dimanche 31 juillet 2016

J'ai aussi regardé ces films en juillet 2

Déesses indiennes en colère (Pan Nalin, 2015)
Cinq amies se retrouvent dans la résidence secondaire de l'une d'entre elles située à Goa. La maison est de style portugais, grand jardin, bel espace. A ce quintet, venu prendre quelques jours de repos loin de leur travail, se joignent la fille de l'une d'elles, l'employée de maison qui porte le sari traditionnel puis une autre femme, militante communiste. Les cinq femmes, la majorité dans la trentaine, sont présentées façon bande-annonce, montage rapide,musique bruyante, nom du personnage inscrit sur l'écran. Chacune est montrée confrontée au machisme, au sexisme ou au harcèlement des hommes. La photographe n'est pas prise au sérieux. L'actrice n'a été embauchée que pour son corps. La chanteuse est interrompue par des remarques sur son physique. La chef d'entreprise doit travailler deux fois plus que les hommes pour se faire respecter. La femme au foyer se fait siffler à la salle de gym. Le film, et c'est là son intérêt, ne parlera que de la difficulté pour les femmes indiennes de subir les regards haineux, méprisants et scabreux des hommes, surtout quand elles aspirent à s'émanciper du schéma traditionnel. Le scénario de Déesses indiennes en colère se plie aux témoignages de ces femmes, catalogue de toute la misère sexuelle des victimes du patriarcat : difficulté d'être indépendante, viol, violences, lesbophobie, parents incompréhensifs, discrimination, pression pour donner un héritier etc. Seulement voilà, le cinéaste dans sa volonté de traiter tous les problèmes s'égare en chemin, a du mal à figurer la complicité entre les actrices et termine son film d'une manière tellement racoleuse que toute la sincérité de ses propos précédents se trouvent réduits à peu près à néant.

Comme des bêtes (Chris Renaud, 2016)
Le vrai sujet de Comme des bêtes (tourné en solo par le co-créateur des Minions), c'est moins la vie secrète des animaux de compagnie, comme le dit le titre anglais, que la gentrification que subit Manhattan. Un embourgeoisement que subissent les petits toutous et les matous obèses jusqu'à l'arrivée d'un bon gros chien poilu qui va perturber la vie de ces gentils animaux qui ne sortent que pour déposer leur crotte. Le promeneur hipster va laisser s'échapper les cabots. S'ensuit un road movie trépidant pour retourner vers leur cellule, pardon vers l'appartement de leurs maîtres, à la manière de Toy Story. Ils vont rencontrer les ennemis des humains : les animaux abandonnés. Un lapin violent, des chats crasseux, un crocodile et des chiens la gueule encagée. Ce sont les bébêtes des bas-fonds qui seront les plus drôles.

J'ai aussi vu Independence Day resurgence épouvantable apologie de l'armée américaine d'un ennui mortel et à l'humour pas drôle. Pauvre Roland Emmerich, lui qui espérait devenir respectable avec son Stonewall sur l'émeute gay de New York, mais pour cause de grave réécriture de l'histoire des événements (le whitebashing des personnages entre eux), son film n'est jamais sorti. Du coup, il se venge en tournant une suite encore plus bête, plus nationaliste, plus moche. J'ai aussi vu Insaisissables 2 avec tout plein d'acteurs que j'aime bien et tout plein d'effets spéciaux magiques. Ça part dans tous les sens, jusqu'à l'incohérence, j'ai pas tout compris, mais ça rince bien le cerveau. Sinon, à partir de mercredi 3 août, 5 films d'Hou Hsiao-hsien sortent en salles, dont deux comédies avec Kenny Bee totalement différentes de ce que le cinéaste taïwanais nous a habitué depuis 25 ans.

samedi 30 juillet 2016

Récit d'un propriétaire (Yasujiro Ozu, 1947)

En 1947, quand il entreprend Récit d'un propriétaire, Yasujiro Ozu n'avait pas tourné de film depuis cinq ans (Il était un père, un film de commande en pleine seconde guerre mondiale). La guerre est passée, le cinéaste revient à son thème de prédilection, l'enfance et livre avec son scénariste Tadao Ikeda le récit d'un gamin recueilli par une veuve aigrie. Le film, comédie douce-amère, est le récit de ce drôle de duo.

Récit d'un propriétaire sort au Japon, en mai 1947, quand le pays subit encore les terribles contrecoups de la guerre. Le paysage est en ruine, les familles sont brisées, l'argent manque, la nourriture n'est pas bonne et les enfants sont abandonnés. Là, arrive un gamin (Hoho Aoki) . C'est Toshiro (Chisu Ryu) un des locataires qui le ramène dans l'ensemble d'appartements où les voisins vivent pratiquement les uns sur les autres.

Le gamin n'aura jamais de prénom, il a une mine renfrognée, les mains constamment dans les poches et porte un calot. Il ne dit presque aucun mot de tout le film. Personne ne veut du gamin. Ni le propriétaire des appartements, ni les locataires. C'est la veuve Otané (Choko Iida) qui est forcée de récupérer le petit et ça ne la réjouit pas vraiment. Mais parce qu'elle est veuve, les voisins pensent qu'elle peut s'en occuper

Elle fronce les sourcils devant le gamin terrorisé qui détourne les yeux. Le gamin pisse au lit, le matelas est tout taché : elle fronce les yeux et le veut le chasser. Des kakis ont disparu, elle fronce les yeux en accusant le gamin. Mais, ça n'était pas lui. Le petit s'exprime en pleurant tout son sou. Un matin, il a encore pissé au lit. Il s'est enfui avant que la marâtre ne l'expulse. Elle le cherchera partout, s’inquiétera pour lui, le retrouvera.

Finalement elle l'aime bien ce môme, elle va l'adopter. Mais le chemin qui a mené vers cette affection réciproque a été semé d'embûches. Yasujiro Ozu dans Récit d'un propriétaire manie la cruauté avec un sens du sadisme assez puissant. Quand le gamin arrive, les adultes ne se gênent pour parler, en mal, de lui devant lui. « Si vous n'en voulez pas, abandonnez le » ou « Je déteste les enfants » disent les adultes.

Un matin, Otané l'emmène pour tenter de retrouver son père. En vain. Après une pause au bord de la mer, elle essaie de le semer. En vain. Yasujiro Ozu les filme dans la longueur du cadre, dans un jeu de piste. Le gamin la suit comme un chien, elle le chasse. Il sort du cadre puis, le plan suivant, il est à nouveau là. La force du film tient à la manière de filmer joyeusement ce Japon du désespoir. On en est abasourdi.

Quelques séquences bouleversent et touchent directement au cœur. D'autres font tendrement sourire, comme celle où tous les locataires accompagnent une chanson d'amour avec leurs baguettes. La fin de Récit d'un propriétaire est particulièrement poignante. En 71 minutes, Yasujiro Ozu, qui adopte la solution des plans fixes, devient à la fois conteur, moraliste et historien.




















vendredi 29 juillet 2016

Amour 65 (Bo Widerberg, 1965)

Drôle de film que Amour 65 qui semble absolument vouloir coller à la sentence « on ne peut plus faire un film avec un début, un milieu et une fin », phrase prononcée par son personnage principal, Keve Hjelm (chacun garde son propre nom), cinéaste à la recherche d'un sujet et qui cite Jean-Luc Godard et Michelangelo Antonioni, le soir après avoir fait l'amour. Bo Widerberg, toujours en lutte contre la narration classique du cinéma suédois et surtout celle d'Ingmar Bergman, champion de la grammaire cinématographique jusqu'à la révolution Persona sorti pile un an après Amour 65, évidemment en réponse à Amour 65. C'est très beau le dialogue entre films.

Bo Widerberg triture son récit, supprime les présentations des personnages, refuse l'effet dramatique, mais ses références sont si nombreuses, si voyantes qu'elles donnent de la psychologie aux personnages et le récit retombe finalement sur ses pattes. Un peu du Mépris de Godard, ce dialogue entre Keve et Ann-Mari, son épouse, la caméra placée devant une fenêtre passe de l'une à l'autre, les lunettes de Keve qui ne sont pas sans rappeler celle de Marcello Mastroianni dans 8 ½ de Federico Fellini et bien-sûr la présence de Ben Carruthers, l'acteur de Shadows de John Cassavates, engagé justement pour son sens de l'improvisation.

Dans une courte scène de tournage d'une fiction sociale que réalise Keve, Thommy Berggren (acteur fétiche de Bo Widerberg) se sent frustré de ne pas avoir le droit de regarder sa partenaire pendant qu'il dit ses répliques. La discussion tourne court entre Keve et Thommy, c'est le regard du cinéaste qui compte, pas celui de l'acteur. Bo Widerberg s'interroge sur la question du réalisme. Les dessins de sa fille Nina, affligée d'une maladie de l’œil sont-ils plus réalistes que la peinture académique de la salle de conférence ? Le cinéaste trouble la bande-son, longues discussions en voix off entre les personnages à l'écran qui ne bougent pas les lèvres.

Et l'amour dans tout cela. Entre de longues envolées lyriques sur la falaise de la Scanie où les cerf-volants flottent au gré du vent (d'ailleurs, le cameraman, que l'on aperçoit un instant, est accroché à l'un d'eux pour ces impressionnantes images vues du ciel), Keve tombent éperdument amoureux d'Eva-Britt le premier été. Un amour passionnel et physique dans l'appartement d'Eva-Briit quand son époux n'est pas là. Toujours dans le refus de l'effet dramatique, Keve dira à Björn, l'époux en question, le deuxième été, que ce qui lui manque le plus, c'est la petite cicatrice à l'aine d'Eva-Britt. L'amour n'a duré qu'un hiver.

La dernière partie d'Amour 65 est consacrée à Ben Carruthers qui débarque dans la maison de campagne, avec son air cool et son beau sourire, il dynamise le récit. Il refuse de jouer au cerf-volant et préfère faire la cuisine (il a une manière singulière de peler le concombre) avec Ann-Mari, l'épouse de Keve. Il ira danser au bal avec Inger, une amie du couple. Chacune d'elle est fasciné par l'acteur qui parle de Shadows. Quand l'acteur de Cassavetes quitte le film, Amour 65 ne s'en remet pas s'enfonçant dans la même apathie que celle de Keve. Bo Widerberg reviendra aux films avec un début, un milieu et une fin.

























jeudi 28 juillet 2016

Edward aux mains d'argent (Tim Burton, 1990)

La neige tombe sur le logo de la 20th Century Fox, une manière évidente d'annoncer que Edward aux mains d'argent sera un conte de Noël, un récit du Merveilleux. La grand-mère borde sa petite-fille, après avoir vu, de la fenêtre, la maison sur la colline. Cela lui rappelle cette histoire qu'elle va raconter à l'enfant. Et comme tout conte a un début, Tim Burton ne perd pas de temps et plante le décor : un petit lotissement américain aux villas de couleur pastel. Comme dans tous ses films de sa première période (de Pee-Wee Big adventure à Mars attacks!), l'univers est un subtil mélange de vieillot (tenues et voitures des années 1960) et d'actuel. Une Amérique qui n'existe qu'au cinéma.

Vêtue d'une beau tailleur mauve, Peg (Dianne Wiest) est « ambassadrice Avon », en clair, elle vend des produits de beauté. Et c'est chez ses voisines qu'elle sonne. Entre Helen (Conchatta Ferrell) les bigoudis aux cheveux, Joyce (Kathy Baker) occupée à draguer le plombier et Esmeralda (O-Lan Jones), la bigote solitaire, personne ne veut acheter quoi que ce soit. Dépitée malgré son enthousiasme, Peg voit la maison perchée et se propose de tenter le coup. Elle pénètre dans le jardin mal entretenu, envahi par les mauvaises herbes et les arbustes puis pousse la grille. Là, elle est émerveillée par la beauté du jardin. Les arbres sont sculptés en forme d'animaux.

Elle entre enfin dans la demeure délabrée, semblable à un château hanté. Tout à l'opposé du jardin merveilleux. Le hall est immense, recouvert de poussières, une machine étrange remplit la moitié du lieu. Un escalier aux marches anciennes montent au grenier, une géante statue fantomatique orne la rambarde. Peg appelle, demande si quelqu'un est là. Elle regarde partout, observe bien, remarque un collage d'articles de journaux. Du fond du grenier, un homme s'avance dans l'ombre, c'est Edward (Johnny Depp) qui semble sortir de son antre et qui avance vers elle, hésitant, d'un petit pas.

La première scène de Johnny Depp évoque, avec sans doute une ironie de Tim Burton, celle d'un démon et, en l'occurrence à cause des ciseaux longs à la place de ses doigts, immanquablement Freddy Kruger. Johnny Depp avait débuté au cinéma dans Les Griffes de la nuit de Wes Craven (1984). Si Peg est tout en mauve pastel, de la tête au pieds, la peau d'Edward est noire, comme une combinaison de cuir et de lanières qui n'est pas sans rappeler un tenue SM. Tim Burton passe du rictus grimaçant du Joker dans Batman au sourire timide et minuscule d'Edward au visage d'une pâleur extrême. Un personnage en noir et blanc tout droit venu du cinéma des années 1930.

Cette créature qu'est Edward aux mains d'argent voit son passé révélé par trois très courts flashbacks, sous forme de souvenirs qui reviennent à Edward lors de moments de tristesse. Son créateur est joué par Vincent Price qui apparaît six minutes, la durée du court-métrage Vincent. Première scène, où le mécanisme de fabrication des biscuits lui donne l'idée fabriquer un humain. Deuxième scène, où il lit un poème à Edward. Troisième scène, il a enfin confectionner les mains de sa créature, mais meurt devant Edward. La fulgurance avec laquelle Tim Burton visite le passé de l'inventeur est poétique et d'une tristesse infinie.

Peg décide que Edward doit vivre parmi les hommes, c'est le début de la partie comédie d'Edward aux mains d'argent. Bill le mari (Alan Arkin) et Kevin le fiston (Robert Oliveri) accueillent chaudement Edward. C'est au tour des voisines de vouloir le rencontrer. Joyce, grâce au téléphone qui sert à se répandre en commérages, force Peg à inviter le lotissement. Edward est l'attraction du barbecue, toutes les voisines se l'accaparent, les enfants veulent jouer avec lui et les voisins veulent devenir son ami. Vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon noir, Edward commence à se sentir à l'aise parmi les habitants tous habillés de couleur pastel, orange, mauve, jaune, vert.

Edward a un don pour utiliser ses mains en ciseaux. Il sculpte, comme on l'avait vu dans le jardin de son château (le plus gros arbre taillé était une main, ce qui précisément lui manque). Il taillera les arbres des villas, puis coupera les poils des chiens et finira par coiffer ces dames, ravies de l'attention que leur porte Edward, tandis que leurs époux partent chaque matin au boulot, à la queue leu leu dans leur voiture forcément pastel. Tout va bien dans le meilleur des mondes mais le film ne vas pas rester longtemps dans cet univers de sourires, de gentillesse et de guimauve que Tim Burton décrit comme un conformisme, comme une anomalie.

L'ambiance et le ton vont se modifier avec l'arrivée de Kim (Winona Ryder), la fille de Peg aux longs cheveux blonds. Elle était partie en week-end avec des copains et son petit-ami Jim (Anthony Michael Hall), au physique totalement opposé de celui d'Eward. La comédie se prolonge un instant avec la séquence en deux temps du retour. Kim rentre dans sa chambre où dort Edward et croit que c'est un intrus. Puis, le père offre du whisky à Edward qui s'écroule comme un enfant dès la première gorgée. Edward, qui n'avait vu Kim jusque là qu'en photo, admire la jeune fille.

Le film prend les atours d'un teenage movie, cruel et touchant. Jim ne va supporter que Kim, petit à petit, se prenne de sympathie pour Edward, qu'il considère comme un monstre. Il va le harceler et le menacer avec de plus en plus de violence. Un événement va transformer la confiance et l'amitié que toute la population avait pour Edward en animosité. Les ragots que lance Joyce seront répétés, déformés et amplifiés par chacune des voisines. Peg ne pourra plus contrôler la situation et Edward ne pourra plus contrôler son calme.

Deux scènes magnifiques montrent l'amour naissant entre Edward et Kim. La première est celle de l'émission télé où on demande à Edward s'il a une amoureuse. Il fixe la caméra tandis que Kim regarde intensément le poste télé. La deuxième est celle de la sculpture de glace où Kim danse au son de la superbe musique de Danny Elfman (sa meilleure pour Tim Burton). Face à ces deux scènes poignantes, Tim Burton oppose la vindicte populaire dans un hommage à la séquence de lynchage de la créature du Frankenstein de James Whale. Mais la grand-mère qui narre le conte décide qu'Edward est toujours vivant, au moins dans son cœur et dans ses pensées.