux films sur Pâques, encore mieux sur les œufs de Pâques. Ça dure en tout 11 minutes, largement assez pour fêter Pâques. En 1907, Segundo de Chomon filme Julienne Mathieu, en couleur, qui invente toute une variété d’œufs de Pâques. Le cinéaste joue sur les proportions puisque dans les œufs se trouvent des personnages. On traverse tous les continents en 3 minutes avec ces danseuses qui viennent de tous les pays du monde.

Dans Funny Little Bunnies, une production Disney de 1934 dans leur série des Silly Symphony, une bande de lapin qui habitent au pied d'un arc en ciel fabrique des œufs de Pâques en chocolat. Tous les parfums sont là, fraise, menthe et vanille. Dans leur petite salopette bleue, les ouvriers s'activent avec un grand sourire de lapin. Ça sculpte le chocolat, ça asperge de couleurs les œufs que les poules viennent de pondre avec les couleurs de l'arc en ciel récoltées dans des seaux bien remplis.


vendredi 27 mars 2020

La Petite taupe peintre (Zdenék Miler, 1972)

La petite taupe réenchante le monde et on en a bien besoin par les temps qui courent. En 1972, c'était la même chose mais un peu différent, la petite taupe à peine a-t-elle sorti le museau de la terre pour découvrir où elle sort se fait menacer par un renard. Je me suis toujours plu à croire que Zdenék Miler parsemait dans ses films des messages politiques forts. Par exemple, dans La Petite taupe peintre, le renard symbolise le grand frère soviétique, tout terne, tout gris qui opprime tous les autres.

Mettons que la petite taupe est le peuple tchécoslovaque et que tous les autres animaux qui viennent dans le film sont les autres pays de l'est. Tous ont une peur instinctive du renard qui assoit son pouvoir dans la forêt sur la terreur. Les enfants de 1972, ceux qui regardaient le court-métrage ne devaient pas le voir. Les parents qui les accompagnaient recevaient le message 5/5 et se réjouissaient que la petite taupe et ses amis de la forêt viennent frégler leur compte à ce renard antipathique.

Car en début du film, la taupe sort devant une maison où de nombreux pots de peinture ont été posés. Quand le renard chasse la taupe, celle-ci tombe dans la couleur rouge. Voilà qu'elle parvient à effrayer le renard qui ne comprend pas que la taupe n'est pas le fantôme qu'il croit. Ce qui est cocasse est qu'elle fait le fantôme drapée dans la peinture rouge. Ça aurait pu être une autre couleur, mais Zdenék Miler choisit celui du drapeau soviétique, par un beau retournement de situation, le renard est effrayé par ce qu'il chérit le plus.

Voilà, je délire peut-être un peu, il reste toutes ces magnifiques couleurs qui vont se poser sur les animaux. Moineaux, grenouilles, hibou, grive, hérisson, écureuil, canard, lapin. Tous vont prendre des couleurs, sortir de leur vie normale quelques instants dans un déluge pictural pas tellement éloigné du psychédélisme. Chacun se met à participer à ce carnaval. Quand la nuit arrive, ce sont les arbres que les animaux colorent. Ils sortent de leur grisaille quotidienne et le renard a plus peur que jamais de cette liberté retrouvée.


Il se réfugie dans son bunker, un arbre creux, et se barricade, incapable de comprendre ce délire de couleur. Les animaux en profitent pour se transformer en fauves, le lapin devient un tigre. Mais toute bonne chose à une fin. Le renard n'y est pour rien. C'est la pluie qui met fin à ce moment privilégié de bonheur. En tombant sur la forêt, tout ce met à couler sur le sol et redevient normal. À vrai dire, seul le hibou, abrité sous un arbre, est resté coloré. Comme un sursaut d'espoir qui permet de dire qu'un jour les animaux utiliseront à nouveau les couleurs.