Professeur
de philosophie le matin, réalisateur de film le soir, Michele
s'apprête à tourner son nouveau film, La Mamma di Freud. Docteur
Jeckyll et Mister Hyde, ou plutôt Dottore Freud et Signore Moretti,
du cinéma italien, le jeune Michele (Nanni Moretti, évidemment) va
présenter son premier film au public et animer des débats à
l'issue de la projection. Dans les salles art et essai, pour des
chefs d'entreprise, pour des étudiants et même dans un couvent.
Chaque fois, le même spectateur semble revenir avec la même question « est-ce que le paysan, la ménagère ou le paysan
peuvent apprécier ce film qui parle d'intellectuels ? ».
On imagine que Michele a présenté un film qui ressemble à Ecce
bombo avec ses quatre amis qui
passent leur temps à refaire le monde sans jamais bouger le petit
doigt.
Quand
Sogni d'oro
sort en 1981, le cinéma italien compte encore Fellini, Scola, Comencini,
Risi ou Monicelli, avant de subir les assauts mortels de la
télévision de Berlusconi (déjà). Nanni Moretti prophétise deux
choses, la première ce sont ces jeux complètement stupides de la
télé poubelle auxquels Michele affronte un autre cinéaste, Gigio
Cimino, pour connaître celui qui est le cinéaste préféré des
Italiens. « Pubblico di merda », répondra Michele quand
son concurrent gagne le concours après s'être déguisé en
pingouin, clamant avec arrogance être le seul cinéaste italien. La
deuxième est précisément que, 35 ans plus tard, Nanni Moretti est
le seul cinéaste italien. Certains ont cru voir une relève ici ou
là (Sorrentino et Garrone) avant qu'ils ne fassent que ce que le
public ne veuille, en l'occurrence des indigestes euro-pudding en
anglais.
Nanni
Moretti se livre à un exercice inouï de masochiste avec son
personnage de Michele. Les scènes où on le découvre, barbu, en
prof de philo épris de Silvia (Laura Morante), l'une de ses élèves,
le désigne comme un homme insupportable qui vire de son cours, les
uns après les autres, ses élèves, qui s'ennuient manifestement. Un
amoureux qui fait des scènes de jalousie pas possibles à Silvia. Il
se montre tout autant pénible avec sa mère (Piera Degli Esposti)
chez qui il vit encore. Il fait des caprices, lui gueule dessus, ils
en viennent aux mains. C'est un gamin qui dort en pyjama dans son
petit lit. Il n'est pas étonnant qu'il tourne un film sur Sigmund
Freud qui vit, lui aussi dans le tournage du film, avec sa maman qui
lui chante un berceuse pour qu'il s'endorme. Michele a des problèmes
qu'il étale aux yeux de tous, mais ses problèmes sont le terreau de
son cinéma.
Rarement
un film comme Sogni d'oro aura
autant montré les coulisses de la fabrication d'un film de son
écriture à sa sortie. La plupart des films sur le cinéma se
contente de montrer l'ambiance du tournage et les romances entre le
réalisateur et son actrice. Michele écrit la nuit, sur son petit
lit, en tenant ses feuilles à la main. Michele fait passer des
castings en ne regardant que les chaussures des acteurs. Michele
subit les assiduités de deux frères bavards qui exigent d'être
assistants sur le film pour apprendre à devenir cinéastes. Michele
engueule le projectionniste qui n'a pas mis son film au bon format.
Michele est jaloux que son producteur finance la comédie musicale de
Gigio Cimino qui aura pour cadre Mai 68. Et bien entendu, Michele
fait la promo de son film à la télé dans cette hilarante séquence
de jeux grotesques, l'un des meilleurs moments du film.
Le
plaisir éprouvé devant Sogni
d'oro est ineffable autant que
son scénario est copieux. Le film est pratiquement irracontable et
va à toute vitesse, ne laissant personne souffler. Les ruptures de
rythme et de ton permettent à Nanni Moretti de souffler le chaud et
le froid, la délicatesse et le grotesque. Le film, qui ne cesse
jamais d'étonner par sa mélancolie et par sa drôlerie, prend
souvent, avec un simple détail, un détour absurde. On ne sait
jamais vraiment sur quel pied danser quand le personnage de l'acteur
qui joue Sigmund Freud cabotine et hurle ses dialogues, puis que
Michele lui demande de se calmer, mais qu'ensuite lui-même se met à
vitupérer comme un diable pour finalement, dans une scène suivante,
avec une douceur infinie, montrer à ses deux assistants farfelus son
gâteau préféré, la Sacher Torte.
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