mercredi 16 décembre 2015

Sogni d'oro (Nanni Moretti, 1981)

Professeur de philosophie le matin, réalisateur de film le soir, Michele s'apprête à tourner son nouveau film, La Mamma di Freud. Docteur Jeckyll et Mister Hyde, ou plutôt Dottore Freud et Signore Moretti, du cinéma italien, le jeune Michele (Nanni Moretti, évidemment) va présenter son premier film au public et animer des débats à l'issue de la projection. Dans les salles art et essai, pour des chefs d'entreprise, pour des étudiants et même dans un couvent. Chaque fois, le même spectateur semble revenir avec la même question « est-ce que le paysan, la ménagère ou le paysan peuvent apprécier ce film qui parle d'intellectuels ? ». On imagine que Michele a présenté un film qui ressemble à Ecce bombo avec ses quatre amis qui passent leur temps à refaire le monde sans jamais bouger le petit doigt.

Quand Sogni d'oro sort en 1981, le cinéma italien compte encore Fellini, Scola, Comencini, Risi ou Monicelli, avant de subir les assauts mortels de la télévision de Berlusconi (déjà). Nanni Moretti prophétise deux choses, la première ce sont ces jeux complètement stupides de la télé poubelle auxquels Michele affronte un autre cinéaste, Gigio Cimino, pour connaître celui qui est le cinéaste préféré des Italiens. « Pubblico di merda », répondra Michele quand son concurrent gagne le concours après s'être déguisé en pingouin, clamant avec arrogance être le seul cinéaste italien. La deuxième est précisément que, 35 ans plus tard, Nanni Moretti est le seul cinéaste italien. Certains ont cru voir une relève ici ou là (Sorrentino et Garrone) avant qu'ils ne fassent que ce que le public ne veuille, en l'occurrence des indigestes euro-pudding en anglais.

Nanni Moretti se livre à un exercice inouï de masochiste avec son personnage de Michele. Les scènes où on le découvre, barbu, en prof de philo épris de Silvia (Laura Morante), l'une de ses élèves, le désigne comme un homme insupportable qui vire de son cours, les uns après les autres, ses élèves, qui s'ennuient manifestement. Un amoureux qui fait des scènes de jalousie pas possibles à Silvia. Il se montre tout autant pénible avec sa mère (Piera Degli Esposti) chez qui il vit encore. Il fait des caprices, lui gueule dessus, ils en viennent aux mains. C'est un gamin qui dort en pyjama dans son petit lit. Il n'est pas étonnant qu'il tourne un film sur Sigmund Freud qui vit, lui aussi dans le tournage du film, avec sa maman qui lui chante un berceuse pour qu'il s'endorme. Michele a des problèmes qu'il étale aux yeux de tous, mais ses problèmes sont le terreau de son cinéma.

Rarement un film comme Sogni d'oro aura autant montré les coulisses de la fabrication d'un film de son écriture à sa sortie. La plupart des films sur le cinéma se contente de montrer l'ambiance du tournage et les romances entre le réalisateur et son actrice. Michele écrit la nuit, sur son petit lit, en tenant ses feuilles à la main. Michele fait passer des castings en ne regardant que les chaussures des acteurs. Michele subit les assiduités de deux frères bavards qui exigent d'être assistants sur le film pour apprendre à devenir cinéastes. Michele engueule le projectionniste qui n'a pas mis son film au bon format. Michele est jaloux que son producteur finance la comédie musicale de Gigio Cimino qui aura pour cadre Mai 68. Et bien entendu, Michele fait la promo de son film à la télé dans cette hilarante séquence de jeux grotesques, l'un des meilleurs moments du film.

Le plaisir éprouvé devant Sogni d'oro est ineffable autant que son scénario est copieux. Le film est pratiquement irracontable et va à toute vitesse, ne laissant personne souffler. Les ruptures de rythme et de ton permettent à Nanni Moretti de souffler le chaud et le froid, la délicatesse et le grotesque. Le film, qui ne cesse jamais d'étonner par sa mélancolie et par sa drôlerie, prend souvent, avec un simple détail, un détour absurde. On ne sait jamais vraiment sur quel pied danser quand le personnage de l'acteur qui joue Sigmund Freud cabotine et hurle ses dialogues, puis que Michele lui demande de se calmer, mais qu'ensuite lui-même se met à vitupérer comme un diable pour finalement, dans une scène suivante, avec une douceur infinie, montrer à ses deux assistants farfelus son gâteau préféré, la Sacher Torte.

















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