vendredi 31 juillet 2015

L’Auberge du printemps / The Fate of Lee Khan (King Hu, 1973)


Au 14ème siècle, le Prince Lee Khan (Tien Feng), descendant de Gengis Khan, doit lutter contre les armées rebelles menées par le Général Zhou, force de 100.000 soldats. Lee Khan va visiter ses contrées de province et doit se rendre dans une auberge qui sera le lieu où ses ennemis vont chercher à récupérer une carte où est indiqué le plan de bataille destiné à battre les rebelles. Cette auberge, tenue par Wan Ren-mi (Li Li-hua) est enfouie dans une colline. Wan a engagé quelques uns des meilleurs combattants pour vaincre Lee Khan, mais celui-ci arrive avec la cruelle Wan-Er (Hsu Feng) qui n’hésite jamais à condamner à mort ceux qui se mettent sur leur route.

Les premiers clients commencent à arriver dans l’auberge. Pour King Hu, il s’agit d’un jeu de pistes où le spectateur doit deviner à quel camp chacun des clients appartient. Ce chanteur qui mendie pour payer son repas, un lettré reste très calme, un homme riche flirte avec une serveuse, trois homme viennent dépenser leur argent à la table de jeux. Les regards se croisent, des échanges verbaux ont lieu, tout le monde se toise dans un grand théâtre où chaque personnage doit cacher ce qu’il est vraiment. L’Auberge du printemps est une sorte de Cluédo où les faux-semblants et les masques, pendant la première heure, augmentent le suspense. Lee Khan arrive enfin escorté de soldats, le gouverneur Ha vient lui rendre compte de la situation. On n’attend que le général Cao (Roy Chiao).















jeudi 30 juillet 2015

Une histoire de vent (Joris Ivens et Marceline Loridan, 1988)


A 90 ans, Joris Ivens retourne en Chine avec une idée utopiste, celle de filmer le vent, donc l’invisible. Après tout, Ivens en a bien le droit et ce n’est pas la première fois qu’il essaie de capturer le vent. Et l’invisible tout autant, ne serait-ce que filmer une révolution en marche comme dans la plupart de ses films. Une histoire de vent est surtout un prétexte pour retourner en Chine et constater ce que le pays est devenu plus de quinze ans après la Révolution Culturelle que les deux cinéastes ont tant vanté. Le vent est un leitmotiv, ou un MacGuffin, pour revenir sur la vie de Joris Ivens. Le film commence avec des images d’un moulin hollandais dont les ailes sont mues par le vent. Un garçonnet s’est construit un avion et veut s’envoler pour la Chine, pays de l’exotisme par excellence pour un enfant européen des années 1910. La musique de Michel Portal, toute en fugue, accompagne les images. Et nous retrouvons Joris Ivens, en gros plan, sur son visage buriné mais serein de vieux sage. Autre vieillard tout aussi jeune, cet homme qui enseigne le kung-fu aux jeunes générations. Il explique que tout vient du souffle. Ivens confie qu’il est asthmatique.

Ivens filme des images de tempête. Il est dans le désert à attendre le vent, mais ne se passe. Il ne se lève pas. Tandis que dans le reste du monde, il y a des ouragans, des rafales de vent et des personnes victimes des éléments. Dans le désert, Joris Ivens attend encore que le vent se lève mais à force de rester au soleil et à la chaleur, à cause de son asthme, il tombe malade. Il met en scène son malaise et son rapatriement à l'hôpital. Le Roi Singe, qu'il a déjà filmé depuis le début du film, vient à son aide pour le remettre en forme.

Les cauchemars envahissent le personnage. Puis, il se rêve dans un film de Méliès (Voyage sur la lune) dont un voit un extrait. Pour la première fois, Ivens filme les légendes et contes chinois. Non seulement, il montre le Roi Singe comme personnage légendaire récurrent, mais il narre également dans un décor de carton pâte, comme pour revenir aux origines, des morceaux de la légende de Hou Yi. Plus tard, il évoquera le dieu du vent. Ce qui étonne donc est cette entrée fracassante vers la fiction. Comme pour prendre un plus grand recul sur sa carrière, il met en scène la Chine d'aujourd'hui, celle de 1988 donc, en studio. C'est un aveu finalement que certaines parties de Comment Yukong déplaça les montagnes est un film mis en scène. Ivens et Loridan constatent que la Chine en 15 ans a bien changé. On n'écoute plus les discours même si les pionniers chantent encore la gloire de la révolution. C'est une Chine en boîte, en condensé que montre ici Ivens. On y voit des sportifs, des gens modernes pour bien montrer que le peuple a bien son destin en main.

Sautant du coq à l'âne dans son voyage en Chine, Ivens n'arrive toujours pas à percer les mystères du vent. Un forgeron lui confectionne le masque du vent qu’il faut dresser pour le faire venir. C’est la confirmation qu’Ivens s’intéresse pour la première aux valeurs populaires chinoises. En échange du masque de fer forgé, Joris Ivens offre une copie de son film Les Barbants (1928), une de ses rares fictions qui marquait sa première tentative de filmer le vent. On en découvre un extrait. Toute l’équipe part dans les montagnes avec l’espoir de capturer l’image du vent. Les porteurs sont filmés. Ivens est porté dans une chaise puisqu’il est trop âgé pour gravir seul les flancs montagneux. Cela lui rappelle certains passages des résistants chinois dans Les 400 millions (1938) dont on voit un extrait.

Joris Ivens cherche à filmer les guerriers en terre cuite. Là, il doit faire face à un administration particulièrement tatillonne. Un bureaucrate ne lui offre que dix minutes de tournage ce qui met mal à l’aise les cinéastes. Les négociations durent une semaine jusqu’à ce qu’Ivens les rompe. Epuisé par tant de palabres, Ivens trouve une solution de remplacement. Dans un geste d’une belle jeunesse, le sourire jusqu’au dents, Ivens va filmer des soldats en terre cuite miniatures et des figurants déguisés. Son geste est fou mais c’est un des plus beaux moments du film. Puisqu'il ne cesse de reconstituer le passé, il peut également recréer les soldats. Dans le désert, le vent n’arrive pas. Ivens fait donc appel à une vieille femme qui s’apparente à une sorcière. Le vent arrive enfin emportant tout avec lui. Joris Ivens sourit. Le mot FIN apparaît. C’est le dernier film du cinéaste.
















mercredi 29 juillet 2015

Ici et ailleurs (Jean-Luc Godard & Anne-Marie Miéville, 1974)

Ici et ailleurs devait être l'opera maxima du Groupe Dziga Vertov. Après l'Angleterre (British sounds), la Tchécoslovaquie (Pravda), l'Italie (Lotte in Italia) et les films en France (Vladimir et Rosa, Le Vent d'est, Un film comme les autres) Jean-Luc Godard et ses comparses (Jean-Pierre Gorin, Jean-Henri Roger) sont allés s'installer quelques jours en Palestine pour filmer des combattants de la lutte pour l'indépendance. La Palestine, c'était la Révolution des Révolutions pour eux, la lutte ultime contre l'impérialisme américain, le film militant par excellence.

Assez vite Godard et Gorin se rendent compte que la dialectique qu'ils pratiquaient jusqu'à présent dans leurs films cités plus haut, et souvent avec beaucoup d'humour malgré le ton sentencieux, ne fonctionne pas. Les Palestiniens n'ont pas le même objectif que le Groupe Dziga Vertov. Les Palestiniens veulent que les cinéastes filment leur message de propagande et rien de plus. Ainsi, dans les images filmées en 1970 s'installe un dialogue de sourds et une incompréhension se fait sentir entre les deux parties.

Le groupe militant dissous, l'accident de moto de Godard et sa venue à Grenoble changent le cours du tournage. Quatre ans plus tard, il reprend avec son épouse Anne-Marie Miéville le projet et analyse son rapport entre les images d'ailleurs (la Palestine) et d'ici (une famille qui passe son temps devant la télé). Ce rapport est le commentaire en voix off décliné pendant tout le film. Le constat est d'une grande mélancolie, le cinéaste revient sur ses rêves communistes, de la Révolution Culturelle, la « révocul » comme disait Serge Daney dans un jeu de mots cocasse.

Entre l'ici et l'ailleurs, le et de liaison est au centre du film. Ce et, ce sont des collages d'images, méthode de mise en scène que Godard avait déjà souvent utilisés. A côté des images en 16mm rapportés du Moyen Orient, il expérimente la vidéo, les ban-titres et les incrustations. Ainsi son analyse se résume à des raccourcis édifiants et fulgurants (comme quand il scinde l'image en deux avec Hitler et Golda Meir, première ministre d'Israël à l'époque). Dans la chaîne des événements, sur lesquels ils ont perdu tout pouvoir, les cinéastes doivent faire le travail de tri entre les images et les sons. Vaste travail !