Jusqu'à
présent mon expérience de Lucio Fulci se limitait à un film, un
western titré Le Temps du massacre avec Franco Nero vu au Festival
des maudits films de Grenoble en 2000. On m'a habilement suggéré
(on = un ami cinéphile) d'aller voir les quatre films du cinéaste
qui passent cet été en salle. J'ai obtempéré non sans rechigner
parce que c'est pas mon genre de prédilection. Les films ont des
titres de dingue, Perversion story (1969), Le Venin de la
peur (1971), La Longue nuit de l'exorcisme (1972) et
L'Emmurée vivante (1977). Aucune traduction de l'italien ni
même de l'anglais dans ces titres, que des inventions de l'époque
j'imagine pour aguicher le chaland et faire un peu de choc.
Jean
Sorel est le vedette masculine des deux premiers Perversion story
(en VO, « l'une sur l'autre ») et du Venin de la peur
(en VO, « un lézard sur le peau d'une femme »), un époux
lisse mais uniquement de façade. Il vit dans le premier à San
Francisco et dans le second à Londres. Lucio Fulci offrait un peu
d'exotisme pour ses films. On retrouve les célèbres tramways de la
ville californienne mais il ne faut pas faire beaucoup de chemin pour
tomber sur la neige. Dans Le Venin de la peur, c'est amusant
d'entendre de l'italien pour un film où tout le monde est censé
être anglais. Passé ce petit moment de stupeur des langues, il faut
suivre le récit et Lucio Fulci prend un malin à brouiller les
pistes.
Ce
qui ressort de ces deux films, ce sont les figures inspirées
d'Alfred Hitchcock (on remarquera par ailleurs qu'on découvre des
split-screens dans ces deux hommages au maître du suspense, ils sont
contemporains des premiers split-screens de Brian de Palma). Tous
deux sont de savantes relectures de Vertigo. Un nombre impressionnant
d'escaliers en colimaçon sont parcourus par Carole (Florinda Bolkan)
dans Le Venin de la peur quand elle poursuivi dans cet immense hangar
ou entrepôt vide et qu'elle cherche à échapper à son agresseur
(on trouve une poursuite quasi similaire dans L'Emmurée vivante
(en VO, « quatre notes noires ») quand Jennifer O'Neill
fuit ceux qui lui veulent du mal). Quant à Perversion story,
c'est le retour de la même femme qui rappelle Vertigo.
L'épouse
de Jean Sorel dans Perversion story meurt mais des indices le
poussent à aller dans un boîte de strip tease où la danseuse
vedette est la portrait craché de feue son épouse, à quelques
différences près (cheveux et yeux). En 10 ans, de Vertigo à
ce film de Lucio Fulci, l'érotisme est passé par là avec deux
scènes de lit plutôt chaudes mais filmées dans la pénombre. En
revanche, Lucio Fulci s'amuse à filmer les artistes de strip-tease
dans la boîte en simple culotte. J'avoue que je ne m'attendais pas à
voir Jean Sorel, lui si sage dans Belle de jour, jouer un
amateur de chair fraîche. Les amours sont saphiques dans Le Venin
de la mort, Carole a une maîtresse, leurs corps sont dénudés
avant que Carole ne poignarde au ralenti sa chérie. L'érotisme est
aussi là dans La Longue nuit de l'exorcisme (en VO, « ne
torturez pas le canard ») avec ces gamins qui admirent la jeune
fille riche.
Deviner
qui a tué les victimes est le grand enjeu de ces quatre films. Et il
est, à mon avis, impossible de la deviner. D'abord Lucio Fulci joue
sur le surnaturel qui intervient assez vite dans les enquêtes que
mènent les personnages. Soit des policiers, soit un journaliste,
soit les protagonistes eux-mêmes au risque de se voir menacé à
chaque instant. Le surnaturel varie d'un film à l'autre.
Psychanalyse et amnésie dans Le Venin de la peur, vaudou et
sorcellerie dans La Longue nuit de l'exorcisme (mais quel
titre idiot), dons divinatoires dans L'Emmurée vivante.
L'élaboration du crime prend du temps et les indices qui sont autant
de pièges, de chausse-trapes narratives ne manquent pas. C'est dans
ces embûches qu'on peut prendre du plaisir aux films.
On
tue beaucoup dans ces quatre films. Au moins quatre enfants dans La
Longue nuit de l'exorcisme dans un village de paysans incultes du
sud de l'Italie, des femmes sexy dans les trois autres films (on
s'écorche aussi dans les falaises au début de L'Emmurée vivante
et à la fin de La Longue nuit de l'exorcisme), le tout dans
des saignées de ketchup turgescent. Lucio Fulci aime le montage
abrupt et cut, peu importe les raccords tant que l'effet fonctionne.
Il aime les zooms violents qui passent d'un plan d'ensemble à un
gros plan sur les yeux de ces femmes en quelques images, à peine une
seconde. Il faut abandonner toute volonté de rationalité malgré
l'abondante présence de médecins, psy et intellos en tout genre.
Certains
moments des films de Lucio Fulci sont épuisants, parfois peu
convaincants, parfois complètement nuls. Mais certaines visions sont
saisissantes telles le début du Venin de la peur, cette
vision de Carole dans le train, sa traversée du couloir du wagon où
les corps nus s'entassent avant qu'elle ne se retrouve dans un
couloir inconnu puis dans cette chambre où elle laisse libre court à
ses fantasmes sexuelles. La scène suivante est d'autant plus
frappante qu'elle vit chez des bourgeois coincés, le repas
prout-prout qui suit est filmé par Lucio Fulci presque comme une gag
comique. C'est dans ces oppositions de ton que les films glissent
vers de la pure abstraction où on se demande : mais qu'est-ce
qu'il va nous raconter ensuite ? Chaque fois on n'est pas au
bout de nos surprises.
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