Rutger
Hauer est mort aujourd'hui. 50 ans de cinéma, des chefs d’œuvre,
des bons films, quelques mauvais films, plusieurs nanars. Mais ce qui
reste le plus beau dans le cinéma de Rutger Hauer ce sont ses films
faits avec Paul Verhoeven. J'ai déjà écrit il y a quelques années
sur Turkish delight et Spetters. Je n'avais pas revu
Soldier of Orange, meilleur film hollandais du cinéaste et en
conséquence de cause de Rutger Hauer.
L'acteur
est de toutes les scènes, de presque chaque plan, pendant ces 2h27
de l'Histoire de les Pays-Bas sous la guerre. Moi qui ai une nette
préférence pour les films courts, j'admire le rythme effréné de
Soldier of Orange, son lyrisme, sa fougue. Etre de chaque
scène, cela demande du génie à la fois pour la mise en scène :
comment rester sur une seule trace narrative avec un personnage
omniprésent et donc adopter son point de vue.
Mais
cela demande aussi du génie pour l'interprétation. On sait
pertinemment que Rutger Hauer qui incarne cet étudiant Erik Lanshof
n'a pas l'âge pour être étudiant, mais l'art est de pouvoir le
faire croire sans qu'on se pose de question superflu. C'est d'abord
que le récit est lancé par un court prologue sous forme d'images
d'actualités situées en 1945, Rutger Hauer, en lieutenant,
accompagne la Reine Wilhelmina à son retour de Grande Bretagne.
Puis
un carton annonce un flash-back sur quelques étudiants en plein
bizutage. Leiden, 1938. Ce qui veut dire à une trentaine de
kilomètres de la capitale. De ces étudiants dans l'obscurité, un
visage sort de l'ombre et vient à la lumière, les cheveux rasés,
des lunettes rondes, un visage étonné et inconscient de ce qu'il va
vivre pendant ses sept prochaines années. Voici Erik qui émerge de
la masse de tous ces étudiants.
Il
ne s'agit pas pour Paul Verhoeven de tenir un récit avec un unique
protagoniste pendant sept ans. Il prend le chemin inverse, il extrait
autour d'Erik un petit groupe d'étudiants. Chacun aura sa propre
caractéristique. Chez Jacques (Dolf De Vries), le plus fortuné de
tous, celui qui l'éloignera volontairement du récit commun, une
photo est prise. Paul Verhoeven filme sa conception puis en fin de
film, Erik et Jacques constateront qu'ils sont les derniers
survivants.
Le
spectateur ne sait pas encore que tous ceux qui sont dans cette
pièce, tous ces étudiants immatures, tous ces amis frivoles vont
mourir les uns après les autres. On peut s'en douter avec ce
prologue en noir et blanc, on peut imaginer que cette photographie
est elle aussi déjà du passé à peine prise. Elle fonctionne comme
telle, comme une mémoire d'outre-tombe et lance très vite ces
jeunes hommes vers la guerre, vers des aventures rocambolesques qui
paraissent toutes cohérentes (génie de Verhoeven !).
La
facilité avec laquelle Paul Verhoeven dépeint en quelques plans
chacun de ses personnages force le respect. On sait déjà ce que va
devenir Erik. On n'imaginait pas avec ce début lors du bizutage que
celui qui lui fracasse le crâne, Guus Le Jeune (Joeoen Krabbé)
deviendra son meilleur ami, son indispensable compagnon de fortune et
d'infortune, mais aussi son rival, quand chacun se retrouve en
Angleterre et qu'ils tombent amoureux de Susan (Susan Penhaligon),
leur instructrice.
Les
destins sont variables, Jan (Huib Rooymans) le boxeur est arrêté
par la Gestapo et torturé. Nico (Lex Van Delden) participe
immédiatement à la résistance. La résistance tient une grande
part dans le film avec deux amis d'Erik, Robby (Eddy Habbema) et sa
fiancée Esther (Belinda Meuldijk), menacée de devoir porter
l'étoile jaune. Elle est follement amoureuse d'Erik ce qui n'est
guère réciproque.
Dernier
ami, Alex (Derek De Lint) s'engage dans l'armée nazie. Sa mère est
allemande et son destin bascule avec l'occupation, de victime
potentielle, il devient collabo. Sans doute, l'histoire d'Alex est la
plus troublée dans sa recherche constante d'identité. Sa dernière
rencontre avec Erik dans un espèce de palais où tous les plaisirs
sont permis est bouleversante et troublante avec ce tango déchaîné
que les deux amis dansent devant les hauts gradés nazis et leur
larbins.
Je
disais plus haut que Rutger Hauer était de toutes les scènes. Mais
ce n'est pas tout à fait exact. Avec un sens aiguë de la
dramaturgie, Paul Verhoeven fait mourir chacun des amis d'Erik. Dans
ces séquences, ils sont seuls sans Erik, ils prennent le premier
plan comme si un éloge funèbre leur était célébré. C'est une
émotion violente qui s'empare du récit, concluant un chapitre de la
vie d'Erik et avançant vers le suivant.
C'est
un film de guerre, un récit palpitant et Rutger Hauer est un acteur
physique. Il sait tout faire dans Soldier of Orange. Paul
Verhoeven lui offre aussi quelques moments de pure comédie (ce qui
n'était pas vraiment le cas des deux films faits ensemble
précédemment), surtout dans la partie en Angleterre avec son ami
Guus et Susan. Après Spetters, ils iront tous les deux à
Hollywood et feront La Chair et le sang, que je n'ai pas revu
depuis des siècles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire